Mary_lisa.
- Une fois encore mes pas me conduire vers la Cour de la Jussienne. Quartier mal famé où règne la luxure, mais surtout temple du jeu. Je ne métais encore jamais aventuré vers lAphrodite où prostitués de tout genre faisaient office. Trop prude ? Non prude nétait pas un mot qui me correspondait. Mais cette vision me répugnait. Tant de corps salit. Les femmes elles même laissaient leurs corps être profanés. Cela métait totalement incompréhensible. Des années au paravent, alors que je navais pas plus dune douzaine dannée moi aussi je métais retrouvé à la rue. Mes parent adoptifs venaient de mourir me laissant avec pour tout héritage une vieille ferme qui tombait en ruine. Innocente et pleine de rêve, mes maigres effets sur le dos je métais dirigé vers Paris. La capitale serait pour moi un changement de vie, jen étais persuadé. Il nen fut rien. Pauvreté, famine, vol, voilà tout ce que javais gagné. Mais jamais, ne serait-ce quune seconde je navais imaginé pouvoir ainsi salir le temple quétait mon corps. Javais fuie les hommes comme la peste durant des années justement pour cette raison. Ils étaient pour moi synonyme de dégradation. Alors non, définitivement je ne comprenais pas ces femmes. Certains disaient : « Pauvre femmes, la vie ne les a pas gâtés, elles nont dautre choix pour se nourrir. » Non ! Non, on avait toujours le choix. Je préférais encore crever de faim la bouche ouverte dans un coin dune ruelle. Cest dailleurs à peu près ce que javais fait.
En soit cétait à peu toujours ce que je faisais. Je laissais mon corps se mourir à petit feu en refusant volontairement de le nourrir. Au fil des mois mes crises devenaient de plus en plus fortes et javais perdu la force de me battre. Extérieurement jétais toujours celle que deux ans plus tôt on surnommait la solaire. Mais intérieurement le vide. A la différence de la gamine crevant de faim qui arpentait la cours des miracles des années plutôt, aujourdhui mon mouroir était emplit de Luxe, dopulence. Je ne manquais plus de rien, au contraire on me servait tout sur un plateau en or. Officier royal à la Maison Royal je côtoyais au quotidiens toutes les têtes couronnées, Future Duchesse de Tancarville, javais à mon service lensemble du domaine, Fille des Ducs dAlençon jaurais presque pu exiger tout ce que je souhaitais. Malgré cette ascension évidement, intérieurement je restais aussi pauvre que ces vulgaires catins de lAphrodite. Le fossé entre celle que je tentais dêtre pour coller au milieu dans lequel jévoluais et celle que jétais réellement ne cessait de se creuser. Si bien que plus les mois passaient, plus je ne savais réellement qui jétais. Dédoublement de personnalités intense. Geneviève, Mary-Lisa, une seule et même personne, deux être pourtant tellement différent.
Aujourdhui encore et comme lors de chaque crise, la délicate et précieuse Geneviève de Courcy, laissait place à Mary-Lisa lex fille des rues. Ce matin je métais encore réveillé en hurlant, les larmes coulant sur mon visage, trempe de sueur. Mes crises nocturnes étaient de retour. Toujours la même scène. Une gamine au visage angélique tenant entre ses petits bras le corps sans vie de sa mère. La scène était baignée de sang, le rouge vif venant artistiquement contraster avec la peau nacrée et la chevelure dorée de lenfant. Geneviève Elisabeth de Courcy alors âgée de quatre ans venait dassister à la mort de sa maternelle. Première brisure. Alors, comme à chaque fois que ce fantôme du passé venait hanter mes nuits il métait impossible de rentrer à nouveau dans le rôle de la délicate Geneviève. Je redevenais enfin la « Vrai MOI ». Celle que je fus de mes quatre à mes quinze ans. Cette deuxième vie que lon mavait accordée mavait permis déchapper à ce dramatique accident. Pourquoi jusquà mes quinze ans ? Car cest là que Geneviève fit son retour prodigieux. Ou plutôt non, le retour dAimeryc de Courcy, le père, ramenant dans son sillage limage de la Geneviève enfant serrant la défunte contre elle. Il mavait accordé une troisième vie. La présente donc. Ma vie de torture intérieure.
Ainsi donc, pour oublier ce tableau de lhorreur je menfonçais dans la noirceur. Aujourdhui javais envie de jouer. Le Pacte dOrphée connaissait à présent les visites de Mary-Lisa. Jy passais la quasi-totalité de mes nuits à dépenser sans compter cet argent qui nétait pas mien, mais celui de la maudite Geneviève.
Seulement, ce soir-là je fis une erreur. Une erreur qui amènerait surement ma perte. A prendre trop lhabitude de jongler entre les deux Moi, jen devenais négligente. Alors que jarpentais tranquillement ce quartier sombre et lugubre, en terrain conquis comme le faisais habituellement Mary-Lisa, Geneviève ne mavait pas totalement quittée. Javais certes troquée mes soyeuses toilettes pour les guenilles, mais jen avais oublié les précieuses parures dont Geneviève saffublait comme pour se cacher derrière ces grosses pierres.
Mon cou scintillait, mes doigts brillés, en gros une énorme flèche signalétique me pointait en mode : « Nobliaute blindés sest perdue dans le quartier des malfrats. Proie facile juste ici ! »
Inconsciente, mes pas me menaient tout naturellement à travers les ruelles sombres pour rejoindre le pacte dOrphée. Je les avais arpentées des millions de fois plus jeune, rien ne pourrait marriver. Mary-Lisa était de retour à la maison.
_________________