Lorsqu'un chat et des pigeons font tout basculer :
Quelques jours s'étaient écoulés depuis la rencontre de la Dame de Thauvenay et du sieur Thorvald, et il faut bien admettre que cette rencontre avait changé quelque chose en elle... Non pas qu'elle était moins malheureuse depuis, non pas qu'elle s'était mise à penser à lui et non plus à Hugo, loin de là même, mais les mots qu'ils avaient échangés, les images employées à certains moments par lui, et par elle, avaient réveillé chez la dame les cendres d'un feu presqu'éteint nommé Terry, ravivant quelques petites flammes encore timides, mais bien présentes.
Oh, il ne s'agissait pas d'un revirement flagrant dans son attitude, mais de quelque chose de discret, qu'elle seule pouvait ressentir. Le désespoir et la tristesse étaient toujours ses compagnes, la mélancolie aussi, mais l'attente passive s'était peu à peu muée en une période de combat et d'activité.
Comme quelqu'un qui aurait longtemps vécu en quarantaine, laissant la maladie ronger petit à petit ses dernières forces dans la solitude de sa chambre, et qu'un rayon de soleil perçant par la jointure des volets aurait réveillé, elle eut soudain envie non pas de combattre la maladie, elle savait que le remède n'était pas dans ses mains à elle mais dans celles d'Hugo, mais bien d'apprendre à vivre avec, de la domestiquer, en attendant celui qui la guérirait...
Peu à peu, elle s'éveillait à la vie, avait envie de voir la lumière du jour, d'ouvrir les volets, et même de retrouver un minimum de sociabilité.
Au bout de quelques jours, elle se mit donc à fréquenter enfin les tavernes de Vienne, à se renseigner sur ce qu'elle pourrait faire pour se rendre utile au Duché qui l'avait accueillie, posa sa candidature aux comité des festivités, accueilli et aida de ses conseils quelques vagabonds qui semblaient bien perdus... Toutes ces choses, qui chez elle étaient comme des réflexes qu'elle aurait réfrénés un temps, revenaient, sans même qu'elle en aie vraiment conscience peut-être.
La sociabilité revenait, oui, peu à peu, et avec elle l'envie de reprendre sa correspondance avec ses anciens amis sancerrois, ceux à qui elle n'avait plus donné de nouvelles depuis que son coeur saignait de l'absence d'Hugo, ayant bien trop difficile de répondre à leurs questions à son sujet à lui.
Leurs dernières missives, celles où toujours figurait une petite phrase du genre "Mes amitiés à vous et à Hugo", elle les avaient jetées, et jamais n'y avait répondu, par manque de force.
A présent, exactement comme une malade qui soudain préfère dire d'elle même de quel mal elle souffre à ses amis, plutôt que d'éviter leurs questions, elle avait décidé de voir le mal en face, de l'assumer, d'oser en parler, d'affronter la réalité, malgré la douleur toujours bien présente, peut-être même plus encore.
La première lettre qu'elle rédigea, elle l'adressa à un homme qui vivait lui aussi à l'Hôtel de Culan : le Baron d'Aupic. Cet homme qui avait fait d'elle sa vassale il y avait fort longtemps à présent, vivait de la même façon que Hugo depuis au moins autant de temps, ne parvenant sans doute pas lui non plus, à se relever du décès de Mentaig, son âme comme il disait, celle qui partageait sa vie, la cousine de Hugo, tante de Anne et Gabriel.
Pourquoi lui écrivit-elle à lui? Parce qu'au fond d'elle, elle se disait que si lui sortait enfin de sa torpeur, alors Hugo aussi finirait par faire de même... Par répondre à une des nombreuses lettres restées sans réponse depuis des mois.
Mais le Baron d'Aupic ne répondit pas, et Hugo non plus...
La seconde lettre, elle l'adressa à quelqu'un qui avait énormément compté dans sa vie et dans celle de Hugo : Maleus, le flutiste. Maleus et Hugo s'étaient longtemps disputé son coeur à elle, et elle avait fini par trancher, non sans mal, choisissant celui qui la complétait à celui qui lui ressemblait tellement que ça en faisait presque peur. Cela avait ensuite mis du temps à cicatriser chez lui, il y avait eu de très très grosses tensions, querelles, mais ils avaient fini par devenir amis à défaut d'être amants.
A lui seul elle pouvait se confier sans crainte d'être jugée, et elle le fit, par l'intermédiaire des mots qu'elle traça à son intention sur le vélin.
Là où le chat joue un rôle :
Et puis, un jour, une rencontre inattendue en taverne... Thorvald!
Thorvald, en compagnie d'une demoiselle au doux nom de Mely et dont cela crève les yeux que son coeur ne bat que pour lui, annonçant tout de go à Terwagne que si ils sont ici tous deux, c'est parce que lui voulait venir la revoir elle, la demoiselle croisée en pleine campagne un jour de recherche de chat.
Elle ne comprend pas, mais est tout de même bien heureuse de le revoir, dire le contraire serait mentir.
Cet homme la secoue, trop quelques fois, par ses mots, par ce besoin qu'il a de vouloir réveiller encore plus Terry, lui fait mal bien souvent, et pourtant, elle sent au fond d'elle que ce mal est nécessaire, qu'il ne la bouscule que pour son bien.
Par contre, la demoiselle qui l'accompagne est pour le moins étrange, poussant par des chuchotis Terwagne à comprendre que l'homme est tombé amoureux d'elle, le lui disant même ouvertement, et l'encourageant plus que la bienséance ne le voudrait à en "profiter" comme elle dit, tandis qu'à d'autres moments, pour quelques mots échangés en taverne, elle pique des crises de jalousie incroyables et très maladroites, se comportant devant tout le monde comme une chatte jalouse en manque de caresses et qui sortirait les griffes.
Terwagne ne comprend pas, se met à les éviter, se renferme à nouveau quelques temps, mais finit par exploser, par vouloir comprendre, vouloir la vérité de sa bouche à lui, au moins pour Mely qu'elle voit malheureuse au point de se ridiculiser.
La tempête explose, les mots jaillissent de ses lèvres, elle l'empêche de se défiler en quittant la taverne, se place devant la porte, le regard noir, exige qu'enfin il s'explique. Terry a pris le dessus, surprenant tout le monde, et elle la première.
La réponse se fait attendre, le temps d'un duel de regards, puis finit par jaillir, laissant la demoiselle plus perdue que jamais...
Pour la première fois depuis des années, un autre homme que Hugo l'embrasse!
Un autre que lui pose ses lèvres sur les siennes, et elle n'a pas la force de le repousser...
Les heures qui suivent sont terribles pour elle. Elle ne dort pas, s'en veut, ne comprend pas pourquoi elle l'a laissé faire, pourquoi il la trouble à ce point, lui qui vient d'un monde tellement différent.
Elle se sent sale, honteuse, faible...
C'est Hugo qu'elle aime!
Hugo qu'elle attend!
Hugo qu'elle espère!
Hugo dont elle a besoin pour vivre!
Hugo qu'elle pleure!
Hugo dont elle se meurt!
Prenant de quoi écrire, elle rédige une lettre à l'attention de Thorvald, lui demandant de s'en aller, de ne plus vouloir l'aider, qu'il a déjà fait assez de mal comme cela, profitant d'un moment de faiblesse chez elle qu'elle ne se pardonnera jamais. Car il ne s'agissait bien que de cela, un moment de faiblesse!
Là où les pigeons jettent les dés :
La lettre ne partira pas, mais finira noyée sous les larmes que provoquent l'arrivée de deux pigeons.
Le premier lui délivre une missive dont les premiers mots font naître un sourire sur ses lèvres : " Chère perle noire,'.
Maleus!
Maleus lui a répondu, et sa lettre est remplie de franchise et de douceur, sans aucune vérité édulcorée et vide de sens. Cette lettre est fidèle à toutes celles que ces deux êtres tellement semblables se sont échangées par le passé.
Citation:Chere perle noire,
(... )
L'amour est le pire des poisons, je m'en suis rendu compte
(...)
C'est à vous de faire vos choix...De montrer à Hugo ce qu'il risque de perdre si il ne montre plus signe de vie, si il continue à vous délaisser.
J'aurais été à votre place j'aurais mis un terme à cela, l'absence d'un être cher est des fois bien pire qu'un tranchant d'épée.
Mais voila je ne suis pas vous.
Peut etre devriez vous, comme avant, vous laisser porter par le vent, parcourir les routes du royaume et rencontrer hommes et femmes exceptionnels.
Même si je vous souhaite de retrouver votre homme.
( ...)
Prenez soin de vous Terry.
Mal'
Cette lettre d'un être cher, et qui la comprend si bien, la plonge en pleine réflexion, lui faisant oublier un instant celle qu'elle même vient de rédiger à l'attention de Thorvald et qui attend d'être envoyée.
En pleine réflexion, oui... Réflexion qui prend fin avec l'arrivée d'un second courrier quelques instants plus tard à peine, et qu'elle n'espérait plus.
N'espérait plus? Non, "espérait ne jamais recevoir" serait plus correct.
L'état de décrépitude de la lettre ne la frappe pas au premier abord, tant l'écriture qu'elle reconnait au dehors la rend fiévreuse et impatiente de lire les mots tracés par la main aimée.
Décachetant ce qui représente un "trésor" à ses yeux en cet instant, elle ne se pose pas de questions sur le fait que cette lettre semble avoir traîné en chemin pas loin d'une semaine, essuyant pluies et égarements de volatiles. Elle ne le comprend qu'en voyant la date indiquée dans le coin droit supérieur, juste au-dessus du "Terwagne, ma si chère Terwagne".
La suite, elle s'en souviendra sans doute pendant le restant de ses jours... Même si l'eau qui jaillit alors de ses yeux ne laisse que quelques passages lisibles et non délavés sur le papier.
Citation:Terwagne, ma si chère Terwagne.
Ce message est sans doute le plus dur que jaie jamais eu à écrire (... ) je ne sais que trop bien que le silence dans lequel je suis et lattente dans laquelle il te force à être est pire encore
(...)
Tu dois déjà me détester, je men doute (...) je sais que tu attendais tellement de moi, que tu avais confiance
(...)
Jai peur, de ne jamais pouvoir te rendre heureuse comme je le voudrais et comme tu le mérites
(...)
Alors déteste-moi, je le mérite. Je sais que je te déçois énormément, au moins autant que tu maimes.
(...)
Cest pour cette franchise que je técris cette lettre. Par respect pour toi, par respect pour ce que nous avons vécu ensemble.
Hugo