Gloria. Depuis sa prime jeunesse, la jouvencelle avait dû apprendre à se lever à laube pour la prière. Chose que même loin du couvent, elle noubliait pas de réciter et ce, quimporte le lieu. Depuis peu, sajoutait à son culte, un nouveau credo, une leçon quelle avait vite appris par cur tant le maître darmes lui rabâchait. Celle-là était les prémices des fondements de sa nouvelle vie. A la place du labeur jusquau déjeuner, cétait, maintenant, un fardeau sur le dos et des lieues à avaler de bon pas pour entraîner le cur et ce jusquau zénith. Les repas nétaient guère plus copieux que chez les religieuses mais au moins, il y avait de la viande à mastiquer. Sen suivait quelques bornes de plus avant de trouver souffle et repos dans une auberge ou un modeste abri. Ce soir-là, pour la première fois de sa vie, Gloria naurait que les étoiles pour seul toit.
Sa robe immaculée avait vite pris des couleurs de terre surtout au niveau des genoux avec ce nouveau quotidien. Le corps de la demoiselle nétait plus que douleurs et rhumatismes quelle arrivait à taire sans grande difficulté. A vrai dire, lattitude du lansquenet lui avait appris à apprécier le silence. Sa voix grave et son ton bourru nétait pas agréable à loreille de la jeune fille. Elle se contentait donc de répondre le strict minimum. Dailleurs, cest ce quil lui restait tandis quelle avait perdu jusquà son propre nom aux côtés du soldat. Mais elle le regagnerait, elle sen fit promesse.
Le soleil commençait à décliner, Gloria sattelait à entretenir le feu qui leur permettrait de se nourrir et de se réchauffer la nuit durant quand le Slave commença à la questionner.
Pourquoi diable veut-tu de cette vie ?
Et il lécouta tandis quelle sexpliqua. Dun ton rempli dadmiration et de ferveur, elle lui conta sa rencontre avec un chevalier alors quelle déambulait au marché du village voisin au couvent. Gloria décrivit son armure rutilante et sa prestance, son port altier sur sa monture de guerre. Si elle navait pas pu sapprocher au point de voir son visage engoncé dans son casque. Elle avait entendu sa voix porté un message de paix et despoir. Il disait revenir des champs de bataille. Il était en vie et il bénissait le Très-Haut en public pour cela. La blonde avait alors une dizaine dannées mais la promesse de ce preux chevalier lui resta ancré.
Je servirai le Très-Haut et le trône de France !
Son pain ramollissait dans son fond de bouillon devenu froid mais elle continuait de prêcher le pourquoi et le comment. Son poitrail se gonflait généreusement lorsquelle inspirait de grandes goulées dair quelle expirait longuement dans son explication passionnée. Cétait pour le Très-Haut et la Reyne. Cétait pour la veuve et lorphelin. Cétait pour la paix et la justice. Cétait bien trop idéaliste et innocent. Mais sa conviction était pure et sincère. Gloria croyait en chacun de ces mots: Justice, Foi et Honneur.
Il faut parfois peu pour passer de lautre côté du fil de lépée, tu penses avoir les tripes pour faire couler ton sang et celui des ennemis du royaumes et ceux du Très-Haut ?
Les tripes? Celles qui se nouèrent, à la question, autour de son estomac frugalement rempli. Bien évidemment que non, elle nétait pas prête à cela. A vrai dire, Gloria approchait la Chevalerie plus comme dans les contes que dans la réalité. Verser du sang? Les obsidiennes se voilèrent un instant, les traits se crispèrent dans une intense réflexion. La nonne tuerait-elle lennemi de ses propres mains le moment venu? Comment diable pouvait-elle le savoir, elle qui navait tenu une épée que quelques minutes dans sa vie. Personne même ne pouvait réellement le savoir davance, songea-t-elle. Mais tandis que les méninges chauffèrent, un éclat sembrasa dans ses yeux noirs. La question était maladroite comme le ton était hésitant. La véritable interrogation était Seras-tu capable de te sacrifier sil le faut? et à cela, Gloria redressa sa tête couronnée de tresses blondes et répondit:
Tant que le Très-Haut guide mon bras alors je ne faiblirais pas, mestre Fechter, car tel est Son souhait, car telle est ma destinée.
Le regard luisant soutenaient les émeraudes du lansquenet et la voix chaude couvait alors une ferveur inébranlable.
Gloria. La blonde avait monologué tout le repas durant avant de recevoir lordre daller se coucher. Elle prit quelques minutes pour prier avant de rejoindre sa couche de fortune faite de feuilles tendres et de peaux. La saison était clémente et recroquevillée près du feu, elle ne pouvait se plaindre de la température. La jouvencelle pensait tomber de sommeil après cette journée dexercice et de marche mais ses obsidiennes restèrent de longues heures ouvertes dans lombre des flammes attisées par le lansquenet. Son ouïe affutée repérait les moindres crépitements de bois, chants dinsectes et hululement doiseaux de nuit. Cétait sa première nuit sans toit sur la tête et le mélange danxiété et dexcitation faisait un bon cocktail dinsomnie. La nonne tournait et retournait dans son nid feuillu avant de se placer sur le dos pour faire face aux cieux. Le ciel était dun bleu profond illuminé par des centaines détoiles. Les grands yeux noirs reliaient par des lignes invisibles chaque point de lumière en dessinant des formes comme si, au dessus de leurs têtes, sétendait une large toile. Ensuite, Gloria se prit à compter les astres et bientôt, ses paupières se fermèrent.
Siegfried la réveilla comme convenu et Gloria grimaça. En plus du manque de sommeil, son corps tout entier était endolori davoir dormi à même la terre. Elle sétira douloureusement, ses articulations craquant dans les mouvements. Après avoir fait sa prière et croqué une pomme trop mûre tandis que le maître darmes se préparait, ce fut à son tour de passer derrière les fourrés. A labri des regards indiscrets, elle ôta sa robe de moniale quelle suspendit dans les branchages et se rinça à leau. Une toilette brève mais utile avant de sattaquer à sa coiffure. Dabord, décoiffer sa longue chevelure bouclée, la lisser entre ses doigts pour la pseudo démêler avant de tresser les mèches en une couronne sur le haut du crâne. Affairée à sa tâche, la demoiselle entendit le Poméranien la presser. Quelques minutes plus tard, elle sortait des fougères, fraîche et souriante.
Pardonnez mon retard, mestre Fechter
Heureusement pour eux, elle navait pas à se recoiffer tous les jours. Ils finirent de rassembler leurs effets et reprirent la route vers le prieuré. La route nétait pas très fréquentée mais bien tracée. Gloria soutenait le rythme du cheval et de son maître, paquetage en bandoulière et sur le dos afin de renforcer ce dernier. Le trajet fut presque agréable sans lexercice à tenir. Le Lansquenet ressassa ses leçons pour les imprimer de plus belle dans le crâne de la blonde qui les répétait en écho. En fin de matinée, alors que les jambes de la jouvencelle commença à trembler et à se tétaniser sous leffort, les portes de Ste-Illinda apparurent dans le lointain. Ragaillardie à cette vision, Gloria reprit de bon pas son chemin. Toute activité lui paraissait plus simple lorsquelle en voyait la fin ou, au moins, lobjectif. La nonne était dautant plus excitée à lidée de remettre les pieds dans un monastère, elle qui avait, si précipitamment, quitté le sien. Une petite angoisse naquit dans son ventre déjà creusé par la faim. Il fallait tôt à tard quelle lui avoue. Certes, mais quand? Siegfried ne semblait pas sattacher à la demoiselle, du moins pas avec autant de réciprocité. Il pourrait facilement se débarrasser delle à tout moment et ce, pour nimporte quelle raison. Rien ne les liait et surtout, rien ne les retenait. La blonde se tut mais sa mine trahissa son trouble tout au long de leur passage au prieuré. Elle prétexta la nostalgie pour camoufler ses émotions mais le Poméranien nétait sûrement pas dupe...