Louis_marie
["Ta mère la catin" - Matin]
Aux premières lueurs du jour, la silhouette endormie s'agite. Toi, l'amateur invétéré de grasses matinées, tu te réveilles aux aurores et les rayons du soleil semblent encore trop timides pour pénétrer l'épaisseur des rideaux. Le réveil est brutal, la douleur vive, les souvenirs trop frais. Contre ton corps, qui jadis se réchauffait de la présence rousse, il n'y plus qu'un oreiller serré jusqu'à l'étouffement. À ton esprit, qui autrefois se laissait habiter par l'alcool, l'euphorie et la légèreté, il n'y a plus que des mots qui résonnent encore et encore. À ton annulaire, qui hier exhibait fièrement une alliance d'argent, il n'y a plus rien. Rien.
- GYSÈLE. Tu m'aimes ?
LM, fronçant les sourcils. Arrête d'poser des questions débiles.
VAELIA. Réponds Louis. Fuis pas.
GYSÈLE remarque qu'il ne répond pas à la question et se renfrogne.
LM, allant jusque derrière le comptoir, histoire de trouver un truc à boire. Je... j'fuis pas. J'ai pas envie d'en parler.
GYSÈLE. On est là pour parler LM. T'as pas le choix en fait. Si tu ne parles pas, ça va très mal se finir.
VAELIA. Très.
LM retourne s'asseoir, bouteille à la main. Silence.
GYSÈLE. Je t'ai posé une question simple. Réponds !
LM, les regardant tour à tour, mal à l'aise. Je...
GYSÈLE, qui l'aide. Oui ou non ?
LM, après avoir pris une grande inspiration pour mettre les mots dans l'ordre. Oui. Mais seulement quand le... monstre aura disparu.
Ce que tu peux être con, LM. D'un mouvement qui ronge tout ce qu'il te reste de force, de muscle et de motivation, tu parviens à te redresser pour trouver position assise sur le lit. As-tu seulement dormi ? Tu ne sais pas vraiment, tant la rancoeur et la douleur ne t'ont pas accordé un seul instant de paix. Néanmoins, dans le flot chaotique de tes sentiments, la colère est plus forte et si le barrage a cédé et inondé tes yeux toute la nuit, ils sont aujourd'hui éclairés d'une rage muette et brûlante. D'un bond, tu sors du lit, sans prendre la peine de t'habiller, et saisit un cadre accroché au mur, le jetant sur le sol. L'objet explose, le bois vole. Tu détruis. Tu es un destructeur. Tu détruis tout ce que tu touches, des meubles à ta soeur, de ton fils à ton épouse. Soudain, c'est le silence de ta chambre qui se laisse écouter, inquiétant, oppressant, et tu retournes dans ton lit serrer contre toi le coussin usé, comme un garçon malheureux et blessé. Non. Ce n'est pas ta faute. Tu n'as rien fait, toi. Tu ne seras pas la victime de cette situation. Tu es un homme, LM, pas une larve, pas une loque, et elles pourront bien faire ton procès, elles pourront bien te couvrir de honte, elles pourront bien rouler ton orgueil dans la boue que la vérité demeurera : ce n'est pas ta faute.
- LM, hurlant. Non ! C'pas mon chiard ! J'ai pas d'chiard ! C'est l'enfant qu't'as eu avec un connard !
Il est là, le vrai responsable. Sous ce nombril, dans ce ventre trop rond, abrité et nourri par le corps que tu aimes. Le monstre, abject et sournois, le déforme, l'épuise, le rend hideux et le dévore. Tu lui as dit, quand elle te l'a annoncé, que tu n'étais pas prêt à être père. Tu savais, alors, que le monstre avait pris ses quartiers et qu'il n'était pas prêt de les quitter. Tu as pourtant décidé de rester, toi aussi, allant même jusqu'à le protéger du sort qui aurait pu lui être réservé, la mort. Mais tout a changé, parce que désormais, le monstre, tu le vois. Il grandit de jour en jour, pour te cracher au visage son existence et tes échecs. Avant son arrivée, tout était parfait, absolument parfait. Et maintenant, comment pourrais-tu aimer celle qui, en son sein, porte celui que tu hais ?
- LM. Tu... m'détestes ?
GYSÈLE, prenant un instant de réflexion, regardant l'alliance puis son ventre. Oui.
*Titre d'une pièce de Jean-Luc Lagarce.
Les conversations sont extraites de RPs joués en taverne.