Evroult
- - Mon passé se meurt.
- pour tavoir frappé ;
- pour lavoir frappé ;
- pour avoir déchiré son bustier ;
- pour tavoir volé tes jouets ;
- pour avoir fait croire que je lavais baisé ;
- pour avoir fait croire que je la désirais ;
- pour navoir supporté que vous vous aimiez plus que vous ne maimiez moi ;
- pour vous avoir reproché dêtre les rejetons de notre mère ;
- pour avoir dit que tu ne pouvais bander ;
- pour avoir dit que tu bandais tout le temps ;
- pour mêtre moqué de ta barbe parce que je nen avais pas ;
- pour navoir jamais, ô grand jamais, été à la hauteur ;
- pour tout ce que jai oublié, ce que jai effacé, ce que je nose ajouter ;
Trois paires dyeux écarquillés se posèrent sur le minois figé. On navait plus vraiment lhabitude, depuis des mois déjà, que les lèvres gourmandes souvrent pour autre chose quun plaisir financé. Les plus anciennes des filles avaient cessé de sinquiéter pour les cernes profonds, le corps amaigri & les mauvaises humeurs ; les plus nouvelles trouvaient lhomme sévère, voire antipathique, & ne comprenaient pas que nombre de clientes le quémandent encore.
Somme toute, Chasseur sétait résumé drastiquement à son métier. Tout contact aux souvenirs, amis, famille, relations, le rendait exécrable depuis la seconde disparition de Blanche. Les morts sétaient enchaînés, les multiples deuils glissant sur lâme décharnée sans quil ne soit plus capable de réagir vraiment ; il avait pris lhéritage libéré par la mort de Yohanna de Chambertin, devenant propriétaire du bordel où il navait été que maquereau intérimaire, & sétait bien gardé de pleurer, et Eldearde, et Blanche, & Yohanna, et la floppée dautres qui auraient dû lassommer.
Pourtant, cette dernière annonce avait su réveiller quelques cicatrices profondes & bien palpables. Il avait déclamé cette vérité douloureuse dun ton neutre & effacé, mais la réalité seule de ces mots prononcés prouvait la violence de ce qui venait de se dérouler.
« Géant est mort, & mon passé se meurt » avait-il affirmé. Puis il sétait levé, devant cette assemblée de prostituées médusées dégustant un dernier repas avant louverture des portes, avait monté les marches dun pas lourd & trainant, & sétait enfermé en son étroit bureau, repoussant la masse de paperasse chiffonnée dun mouvement agressif pour libérer la table & démarrer sa lettre.
Citation:
- DEvroult Ponthieu,
A Hel af Nærbøfj-Røykkness, si tu es encore en vie,
Que Théodrik, de ce même patronyme, repose en paix.
Que vos dieux laccueillent comme un prince de retour, & quils se gardent de temmener trop tôt. Géant quil est, je sais, dailleurs, quil prendra garde à téviter toutes sortes dembûches pour quoi dautre les frères auraient-ils été créés ?
Loupiot.
- Vrai, ça pour quoi dautre.
Onyx se perdit sur une liasse froissée de parchemins rongés des rats & des moisissures, coincée entre deux gros livres de comptes soutenant une étagère. Ce trophée, abandonné & oublié, ne servait plus quà rappeler à son propriétaire combien il avait eu la haine pour amie.
Peut-être même lavait-il toujours.
Citation:
- DEvroult Ponthieu,
A mon aîné,
Ceci est un pavé dexcuses.
Ai-je ton attention ? as-tu jeté mes mots au feu ? as-tu lâché cette lettre comme si la peste la recouvrait de bout en bout ? non, LM. Tu peux garder tes ongles noirs sur ce parchemin. Cest une blague, pour la peste.
Il se trouve que jen ai fini, avec laversion des Ponthieu. Ne me demande pas pourquoi. Moi-même ne suis pas certain de la réponse. Ai-je passé trop dénergie à vous détester suffisamment ? ai-je assez souffert de vous croiser après vous avoir si bien rendus dingues ? en ai-je eu assez de rejeter ces liens du sang, quand il me suffisait dabhorrer Marie-Gertrude ? Peut-être. Quimporte.
Ceci est un pavé dexcuses.
Bien sûr, tu ne crois pas ces lignes. Tu penses, & jai longtemps donné de bonnes raisons dy croire, que je madonne encore à un de ces jeux vicieux qui navaient pour but que de vous démontrer combien je nourrissais daversion à votre égard. Tu penses que je cherche encore & toujours à vous détruire, parce que je suis le mal-aimé, parce que je suis labandonné, parce quil ny avait pas de place entre Gysèle & toi, tant lamour que vous vous portiez écrasait tout le reste.
La vérité, LM, cest que je ne vous ai jamais haï. La vérité, LM, cest que Gysèle était ma tare, à moi. Que poser mes yeux sur elle me renvoyait un reflet de moi-même que je ne supportais pas, parce quil était si proche, si proche ! de notre satanée génitrice. La vérité, LM, cest que parce que tu aimais tant Gysèle, il métait impensable de te laisser une chance.
La vérité, LM, cest que jai été con. Et que, peut-être, au fond de moi, je le regrette. La vérité, LM ah ! la vérité est si loin de ces passes faussées, de ces masques brisés, de tous ces coups ratés quon sest bien balancé.
Tiens. Ceci est un pavé dexcuses.
Tu sais combien je ne sais les formuler.
Mais je peux faire une liste, je crois.
Loupiot.
_________________
[REFONTE]