De moi, Louis-Marie Ponthieu, cousin curieux.
À vous, Lazarine Ponthieu, cousine retrouvée.
Le coursier a mis des plombes à nous trouver. Le pauvre homme était épuisé alors, bon comme je suis, je lui ai donné à boire. Il a fait la gueule. Je crois qu'il espérait être payé.
J'ignore à quelle date votre lettre était supposée nous parvenir. Peut-être que vous l'avez écrite il y a des années et que, ne voyant pas de réponse arriver, vous nous pensiez morts ou disparus. Vous pouvez alors retrouver le sourire : vos cousins sont en vie, et pas qu'un peu. À l'avenir, épargnez de la peine aux malheureux services de la POSTE et adressez directement vos courriers à "Ta mère, la catin". C'est à Limoges. Les gens connaissent. Et c'est là que nous vivons, désormais, ma soeur et moi.
Commencer ce courrier en écrivant que vous êtes une cousine retrouvée est un peu exagéré car, à dire vrai, nous ne vous savions pas perdue et ignorions tout de votre existence, jusqu'à poser les yeux sur vos mots. Pourtant (je ne peux parler qu'en mon nom, même si je suis certain que ma soeur partage mon sentiment), sachez que je suis ravi d'apprendre, chère cousine, que vous êtes. La multiplication des Ponthieu n'est probablement pas une nouvelle dont le monde se réjouira, mais il aura bien tort, et moi je m'en réjouis. Je m'en réjouis tellement qu'à l'heure qu'il est, je fais entorse à ma sieste, simplement pour vous répondre au plus vite. Voyez un peu le sacrifice. En vérité, plus encore que le sommeil, la famille est de ces biens précieux dont il faut savoir profiter quand ils nous sont acquis, de ces piliers sur lesquels il est bon de s'appuyer en temps de tempêtes et qu'il faut donc chérir le reste du temps. Vous écrivez que vous avez grandie sans famille, exception faite de votre père. Je n'y connais rien, en père, mais soyez sûre que, de famille, vous en avez désormais une. Pas des plus agréables, pas des plus respectables, mais il faut bien faire avec ce qu'on a.
Si je devais vous présenter la Ponthieuserie - qui, à mon humble avis, plus qu'une famille, est une sous-espèce de l'humanité -, je vous dirais que nous nous divisons en deux catégories parfaitement opposées : ceux qui ont hérité des bons gênes, et les autres. Inutile de vous préciser à quelle catégorie mes deux soeurs aînées et moi appartenons. Ma mère, en revanche, est de la seconde catégorie. L'avez-vous déjà rencontrée ? Mon cadet aussi fait partie des autres, je crois même qu'il en est la pièce la moins aboutie. Je me suis toujours demandé si son père était au fait de toutes les subtilités de la fabrication des bébés, tant celui-ci est raté. Bref, ne parlons pas des sujets qui fâchent.
Vous dites avoir les yeux verts et la tignasse brune : voilà un heureux signe de ce que, tout comme moi, vous êtes membre de la première catégorie. Mais le physique ne suffit pas, et la génétique se montre parfois bien mystérieuse : ainsi, Gysèle, cheveux roux et yeux gris, irradie pourtant d'une générosité hors du commun et d'une tendresse contagieuse qui fait d'elle, à n'en pas douter, la plus réussie d'entre nous. Elle se présentera sans doute dans un prochain courrier, et alors vous ne pourrez que l'aimer. Vous, Lazarine, quel âge avez-vous ? Où vivez-vous ? Écrivez-nous donc un peu à propos de vous, que je sois tout à fait sûr de vous avoir mise dans la bonne case.
L'oreiller m'appelle. Ensuite, je me traînerai sans doute jusqu'au rez-de-chaussée de notre auberge, pour dévorer quelques poulets et engloutir quelques bières. J'ai faim et soif. Voilà, en peu de mots, un résumé de ce que je suis.
Portez-vous bien. Que le Très-Haut vous veille.
LM