Melissandre_
Mélissandre avait toujours eu le sommeil léger. Petite fille, parceque cela lui permettait de bondir comme un cabri sitôt ses bonnes quittaient sa chambre pour aller musarder sur les toits de Ségur. Plus âgée, cet état cotonneux quelque part entre éveil et inconscience avait fini par entraîner chez elle une tendance aux insomnies et à la mélancolie. Privée de l'exutoire de ses rêves devenus rare, l'âme humaine ne met guère longtemps à basculer dans la folie. Ce soir là pourtant elle n'entendit pas les petits pas feutrés de sa sur aînée, pas plus qu'elle ne la sentie se pencher sur elle.
La princesse rêvait de tapisserie. Milles tableaux ouatés, une myriade de fils de couleurs qui donnaient vie à des scènes qu'elle croyait avoir depuis longtemps oubliés. Les rires de Foulques quand il poursuivait son cadet, une épée en bois battant le vent. Les bras d'Elisa se refermant sur elle pour lempêcher d'approcher trop près de la margelle de puits. Blanche croquant à pleines dents dans une poire du verger, si juteuse qu'elle en avait eu sur le menton et avait gâté son beau corsage tout neuf. Et d'un tourbillon chamarré ces instants de bonheur pour toujours figés dans le passé s'estompaient jusqu'à former d'autres silhouettes. Celle de Mélissandre, à peine plus frêle que maintenant, faisant face à son aînée, la nuque raidie de colère. Le visage de Blanche et ses magnifiques traits crispés pour l'éternité, comme si d'une fâcherie entre surs était née une scission définitive au sein d'une fratrie jusque là inébranlable.
- Blanche.
Peutêtre sa soeur allait elle sursauter dans sa fuite. Probablement allait elle se retourner, les mains couvrant sa bouche arrondie de surprise. Elle serait alors rassurée : Sa cadette dort profondément. Mais dans son inconscience, prise par un tourbillon de tapisseries et de parfum d'antan, l'odeur de l'huile pour le corps qu'utilisait la marquise de Maintenon lui était parvenue et avait étiré un sourire sur ses lèvres. On disait parfois que les bébés gardaient jusqu'à l'âge adulte le souvenir du gout des seins de leur nourrice. Pour la petite Princesse Malemort, c'était l'odeur si particulière de la peau de sa soeur qui s'était si intimement ancrée dans sa mémoire que même endormie, elle sentait sa présence.
- Blanche, c'est moi qui te demande pardon. J'ai été bien sotte, bien arrogante. J'ai commise toutes les erreurs contre lesquelles tu me mettais en garde. Si seulement je pouvais un jour te demander pardon.
Et comme celui d'une enfant, le corps de Mélissandre se ramassa sur lui même, inconfortablement blottie sur son fauteuil. Son petit minois en coeur couronné d'une longue chevelure châtaigne se crispa, dévoilant sur ses joues de petites fossettes que l'âge avait convenablement estompé. L'une de ses mains abandonna alors l'appui chaleureux de ses cuisses et se tendit vers Blanche en une supplique imperceptible avant de retomber mollement. Le créateur refusait ce soir que se renoue une lien depuis longtemps etiolé : Epuisée par la route, la dernière née Malemort dormait pour la première fois depuis des mois d'un sommeil sépultral.
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La princesse rêvait de tapisserie. Milles tableaux ouatés, une myriade de fils de couleurs qui donnaient vie à des scènes qu'elle croyait avoir depuis longtemps oubliés. Les rires de Foulques quand il poursuivait son cadet, une épée en bois battant le vent. Les bras d'Elisa se refermant sur elle pour lempêcher d'approcher trop près de la margelle de puits. Blanche croquant à pleines dents dans une poire du verger, si juteuse qu'elle en avait eu sur le menton et avait gâté son beau corsage tout neuf. Et d'un tourbillon chamarré ces instants de bonheur pour toujours figés dans le passé s'estompaient jusqu'à former d'autres silhouettes. Celle de Mélissandre, à peine plus frêle que maintenant, faisant face à son aînée, la nuque raidie de colère. Le visage de Blanche et ses magnifiques traits crispés pour l'éternité, comme si d'une fâcherie entre surs était née une scission définitive au sein d'une fratrie jusque là inébranlable.
- Blanche.
Peutêtre sa soeur allait elle sursauter dans sa fuite. Probablement allait elle se retourner, les mains couvrant sa bouche arrondie de surprise. Elle serait alors rassurée : Sa cadette dort profondément. Mais dans son inconscience, prise par un tourbillon de tapisseries et de parfum d'antan, l'odeur de l'huile pour le corps qu'utilisait la marquise de Maintenon lui était parvenue et avait étiré un sourire sur ses lèvres. On disait parfois que les bébés gardaient jusqu'à l'âge adulte le souvenir du gout des seins de leur nourrice. Pour la petite Princesse Malemort, c'était l'odeur si particulière de la peau de sa soeur qui s'était si intimement ancrée dans sa mémoire que même endormie, elle sentait sa présence.
- Blanche, c'est moi qui te demande pardon. J'ai été bien sotte, bien arrogante. J'ai commise toutes les erreurs contre lesquelles tu me mettais en garde. Si seulement je pouvais un jour te demander pardon.
Et comme celui d'une enfant, le corps de Mélissandre se ramassa sur lui même, inconfortablement blottie sur son fauteuil. Son petit minois en coeur couronné d'une longue chevelure châtaigne se crispa, dévoilant sur ses joues de petites fossettes que l'âge avait convenablement estompé. L'une de ses mains abandonna alors l'appui chaleureux de ses cuisses et se tendit vers Blanche en une supplique imperceptible avant de retomber mollement. Le créateur refusait ce soir que se renoue une lien depuis longtemps etiolé : Epuisée par la route, la dernière née Malemort dormait pour la première fois depuis des mois d'un sommeil sépultral.
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