Un pas, encore un autre... et hop ! Aëlys se retrouva collée à la jambe de son père.
Demande-lui pour les chevaux et la nage, si tu veux.
Elle aurait bien voulu. Mais sans tout bien comprendre ce que disaient les grandes personnes, elle sentait bien qu'il se passait des choses... bizarres. Et elle voulait comprendre. C'était son rôle d'héritière.
Un messire qui semblait glisser sur le sol s'approcha d'elle pour lui offrir du lait et des petites choses qui sentaient bon le miel, et qui avaient une drôle de forme. C'était très appétissant.
Si vous souhaitez autre chose, jeune demoiselle, n'hésitez pas à me demander.
Il avait l'air gentil, le messire. Aëlys lui fit un petit sourire, tout en restant à demi cachée derrière les pans du vêtement de son père. Elle aurait voulu pouvoir se transformer en petite souris. Pourvu que le manège du messire n'attire pas sur elle l'attention de la reine !
Mais non : la reine était trop occupée avec Papa et Maman. Aëlys, avec un pincement au coeur qu'elle ne s'expliquait pas, vit le paquet de sa mère emporté par un valet. Elle savait que ce paquet avait un grand prix aux yeux de Marie. Or, la reine n'en faisait que très peu de cas, elle ne pensait qu'à manger. Donc, soit elle avait très faim, soit Maman accordait du prix à des choses sans importance, soit la reine ... se trompait. Impossible. La reine, ça ne peut pas se tromper. Maman peut, ça se trompe tout le temps, les mamans, mais seulement sur ce qui est bon ou pas bon pour leur fille. Pour le reste, ça a toujours raison. En plus, Papa aussi y accordait de l'importance, et Papa, lui, ne se trompait jamais sur rien.
Donc, la reine était affamée. CQFD.
Ceci posé, Aëlys se sentit un peu rassérénée. Elle lâcha la jambe paternelle pour tendre la main vers un des biscuits.
Et arrêta aussitôt son geste. Papa avait repris la parole, et cette fois l'héritière comprenait. Elle avait entendu ses parents parler de ce problème héraldique, et elle avait posé des questions, auxquelles on avait répondu de façon accessible à son intelligence de sept ans.
Confiante, la petite sourit à la reine. Pour sûr, elle allait dire "oui Messire Walan, vous avez raison, votre femme est vivante donc vous perdez le douaire et elle récupère ses terres". Logique, normal, juste, tout ça.
Et là, surpriiiiiiiiiiiiiise ! Non seulement la reine se mit à dire n'importe quoi, mais en plus elle n'avait pas la même voix que tout-à-l'heure, et pas la même longueur de phrases. A mesure que parlait la souveraine, le sourire de la gamine s'effaçait, et des orages s'allumaient au fond de ses prunelles.
J'aurais de plus apprécié que cette demande soit motivée et soutenue par un nouvel investissement pour les raisons précédemment développées et ne pas se borner à une demande de restitution de fief, une Principauté qui plus est, après de longues années d'absence. La Hérauderie a suivi la procédure légale comme elle le fait chaque fois dans ce genre de cas. Si je venais à accéder à votre requête, nul doute que je devrais en faire autant pour d'autres, tôt ou tard.
Donc, ça sert à rien, de travailler. Le passé, ça n'existe pas. Maman avait travaillé plus dur que n'importe qui d'autre, et elle était punie pour avoir voulu se reposer un peu. Aëlys en aurait pleuré. Elle connaissait l'histoire, elle. Elle savait tout ce qu'avait fait sa mère, tout le poids du Royaume qu'elle avait dû porter sur les épaules, quand Sa Majesté Levan avait abdiqué. Elle savait qu'elle, Aëlys, avait souffert des absences de sa mère, puis de son enfermement volontaire au couvent, au-delà de ce qu'elle pouvait exprimer. Et cette femme, là, sur le trône, qui balayait tout ça comme si ça n'avait jamais existé ? Pire : qui n'en savait peut-être rien, alors qu'elle était censée tout savoir sur tout.
La Couronne se perpétue, les honneurs ne sont jamais acquis ad vitam sans une implication durable.
"Durable" ? parce que ça avait pas duré des années et des années, peut-être ? Maman, à elle seule, s'était impliquée plus durablement que n'importe qui dans cette pièce, femme sur le trône comprise, sauf peut-être Papa.
Aëlys se mit à la détester, du plus profond de sa grande petite âme.
Elle ne pleura pas. Ça lui aurait fait trop plaisir, à l'autre.
Et elle prit pas de lait, ni de ces biscuits qui lui faisaient tellement envie. Elle n'accepterait rien de cette femme qui crachait sur sa mère.
On ne met pas les mains dans les poches quand on est devant la reine. Bah si c'était ça, la reine, pas besoin de se gêner. La gamine serra les lèvres, et enfonça profondément les poings dans ses poches.