Samsa
- ... est notre Royaume." (Le Roi Lion - Mufasa)
Le galop du grand destrier bai est lourd mais guère vraiment rapide. Le harnachement fleurdelisé d'or émet de nombreux cliquetis réguliers qui se joignent à ceux de l'équipement de sa cavalière qui donne vaguement l'impression de s'en aller en guerre. Un tabard de damier noir et bleu ayant une fleur de lys d'or cousu sur la poitrine gauche et une plus grande dans le dos recouvrait une chemise grise qui elle-même couvrait une cotte de maille. Les cuisses étaient protégées par des cuissots très bien entretenus, comme les gantelets de combats aux mains. Le bouclier sanglé à l'épaule gauche est fixé avec expertise et permet la mobilité de l'ossature féminine sans pour autant trop remuer et l'épée au flanc gauche bat la cuisse avec régularité.
La cavalière fait prendre un tournant à sa monture et passe les gardes en faction d'une grille ouvragée sans se préoccuper de leurs injonctions. Les a-t-elle vraiment remarqué ? Le sourire sur ses lèvres fines trahit que oui et la Prime Secrétaire Royale -car c'est d'elle qu'il s'agit- se retourne un peu pour lever une main en signe d'apaisement.
L'allée boisée est traversée et Samsa arrête Guerroyant devant les marches de la somptueuse demeure en mettant lestement pied à terre. Elle n'est pas grande, pas petite non plus, mais se tient droite et alimente ainsi une impression de silhouette élancée quand elle n'est en réalité que trapue et rustique. Il émane d'elle une fierté certaine ainsi qu'une étrange noblesse. Ses cheveux sont bruns aux puissants reflets roux -ou l'inverse ?-, ondulent doucement jusqu'au bas de ses omoplates et encadrent un visage déterminé et empli de paradoxes; certains traits sont vivants, d'autres sont figés dans ce qu'on suppose être de la martialité, l'ensemble se veut chaleureux mais porte une sorte de distance sur le monde, malgré les coins des lèvres qui affichent l'ombre d'un sourire inconscient en permanence.
Un rayon de soleil perce fortement le ciel clair et vient frapper la peau légèrement halée de la Bordelaise qui fronce sensiblement les sourcils afin d'abriter du soleil ses petits yeux sombres, déjà enfoncés sous des arcades sourcilières marquées. La Cerbère lève la tête vers l'astre avec un sourire crispé; les cheveux semi-roux s'écartent de sa tempe droite où une fine cicatrice est visible. Le soleil tente en vain d'harmoniser la couleur de la peau à celle de l'estafilade sur la joue gauche et à celle suivant brièvement le sourcil gauche, mais il s'agit là de peine perdue.
-Lucie pardi ? C'est moi té !
Samsa n'a pas besoin de s'annoncer autrement car son léger accent et ses tics de langage le font pour elle. Elle a également un timbre de voix légèrement plus grave que la majorité des autres femmes, comme si chaque mot qui sortait de sa gorge avait un écho de solennité.
Lucie lui avait dit qu'elles iraient voir ce jour les terres de Lansac.
Les futures terres de Samsa.
La Cerbère ressentait envers Lucie ce respect que la digne Fleurie imposait, cette admiration qui n'était même pas forcée. Elle avait grâce et légèreté, bonté et fermeté. Samsa ignorait une grande majorité de sa vie, n'en connaissait que des bribes qu'elle n'avait jamais creusé par respect d'un silence qui, s'il n'était pas brisé, avait ses raisons de rester scellé. Elle voyait pourtant en Lucie la lumière d'une victoire que Samsa n'avait pas su gagner, la victoire d'une remise sur pieds non-destructrice là où la Bordelaise avait dû tout détruire ou presque pour pouvoir recommencer, s'envelopper d'une carapace de fierté et de principes pour continuer à avancer. Lucie semblait si loin de tout cela avec ses fleurs, sa fine jeunesse, son sourire aussi éclatant que son rire, ô ce rire si puritain ! Lucie semblait venir d'un monde où la colère n'existait pas et ainsi, chaque fois qu'elle y était confrontée, elle la tournait en ridicule. Samsa l'avait vu faire, premier cobaye avec ses insultes inventives mais non moins véhémentes. Pourtant, la Vicomtesse avait ce don d'écouter et de recueillir; d'apaiser. Lucie était apaisante.
Et ces gens si rares étaient des trésors que Cerbère cherchait à protéger parce qu'ils faisaient du bien à tous et à elle la première.
-Lansac, est-ce loin pardi ? Comment est-ce té ? Y'a-t-il de belles fleurs pardi ? Auquel cas je vous en offrirai une té !
Femme joyeuse et intrépide, Samsa cherchait souvent à couper les virages afin d'arriver plus rapidement au but, bien malgré elle. Elle avait pris l'habitude également d'offrir une fleur à Lucie à quelques occasions. C'était la manière de Cerbère d'exprimer des sentiments profonds de respect et d'amitié, sa manière d'assurer à son amie que sa loyauté lui était acquise autant que son amitié. Lucie, Fleurie, tel un tournesol, savait attirer à elle les meilleurs sentiments.
_________________