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[RP] Bonsoir.

Nizam
    A la tombée du jour, Nizam était monté sur un toit au cœur fréquenté de Limoges. Il surplombait la rue et n'y bougeait pas, comme s'il guettait un mouvement particulier parmi les badauds. Il avait prit ses aises contre une cheminée. Les tuiles étaient encore chaudes. Après un long flottement, il la vit. Ses yeux suivaient la seule femme noire qui marchait naturellement parmi la petite cohue.

    Assis, il mit le pied à l'étrier de son arbalète et utilisa le levier pour tendre facilement la corde. Il se coucha à couvert sur les tuiles. L'arme entre ses mains portait un carreau simple. Pointé d'un pas d'avance sur la silhouette africaine. Son regard détailla l'édifice vers lequel elle se dirigeait et la courte distance qui les séparait. L'homme ajusta la visée dans l'embrasure de la bâtisse. Elle y entra. Il resta immobile. Il attendait que la porte se refermât pour libérer la pression de la corde. Le carreau s'enfonça brusquement dans l'huis à peine rabattu. Le bruit du bois écrasé et la secousse de la porte annonçaient un message particulier.

    Nizam quitta son piédestal. Il se faufila tranquillement un passage dans les rues, comme s'il avait toujours vécu ici. Ses mains portaient l'arbalète décordée.

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Tigist


    L'éthiopienne avait laissé derrière elle la fuite des derniers mois pour lui préférer une sérénité bancale. Des marchands venus de part et d'autres, des connaissances retrouvées chaque jour au détour d'une taverne, des nuits pour le moins mouvementées, et ce voile porté qui ne sert plus tant à la dissimuler qu'à se protéger des rayons solaires.

    Sereine donc quand elle traverse Limoges, repassant en esprit la rencontre de ce soir, cet homme revenu des morts et du passé. Cet homme qu'elle avait connu quand elle était enfant là-bas loin chez eux : Tyrraell et qui s'était trouvé contre toute attente dans cette taverne devant elle.
    Comme la vie est étonnante et le Destin joueur qui fait s'entrecroiser les chemins de gens qui n'auraient jamais du se retrouver.

    Tigist ouvre la porte de l'auberge de Jurgen, toute à ses pensées - et comment pourrait-il en être autrement - ne s'étonnant pas d'y voir le va-chercher employé là en train de remettre de l'ordre dans la grande salle puis la referme prête à renvoyer le gamin à sa famille pour la nuit comme d'ordinaire depuis qu'elle dort au Nid.

    Le bruit caractéristique lui arrache un sursaut, s'attendant presque à l'avoir reçu dans la poitrine quand le gamin hoquette de terreur sa touaille en main.
    Un carreau. L'arme des lâches qu'elle maîtrise assez bien pour savoir qu'à moins d'être un très mauvais tireur ou fin saoul, la pointe dépassant d'un quart de pouce à travers l'huis aurait dû être pour elle si le tireur l'avait voulu.
    La lourde clé est tournée dans la serrure et l'éthiopienne s'écarte de la porte, le coeur battant à tout rompre, faisant signe au gamin d'un geste d'aller fermer celle donnant sur l'arrière-cour. Elle n'essaie même pas de contenir les tremblements de ses mains en fermant les vantaux intérieurs contre les maigres fenêtres, à qui donc reste-t-il à mentir ?

    Une main pressée sur l'épaule du gamin qui revient les larmes aux yeux, serrant son torchon contre sa poitrine. L'étage est indiqué du doigt qu'ils rejoignent tous deux non sans quelques regards en arrière. Dans la chambre des enfants, l'éthiopienne entre en catimini, enjambant la nourrice endormie à poings fermés pour venir rejoindre la couche où sont endormis les deux enfants ainsi que leur Cerbère.
    L'éthiopienne pose la main sur l'épaule de l'Etoile et à l'oreille, un souffle.


    « Kobobe. Nous ne sommes plus seules.. Quelqu'un nous a trouvé, reste avec eux. »

    Pour un réveil en douceur, on repassera. Mais déjà, elle rejoint les malles disposées là pour en sortir celle qu'elle n'aurait jamais du ranger. A lâche, lâche et demi.
    Quelques courriers écrits plus tard et confiés au môme qu'elle fait sortir prudemment par l'arrière avant de refermer, la belle robe de cendal ôtée pour lui préférer une tenue plus adaptée, et dans la grande salle de l'auberge où les torches ont été éteintes, vêtue de noir et juchée sur le comptoir, l'éthiopienne veille arbalète en main.

    Et qu'importe si la nuit est longue, ce ne sera pas la première passée à fixer une entrée la peur au ventre, l'arbalète armée et prête à tirer. Une de plus, celle d'une série qui semble n'avoir jamais de fin.


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Volkmar
Il écrivait, quand on avait toqué à la porte. Inattendu. Il laisse la plume suspendue en l'air, attendant de vérifier, vérifier que ce n'est pas une erreur. On retoque. Il ouvre. Courrier pour lui. Tendu par un gamin pas trop crasseux - si si, c'est même celle qui l'envoie qui l'a dit ! -
Décacheté, ouvert, lu. Replié proprement, en plus de plis qu'il n'y en avait à l'origine lorsqu'il l'a reçu. Le môme est reparti sitôt son méfait accompli. "Ne vient pas". Quelle idée de lui dire ça. "Ne vient pas". "Un carreau d'arbalète dans ma porte, ne vient pas". Evidemment qu'il ne va pas faire ce qu'elle demande !

Moustache se rassied. Réfléchit. Réfléchit. Paume de la main cognée trois fois contre le front. Un carreau d'arbalète. Un. Dans la porte. Un amateur, un débutant, ne s'essaie pas à l'arbalète. Dans ce genre d'affaire, si on tente d'assassiner quelqu'un, on ne prend l'arbalète que si on sait l'utiliser. Dont acte. Il n'était pas prévu de la tuer. L'intimider, l'effrayer, certainement.
Deuxièmement, le gamin est sorti. Le courrier a pu sortir. Donc il devrait pouvoir rentrer. Et après tout, c'est une taverne. L'idéal serait cependant qu'il passe un peu plus inaperçu. Parce que, soit .. Soit.. Soit le mystérieux inconnu le connaît, et ne risque pas de lui vouloir du bien s'il intimide Tigist. Soit il ne le connaît pas, et il sera plus utile de rester sous le regard encore un peu.

Qu'est-ce qui est le plus éloigné d'un réformé vermeil à moustache ?
Un soiffard ? Un pochtron dans une taverne ce serait logique. Mais c'est une auberge souvent vide, en ce moment.
Une femme, c'est n'est pas la peine d'y penser. Il n'aurait aucune crédibilité.
Peut-être comme au tarot. Le pape. Il se lisse la moustache, songeur. Le pape. Le pape, non. Mais un moine ? Avec une capuche suffisamment profonde pour masquer la moustache. Des idées à la con, il en aura eues d'autres. Et parfois, les idées à la con sont les meilleures. Reste à trouver une bure. D'un ordre mendiant.


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Il y a plusieurs portes, dans cette rues. Il fait nuit, l'heure est tardive, puisque c'est l'été. Et un moine frappe à chaque porte, sébile en main. "L'aumône, l'aumône pour les pauvres et les malades." Il ne risque pas de récolter beaucoup, pour l'instant, on ne lui ouvre pas. Vouté, capuche rabattue sur la tête, il traîne la patte, un peu, ce frère mendiant. Comme si il avait passé déjà trop d'années à partager le quotidien des plus pauvres. Pour le moustachu caché sous la bure, ce n'est pas très différent. Il suffit de se concentrer sur son genou qui se grippe un peu quand vient l'orage ou la pluie. S'écouter, pour savoir comment contrefaire sa démarche. Une voix un peu plus perchée que d'habitude, moins tonnante. Et si par mégarde on lui ouvrait, et bien... L'argent irait aux pauvres. Il permettrait de payer un poisson pour partager le repas à la prochaine lecture qu'il ferait. Pauvres romains, pauvres réformés, la différence n'est pas bien grande, non ?
Une nouvelle porte. Ce fois, il toque plus fort, et la voix sonne clair, affirmée.


"L'aumône ! L'aumône pour les pauvres !"

Une fois. Aucune réponse. Il ne s'y attendait pas.

"L'aumône ! Le Très Haut pardonne, mais encore faut-il vouloir être pardonné ! Donnez pour les pauvres, les malades, les indigents !"

Deux fois. Si là, elle n'a pas compris que c'était lui... Il lui a tenu à peu près le même discours sur le pardon encore la veille au soir. Alors il clenche, ouvre la porte. Discrètement. Continue à jouer un rôle.

"Merci, vous êtes bien brave. Le Très Haut vous le rendra"

Un temps.

"Si je veux rentrer prendre un repas ? Ce n'est pas de refus. J'en prendrai un peu plus à emmener pour partager."

Alors il entre. Referme derrière lui, et se trouve nez à nez avec une arbalète. Moustache se redresse, tombe la capuche, et redevient Moustache. L'arbalète ne pointe plus sur lui. Il se passe la main dans les cheveux, vient s'asseoir en face de Tigist.

"Tu es là depuis combien de temps ?"

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Lililith
Lili a retrouvé Fanette, Tigist, et son voyage avec Nizam s'est bien passé. En bref : elle nage dans le bonheur, et ce bonheur serait parfait si le reste du Clan était là. Mais ce n'est pas le cas, et l'Étoile, au lieu de s'en faire et de se ronger les sangs pour les absents, préfère profiter des présents.

C'est pourquoi elle passe ses soirées avec Fanette, Tigist, et qu'elle dort avec l'éthiopienne. Enfin, avec : plutôt avec les enfants. Eux aussi sont heureux de la retrouver, et elle joue avec, semblant retrouver l'espace du loisir partagé son âme d'enfant bien trop vite échappée.

La Luciole finit par rentrer au Nid, et se coucher, épuisée des tensions vécues lors de la soirée. Elle se couche près de Moïra, veillant à ce que celle-ci ne s'éveille pas, non sans avoir passé une main fraîche sur le front de Ménélik. Braves et beaux enfants, si sages, semblant comprendre, comme elle, le monde bien mieux que les adultes.

La Corleone n'est pas pressée de grandir. Enfin, grandir : vieillir plutôt. Il lui semble qu'elle a déjà mille ans, et c'est déjà trop pour ce petit corps qui aspire juste à une vie normale. Mais qu'est-ce que la vie normale ? Il n'y a plus rien à attendre de celle-ci, qui la ballotte au gré du vent et de ses envies.

L'Étoile finit par s'endormir, mais à peine, a-t-elle l'impression, qu'elle ferme les yeux qu'une main la touche, et par réflexe l'adolescente attrape l'importune.


« Kobobe. Nous ne sommes plus seules.. Quelqu'un nous a trouvé, reste avec eux. »

Les yeux ambrés s'ouvrent d'eux-même. Elle se redresse, attrape son épée et la tire aussi silencieusement que possible du fourreau, laissant la lame ottomane à son flanc, prête à la dégainer si besoin est.

Elle passe la nuit ainsi, en tailleur, prête à frapper le premier qui entrerait dans la chambre, par la porte ou par la fenêtre.

Ce n'est qu'au petit matin, alors que la nourrice s'éveille en bâillant, que Lili se détend quelque peu. Elle lui demande de hurler au moindre problème, et descend rejoindre Tigist en bas, qu'elle trouve en compagnie de Volkmar.


- 'Giorno. Les enfants vont bien.
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Tigist


    [Nuit 1]

    Un carreau.
    Il a suffit d'un carreau pour que tout ce joli monde qu'elle s'était fabriquée s'effondre de nouveau. Pour qu'elle voit dans les yeux alertes de l'Etoile que le tour de garde commence et qu'il n'est pas prêt de s'arrêter.

    Alors sur ce comptoir, l'Ethiopienne maugrée contre le moine qui espère l'attendrir jusqu'à ce que la voix autant que les mots ne percent la bulle de méfiance. Plop. L'arbalète est déposée avec précaution puisqu'elle est armée, toujours à portée de main.


    « Plusieurs heures. 
    - Tu n'as pas dormi ? »


    Elle secoue la tête négativement, un peu à cran, un peu épuisée, un peu par sa faute à lui si elle dort peu la nuit ces derniers jours.

    « Je ne peux pas dormir.
    - Il va bien falloir. »


    Comme il est bienveillant, si la situation n'était pas si critique, elle s'en émouvrait presque elle qui n'a partagé sa couche qu'avec des hommes profondément égoïstes.
    La négociation quant au sommeil est avortée comme si la chose n'était pas importante après tout cela ne fait bien qu'un jour entier qu'elle est éveillée, elle peut faire plus. Elle l'a déjà fait.
    Volkmar n'en reste pas là pour autant.


    « J'y ai réfléchi, tu sais, ce faisant il compte sur ses doigts, Un, il a attendu que la porte soit fermée.  Même s'il ne savait pas viser, il aurait fallu qu'il se rate sacrément pour tarder autant. Deux, un amateur qui ne sait pas viser ne s'improvise pas assassin à l'arbalète. Donc si tu es en vie, c'est qu'il l'a voulu ainsi.  Trois... S'il avait voulu te tuer chez toi, il ne t'aurait pas prévenue d'un carreau.
    - Et quoi ? Elle s'emporte, l'angoisse et la fatigue font le reste, Je suis bloquée ici comme un lapin dans son terrier en attendant que le renard vienne l'en sortir ? 
    - Sauf s'il voulait te faire paniquer avant de venir te chercher. 
    - Et bien ça marche ! »


    A quoi bon prétendre qu'elle est courageuse voire téméraire, personne ne serait leurré. Ce qui a maintenu Tigist en vie jusqu'à présent, c'est la peur. Peur de les voir mourir, de mourir et de les laisser seuls. Et Gabriele qui n'arrive toujours pas..

    «  J'ai une idée qui peut sembler stupide. Mais... Au lieu d'être la proie. Si tu étais le chasseur ? »

    Si la bure n'est pas la première idée farfelue du moustachu, celle-ci vient se poser là. Elle a des enfants à demeure, et il lui propose ni plus ni moins de se mettre à découvert pour aller chasser celui qui en a après lui.
    Dieu merci, Gabriele arrivera bientôt pour veiller sur eux et ôter ce poids de ses seules épaules.

    Pourtant dans cette taverne, nuitamment, force est de constater que Gabriele n'est pas là mais que Volkmar y est, tantôt réfléchissant à une stratégie consistant à faire salle comble pour éviter de la laisser seule le jour, tantôt narrateur d'une anecdote relatant ce passé qu'il a eu.
    Car enfin, en dépit de ce courrier qu'elle lui a écrit lui demandant de ne pas venir, reste que Moustache est chevalier de Bouillon et soldat. Qu'a à redire là-dessus une simple truande qui n'a appris à utiliser l'arbalète que pour s'éviter d'avoir à risquer un corps à corps ou pis, un combat à l'épée ? Rien. Bien sûr. Elle n'a jamais participé à aucune guerre, lui oui. Elle n'a tué qu'un seul homme et s'en veut encore, lui non.

    Volkmar y est, oui, d'une main sur son bras, d'un baiser sur ses lèvres.


    « Je vais aller chercher à manger. Pour toi, les enfants, moi aussi. Et je reste ici cet après-midi. »

    Car dehors le jour a commencé à poindre. C'est l'été, les nuits auront le mérite d'être courtes. Cela ne changera rien à la fatigue et à l'angoisse mais cela rendra l'attente plus supportable d'autant plus en compagnie de personne de confiance.
    Doit-elle s'excuser d'avoir été conne un soir, d'avoir été traîtresse ? Par acquis de conscience, elle le fait. Parce qu'elle en a pris l'habitude. Pas tant de s'excuser de la traîtrise mais de s'excuser d'embarquer ceux qui l'entourent dans des situations dangereuses.

    Sait-il le Réformé que son stoïcisme face au danger et que sa bienveillance à son égard lui retourne le ventre plus assurément qu'une étreinte réconfortante ? Va expliquer cela à un homme Tigist toi qui a passé quatre ans de ta vie à accepter, à faire des compromis, à fermer les yeux et trouver des excuses.

    Elle a entendu les pas de la blonde et le regard passe du rideau qui se referme sur la porte et donne vers l'extérieur à l'adolescente Corleone descendant les marches.


    « Ils n'avaient rien à craindre avec toi. Tu as prévenu Bathilde, je présume? Question purement rhétorique. Pourquoi donc Lili ne mettrait pas au courant la nourrice ? Ce serait allé au devant d'un danger. Il faut trouver celui qui a fait ça Kobobe. »

    Car sinon, elles ne pourront plus jamais dormir sur leurs deux oreilles et ça leur revenait seulement maintenant. Si elle descend du comptoir, c'est pour passer un bras autour des épaules de l'adolescente pour la serrer contre son cœur. Lili guide, Lili protège mais Lili n'a que treize ans, et on lui en demande souvent beaucoup.

    « Tu devrais aller te mettre à l'abri chez Fanette ou avec Nizam. »

    Cette manie de vouloir repousser loin d'elle ceux qui pourraient l'aider. C'est très con Tigist.

    « Il finira comme Judicael. J'en fais le serment, qu'importe qui il est. »

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Nizam
    [Nuit 1]

    Nizam se réveilla. Il faisait nuit, et la tiédeur de juillet quittait à peine la chambre. L'air soufflé par la rue dans les carreaux ouverts ne lui parvenait pas. Il se retourna, comme un chat se retourne sans savoir quel côté préserver de la chaleur. Même la transpiration le collait dans cette piaule en soupente. La « piaule » d'Arsène.

    Le soleil avait tapé tout son soûl sur les toits. Il s'en souvenait ; les tuiles étaient encore chaudes.

    L'homme était couché de tout son long, pour sentir la moindre bouffée de vent. Il regarda autour de lui. Il y avait le rangement poussiéreux d'habits oubliés, de bibelots. Mais il n'avait jamais observé comme la pièce était vide. Des haltes trop brèves. On les logeait ailleurs. Il se sentit happé par des réminiscences angoissantes. Sa bouche s'ouvrit, y prit l'air comme si cela pouvait mieux gonfler sa poitrine.

    L'arbalète trônait à côté du barda de gens d'armes. Elle donnait aux ombres une allure de gargouille crochue. Une chimère évadée. Ses yeux fixaient l'arc de fer. Il se rappelait de la première fois qu'il avait aperçu l'africaine, en ville. Le hérissement bouillant dans sa chair et la décision prise. Ses faims de colère s'étaient apaisées avec le temps. Mais ce n'était pas la douleur et la tristesse qui nourrissaient l'essence de ces hommes-là.

    Sa main se pressa à côté de lui pour sentir la fraîcheur des tissus. Vides. Il se souvenait des épaules de l'italienne, qui dépassaient du drap comme une pointe blanche et polie. Il se souvenait de la chevelure rousse qui roulait contre lui. De la tiédeur des corps qui s'agaçaient en été.
    Nizam se rendormit d'un sommeil las.


    « Que dirais-tu, rossa ? Si je te disais que je l'ai tenue en joue. Après ces années, l'aurais-tu fait ? Sur le seuil d'un ami.
    Je l'ai vue qui respirait la vie. Libre. Elle sourit à ses enfants comme je souriais à notre fils. Je l'ai vue. Je l'ai vue dans un bonheur que je vomis. »

    Par le passé, d'autres voix avaient appelé l'africaine aux portes de la mort. Il le savait et s'en servait délibérément. Il voulait que ces murmures se glissent à l'oreille de Tigist cette nuit et les suivantes. Qu'ils lui grattent la cervelle comme des vers sur une charogne.

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Lililith
- Jour 2 -


« Ils n'avaient rien à craindre avec toi. Tu as prévenu Bathilde, je présume?Il faut trouver celui qui a fait ça Kobobe. »
- Sì, Bathilde est prév'nue. On l'trouv'ra, j'te promets.


Alors, pour trouver, Lili est allée éplucher les registres de la ville, relevant le nom de ceux qui pouvaient être des potentiels suspects, supposant que le ou la coupable ne serait pas assez con pour s'y trouver. Quoique...
Elle a même demandé aux gamins d'ouvrir l’œil, des fois que... et de chercher qui pourrait être un méchant comme elle.


- Soir 2 -


Au soir, en passant devant la mairie, l'Étoile voit qu'il reste une offre pour la milice. Parfait : elle va pouvoir effectuer son tour de garde sans attirer l'attention !
Les gamins des villes se réunissent, lui fournissent quelques noms, notamment ceux du groupe avec lequel Lili est arrivée. Alors, en rentrant au Nid, Lili présente l'état de ses recherches à Tigist. Le souci, c'est que des ennemis, l'éthiopienne en a. Beaucoup.

Étant allée trouver Fanette dans la journée, la blonde transmet le message de la fauvette au kebero. Alors, la noire réfléchit, et finit par céder et donner ses enfants. La Luciole voit bien que c'est un déchirement pour elle ; c'en est donc un pour l'adolescente chargée d'être messagère. Tyrraell, arrivé entre-temps, se propose pour les emmener.

Lili se voit donc confier Menelik, elle prend l'enfant par la main, salue Tigist qui sort par l'entrée principale avec Volkmar, se dirige vers l'arrière de la taverne, s'assure d'un coup d'oeil qu'il n'y a personne de l'autre côté, et, lorsqu'elle sort, siffle doucement. Une flopée d'enfants arrive, et Lili leur donne ses instructions à voix basse. Alors, ils se mettent à chahuter, se pousser, jouer au loup, les uns courant après les autres, les autres narguant les premiers, et Lili au milieu de tout ça qui court avec Menelik, jouant avec tout ce beau monde, se dirigeant de manière implicite vers la taverne de Fanette. Lili s'assure que personne ne les suit, et finit par s'engouffrer, après avoir montré des signes manifestes d'épuisement, à l'intérieur.
Là, elle confie son filleul à Fanette ; elle aussi a le cœur brisé, mais il faut ce qu'il faut, et puis, Tyrraell qui est déjà là a promis de les garder en vie, alors Lili fait confiance, puisque l'abyssinienne le fait aussi.


- Nuit 2 -


Lili Corleone. C'est ainsi qu'elle se prénomme. Si on lui avait dit un jour qu'elle ferait partie de la milice d'une ville, elle aurait ri. Et pourtant, aujourd'hui, elle rejoint la place où se trouve le bâtiment, prête à prendre son tour de garde. Elle salue ses collègues d'un soir, et avec l'un d'entre eux, fait une partie de la ville. Elle a choisi, comme par hasard, le tour passant par là où le Nid se trouve. La Luciole est tendue, mais des années d'entraînement lui ont permis de paraître impassible aux yeux de tous. Elle espère voir quelque chose, quelque chose d'anormal, et là... Rien, chou blanc. Si, il y a bien quelques personnes qui traînent non loin de la taverne, mais excepté Nizam, elle ne reconnaît personne. Elle est déçue.
Elle salue le Balafré d'un signe de tête, et continue son tour, laissant son regard traîner partout, comme si elle veillait à la sécurité de la ville quand elle n'a qu'un but en tête.

Et ce n'est que lorsque le tour est terminé et qu'elle reçoit sa paie, que Lili rentre au Nid, re-croisant Nizam, mais n'y prêtant pas attention, plutôt fatiguée ; elle s'installe dans la pièce principale de la taverne, couteau en main et épée tirée, prête à bondir sur le premier intrus manifestant de la malveillance voulant y entrer.

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Tigist


    - Jour 2 -


    Quand le réformé se fait stratège, ça ne s'arrange pas et vient l'évidence qu'il faudra bien débusquer celui qui a tiré sur cette foutue porte.
    Débusquer, cela veut dire se dévoiler et non plus se cacher. L'italien n'est pas là, dieu merci, sinon la question ne se serait même pas posée. Et elle fait son œuvre tandis que l'éthiopienne dort enfin, veillée par Volkmar.


    - Soir 2 -


    Se dévoiler, oui mais et eux ? Elle connaît le Corleone, s'il arrive et il l'a promis, il refusera catégoriquement de partir avec les enfants en la laissant à Limoges avec un assassin en liberté dans les rues.
    Ses enfants sont en danger donc. Et Fanette est mère aussi. La proposition est refusée de prime abord quand Lili la mentionne.


    « Je ne sais pas, s'ils ne sont plus là, ils ..
    - Ne sont plus sous ton regard. »


    L'Etoile comprend. Mais cela ne peut suffire, cela ne suffira pas si quelqu'un vient à s'amuser à jouer avec ses nerfs, il faut bien prendre une décision. La plus dure de toutes.

    « Jure Tyrraell que tu les protégeras. »

    Voilà comme elle se retrouve nuitamment à réveiller l'aîné dans le lit pour l'habiller sans rien dire, sans qu'il ne bronche, pauvre amour conditionné par les départs précipités de telle ou telle cachette. Sa sœur est glissée contre son sein, se réveillant à peine de ce sommeil profond qu'ont les enfants qui n'ont jamais connu l'insécurité pour mieux se rendormir et l'éthiopienne descend les marches qui la mène à la grande salle pour déposer dans les bras du colosse d'ébène sa fille si précieuse, belle endormie ignorant même que son destin se joue sûrement ce soir.
    A la voir si paisible dans ses bras, le cœur se serre. Comme elle avait été paisible quant à elle tant que l'éthiopien était au palais, tant que son ombre planait au dessus de leur famille.
    Mais il n'est pas mort Tigist, il est vivant et il a juré de protéger tes enfants. Un serment, ça ne se renie pas par chez toi.

    Doit-on s'étonner de la voir confier si facilement la petite et s'accrocher encore si fort à la main de Menelik ? Ceux qui la connaissent ne le feront pas. Un jour, sa fille comprendra et alors la si douce mère, la si parfaite partira en fumée sur l'autel de la préférence filiale.
    Accroupie devant l'Enfant-Roi, Tigist glisse à son oreille quelques mots dans cette langue que seule Tyrraell pourrait entendre, la promesse d'une mère à son fils, avant que de le confier à la garde de Lili pendant que l'éthiopien quitte les lieux, dissimulant sous sa cape l'enfant toujours endormie.
    Et puisqu'il faut bien détourner l'attention, Tigist et Volkmar emprunte la porte principale pour gagner presque insouciants ces bords de Vienne qu'ils affectionnaient tant encore quelques jours auparavant, laissant à la fillette le champ libre pour déposer l'aîné à Fanette et Tyrraell.

    Comme le sol de ces berges est malmené, comme son esprit est ailleurs, communiant avec celui de son fils qui n'en est plus à son premier départ maternel. Comme elle lui en veut à cet inconnu.


    « Et maintenant ? Comment retrouve-t-on ce fils de pute ? »

    - Nuit 2 -


    Il est doué cet homme capable sinon de lui faire oublier ce qu'elle a laissé derrière elle mais de faire taire l'angoisse sourde dans son cœur au moins un temps.
    Les heures s'égrènent et épuisée de fatigue autant que de lui, l'éthiopienne s'endort lovée dans ces couvertures qui ont gardé leur odeur.

    Mais pas assez pour ne pas sentir comme cela fait mal dans son ventre, cela fait si mal, de cette douleur qu'elle connaît. Les mains se plaquent contre sa panse et à travers les doigts sombres l'ichor s'échappe en filets écarlates. Elle essaie tant bien que mal de se redresser dans la couche mais son corps lui semble lourd, si lourd mais si vide tout à la fois.
    Au pied du lit, il y a ce petit corps aux angles brisés, Tigist tend la main au risque de souffrir plus fort encore, le sang s'écoule sans qu'elle n'ait pu voir l'ennemi. Est-il encore là ? Peu importe, sa fille gît et elle n'a pas même la force de toucher du bout des doigts les boucles poisseuses de l'enfant.

    Cela ne se peut. Tyrraell avait promis mais ce n'est pas Tyrraell qui entre, c'est Lili tenant contre sa chemise ensanglantée ce corps mille fois chéri, porté dans son sein tant que dans ses bras, ce fils aimé comme personne avant lui et ce regard meurtri qu'elle ne voudrait ne plus jamais avoir à affronter.


    « Je n'ai rien pu faire Ehet. »

    Un cri et l'éveil, l'âme en berne et les larmes aux cernes.

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