Tigist
Les tresses ramassées en une complexe coiffure dissimulée sous un voile et ceint d'un jonc d'étain, une robe de cendal écarlate retenue à la taille par une ceinture à laquelle pend une aumônière du plus bel ouvrage, une nourrice vêtue de frais ainsi que des enfançons à la vesture qui ferait pâlir une donzelle un soir de fête de mai.
On s'attendrait à ce que la bourgeoise qui porte tout cela soit la femme d'un riche artisan ou bien une femme de petite noblesse du cru pourtant la peau est noire autant que les tresses, moins toutefois que celles des petits métis courant autour d'elle en dépit des imprécations de Bathilde.
« Laisse .. Ils sortent et s'amusent. Cela change de d'ordinaire. As-tu bien pensé à écrire à Son Altesse pour qu'elle nous rejoigne ?
- Oui, mais tout de même, je n'ai pas dit ce que vous aviez demandé de mettre. »
L'éthiopienne de hausser les épaules. Hé quoi ? Elle connaît la donzelle depuis des années maintenant, et la voilà veuve et en passe de se remarier certes mais Tigist n'oublie pas qu'elle l'a connue à une époque où l'hypothèse d'une poitrine propre à intéresser un époux n'était même pas une éventualité pour Madeleine. Elles ont vieilli.
Et puis de princesse à princesse, de celles qui n'ont pas le droit de porter haut leurs couleurs et leur sang, on peut bien se permettre des privautés.
« C'était pourtant très correct.
- Je doute qu'on puisse dire à une Altesse de sang royal de.. Bouger son adorable fessier jusqu'à l'étal d'un truand aussi charmant soit-il.
- Bah, bah.. Bathilde, tu t'offusques de peu. »
Encore que .. Reconnaissons à la nourrice bien plus de savoir-vivre qu'à la maîtresse qui l'emploie. Là, sur le marché, il y a quantité d'épices, de cris et de gens. Un poissonnier se fait juger sur la fraîcheur de ses lamproies quand un boulanger menace un vaurien de lui couper la main s'il s'approche trop de son étal mais ce n'est pas cela que cherche Tigist.
Elle cherche Raphael de Ribeaupierre, ce marchand venu d'Alexandrie qui lui a vanté la qualité de ses soieries, de celles qui pourraient tout à fait permettre à Frans de confectionner la robe tant espérée. A un passant à proximité, elle envoie Bathilde demander s'il est dans le coin et s'il faut marcher encore bien loin.
« Y est par là-bas. Pouvez pas le louper, y a quantité de donzelles qui passent par devant lui pour lui acheter des rubans et l'entendre parler des choses qu'il a ramené de l'aut' côté d'la mer !
- Ah ! Nous sommes sur le bon chemin Bathilde ! »
Et force est d'admettre qu'à quelques toises, elles croisent deux jeunettes pouffer et s'esclaffer sur les beaux tissus ramenés par le marchand. Le bon chemin donc, la route de la soie à la Ribeaupierre.
Loin d'être foncièrement frivole, Tigist a en revanche confortablement repris le pli de sa condition initiale : S'habiller bien, s'habiller richement et porter de l'or lui sied à merveille. Et puisque l'or du Nerra le lui permet, autant rentabiliser ce veuvage.
« Quelle belle journée pour vendre à prix d'or de jolis rubans pour séduire des galants Raphael ! »
Un sourire à pleines dents. Elle est taquine, c'est le bonheur retrouvé qui veut cela, et puis, on a jamais dit qu'une orientale se laisserait berner par les boniments d'un marchand. Sur la défensive donc, à son insu.
Mais où donc est Madeleine ? Les stocks seront tous écoulés avant qu'on ne la voit à ce rythme.
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