Iohanes
[Arras]
L'Artois au début du printemps, c'est moche. Pour peu que l'hiver traîne un peu trop, la végétation stagne dans sa physionomie hivernale. Morne, terne. C'était assez paradoxal puisque Jean avait toujours préféré ce genre datmosphère grisonnant qui avait tendance à pousser la majorité des gens à rester calfeutrer chez eux ; et si par malheur, ils pointaient le nez dehors, ils se hâtaient. La solitude à l'agitation, un ciel gris plutôt qu'une journée ensoleillée et bien trop chaude. Non, sans conteste, il préférait le froid ainsi que la solitude à l'agitation d'une ville trop peuplée. Le revers de la situation, c'était que ce genre de temps maussade finissait habituellement par rendre le jeune homme d'une humeur encore plus morose. Etant déjà d'une nature assez taciturne, autant dire que cela n'arrangeait rien. Pour parfaire la situation, son épouse - c'est-à-dire la rare personne capable de le dégeler - avait dû quitter Arras pour rejoindre le ban d'Alençon. Pis, le Bourguignon s'emmerdait profondément au sein du conseil comtal.
Après tierce, comme à son habitude, il rejoignit le bureau qu'il avait fait aménager à l'étage de l'une des tours flanquant la porte sud. En tant que chef d'armée, on lui avait confié la garde de la capitale et du château d'Arras. Insigne honneur s'il en est. Plutôt que de stationner en-dehors de l'enceinte, il avait alors préféré installer les quartiers de la troupe sur les boulevards à l'arrière des murs. Quant à lui, le privilège de la noblesse lui avait permis de négocier la location d'une des tours à son profit. S'il pouvait éviter de loger sous une tente par un temps si merdique, autant en profiter. Après tierce donc, Jean avait rejoint son cantonnement. Reprenant le cours de ses pensées d'avant la messe, il replongea malgré lui dans les registres de comptabilité de l'armée, dressée dans des recueils en vélin. Travail fastidieux et ennuyant. Rapidement, l'idée s'imposa qu'il aurait mieux fait de confier cette tâche à son second. Une seconde plus tard, il décrocha complètement, l'attention n'étant pas là. Lors, plutôt que de persister dans une tâche qui n'aboutirait pas dans l'immédiat, il prit le parti de ressortir. Par-dessus sa brigandine, il ajusta un large manteau sombre puis sortit de sa tour par la porte donnant sur la courtine.
Un mauvais crachin tombait sans discontinuer depuis plusieurs jours et un vent froid lui cinglait la trogne au moindre instant. Ce temps avait le mérite d'être vivifiant. Humide aussi. Il observa un bref moment l'horizon complètement bouché puis vint s'accouder à un créneau surplombant la porte de ville, guettant d'un oeil distrait le flux des pérégrins entrant et sortant d'Arras.
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L'Artois au début du printemps, c'est moche. Pour peu que l'hiver traîne un peu trop, la végétation stagne dans sa physionomie hivernale. Morne, terne. C'était assez paradoxal puisque Jean avait toujours préféré ce genre datmosphère grisonnant qui avait tendance à pousser la majorité des gens à rester calfeutrer chez eux ; et si par malheur, ils pointaient le nez dehors, ils se hâtaient. La solitude à l'agitation, un ciel gris plutôt qu'une journée ensoleillée et bien trop chaude. Non, sans conteste, il préférait le froid ainsi que la solitude à l'agitation d'une ville trop peuplée. Le revers de la situation, c'était que ce genre de temps maussade finissait habituellement par rendre le jeune homme d'une humeur encore plus morose. Etant déjà d'une nature assez taciturne, autant dire que cela n'arrangeait rien. Pour parfaire la situation, son épouse - c'est-à-dire la rare personne capable de le dégeler - avait dû quitter Arras pour rejoindre le ban d'Alençon. Pis, le Bourguignon s'emmerdait profondément au sein du conseil comtal.
Après tierce, comme à son habitude, il rejoignit le bureau qu'il avait fait aménager à l'étage de l'une des tours flanquant la porte sud. En tant que chef d'armée, on lui avait confié la garde de la capitale et du château d'Arras. Insigne honneur s'il en est. Plutôt que de stationner en-dehors de l'enceinte, il avait alors préféré installer les quartiers de la troupe sur les boulevards à l'arrière des murs. Quant à lui, le privilège de la noblesse lui avait permis de négocier la location d'une des tours à son profit. S'il pouvait éviter de loger sous une tente par un temps si merdique, autant en profiter. Après tierce donc, Jean avait rejoint son cantonnement. Reprenant le cours de ses pensées d'avant la messe, il replongea malgré lui dans les registres de comptabilité de l'armée, dressée dans des recueils en vélin. Travail fastidieux et ennuyant. Rapidement, l'idée s'imposa qu'il aurait mieux fait de confier cette tâche à son second. Une seconde plus tard, il décrocha complètement, l'attention n'étant pas là. Lors, plutôt que de persister dans une tâche qui n'aboutirait pas dans l'immédiat, il prit le parti de ressortir. Par-dessus sa brigandine, il ajusta un large manteau sombre puis sortit de sa tour par la porte donnant sur la courtine.
Un mauvais crachin tombait sans discontinuer depuis plusieurs jours et un vent froid lui cinglait la trogne au moindre instant. Ce temps avait le mérite d'être vivifiant. Humide aussi. Il observa un bref moment l'horizon complètement bouché puis vint s'accouder à un créneau surplombant la porte de ville, guettant d'un oeil distrait le flux des pérégrins entrant et sortant d'Arras.
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