L_aconit
- [ Un navire mouille au port de Béziers.
Après une parenthèse de nuits sans paupières sur les quais Catalans,
l'Oreille de Patrocle, nave génoise et second Navire de Tabouret et de Montfort a pris ses quartiers d'été dans le sud de la France. ]
- Je retrouve ta chair. Je passe d'un monde à l'autre. Cela n'est pas si difficile. D'abord, tu me prends dans tes bras.Tu as ce geste immédiat, instinctif de chercher mon contact. D'être contre moi, d'imprimer ton corps sur le mien, d'atteindre ce moment où ils sont en symbiose, où leurs épousailles les transforment en un seul objet. D'abord, tu cherches mes lèvres, tu dessines un baiser, tu trouves ma langue, nous mélangeons les salives. d'abord il y a cette fougue irrésistible, cette nécessité de l'autre, l'intimité charnelle. D'abord, tu ne parles pas, tu ne prononces pas une parole.La chambre est pleine de notre silence, du seul bruit de nos corps qui se frottent, du soupir des bouches qui s'emmêlent. C'est le silence le plus sensuel, celui qui dit tout sur ce que nous sommes. Ce qui nous réunit, ce qui nous attend. Je te laisse faire. Bien plus, j'attends que tu te comportes de la sorte. Ma bouche descend le long de ton torse que j'ai délesté de tes vêtements. Elle tente de s'emparer, d'une tentative sans espoir, de la peau, des muscles, de l'ossature, de la substance. C'est un baiser carnivore. Je sens parfois un tressaillement.*
Il est tôt. Le navire a accosté tard dans la nuit, trop tard pour rejoindre la partie de l'équipage qui a été laissée en ville le temps d'aller à deux explorer les côtes de Cataluña. La nuit s'est étendue, lourde et reposante sur les deux marins d'eaux douces. Dans la cabine où ils ont depuis le baptême de la nave relié cent mondes entre eux, entre l'onirique, le conscient, le réel, c'est le réveil des matins du bout du monde. De ces réveils qu'ils ont appris entre eux. Pour eux. Duo au seuil du second chapitre de son histoire: L'Otium.
Chemise et braies marines passées sur la peau légèrement dorée, Faust ouvre la porte et laisse entrer le soleil. Tourne le visage vers le corps d'Alphonse, retourné à un demi sommeil. Capture cette vision dans l'inénarrable de son esprit. Instantané à ressortir les jours de pluie. Les pieds foulent le plancher, les épis apparaissent au pont. Les yeux ultra-marine balaient le port. Là, dans l'auberge d'en face, Solyaane se réveille peut-être aussi. Ou peut-être est-elle déjà partie faire le marché. Les femmes enceintes dorment mal, parfois peu, et voilà désormais six mois qu'un habitant faisait loi sous le nombril de la brune.
Une lettre était parvenue à Béziers quelques jours plus tôt, annonçant le retour des deux auteurs de cette oeuvre gonflée. La veille, ou l'avant veille peut-être, une conversation s'était étirée dans l'étroitesse du Mess.
- J'ai hâte de retrouver le ventre.
- Le ventre?
- Melvil. Sub-Melvil, même.
- Tu as hâte de retrouver le ventre...
Phrase se répète de ces incrédulités teintées d'un discret émerveillement. Faust est calendaire. A compté les jours. Doit s'assurer que.
Alphonse hoche la tête, incapable de dire quoique ce soit à ce petit miracle inattendu.
- Il doit bouger. Je veux le voir bouger.
La journée sera consacrée aux retrouvailles, Oricle, Solyanne, Farnezze... On réinvestira à plusieurs les habitudes. On se reconquérira. Il avait fallu six mois à Faust pour apprivoiser la présence de cette femme entre eux. Pour l'humaniser, la sacraliser d'une grossesse bien réelle. Bien là. Six mois pour enfin, lui parler. Lui parler vraiment. Mais si les cheminements Zébrés étaient toujours plus longs, toujours approchés en trois dimensions, les mécanismes et les ancrages qui en découlaient étaient toujours plus vifs, plus soudains, et plus intenses que les autres...
Citation:
Solyaane.
Votre ventre me manque. C'est étrange, c'est soudain, c'est peut être l'effet du chemin retour. Comme les chevaux qui s'emballent, rentrant à la maison. C'est peut être votre absence, sur l'oreille. Mais c'est là. Ça tenaille. Ça remugle.
Nous rentrons, et à notre retour, je voudrais dormir avec vous.
Faust
* Philippe Besson, En l'absence des hommes.
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