[Misantla]
Encore une fois, le soleil se couchait. Mais cette fois, peu de sang avait coulé pour sa course : la guerre lui en avait déjà donné beaucoup. A présent, il ne réclamait que celui des sacrifices.
La rénovation du temple était achevée et deux stèles avaient été dressées. L'une instruisant les enfants du panthéon des dieux, l'autre en l'honneur du renouveau du clan, instauré par la conquête tlaxcaltèque.
Un réseau de canaux irriguait des plantations et desservait des bassins. De nouveaux puits avaient été creusés et, sur les routes pavées, nulle boue ne dévalait plus. Dans les tavernes et les maisons de plaisirs, les nahuas, débarassés de la tutelle aztèque, jouïssaient du plaisir de la paix retrouvée.
Nul ne se prétendait plus aztèque en ce clan où tous parlaient nahuatls et le savaient. Les dialectes sauvages, que les aztèques avaient introduits afin de diviser et d'affaiblir les nahuas, avaient été pourchassés. Le haut langage était enseigné à tous et des mots comme "texia", "iactopé", "manos" ou "famos" étaient ridiculisés... tant il était ridicule, ce dialecte inventé de toute pièce par les aztèques.
Le clan s'était doté d'un dieu tutélaire et avait choisi un symbole totemique. Il s'était placé sous la protection de la déesse Malinalxochitl, reine des serpents, des scorpions et des créatures du désert... mais aussi soeur de Huitzilopochtli, le dieu tutélaire de tous les aztèques, leurs ennemis. Ainsi, ils ne reniaient pas leur passé mais mettaient en exergue leur volonté de se séparer de ces mexicas qui ne parlaient pas leur langue et avaient voulu affaiblir leur culture. Le crotale mocassin avait été désigné comme symbole de la horde du clan. Bientôt, la case de la horde en serait décorée.
Une hutte en pierre se dressait, entre le tlatoani et la case de la horde. Ressemblant à une petite pyramide à deux étages, elle servait tout à la fois de bibliothèque, encore vide, et de demeure pour le Tiachcauh.
Sur le toit de cette demeure, un homme observait, debout les mains nouées dans le dos, jambes légèrement écartées, le soleil qui se couchait peu à peu.
Le faciès de cet homme était clairement étranger. Ni aztèque, ni metztitla, ni vraiment nahua, il s'agissait de toute évidence d'un métis maya. À ses oreilles percées, pendaient des obsidiennes faiblement teintées de notes vertes. Une plume rouge, une autre bleue et une troisième blanche étaient accrochées à ses cheveux d'un noir bleuté.
Il sourit, dévoilant deux rangées de dents limées en pointes acérées. Ses yeux tranquilles trahissaient de la malice, mais aussi une part de douceur tranchant avec la violence de ses peintures de guerre. Faites de lignes noires, bleues, vertes et rouges, elles lui donnaient vaguement l'air d'un jaguar. Impression que renforçaient ses dents et son comportement.
Dors, Misantla. Dors, mon peuple.
Ton avenir est assuré, je n'ai pas ménagé ma peine pour te voir grandir.
Pourtant... tu devras bien grandir loin de moi. Mais je reviendrai veiller sur toi. Quiconque te fera du tort, s'aliénera Calpan et les clans nord-orientaux.
Il soupira, trahissant la fatigue qui le minait. Son teint terne semblait témoigner qu'un mal l'avait rongé, ce que seule la marque à sa cheville pouvait expliquer : le venin du mocassin l'avait brûlé, mais il y avait survécu.
Il faudra bien que je parte, puisque je dois fonder une famille ailleurs. Tu as déjà faillis me coûter ma femme. Mais ne t'en fais pas, Misantla. Dors en paix : je te laisse mon meilleur esclave, un ami cher à mon coeur et un autre nahua vaillant à ses côtés. Ils sauront te protéger en mon nom... malgré les folies des dirigeants, et la soif de pouvoir de certains hommes. Qu'ils se prétendent aztèques, qu'ils veuillent les servir ou qu'il ne soit même pas encore arrivés... ils viendront un jour ou l'autre. Mais tu leur survivras.
Tu es devenue belle, Misantla. Et je vais te confier un secret.
Ma femelle pense que je l'ai trompé en son absence. Que je l'ai volontairement éloignée. Mais elle ne se trompe qu'à moitié.
Je n'ai pas choisis de l'éloigner... et je suis heureux qu'elle ait accepté de me représenter à Acatic.
La vérité, c'est que je t'aime, Misantla.
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Tiachcauh de Calpan et de Misantla
~ Les fourmis ne sont pas ce que l'on pense. ~
Partagé entre deux clans, déchiré entre la polygamie et l'amour.