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[RP] Entre père et fille : l'annonce

Walan
Quelques jours à peine après la cérémonie qui lui avait officiellement rendu Meyrieu, Walan avait dû quitter ses terres pour répondre à une nouvelle mobilisation requérant l'aide de la Licorne. Il avait ainsi dit au revoir à sa fille, sa maisonnée et son foyer, les laissant sous bonne garde de Jehan et Sancie, avant de se diriger vers l'ouest et, plus précisément, la Touraine.

Il ne s'attendait pas, durant son voyage, à ce qu'une relation et des sentiments qui se développaient tranquillement depuis plusieurs mois se décantent brutalement alors même qu'il arrivait près de Tours. Diverses choses, qu'il voyait désormais comme une évidence mais auxquelles il avait pourtant été aveugle jusque là, s'étaient révélées à lui... non sans créer une situation complexe.

Quelques semaines plus tard, profitant du calme -probablement temporaire-, Sans Repos décida de faire un retour rapide vers Meyrieu pour tenter de commencer à démêler l'écheveau... Il était donc arrivé, presque par surprise et accompagné seulement de quelques gardes, lors d'une fin de matinée ensoleillée. Il retrouva sa fille avec joie, l'enlaçant autant qu'elle le lui permit, et peinant à manifester une bonne humeur qu'elle ne lui voyait pas souvent. Les retrouvailles faites, il la surprit un peu plus en lui confiant un jeune chat blanc de quelques mois, lui indiquant seulement qu'il s'agissait d'un cadeau qu'on lui avait fait, qu'il lui était précieux mais ne pouvait pas s'en occupé sur un camp militaire, et chargeant Aëlys de lui trouver un nom.

Ce n'est que plusieurs heures plus tard, après avoir écouté les rapports que Jehan ne manqua pas de lui faire et traité les affaires urgentes, que Walan revint voir sa fille dans sa chambre, comme il l'avait fait quelque temps plus tôt pour parler de Meyrieu et d'autres choses. Il avait cette fois une mine plus habituelle, même si une lueur demeurait dans son regard. Doucement, il prit la parole.


La raison principale de mon retour est que je voulais te parler de quelque chose d'important, Aëlys, et je ne voulais pas le faire par lettre.

S'installant sur un coin de meuble, le brun regarda attentivement son héritière avant de poursuivre.

Tu te rappelles, avant que je parte, nous avions parlé d'amour. De l'amour que j'avais eu pour ta mère, et pour celles qui l'avaient précédée dans mon cœur.
Je t'avais dit qu'à chaque fois, lorsqu'elles avaient disparu, j'avais cru que plus jamais je ne pourrais aimer quiconque d'autre, que je refusais de m'attacher. Et que, malgré tout, le Très Haut continuait de mettre d'autres personnes sur ma route et me donnait tord...

Dans le cas de ta mère, cela a duré des années après qu'elle soit entrée dans ce couvent. J'étais persuadé qu'elle en ressortirait, je l'ai été même quand plus personne n'y croyait -même toi, je pense, tu avais abandonné-. Je l'aimais toujours, et il m'était inconcevable, inimaginable d'aimer quelqu'un d'autre.
Puis elle est revenue, contre toute attente, des années plus tard. Et j'ai eu l'impression de retrouver Marie Alice, telle qu'elle nous avait quitté. Mais nous avions changé, tous, et elle est repartie à peine quelque semaine plus tard...
Je crois que quelque chose a changé en moi, à ce moment là. Je me suis peu à peu rendu compte que ce n'était plus vraiment à de l'amour, mais plutôt à des souvenirs que je m'accrochais. Ça n'a pas eu beaucoup d'importance, dans l'immédiat, si ce n'est que ça m'a rendu, peut-être, un peu plus ouvert à d'autres choses.

Et puis... Et puis le Très Haut créé des rencontres. Une rencontre, en particulier. Qui n'était rien pour moi, au début, mais dont la nature, peu à peu, a changé : de taquineries en amitié, d'amitié en confidences, et de confidence en... autre chose, il y a quelque temps, à Tours.


C'était peu dire que le brun avait du mal à s'expliquer devant sa fille. Il craignait sa réaction à ce qui suivrait, aussi cherchait-il à lui décrire de son mieux ses sentiments... et il n'avait jamais été particulièrement à l'aise avec ça. Surtout avec sa propre fille, à vrai dire. Il finit toutefois par en venir au fait :

J'aime une femme, Aëlys. Je suis tombé amoureux d'elle, presque sans m'en rendre compte, mais je le suis. Et elle m'aime également.

Pour autant, je ne veux pas trahir les vœux que j'ai échangé avec ta mère.
C'est pourquoi...


Cette fois, c'est carrément la phrase qu'il eut du mal à prononcer. Non pas qu'il eut un doute sur la décision elle-même, mais parce que l'énoncer à haute voix, devant sa fille, revenait à lâcher les dés en n'ayant plus qu'à attendre de voir sur quelle face ils se stabiliseraient. Aëlys serait-elle heureuse du bonheur de son père ? Se réjouirait-elle d'un éclaircissement de la situation ? Ou se sentirait-elle trahie, abandonnée ? Il espérait évidemment qu'il s'agirait du premier cas.

... c'est pourquoi je voulais te dire que je vais contacter un évêque, pour savoir s'il peut me reconnaître veuf, ou dissoudre mon mariage avec ta mère.

Cela n'effacera pas les sentiments que j'ai eu pour elle, ni même son souvenir. J'ai vécu des années merveilleuses à ses côtés et je n'ai aucune intention de les oublier, pas plus qu'en me mariant avec ta mère elle ou moi n'avions oublié ceux que nous avions aimé avant. Tu demeureras sa fille, notre fille, le signe de l'amour que nous avons partagé.
Je ne cherche pas une "remplaçante". Simplement de pouvoir... continuer.


La voix s'était faite un peu plus basse tandis qu'il terminait, et Walan observa, silencieux, presque anxieux, la réaction de sa fille...
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Aelys_meyrieux
Ton père sera là demain, Aëlys.

Trop heureuse pour entendre, dans la voix de la gouvernante, une petite nuance d'inquiétude, Aëlys a sauté de joie. La dernière fois qu'il est venu, il lui a parlé comme à une grande personne. Elle s'est sentie grandie ... ce qui ne l'a pas empêchée de pleurer comme un bébé la nuit qui a suivi son départ. Il paraît que les Angevins ont menacé un allié fidèle de la Reine et qu'on ne peut pas laisser faire ça. Certes. Quelques mois plus tôt, elle aurait demandé si on pouvait laisser pleurer une petite fille pendant que son papa est en train de guerroyer et qu'on n'est même pas sûr qu'il reviendra. Mais plus maintenant. Papa lui a expliqué des choses très importantes, dont on ne parle pas à une fillette éplorée. Alors Aëlys a attendu la nuit, quand Sancie a regagné sa propre chambre : elle est grande, maintenant, elle n'a plus besoin d'une servante à ses côtés quand elle dort.

En plus, Papa lui a rapporté un cadeau! Enfin pas tout-à-fait. C'est un cadeau qu'on lui a fait à lui, et qu'il lui a confié pour qu'elle en prenne soin. C'est un très joli chaton tout blanc. Aëlys ne l'a pas appelé "Neige" : trop commun, tout le monde appelle "Neige" les chatons blancs. Il se nomme Ensias. C'est le nom que les gens de Meyrieu donnent aux tas de neige qui se forment, quand le vent descend des montagnes, dans le moindre creux. Ensias se blottit dans son giron dès qu'un vent coulis lui frisotte la moustache. Son nom lui va comme un gant.

Aëlys a eu le temps de jouer avec Ensias, pendant que Papa s’entretenait avec Jehan. Elle a aussi eu le temps de se demander pourquoi Sancie se murait dans un silence étrange. Et pourquoi Papa était de si bonne humeur. Ce n'étaient pas vraiment des pensées bien exprimées. Plutôt des sensations fugitives, de légers voiles qu'elle repoussait d'une main nonchalante pour mieux se consacrer à amuser Ensias.
Elle a été un peu surprise quand Walan est entré dans sa chambre, et dès les premiers mots une boule lui est montée dans la gorge.


La raison principale de mon retour est que je voulais te parler de quelque chose d'important, Aëlys, et je ne voulais pas le faire par lettre.

Il parle doucement, mais Aëlys comprend tout de suite que c'est très, très important. On ne fait pas 140 lieues, en pleine guerre, juste pour confier un chaton à sa fille. Il la regarde, et elle lui rend son regard, visage un peu figé par un sourire contraint, mains immobiles sur la fourrure d'Ensias.

Elle acquiesce quand il lui rappelle leur dernière conversation. Elle se contente de hocher la tête. Il y a cette boule, dans sa gorge, qui l'empêche de répondre. Et plus Papa parle, plus la boule l'étouffe.
Des souvenirs... Est-ce qu'elle aussi s'accroche à des souvenirs? Et quand bien même: existe-t-il rien de plus doux que les souvenirs, quand on n'a plus que ça? Ça va trop vite. Papa dit trop de choses, Aëlys essaie de suivre, de ne pas réfléchir à tout en même temps, mais elle ne peut pas. Elle loupe des pans entiers de son discours.

Le chaton, offusqué de son manque d'attention, a sauté de ses genoux et s'est réfugié sous sa courtepointe.
Aëlys a une petite grimace. Elle tend la main vers la cruche posée non loin, se sert un gobelet d'eau, puis un deuxième.
Walan ne dit plus rien. Aëlys a réussi à avaler la vilaine boule. Elle va dire quelque chose. Mais déjà Walan reprend.


J'aime une femme, Aëlys. Je suis tombé amoureux d'elle, presque sans m'en rendre compte, mais je le suis. Et elle m'aime également.

Une douche froide n'aurait pas fait plus d'effet. Aëlys se sent la proie de sentiments contradictoires, qui l'assaillent sans que rien puisse leur faire barrage. La peur, la joie, la colère, la haine, la confiance, le chagrin, la tendresse, le dégoût, la reconnaissance, la frustration déversent sur elle leurs lacs brûlants et l'écrasent.
Walan parle encore. Aëlys ferme les yeux et écoute, de toute son âme.
Parce que la voix de son père est la seule chose encore réelle dans son univers en train de basculer.


... c'est pourquoi je voulais te dire que je vais contacter un évêque, pour savoir s'il peut me reconnaître veuf, ou dissoudre mon mariage avec ta mère.

Cela n'effacera pas les sentiments que j'ai eu pour elle, ni même son souvenir. J'ai vécu des années merveilleuses à ses côtés et je n'ai aucune intention de les oublier, pas plus qu'en me mariant avec ta mère elle ou moi n'avions oublié ceux que nous avions aimé avant. Tu demeureras sa fille, notre fille, le signe de l'amour que nous avons partagé.
Je ne cherche pas une "remplaçante". Simplement de pouvoir... continuer.


Aëlys s'est bien concentrée. Elle veut ne se souvenir que des mots les plus beaux, "merveilleuses", "aimé", "notre fille", "partagé". Mais que sont les mots face aux faits? Papa est amoureux. Elle ne veut même pas savoir de qui, parce que ça n'a aucune importance.

Maintenant, c'est l'impuissance qui l'étouffe. Elle n'est pas encore bien vieille, mais elle a compris depuis longtemps qu'on ne peut rien contre les sentiments. Papa est amoureux. Tout ce qu'elle pourra dire ou faire n'empêchera pas cela. Même si elle parvient, à force de cajoleries et de larmes - et elle n'a pas l'intention de céder à cette facilité, rien que d'y penser, des éclairs verts à la Marie-Alice lui traversent les iris - à lui faire quitte cette femme, il restera amoureux.

Aëlys respire calmement, elle se force à regarder son père droit au visage. Il a tout dit. Elle sait que c'est à elle, maintenant. Elle sait, les hésitations et les changements de ton de Walan le lui ont dit, que son père attend son... son approbation? Sans doute pas. Plutôt sa non-condamnation. Ce qu'elle ignore, en revanche, c'est comment on dit à son père qu'on l'aime et qu'on le hait tout à la fois.
Alors elle prend son temps.
Lui, il a eu toute la route de Tours à Meyrieu pour tourner les mots dans sa tête. Il a sur elle l'avantage d'heures et de jours de réflexion. Pour cela aussi elle lui en veut. Et si lui ne peut pas lutter contre son amour pour cette femme, elle ne fera rien pour lutter contre sa rancune à l'égard de son père.
Elle boit un nouveau verre d'eau. La cruche est vide. Le chat bouge sous la courtepointe. Une feuille morte arrachée à un tilleul vient se poser sur le carreau. La chambre sent la lavande. Le soleil joue sur l'argent de son bracelet.
Aëlys se laisse envahir par toutes ces sensations, et petit à petit se calme.


Papa...

Sa voix est rauque. Il n'y a plus d'eau dans la cruche.

Papa, vous avez fait un long chemin... Moi pas.

Le ton est acerbe. Est-ce volontaire? Aëlys elle-même n'en sait rien. Il a eu des jours et des jours de chevauchée pour se mettre au clair avec sa conscience, elle a eu cinq minutes.

Je... je crois toujours que...

... que Maman reviendra. Elle ne le dira pas. Ça ne sert à rien. Papa croit que Maman ne reviendra pas. Il aime le souvenir de Maman, elle aime Maman. Le sentiment d'impuissance est de plus en plus fort. Elle ne le laissera plus l'étouffer.
Puisque Papa croit que Maman est morte au monde, le monde croira Maman morte. Et alors...

Aëlys se met debout. Ainsi, elle n'a plus besoin de lever la tête pour regarder son père.


Papa, je suis presque majeure. Ne faites rien avant ma majorité. Promettez-le moi.

Une certitude s'est installée en elle. Cette femme sans visage et sans nom aura peut-être Walan. Mais jamais, au grand jamais elle n'aura Aëlys, ni Maman.

Promettez.

Sa voix est plus grave, presque d'une tierce. Immobile, elle attend.
Walan
Walan s'était attendu à beaucoup de choses. Connaissant -ou croyant connaître- sa fille et conscient de la portée de l'annonce qu'il venait lui faire, il avait imaginé qu'elle lui en voudrait, se fâcherait contre lui, le bouderait... mais jamais, jamais il n'avait pensé qu'elle voudrait qu'il lui fasse une promesse. Et certainement pas celle-ci. Il la regarda, longuement, douloureusement, tandis qu'il tâchait de digérer la blessure. Il n'en voulait pas à sa fille, n'avait même pas un soupçon de colère pour elle. Uniquement l'espoir, désormais brisé, qu'elle pourrait peut-être se réjouir autant que lui. Après un moment de silence, il lui répondit toutefois à voix basse.

Aëlys. Tu es ma fille, mon héritière, mon sang. Je t'aime, et rien n'y personne ne changera rien à tout cela.
Et, même si j'ai douloureusement conscience de ne pas avoir été le meilleur des pères toutes ces années, le Très Haut sait à quel point je ne veux t'épargner toute souffrance et combien je veux te voir heureuse...


Et c'était vrai. Il le pensait sincèrement, si bien que la suite lui fut difficile à dire tant il se doutait que cela peinerait la jeune fille.

Mais je ne peux pas te promettre ce que tu demandes. Tu seras bientôt majeure, certes, mais cela ne sera pas avant plus d'un an encore.

Je ne peux pas continuer de faire souffrir la femme que j'aime en lui imposant mes vœux pendant si longtemps. Moi-même, je crois que je deviendrais fou bien avant, à devoir vivre ainsi durant des mois et des mois en tenaille entre mes sentiments et mes serments... A nier, à faire semblant, à me brider et me retenir...


Un jour, sans doute, elle comprendrait. Le brun essayait de se rassurer avec ça, tout en sachant que ça ne lui était d'aucune utilité à ce moment précis. Un instant, tandis qu'il l'évoquait, le souvenir des moments passés avec la brune aux yeux bleus qui occupait son cœur lui vint, mais il les écarta pour mieux se concentrer sur Aëlys.

J'ai aimé ta mère, plus que tout. Et même si parfois, j'ai pu avoir un peu de ressentiment contre elle après qu'elle soit entrée au couvent, ça a toujours été fugace. Même maintenant, je n'ai aucune rancune envers elle.
Si un jour elle ressort de ce couvent, et j'espère qu'elle en ressortira, alors elle sera la bienvenue ici et je l'accueillerai comme l'amie et la confidente qu'elle était également. Comme la femme avec qui j'ai vécu tant de belles choses pendant des années. Je lui re-présenterai sa fille, en espérant qu'elle sera aussi fier d'elle que je le suis. Mais je ne serai plus celui qui l'aimait plus que tout...

Je ne veux pas l'oublier, ni l'effacer. Mais je ne peux plus l'attendre. Je ne veux plus attendre...

Et je crois, non, je sais, qu'elle ne voudrait pas que nous nous enfermions dans l'espoir qu'elle revienne, en oubliant de vivre... Comme je l'ai fait toutes ces années. Elle nous voudrait heureux, tous les deux, et elle comprendrait que je puisse avoir poursuivi ma vie. Tout comme elle même a souhaité la poursuivre lorsqu'elle a demandé à dissoudre son précédent mariage et se séparer d'un époux pourtant plus présent, pour pouvoir m'aimer librement.


Avec un léger soupir, Sans Repos repensa aux longs mois d'attente durant lesquels Marie Alice et lui avaient dû, difficilement, attendre pour pouvoir révéler leur relation au grand jour. Et dire qu'il se retrouvait désormais dans la situation inverse... Revenant au présent, il se lever lentement.

Je comprends que cela te semble brutal. Je te propose de te laisser y réfléchir. Pense à ce que je t'ai dit...
Je suis encore là pour trois jours, peut-être quatre. Nous en reparlerons à mon départ. Si jamais tu souhaites que nous en discutions avant, ou si tu souhaites simplement profiter de la présence de ton vieux père, ma porte te sera toujours ouverte...


Brièvement, il regarda encore une fois sa fille dont les traits ne pouvaient que lui rappeler Marie Alice, guettant sa réaction, attendant une éventuelle réponse, avant de sortir doucement de la pièce.
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Aelys_meyrieux
Quelque chose se brisa en Aëlys. Ce n'était pas la première fois qu'elle sentait cette douleur : la dernière fois, c'était quand Maman l'avait abandonnée de nouveau, alors même qu'elle était presque parvenue à lui pardonner sa première trahison. Celle-ci, elle s'en souvenait à peine. Un jour Marie-Alice était là, avec son parfum de violette, les muscles durs de ses bras, leur chaleur enveloppante, la douceur de ses mots. Puis plus rien, tout d'un coup. Juste la certitude que, puisque Maman l'avait abandonnée, c'est que sa fille ne méritait pas d'être aimée. Elle avait beau avoir grandi, elle ne comprenait toujours pas ce qui avait fait d'elle un monstre. Au fil du temps, elle s'était rassurée, elle avait regagné, goutte à goutte, la confiance perdue en elle-même, en les adultes, en son père.

Ce dernier venait de la poignarder.
D'habitude, Aëlys obtenait de lui tout ce qu'elle voulait. Dans la mesure du raisonnable, évidemment. Elle n'était pas du genre à réclamer un nouveau cheval tous les six mois, ou à faire des caprices en exigeant que son père reste à Meyrieu avec elle au lieu d'aller combattre les ennemis de la reine. Mais dès lors que sa demande était légitime et raisonnable, Walan y accédait.

Or, elle avait fait une demande légitime et raisonnable. Pourquoi Walan disait-il "non"? Pourquoi lui opposait-il cette fin de non recevoir, sans même chercher à comprendre? S'était-elle trompée en se persuadant qu'elle n'était pas un monstre? Était-elle vraiment si horrible, indigne d'amour? Il disait qu'il l'aimait, pourtant.
Aëlys ne comprenait plus rien à rien. Les histoires d'amour entre les grandes personnes, les raisons pour lesquelles un homme ne pouvait pas attendre avant de passer la bague au doigt à une femme, ça lui passait à mille lieues au-dessus de la tête. Les arguments de Walan ne faisaient pas mouche. Faire souffrir la femme qu'il aimait?


Vous me faites bien souffrir, moi. Et pourtant vous dites que vous m'aimez.

C'était à peine un murmure, au moment où Walan franchissait le seuil.

Il deviendrait fou? Ne l'était-il pas déjà, à vouloir faire entrer une étrangère dans leur vie, alors même que Maman...

Elle avança d'un pas, prête à le retenir par la manche s'il le fallait.


Papa!

Il n'avait pas compris. Les hommes ne comprennent jamais rien à rien, Sancie le répétait assez souvent, mais dans la tête d'Aëlys, "les hommes", c'étaient le père Badin, Jeannet Noirie, Sa Grâce Quatrebarbe, Jehan à la rigueur. Papa, c'était... Papa. Un homme, comme les autres, un de ces êtres étranges qui ne comprennent jamais rien à rien. Donc il fallait lui expliquer.

Papa, vous ne comprenez pas!

Lui expliquer, voilà. Mais c'est si difficile, quand on est une grande petite fille de presque 13 ans, d'expliquer des choses à une grande personne! Au moins, avec Papa, on pouvait être sûr qu'il écouterait, même si son interlocutrice n'était qu'un petit bout de femme obligée de lever haut la tête pour le regarder dans les yeux, même si elle devait chercher ses mots. Elle mettrait à nu sa conscience, comme elle le faisait à confesse avec Mère Honorine.

Je ne la connais même pas!

Et je n'ai pas du tout envie de la connaître!
Walan devait bien s'en douter. Toute la contradiction était là. Aëlys se mit tout soudain à rougir, honteuse comme elle ne l'avait jamais été. Elle venait de s'aviser que, sans connaître la femme dont son père était tombé amoureux, elle l'avait jugée, condamnée sans grâce possible. Elle s'était imaginé une spoliatrice, une harpie n'en voulant qu'à Meyrieu, Charpey, Ancelle-Pompadour, Igny, Eymoutiers. Une garce sans foi ni vergogne.
Écarlate, elle resta un long moment figée devant l'auteur de ses jours, douloureusement consciente que non seulement elle avait douté de son jugement à lui - pour la première fois de sa jeune vie - mais encore qu'elle l'avait blessé, profondément. Elle avait tué le père, trop tôt, sans doute, et ce faisant s'était hissée d'un cran supplémentaire vers l'âge adulte. La honte l'étouffait. Elle se laissa glisser à genoux
.

Pardon, Papa.

Et puisqu'il était descendu de son piédestal, et qu'elle avait enfin intégré que les gens - pas seulement les hommes - en sont réduits à deviner ce qu'on ne leur explique pas, elle avala sa honte et lâcha la bonde.
A petites phrases courtes, à voix à peine audible entre deux sanglots secs, elle déballa tout: son jugement sans appel et son horreur d'elle-même, sa terreur d'être de nouveau abandonnée et la honte d'avoir cédé à la panique, sa volonté de voir son père heureux et sa propre culpabilité à l'idée d'un bonheur sans sa mère.
Assise sur ses talons, elle gardait les yeux au sol. Elle sanglotait sans larmes.


Papa, je ne veux pas que tu sois triste. Mais je ne sais pas comment faire.
Walan
Alors que sa fille l'appelait pour le retenir, Walan s'était arrêté, se tournant pour l'écouter et prenant conscience de la douleur qu'il venait de provoquer. En voyant sa fille rougir, puis s'effondrer à genoux, son cœur s'était serré encore davantage. Puis elle s'expliqua, sans qu'il ne comprenne tout au milieu des sanglots, mais, paradoxalement, cela lui fit ressentir un début de soulagement. Car, peut-être pour la première fois -en tout cas à ce point-, il entendait sa fille lui expliquer ce qu'elle ressentait et ce qui n'allait pas. Et il pouvait donc tenter de répondre à ses inquiétudes, à ses craintes et à tout le reste.

Lentement, le brun s'agenouilla à son tour et commença par étreindre Aëlys, longuement et en silence, pour tenter d'apaiser ses sanglots. Quelque temps plus tard, il la souleva tout en se relevant puis l'amena sur son lit où il la fit s'asseoir et s'installa à son tour, gardant la petite main de la jeune fille dans la sienne. Il lui parla à mi-voix, tentant de la rassurer et de réparer des failles qu'il n'avait pas su voir plus tôt.


Tu n'es pas responsable du retranchement de ta mère, Aëlys. Tu comprends ? Tu n'y es pour rien et tu n'as pas à t'en vouloir. Ta mère t'aimait, elle t'aime toujours, et elle voulait ton bonheur autant que moi. Ne te retient pas d'être heureuse, ne te culpabilise pas de l'être...
Crois-en ton vieux père qui l'a déjà fait bien trop souvent pour son propre bien...


Le chevalier lâcha un léger soupir, se rappelant des nombreuses fois -dont la dernière encore bien proche- où il avait battu sa coulpe y compris alors qu'il n'y était pour rien dans ses malheurs sentimentaux, tout en serrant un peu plus fort la main de sa fille.

Je comprends que ce soir dur et brutal, tu n'as pas à avoir honte de ta réaction. J'aurais dû t'en parler différemment, je suis désolé... Tu es tellement sérieuse et sage que j'en oublie que tu es encore une jeune fille. De plus en plus grande, de plus en plus responsable, mais une jeune fille tout de même.

Lâchant la main, il l'attira contre lui par l'épaule, comme pour démentir ce qu'il venait de dire sur son âge et cherchait à retenir l'enfant qu'elle était encore de grandir trop, continuant doucement.

Tu sais, même lorsque je ne suis pas à Meyrieu je pense quand même à toi. Je parle de toi avec d'autres personnes, y compris avec celle que j'aime.
Je ne t'abandonnerai pas, et même ma nouvelle... situation ne m'empêchera jamais de penser à toi.

Certaines choses vont probablement évoluer un peu, en mieux je pense, mais rien ne changera l'amour que j'ai pour toi. Tu seras toujours ma fille, rien ne pourra retirer ça. Tu comprends ?
Et Elle le sait, Elle l'accepte, Elle le comprend. Je le lui ai écrit, je le lui ai dit : je ne veux rien faire qui te fasse du mal, je ne veux pas te mentir ni te cacher quelque chose d'aussi important.


Brièvement, il hésita à poursuivre, mais se dit qu'Aëlys saurait tôt ou tard l'identité de l'heureuse élue.

Et puis, tu la connais. Elle est venue plusieurs jours ici il n'y a pas si longtemps, même si vous ne vous êtes pas trop parlé... C'est la princesse Athénaïs...
Ce n'est pas une mégère cupide qui n'en veut qu'à mes titres... elle a un rang et des titres supérieurs aux miens. Elle n'a pas cherché à me séduire par jeu, pour mieux m'abandonner une fois arrivée à ses fins.
Elle ne veut pas non plus remplacer ta mère et je ne veux pas qu'elle le fasse non plus. Elle s'inquiète de savoir si elle te plaira et si vous pourrez vous entendre, parce qu'elle sait que je t'aime et que tu comptes pour moi, et donc qu'elle souhaite ton bonheur autant que moi.


Se faisant à nouveau silencieux, Sans Repos regarda sa fille tendrement pendant un moment avant de lui demander tout bas.

Est-ce que ça va mieux ?
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