Rouge_gorge
Les belles histoires ne commencent pas toute bien. Te souviens-tu de la nôtre, Jehan? Les fers aux pieds et aux poings, croupissant dans les geôles angevines. Te souviens-tu de ce qu'on foutait là? Roués de coups, le cuir tanné par les matraques. J'avais du mal à reprendre mon souffle quand ta peau bleuissait à vu d'oeil. On en avait bavé du sang cette soirée-là mais dans le fond je crois que ça en valait la peine. Pour être franche quand je suis entrée dans ce rade, je voulais juste me noyer dans l'alcool comme tous les soirs. Je voulais juste me tordre les boyaux ni plus ni moins. Mais j'ai poussé la porte et je t'ai rejoins au comptoir. On se connaissait pas et on se foutait de la présence de l'un l'autre, on voulait juste boire, pas simplement croire: croire en ce qu'on a vécu ensuite. L'alcool aidant, les langues se délient, nous sommes deux cruches pleines -d'alcool, certes- mais prêtes à se déverser sur le monde. On gerbait nos politiques de comptoir, à celui qui gueulerait le plus fort de la bête ou l'oiseau. On s'échauffa au rythme des verres, pas d'yeux doux entre nous, c'était le sang qui bouillait dans nos veines. Nos regards se croisèrent flous d'ivresse, fous de violence. Il n'en fallut pas plus pour que nos corps en symbiose s'élancent dans une danse effrénée que le taulier ne sut gérer. Cruchon, tabouret, table, tout était bon à détruire sur les clients. Bagarre générale déclenchée, je me souviens encore de ta force qui me paraissait si surhumaine face à mes petits poings noueux. J'étais là à jouer des pieds et des poings, à lancer tout ce qui me passait entre les doigts quand la milice à débarquer. Te souviens-tu de ce bordel? Ils étaient pas là pour déconner les chiens. Crocs sortis en quelques passes, je me suis retrouvée face à terre, la gueule en sang. Te souviens-tu quand je t'ai souri? Un bec ne sourit pas mais cette nuit là, ce sont les lèvres ensanglantées d'une jeune femme qui se dévoilèrent.
Entre deux crachats de sang, je sifflais comme à mon habitude car même en cage, personne ne m'ôtera mon chant. J'ai su bien plus tard ce que chant t'évoquait mais on en reparlera au moment venu, veux-tu? Le peu d'air que mes côtes pouvaient accueillir servait à mon sifflement. Tu jouais des chaines nerveusement ou pour m'accompagner? On faisait un joli duo avec nos gueules cassés et malgré la douleur des coups reçus, on était bien dos à dos dans nos cellules, séparés par un mur où de la mousse commençaient à fleurir à cause de l'humidité. J'ai posé ma tête en arrière sur les pierres froides, courbaturée mais apaisée.
*Je crie comme un oiseau remis en liberté (Paroles de "Bird set free" de Sia)