Rouge_gorge Penchée sur le trottoir, la Rouge mettait toutes ses tripes à l'ouvrage. Elle dégobillait sur les pavés son repas et ses maux. Elle rendait à la terre tout son mal-être et son trop plein d'alcool. A tel point que les larmes lui montèrent aux yeux dans l'effort. Les gouttes lacrymales ourlèrent son regard charbonneux vague. Les combustibles s'étiolaient à leur tour par manque. Manque de quoi? Asphyxie intrinsèque. Les doigts blancs sont portés au col rouge. Souvenirs. Les lippes s'ouvrirent pour vomir sa bile bruyamment. Boucle brune espérait alors gerber les démons qui lui collent à la peau, ce coeur trop meurtri et cette conscience si lourde. Mais rien de tout cela ne sortit et les haut-le-coeur s'apaisèrent. Vide et lasse.
Fut-ce alors la pluie qui se mit à tomber? Ou le temps à s'écouler de manière bruyante? Tic Tac. Toujours la tête en bas, l'Oiseau se redressa de toute sa hauteur au contact.
Que fais-tu là?
Dans l'obscurité de cette nuit sans lune, dans le trouble de son oeillade, la mercenaire ne vit qu'une ombre lui faire face. Une silhouette ondulante se fondant dans la pénombre du décor.
J'chasse les démons répondit-elle de sa voix éraillée par l'alcool. T'sais ceux qui te tiennent les tripes, ceux qui pincent le coeur, ceux qui t'tordent les lèvres, ceux qui t'vrillent le crâne. Tu connais ça, toi? L'incapacité de fermer l'oeil sans qu'ils te retournent le cerveau à grand coup d'souvenirs. La culpabilité qui t'bouffe jusqu'à l'os. Alors là, elle joue des dents d'ssus et c'est l'angoisse qui t'paralyse. Tu trembles comme une feuille morte mais t'es pas mort, toi! Toi, t'es putain d'vivant et tu r'ssens encore tout ça au fond d'toi! Et ça t'tord les tripes, ça t'vrille l'coeur, ça t'pince les lèvres, ça t'tient le crâne...
L'Oiseau se déversa encore en flots de paroles cette fois-ci. Faut dire aussi qu'elle avait trop épongé, elle était imbibée de part et d'autre, le coeur gros. La Rouge perdit son équilibre un instant et s'adossa au mur derrière elle. Tant pis pour les odeurs de vomissures, de toute façon, elle puait l'alcool à plein nez. Puis sans se soucier de savoir si elle parlait encore à quelqu'un, elle demanda en retour.
Et toi, là...Qu'est ce que tu fous là?
Rouge_gorge L'Oiseau piaillait ou plutôt s'égosillait mais il était certain qu'il n'avait pas le coeur à chanter ce soir là. Sa voix éraillée par l'alcool n'avait rien de plaisant à cette heure-ci et son interlocuteur du soir semblait déjà las ou plutôt irrité de sa litanie. Piquée sur les pierres froides du mur derrière elle, Rouge-Gorge se tut quand la pointe de la canne se nicha dans le creux de sa clavicule. Elle ne sentit pas le geste du personnage comme une menace. A vrai dire, l'avinée ne sentait alors que les relents d'odeurs et le bois dans sa chair en tout et pour tout.
L'inconnu se présenta quand pression fut relâchée. Mouchoir en dextre, Boucle Brune s'essuya la commissure des lèvres avant de le rendre à son propriétaire, tant pis pour les restes souillant ses bottes. La senestre, quant à elle, rajusta le chapeau coiffant ses boucles cendrées. De quelques pincements de doigts, la mercenaire ajusta la chemise ample et chamarrée et emboîta le pas à la suite de l'Alzo. Une fois les fumets évaporés, ne demeurait que la brise rafraîchissante de la nuitée. Un second souffle que la Rouge apprécia avec une certaine innocence.
Vidée du poids de son estomac et purgée des maux de son esprit, elle se sentit soudainement libre. L'euphorie de l'alcool, le reflux de sentiments la fit éclater de rire. De ce genre incontrôlable et plein de tristesse. L'Oiseau était brisé et chaque pensée la déplumait davantage. Quand elle retrouva son sérieux après un instant de déambulation, les iris charbonneux se posèrent sur l'accompagnateur et les lippes lâchèrent:
Il est des heures étranges dans des lieux insolites où parfois le bizarre fait bien la rencontre du hasard...On me nomme Rouge-Gorge comme l'oiseau.
Son discours décousu ne semblait n'avoir ni queue ni tête mais il était à sa manière un remerciement de lui être venu en aide. D'avoir un instant tendu la main pour percer sa solitude. Et tandis qu'ils regagnaient des lieux plus fréquentés, le bec se contenta de sourire.