Lemerco
[Saint-Malo, 27 décembre 1467 - Veille du mariage]
Décembre avait filé vite. Comme le carreau d'une arbalète sur un champ de bataille, comme la biche de Cérynie qu'Hercule eut tant de mal à capturer. Les rotations du soleil et de la lune s'étaient succédées à la vitesse de l'éclair, et il semble lointain maintenant, ce mois de Novembre, grande marche du mois des mois, des saturnales et du jeûne, des fêtes de la Noël, du Nouvel An, des fous et leur âne, ce mois de Novembre qui avait vu la demande en mariage de Lemerco couronnée d'un grand oui. Le consentement à cette union avait donné une nouvelle dimension à la vie de l'ours breton. Il était revenu au pays des menhirs dressés et des couchers de soleil embrasant la mer et ses flots insoumis, ces engeances de Pontos, qui a préféré la dilatation exagérée des friselis à la sérénité des eaux hyalines des lacs, au grand dam de Lemerco, qui a un mal de mer à repeindre tout un château en teintes mordorées ou verdâtres, selon les aliments absorbés. Le Grand Duc du pays de l'Hermine songeait au temps passé, presque perdu, qui avait séparé la peur d'un refus, de l'excitation qui accompagne le grand saut dans l'institution maritale, assis sur une chaise en bois massif placée devant un bureau sculpté faisant figurer les armoiries de Dol et de Saint-Malo. Celui qui avait été le maitre de ces deux terres bretonnes, regardait, placide, une carte de la cité qui allait bientôt devenir corsaire. Il était à ses réflexions, tandis que le feu dans la cheminée crépitait et recrachait avec parcimonie, des volutes fuligineuses dans le grand conduit de pierre. La scène était à l'image du coeur du vieux guerrier. Il était devenu Majestée des bretons avec la volonté furieuse d'en découdre avec l'ennui, quitte à guerroyer contre n'importe quel adversaire, et rendre gorge à n'importe quel ennemi. Mais depuis ses fiançailles avec la corsaire, Lemerco a délaissé les affaires de l'Etat breton, consacrant le mois de décembre aux fêtes, à la joie, l'amour, le partage.
Mais que personne ne s'y trompe. Si les fiançailles ont eu le don de lénifier les sentiments courroucés et tortueux de l'homme, ce dernier retournera à ses projets et aux affaires bretonnes dès les premiers sons de cloche du premier jour de l'an de Grasce 1468. Trois jours de calme, avant le début de la tempête qui se profile sur l'horizon armoricain.
La quiétude du bureau est brisée finalement par l'entrée de Mortimer, une gourde à la main, qui traine dans son sillage, un air chargé de chants grivois qui proviennent d'un salon non loin. La château de Saint-Malo, vibrait, en effet, au son des voix alcoolisées des pochtrons dolois venus célébrer la fin du veuvage de Lemerco, qui enfin, se mariait de nouveau, après tant d'années. Il en aura fallu, du temps, pour que l'ours cède de nouveau aux sirènes, à l'appel de l'Amour conjugal. Et voilà qu'il franchit le pas, comme si c'était une évidence, sans aucune réticence. Lemerco se lève en souriant, la bois des accoudoirs et des pieds la chaise grinçant sous le poids de la carcasse velue, et saisissant l'épaule de son vieil ami dans une étreinte toute fraternelle, il l'entraina au-dehors pour rejoindre les joyeux drilles, et les chansons aux rythmes toujours plus dissonants à mesure que la gnôle coule...
J'espère que tu as prévu des réserves de la fameuse potion qui dessaoule, et dont les médecins ont percé le secret. Demain j'épouse une personne qui pourrait nous couler dans la rade, si on venait à gâcher cette journée, par des comportements malvenus.
On a de quoi soigner une armée d'alcoolytes, Lem. Et tout le monde prendra sa dose quand l'aurore chatouillera le bout de nos nez.
Alors profitons de cette ultime soirée sans femme, et donnons à la l'hybrice masculine, ses lettres de noblesse.
Et les deux comparses s'enfoncent dans le couloir illuminé par les torches, les ténèbres vespérales s'étant imposées sur les terres des vaillants bretons qui peuvent dormir sur les deux oreilles, si tant est que Morphée les trouve avec tout le boucan qu'ils vont faire, lui qui craint comme la peste, le bruit tonitruant des mortels et leurs activités.
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Décembre avait filé vite. Comme le carreau d'une arbalète sur un champ de bataille, comme la biche de Cérynie qu'Hercule eut tant de mal à capturer. Les rotations du soleil et de la lune s'étaient succédées à la vitesse de l'éclair, et il semble lointain maintenant, ce mois de Novembre, grande marche du mois des mois, des saturnales et du jeûne, des fêtes de la Noël, du Nouvel An, des fous et leur âne, ce mois de Novembre qui avait vu la demande en mariage de Lemerco couronnée d'un grand oui. Le consentement à cette union avait donné une nouvelle dimension à la vie de l'ours breton. Il était revenu au pays des menhirs dressés et des couchers de soleil embrasant la mer et ses flots insoumis, ces engeances de Pontos, qui a préféré la dilatation exagérée des friselis à la sérénité des eaux hyalines des lacs, au grand dam de Lemerco, qui a un mal de mer à repeindre tout un château en teintes mordorées ou verdâtres, selon les aliments absorbés. Le Grand Duc du pays de l'Hermine songeait au temps passé, presque perdu, qui avait séparé la peur d'un refus, de l'excitation qui accompagne le grand saut dans l'institution maritale, assis sur une chaise en bois massif placée devant un bureau sculpté faisant figurer les armoiries de Dol et de Saint-Malo. Celui qui avait été le maitre de ces deux terres bretonnes, regardait, placide, une carte de la cité qui allait bientôt devenir corsaire. Il était à ses réflexions, tandis que le feu dans la cheminée crépitait et recrachait avec parcimonie, des volutes fuligineuses dans le grand conduit de pierre. La scène était à l'image du coeur du vieux guerrier. Il était devenu Majestée des bretons avec la volonté furieuse d'en découdre avec l'ennui, quitte à guerroyer contre n'importe quel adversaire, et rendre gorge à n'importe quel ennemi. Mais depuis ses fiançailles avec la corsaire, Lemerco a délaissé les affaires de l'Etat breton, consacrant le mois de décembre aux fêtes, à la joie, l'amour, le partage.
Mais que personne ne s'y trompe. Si les fiançailles ont eu le don de lénifier les sentiments courroucés et tortueux de l'homme, ce dernier retournera à ses projets et aux affaires bretonnes dès les premiers sons de cloche du premier jour de l'an de Grasce 1468. Trois jours de calme, avant le début de la tempête qui se profile sur l'horizon armoricain.
La quiétude du bureau est brisée finalement par l'entrée de Mortimer, une gourde à la main, qui traine dans son sillage, un air chargé de chants grivois qui proviennent d'un salon non loin. La château de Saint-Malo, vibrait, en effet, au son des voix alcoolisées des pochtrons dolois venus célébrer la fin du veuvage de Lemerco, qui enfin, se mariait de nouveau, après tant d'années. Il en aura fallu, du temps, pour que l'ours cède de nouveau aux sirènes, à l'appel de l'Amour conjugal. Et voilà qu'il franchit le pas, comme si c'était une évidence, sans aucune réticence. Lemerco se lève en souriant, la bois des accoudoirs et des pieds la chaise grinçant sous le poids de la carcasse velue, et saisissant l'épaule de son vieil ami dans une étreinte toute fraternelle, il l'entraina au-dehors pour rejoindre les joyeux drilles, et les chansons aux rythmes toujours plus dissonants à mesure que la gnôle coule...
J'espère que tu as prévu des réserves de la fameuse potion qui dessaoule, et dont les médecins ont percé le secret. Demain j'épouse une personne qui pourrait nous couler dans la rade, si on venait à gâcher cette journée, par des comportements malvenus.
On a de quoi soigner une armée d'alcoolytes, Lem. Et tout le monde prendra sa dose quand l'aurore chatouillera le bout de nos nez.
Alors profitons de cette ultime soirée sans femme, et donnons à la l'hybrice masculine, ses lettres de noblesse.
Et les deux comparses s'enfoncent dans le couloir illuminé par les torches, les ténèbres vespérales s'étant imposées sur les terres des vaillants bretons qui peuvent dormir sur les deux oreilles, si tant est que Morphée les trouve avec tout le boucan qu'ils vont faire, lui qui craint comme la peste, le bruit tonitruant des mortels et leurs activités.
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