Alphonse_tabouret
Boutique la Percée D'Hermès
Il flotte encore dans la pièce lodeur forte des alcools que lon ne boit pas, ceux dont on se sert pour panser les plaies à vif, et dans un coin de la pièce, Fortuné, renommé Trondelair * au sortir dune leçon de patois, mange dune gueule avide lécuelle de pain et de bouillon que lon vient de lui servir.
Debout, appuyé au comptoir, Alphonse, sessuie les mains dun torchon quand Faust, près de la table remplit les verres dun vin des vignobles locaux ; neuf février étire ses dernières heures dune oisiveté méritée à la Boutique dHermès où un hamac est venu pousser dans la matinée, et la discussion tourne autour du chien dont la patte, fraichement bandée, stigmate de longues heures au piège dun collet, frôle à peine le sol.
Faust, regardant pensivement le lévrier: " Il est beau ce chien... "
Alphonse, acquiesçant, noirs sur la silhouette effilée de lanimal : " Oui, c'est une belle bête; il est grand aussi pour son âge... "
Faust, répétant dune voix lointaine: " Oui... C'est une belle bête. ", avant dajouter, secouant le nez et se détournant du chiot : " Il me fait de la peine."
Prunelles quittent lun pour aller à lautre, et question tombe dune curiosité intacte.
Alphonse : " Pourquoi ? "
Faust, aux évidences qui compactent un magma de pensées à lessence dun mot : " Parce que je suis un putain d'empathe. "
La réponse semble Hors Sujet, brume dispersée que Tabouret regarde sétioler sans en comprendre la densité. Le chien qui manquait au matin est retrouvé, pansé, et trouble le silence amené dans la pièce dune langue qui fait osciller lécuelle à la pêche des dernières miettes.
Garçon quitte le billot de bois auquel il sest appuyé le temps du service et rejoint le dos de Faust quil vient enlacer, menton niché dans la pente dune épaule ; épeires blanches agrippent les bras dun instantané et solidifient les amants dune respiration.
Alphonse : " Si tu es un putain dempathe, pourquoi ne te sens tu pas heureux davoir le ventre tendu au confort de ta maison ? "
Faust dont la tête bascule pour y chercher le regard dAlphonse : " Pourquoi persistes-tu à me trouver malheureux ? "
Cest une remarque qui dune pertinence est toutefois inexacte.
Voilà plusieurs jours que Tabouret, il est vrai, tâche dattacher un vocable au cou des maux bleus, dy dresser un répertoire exact, de faire parler Montfort de ces mélancolies qui le poussent aux discrets retranchements, et la liste reste obstinément incomplète : le retour dAlexandrie a vidé jusquà la moelle des os, accablant Faust dune fatigue endeuillée sans même avoir touché les quais de Blaye, dun comté secoué et dune maison désertée de livraisons de dernière minute. Rien ne sest passé comme ils lauraient voulu et Paris y sait que cela peut être, à lâme zèbre, dun insurmontable chaos.
Mais ce nest pas tout ; il reste quelque chose, une rayure qui neffleure pas même lesprit du parisien quand il ronge le Périgourdin dune impuissance à ses émotions ; Faust à ses intempéries, essuie la tempête dune solitude volontaire.
Alphonse, dun rire bref et désarmé : " C'est toi qui dis que le chien te fait de la peine "
Faust : " Oui, le chien Mais moi je vais bien ! "
Alphonse, lui désignant Fortuné qui sinstalle dune ronde inutile sur lui-même près de la cheminée, baillant dun claquement sonore : " Mais pourquoi diable as-tu de la peine pour le chien? Regarde le Faust... Il va bien. "
Faust, répétant, dun sourire, serpent qui serpente : " Parce que je suis un putain d'empathe. "
Alphonse : " Alors bats de la queue... "
Faust : " Mouais "
Alphonse, jouant dun souvenir encore frais qui creuse une fossette discrète à la commissure droite: " Il n'y pense déjà plus, lui Regarde le, ce trondelair... "
Faust, amusé un peu, à un sourire plus doux : " Tu vas finir par me ressembler toi... "
Alphonse, délaçant le dos pour prendre son verre : " Si seulement... "
Faust : " Qu'as-tu dit à Adalyn? Que j'avais de multiples talents?
Est-ce lhabitude qui ne sétonne pas du changement de sujet, cette drôle dambiance qui excuse les sauts dun coq à lâne, ou eux qui sont ainsi, à ces savoirs que certaines choses ne se disent quau prix de quelques lacets?
Tabouret prend le verre qui lui a été réservé, jouant de ce nouveau fil que lon lui tend, aux observations qui lui permettront de le dérouler à sa convenance pour en revenir au sujet qui le préoccupe ; Faust a la gorge nouée dune émotion quil ne partage pas.
Alphonse, acquiesçant, évasivement dune volonté : " Mmm, pourquoi? Tu l'as croisée ce jour? "
Faust, après une gorgée de vin: " Ja, nous avons un peu discuté. Je lui ai proposé de prendre soin du navire quand nous ne pourrons pas le faire et je l'ai payée pour lescorte."
Alphonse : " Et là, elle t'a dit que selon moi, tu avais de multiples talents ? "
Faust, dun regard qui se perd un instant aux trames memento: " Je ne sais plus comment elle l'a dit j'ai dit que tu étais taiseux à tes talents et elle a dit qu'il paraissait que moi aussi un truc comme ça. "
Alphonse, après une gorgée de vin, reposant son verre à la table sans le lâcher : " Je lui ai dit que tu étais un bon patron et un honnête homme. "
Faust claque de la langue, marqueur dopinion qui ninterrompt pas.
Alphonse : " Nous sommes tombés d'accord pour dire que cela était rare. "
Faust : " Tu mets la barre haute. "
Alphonse, épaule se haussant : " Ce nest que la vérité. "
Faust, soffusquant faussement : " Et si je voulais la payer une misère et la malmener? Hein ? tu ferais capoter mon plan "
Alphonse, retournant dun sourire narquois : " Tes escortes à la fin refusent même d'être payées, Faust... "
Montfort y rit, notes qui séchappent dune spontanéité et épanouissent dune douceur le sourire de Tabouret.
Faust, cédant: " La honte "
Alphonse, reprenant par-dessus son verre : " J'ai dû lui dire que tu contais... J'adore quand tu contes " , précise-t-il, " je m'en vante pour toi à chaque fois... "
Faust : " Je t'aime. Je veux t'épouser. "
Alphonse : "Ah ah ah "
Garçon se penche dun baiser, venant chercher la cerise dun aussi joli compliment, car cen est un ; le mariage est un sujet que lon sait à ce point improbable, une aiguille à ce point sensible dans les opinions de Faust que lon a pris le pli den plaisanter, dy divaguer, sans jamais sy attarder dune possibilité.
Mais Faust recule, vif, amidonné dune indignation qui na rien de surfaite :
Faust : " Ce n'est pas une plaisanterie, putain !" Les doigts saisissent la mâchoire à son élan, aux attentes fauchées dun baiser qui échoue au vide, et le museau dAlphonse se modèle dune incompréhension. " Je veux t'épouser. Je n'arriverai pas à tenir jusqu'à la Saint Valentin On s'en cogne de la Saint Valentin... "
Bouches se mêlent au silence neuf de la pièce, aux étourdissements des inattendus, grippant la raison dun grain de sable, la figeant dune immédiateté, anesthésiant les mots et séquençant les certitudes dune boucle vouée à sertir les vérités à limmuable de leur couronne.
Pris de court, aux murs infranchissables que font les gravures Faust est contre le mariage-, à la surprise des sincérités exclamées Faust est contre le mariage-, aux perspectives des points de suspension Faust est contre le mariage -, à la limpidité des dates butoirs Faust est contre le mariage - , Alphonse se tait jusquau murmure de la seule chose à répondre :
Alphonse, aux lèvres qui se quittent : " Ja... "
Faust sème des petits baisers qui acquiescent. Il est contre le mariage, mais pas contre le mariage avec Tabouret. C'est ainsi. Et c'est bien comme cela.
Faust, à un Tabouret hébété dont le sourire sépanouit dun lierre sous les baisers reçus, aux mots qui asseyent lauguste autorité des amours-forêts. : " Faire un jour, un mariage secret d'amour. C'est magnifique... non? T'épouser. C'est magnifique. " Voix demande, à un ton moins emporté mais tout aussi coloré : " Épouse-moi. "
Alphonse, le répète, toujours aussi surpris : " Je vais t'épouser..." avant de partir d'un rire clair qui vient chavirer Faust, létreignant, le serrant, l'embrassant, dans quel ordre, l'on ne saurait le dire : " Ah ah ah, je t'aime... "
Faust, se sent infiniment plus léger. Le pourquoi. Le comment. L'enchainement, le moment, tout cela commençait à tendre ses nerfs.
Faust, d'un air fier et incrédule, décoiffé dun baiser : " Il a dit oui. : Jai réussi à me marier Tabouret... "
Myriades de mots d'amour se sème le long d'un sourire insolent autant quétonné; là, Tabouret est beau, au summum de ses joies, de ses bonheurs, de ces choses que lon nespérait même pas, riant en lentendant
Alphonse, tachant de modeler ses joues dun octave moins niais : " Je n'arrive pas en enlever mon sourire... "
Faust, glissant les doigts dans ses cheveux : " Non, ne l'enlève pas j'y accrocherai le mien. "
Alphonse, ivre un peu, se désignant, vaincu et conquis : " Il ne part pas, regarde ! "
Lélan le fait taire ; Faust le serre dans ses bras et le soulève quelques secondes: cest un instant où faute dapesanteur, lon propulse lautre à ses propres nuées, et Tabouret y grogne sourdement, pantin de bonheur dont les pieds frôlent le sol et les bras se referment sur son homme.
Alphonse : " Que j'aime quand tu envoies se faire foutre la saint Valentin... " "
Faust : " Oui, ça m'a couté aussi ... j'avoue. Je dis, je dis pas... je dis, je dis pas... mais putain... tu m'as offert un hamac. Un HAMAC!" Il sagite dans ses bras, dun air con : " Et un gâteau aux noix ! "
Silhouettes, si elles se délient aux plancher de la boutique, ne se quittent pas ; Tabouret découvre dun sourire toujours vissé aux lèvres, les trois fois riens qui ont achevé de ronger lattente jusquà la précocité de ce que lon nattendait pas.
Faust : "Tu es l'homme qu'il me faut. Je n'ai aucun doute là-dessus, je n'en ai jamais eu, et ça, ça suffit pour envoyer se faire foutre mes petits principes à la con... Pour une fois, c'est nous qui feront comme eux et on s'en branle. "
Alphonse le regardant, pupilles dilatées d'une immensité, d'une joie pleine, répétant, comme un bonheur que l'on doit s'assurer d'être vrai : " Nous nous marrions. "
Faust : " Oui. On va le faire et ce sera la meilleur excuse que nous aurons pour nous saper comme des rois, manger comme des gros et baiser enfin sur ce foutu tas d'or... "
Alphonse, linterrompant dun plaisir qui na rien de joué: " Oh, la parfaite nuit de noces..."
Faust : "J'ai treize mille pièces ici et cinq mille à Périgueux qui attendent qu'on les arrose de foutre pour les faire pousser..."
Alphonse: " C'était cela la surprise dont tu ne voulais pas parler sur le bateau ? Cela fait des semaines...
Faust: " Oui! Depuis des semaines. Je n'en puis plus de garder ça pour moi. "
Alphonse : " Mon amour, mon bel amour, mon parfait amour... Et moi j'ai tardé à trouver ce qu'il fallait pour te faire dire, pardonne-moi davoir mis si longtemps..."
Faust, mettant sa main sur sa bouche : "Toi tu as été parfait. Tu as été le parfait exemple de toi-même. Tu es mon Unique. "
Chacun de part et dautre de la main dépose baiser à laphonie momentanée avant que Faust ne défasse le bâillon improvisé et ne vienne frôler son nez du sien :
Faust : " Je veux vieillir avec toi jusqu'à la dernière feuille."
Alphonse, acquiesçant d'un cur hypnotisé: " Jusqu'à la dernière sève. "
Paupière brunes s'abaissent un peu, créature adoucie à ces serments qui jurent.
Alphonse, souriant dun balbutiement, encore aux émerveillements qui embrassent lensemble jusquà la profondeur: " J'aurais pu vivre sans tu sais, j'aurais pu... Mais vivre avec... " Mots manquent à la bouche jusquà céder la conclusion la plus simple aux émotions : " Là, je t'aime. "
Cest un silence qui se répond, lattention des doigts au fil dune mâchoire pour arrêter le temps, le laisser fondre sur le bout de la langue, essence des mots liquéfiée aux papilles.
Alors seulement, main blanche se noue à la noire et les corps se meuvent dun pas vers le hamac qui trace un trait de couleur vive devant lun des pans des étagères, et à la découpe lointaine des escaliers, Alphonse sy revoit les descendre en fin de matinée, muni du tissu et dune mise en scène ; là, aux éthers des passés encore luisants, il sent même encore à ses doigts, la texture du chiffon soulevé pour y découvrir le gâteau aux noix.
Hamac rejoint, Montfort y roule, Tabouret avec, au cocon des parfums qui sentremêlent de promiscuités ; Fortuné, endormi, agite mollement sa patte bandée et pendant quelques instants, il ny a plus rien que les souffles mêlés dune fièvre heureuse que rien ne sait jamais apaiser, jusquà lélévation dun voix de rocaille, brodée à laccent dune victoire qui rend paon dune éternité :
Alphonse, émerveillé, voix lézardée dune incrédulité ravie: " Un putain de hamac ! "
Faust, à son oreille, concluant aux justes mesures amoureuses : " Et un gâteau aux noix... et une bonne bite toujours bien dressée..."
Rire clair ponctue la soirée d'un éclat; d'un bruissement l'on se cale, d'un murmure, l'on perdure les mots doux, les petits riens et les silences pleins, et plus tard, bien plus tard seulement, l'on se décidera à rejoindre le lit.
Sometimes I feel so happy
Parfois je me sens si heureux
Sometimes I feel so sad
Parfois je me sens si triste
Sometimes I feel so happy
Parfois je me sens si heureux
But mostly you just make me mad
Mais souvent tu me rends juste fou
Baby, you just make me mad
Bébé, tu me rends juste fou
Linger on, your pale blue eyes
Je traîne dans tes pales yeux bleus
Linger on, your pale blue eyes
Je traîne dans tes pales yeux bleus
Thought of you as my mountain top
Une pensée de toi est comme le sommet de ma montagne
Thought of you as my peak
Je pense à toi comme à ma cime
Thought of you as everything
Une pensée de toi est comme tout
I've had but couldn't keep
Ce que j'ai eu mais que je n'ai su garder
I've had but couldn't keep
Ce que j'ai eu mais que je n'ai su garder
Linger on, your pale blue eyes
Je traîne dans tes pales yeux bleus
Linger on, your pale blue eyes
Je traîne dans tes pales yeux bleus
If I could make the world
Si je pouvais faire le monde
As pure and strange as what I see
Aussi pur et étrange que ce que je le vois
I'd put you in the mirror
Je te mettrais dans le miroir
I put in front of me
Je l'ai mis devant moi
I put in front of me
Je l'ai mis devant moi
Velvet underground, Pale blue eyes
*Patois: tron de l'air : énergumène extravagant. Littéralement "Tonnerre de l'air", soit le tonnerre tout court.
A quatre mains
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