Fanette
* Pâle copie de la chanson de Balavoine
- Mordiable ! Mais c'est qu'elle est bien capable d'y aller !
C'est une autre fièvre qui s'était emparée de Fanette ce matin du seize octobre. Les nouvelles reçues de Roman au soir précédent étaient rassurantes mais à présent, elle tournait et retournait dans ses mains deux courriers reçus quelques instants plus tôt, arpentant la pièce en cherchant une solution. Des deux parchemins, froissés et nerveusement malmenés, l'un n'était pas signé, mais sa teneur n'avait rien à voir avec les messages qu'elle recevait parfois, liés par de si jolis rubans. Non, celui-ci n'était qu'une succession de lettres disjointes dont la teneur était terrifiante pour son imagination fertile.
Salut machine,
Pour revoir la blondinette gaélique en vie, ce sera 40 000 ; moins pour quelques morceaux épars, mais pas moins de 5 000 la pièce, c'est que ça doit valoir le coup si tu veux te faire un porte-bonheur avec un de ses doigts.
Pour moins, pas la peine d'espérer la recroiser un jour. Pour moins, pas la peine d'écrire non plus.
Les ravisseurs de Meabh.
Ainsi, les craintes d'Elise étaient fondées et ce n'était pas qu'une manuvre de l'irlandaise pour convaincre la fillette de la rejoindre. L'autre courrier était bien plus inquiétant encore. Que pouvait faire une jeune fille d'une douzaine d'années, armée d'une dague, d'un couteau, d'une ficelle et d'un ruban contre "les ravisseurs".
Fa...nette...
Je... Suis perdue... Je vous joins une copie de la missive que j'ai reçue il y a peu...
"Petit machin,
Si tu veux revoir ta prof de gaélique chelou vivante, va falloir allonger la monnaie, et ce sera pas moins de 30 000. Pour moins que ça, mais pas en dessous de 5 000, il est possible d'en récupérer des bouts, pour se faire une relique ou un chouette porte-clés avec un doigt.
Comme a priori, t'es sans l'sou, autant te dire que c'est pas la peine d'espérer la revoir en vie.
Bonjour chez toi.
Les ravisseurs."
Je... Je ne peux pas payer Fanette... Mais... Je vais les retrouver, et je vais les tuer... Tous... Tous ceux qui m'ont pris ma Mea'... Jusqu'au dernier je vais les tuer... Il est trop tard pour partir sans Gygy, sinon je l'aurai fait... Je ne veux pas la mettre en danger je ne sais pas quoi lui dire demain mais... J'irai toute seule chercher Mea... Ils... Mourront... Tous... Jusqu'au dernier...
Elise.
Bien sûr qu'Elise ne pouvait pas payer, et elle non plus, du reste. Si elle avait eu la force de la rousse aventureuse, elle n'aurait pas hésité un seul instant. Elle aurait sellé sa jument, affûté ses lames, et se serait lancée sur leurs traces, impatiente de vibrer du fracas de l'acier et de s'abreuver au carmin du sang. Si elle avait eu la détermination de la Hache, elle les aurait sans doute retrouvé, et décapité un par un jusqu'à ce que Meabh soit rendue.
Elle se maudit de ne savoir être rien de plus que la biche qu'une princesse avait prise sous son aile, ou la fauvette d'un conte. Saurait-elle jamais devenir une autre ? Elle s'était même débarrassée de son couteau, tant elle avait du mal à accepter d'avoir tué un homme, quand bien même était-ce pour sauver la vie de son diable. Et puis, elle avait jugé qu'il serait plus utile à Elise. Alors à présent, elle était là, à ne savoir comment agir, sans pouvoir cependant s'accorder le droit de ne rien faire.
Rallier Bourganeuf ... seule ... et ajouter une inquiétude à Roman alors qu'il avait déjà bien assez à se soucier de son frère qui méritait à lui seul toutes les attentions.
Rester ici et s'en vouloir s'il arrivait malheur à la fillette ou à la blonde.
Impuissante et démunie, elle finit par s'enrouler dans son étole à la recherche du père de Roman. Elle ne savait trop ce que le patriarche pourrait ou voudrait faire, mais elle était suffisamment perdue pour prendre le risque de quémander un peu de soutien, même si l'homme l'intimidait assez. Elle arpentait les venelles de la ville, indifférente à la pluie qui alourdissait son vêtement de laine, et plaquait ses boucles sur ses joues. Mais de l'italien aucune trace. Elle l'avait d'abord cherché à l'Ewedishalahu, puis, à défaut, elle avait poussé la porte de toutes les autres tavernes, à l'exception de celle du sieur Serrance. Finalement, elle était retournée se réchauffer au feu du hanap couronné, s'était délestée de son étole dégoulinante pour offrir ses mains bleuies à la chaleur des belles flammes qui ondulaient dans l'âtre.
Quand elle eut arrêté de trembler, elle déposa les parchemins sur une table, sortit le petit nécessaire d'écriture et commença à rédiger quelques courriers.
Sieur Corleone,
J'ai reçu des nouvelles rassurantes de Roman, mais ce matin, deux missives m'ont empli d'inquiétude. Une femme était ici il y a quelques jours, Roman et son cadet la connaissent aussi, et elle s'est occupée de tout ce qui concerne le banquet qui aura lieu le jour des noces. Elle était aimable et drôle et je l'aime bien. Mais, je viens de recevoir une demande de rançon pour elle. Une somme énorme, dont nul ne saurait sacquitter. Ils menacent de la tuer Sieur Corleone, de la découper en morceaux. Je ne peux pas rester ici sans rien faire, vous comprenez ? Je suis terriblement inquiète, car pour ajouter à cela, la fillette que j'attendais l'autre soir est partie à sa recherche. Elle n'a qu'une douzaine d'années, et pour seule arme qu'une dague et un couteau que je lui ai donné. Mais elle veut tous les tuer, j'ai très peur que ce ne soit elle qui perde la vie dans cette entreprise. Sieur Corleone, comment pourrais-je laisser une enfant prendre de tels risques seule ?
Je vais attendre ce jour au Hanap couronné. Si vous venez, je vous montrerai ces courriers.
S'il vous plait, venez.
Fanette
Gysèle,
J'ai reçu un courrier d'Elise qui m'inquiète au plus haut point. J'ignore si vous avez réussi à la rejoindre, et ce qu'elle vous aura raconté, mais elle veut partir, à cause de Meabh. Elle a été enlevée, j'ai reçu une demande de rançon, Elise aussi, et l'une comme l'autre ne pouvons payer, alors, elle a décidé d'y aller sans vous, pour les tuer, tous.
Je vous en prie Gysèle, ne la laissez pas faire.
Fanette
Sieur Pierre
Nous ne nous connaissons pas mais, Elise m'a parlé de vous. Je ne sais pas trop si vous êtes au courant des raisons qui ont motivé son départ, mais elle court un grand danger. Elle disait que vous les protégiez, elle et sa tante. Ce jourd'hui elles doivent être à Bourganeuf, mais demain ? Elise veut faire la peau de ceux qui ont enlevé notre amie Meabh. Saurez-vous l'en empêcher ou l'y aider ?
Fanette
Enfin, le dernier courrier était pour la jeune Elise.
Elise,
Surtout n'en fait rien. Il serait bien idiot que tu te fourres toi aussi dans le pétrin, et imagine un peu le chagrin de ta tante et le mien. Tu risques juste te de faire occire, et ça ne sauvera pas Meabh. On va trouver une solution, je t'assure. Les licorneux qui t'ont accompagné l'autre jour, sont-ils encore à Bourganeuf ? Elise, ne part pas sans ta tante, et surtout ôte-toi cette idée de la tête, tu ne peux pas aller tous les tuer, tu ne sais même pas où ils se cachent, ni combien ils sont.
Soit prudente Elise, je t'en prie.
Fanette
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