Ingeburge
Suite du RP La pilosité du bourguignon s'en doit aller toute verte
[Devant la prison de Joinville - matinée du 29 juillet]
Dans deux jours.
C'était la pensée qui l'avait traversée et qui avait fait serrer son cur tandis qu'elle restait là, le dos appuyée contre la porte qu'elle avait si vivement refermée.
Et les deux jours s'étaient rapidement écoulés, inexorables, aussi inexorables que le train ducal filant à tout allure vers le lieu où elle avait désiré aller.
Accoudée à la portière de son carrosse, elle pouvait maintenant nettement distinguer les deux tourelles crénelées de la prison de Joinville.
Après avoir laissé Eusaias, elle était demeurée de longues minutes immobile, tâchant de repousser les idées qui lui venaient. Elle se refusait à s'interroger sur cette volonté qu'elle avait si clairement affirmée. Et elle mesurait combien ce qu'elle disait, plus de coutume, revêtait toujours un caractère implacable. Elle avait voulu, le Sémurois s'était incliné sans tenter de la dissuader de l'accompagner, sans même chercher à savoir les raisons de cette requête. Elle avait voulu et cela seul importait. Elle-même ne savait pas pourquoi bien qu'au fond, elle pressentait que là était son devoir. Point de curiosité macabre ou d'envie condamnable, la simple conscience qu'elle devait y aller ne serait-ce que pour obtenir certaines réponses. Et une interrogation en particulier la taraudait : qui. Car le pourquoi ne comptait plus maintenant que l'ennemi avait été repoussé, tué, blessé et emprisonné.
Elle avait finalement repris pied dans la réalité et avait arpenté cette pièce dans laquelle elle était entrée sur un coup de tête, pour rompre la bouffée d'appréhension qui montait en elle et qui aurait fini par masquer complètement ses traits indifférents.
Et elle avait eu fort à faire : prévenir le personnel à son service de son absence impromptue, faire reporter des rendez-vous, demander que ses malles de voyage soient préparées et que des vêtements de voyage soient sortis, s'enquérir des papiers urgents à signer et enfin envoyer quelques missives... dont une qui importait plus que les autres. Ce courrier capital avait été porté avec diligence et les clercs à qui il était destiné ne s'étaient pas demandés pas pourquoi le Cardinal-Archevêque de Lyon réclamait avec fermeté les objets évoqués dans son court billet. Ils s'étaient simplement exécutés.
Après s'être frugalement restaurée, elle avait rejoint ses appartements privés, se préparant pour la route qu'elle avait à faire.
Et par un funeste hasard, elle avait fait son apparition dans la cour du Palais des Ducs de Bourgogne au moment même où les caisses réclamées arrivaient de l'Abbaye du Petit-Cîteaux. Elle était restée un moment interdite et avait finalement élevé la voix, frissonnante, afin que les caisses soient chargées dans l'un des chariots qui suivraient son carrosse.
Puis, ne pouvant garder son calme, elle avait continué de jeter des ordres aux gens l'entourant, vérifiant que tout a avait été entreposés dans les voitures et donnant ses dernières recommandations quant à l'installation de la salle qui accueillerait les prisonniers en vue du procès qui serait ouvert pour réparer l'honneur violenté de la Bourgogne.
Eusaias avait enfin paru et elle avait pu cesser de penser, s'ingéniant à lui poser des questions futiles et se réjouissant de s'accrocher avec lui que n'aurait-elle fait pour ne plus réfléchir à propos de l'escorte. Il n'avait pas voulu en entendre parler, prétextant la nécessité de laisser Dijon sous bonne garde, repoussant un à un tous ses arguments. Non loin, ses bellâtres lombards, formant la Garde de Carpentras, malgré leur connaissance rudimentaire de la langue, avaient d'ores et déjà compris qu'ils ne seraient pas de l'escapade. Elle pourtant ne s'était pas tout de suite résignée, montrant que ce serait ses hommes à elle qui viendraient, avançant qu'elle se trouvait déjà dans l'obligation de voyager sans ses suivantes et qu'elle devrait se débrouiller seule par la suite. C'est qu'elle tenait à ses habitudes et qu'aucun événement ou projet ne l'avait jamais contrainte à y déroger; ne s'était-elle pas rendue à Genève, bastion de l'hérésie barbare, entourée de son train habituel? Elle avait finalement capitulé, du bout des lèvres, songeant que le Sémurois aurait été capable de la planter là et de partir sans elle, songeant davantage encore aux malles renfermant sa garde-robe qu'il aurait pu lui faire descendre des chariots. Son argument final la laissa vaguement irritée mais pas abattue pour autant, elle avait eu le temps de glisser un message à transmettre à un homme qu'elle ne connaissait que peu mais qui elle avait placée sa confiance, cédant comme toujours à son impulsivité native.
Dijon et son palais centenaire avaient été quittés, puis la capitale. Le voyage avait été agréable, malgré les circonstances qui y présidaient et elle était parvenue, à la faveur d'un sommeil qui lui avait été toujours été aisé, à dormir durant la plus grande part de la route.
La Champagne avait été ralliée, tard dans la soirée, et elle ne s'était pas attardée après le souper qui leur avait été servi dans l'auberge dans laquelle ils avaient fait halte pour la nuit. Et son appréhension l'avait à nouveau gagnée car elle se trouvait seule. Pas de chambrière pour la frictionner avec vigueur, pas de suivante pour l'assommer de son babil incessant. Elle s'était alors abîmée dans la prière, agenouillée à même le sol, ses yeux grands ouverts ne quittant pas le mur nu qui lui faisait face. Elle s'était finalement jetée dans son lit, au petit matin, ouvrant l'il bien trop tôt. Elle n'était pas parue à la collation du matin, ne descendant qu'au moment où il avait été question de reprendre la route.
Et la même routine de la route avait repris, le paysage champenois défilant cette fois sous les yeux des voyageurs. Langres avait été traversée, avec hâte, afin de rejoindre pour la nuit un relais proche de la frontière bourguignonne. De nouveau, la nuit fut partagée entre de longues prières fébriles, ses doigts ne cessant de jouer avec les grains du chapelet enroulé autour de son poignet droit et un sommeil trop court.
Deux jours s'étaient écoulés, elle se trouvait à Joinville, face à la prison du bourg.
Elle se laissa aller contre la banquette, les yeux clos et la bouche légèrement entrouverte. Elle ne pourrait rester indéfiniment ainsi, à l'extérieur, Eusaias l'attendait. Il était pour le moins étrange qu'elle qui avait tout fait pour ne pas se retrouver confrontée à ses pensées prenait maintenant le temps de réfléchir. Et elle s'accordait cette pause car elle savait qu'il était désormais trop tard. Elle était arrivée, il n'était plus question pour elle de se dérober.
Et curieusement, elle se sentait vide, comme si ses efforts pour ne plus être assaillie par ses doutes avaient porté leurs fruits. Mais était-ce vraiment une victoire? N'était-ce pas plutôt un ironique répit présageant qu'elle allait douter davantage sous peu? Il n'était plus temps de s'interroger, il fallait profiter de cette accalmie, elle serait de toute façon bien trop rapidement confrontée à ce qu'elle redoutait alors qu'elle l'avait appelé de ses vux.
Après un dernier coup d'il à son miroir dépoli afin d'ajuster quelques mèches s'échappant de la natte enroulée sur l'arrière de son crâne, elle prit une profonde inspiration et murmura quelque chose, suffisamment fort pour que la portière de son carrosse fut aussitôt ouverte. Et elle apparut dans l'encadrement, drapée dans sa mante de drap noir avant de poser sa main gantée dans celle que lui présentait un des valets. Elle mit pied à terre et fit quelques pas tant pour se délasser pour donner le change.
Elle posa alors son regard clair sur Eusaias. L'exécuteur des basses et hautes uvres de Bourgogne. Le bourreau. Le tourmenteur.
Elle était prête à entrer.
Et, toujours enroulé à son poignet, le chapelet se balançait doucement, bercé par les mouvements lents de la duchesse.
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Malementer = tourmenter... ^^
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[Devant la prison de Joinville - matinée du 29 juillet]
Dans deux jours.
C'était la pensée qui l'avait traversée et qui avait fait serrer son cur tandis qu'elle restait là, le dos appuyée contre la porte qu'elle avait si vivement refermée.
Et les deux jours s'étaient rapidement écoulés, inexorables, aussi inexorables que le train ducal filant à tout allure vers le lieu où elle avait désiré aller.
Accoudée à la portière de son carrosse, elle pouvait maintenant nettement distinguer les deux tourelles crénelées de la prison de Joinville.
Après avoir laissé Eusaias, elle était demeurée de longues minutes immobile, tâchant de repousser les idées qui lui venaient. Elle se refusait à s'interroger sur cette volonté qu'elle avait si clairement affirmée. Et elle mesurait combien ce qu'elle disait, plus de coutume, revêtait toujours un caractère implacable. Elle avait voulu, le Sémurois s'était incliné sans tenter de la dissuader de l'accompagner, sans même chercher à savoir les raisons de cette requête. Elle avait voulu et cela seul importait. Elle-même ne savait pas pourquoi bien qu'au fond, elle pressentait que là était son devoir. Point de curiosité macabre ou d'envie condamnable, la simple conscience qu'elle devait y aller ne serait-ce que pour obtenir certaines réponses. Et une interrogation en particulier la taraudait : qui. Car le pourquoi ne comptait plus maintenant que l'ennemi avait été repoussé, tué, blessé et emprisonné.
Elle avait finalement repris pied dans la réalité et avait arpenté cette pièce dans laquelle elle était entrée sur un coup de tête, pour rompre la bouffée d'appréhension qui montait en elle et qui aurait fini par masquer complètement ses traits indifférents.
Et elle avait eu fort à faire : prévenir le personnel à son service de son absence impromptue, faire reporter des rendez-vous, demander que ses malles de voyage soient préparées et que des vêtements de voyage soient sortis, s'enquérir des papiers urgents à signer et enfin envoyer quelques missives... dont une qui importait plus que les autres. Ce courrier capital avait été porté avec diligence et les clercs à qui il était destiné ne s'étaient pas demandés pas pourquoi le Cardinal-Archevêque de Lyon réclamait avec fermeté les objets évoqués dans son court billet. Ils s'étaient simplement exécutés.
Après s'être frugalement restaurée, elle avait rejoint ses appartements privés, se préparant pour la route qu'elle avait à faire.
Et par un funeste hasard, elle avait fait son apparition dans la cour du Palais des Ducs de Bourgogne au moment même où les caisses réclamées arrivaient de l'Abbaye du Petit-Cîteaux. Elle était restée un moment interdite et avait finalement élevé la voix, frissonnante, afin que les caisses soient chargées dans l'un des chariots qui suivraient son carrosse.
Puis, ne pouvant garder son calme, elle avait continué de jeter des ordres aux gens l'entourant, vérifiant que tout a avait été entreposés dans les voitures et donnant ses dernières recommandations quant à l'installation de la salle qui accueillerait les prisonniers en vue du procès qui serait ouvert pour réparer l'honneur violenté de la Bourgogne.
Eusaias avait enfin paru et elle avait pu cesser de penser, s'ingéniant à lui poser des questions futiles et se réjouissant de s'accrocher avec lui que n'aurait-elle fait pour ne plus réfléchir à propos de l'escorte. Il n'avait pas voulu en entendre parler, prétextant la nécessité de laisser Dijon sous bonne garde, repoussant un à un tous ses arguments. Non loin, ses bellâtres lombards, formant la Garde de Carpentras, malgré leur connaissance rudimentaire de la langue, avaient d'ores et déjà compris qu'ils ne seraient pas de l'escapade. Elle pourtant ne s'était pas tout de suite résignée, montrant que ce serait ses hommes à elle qui viendraient, avançant qu'elle se trouvait déjà dans l'obligation de voyager sans ses suivantes et qu'elle devrait se débrouiller seule par la suite. C'est qu'elle tenait à ses habitudes et qu'aucun événement ou projet ne l'avait jamais contrainte à y déroger; ne s'était-elle pas rendue à Genève, bastion de l'hérésie barbare, entourée de son train habituel? Elle avait finalement capitulé, du bout des lèvres, songeant que le Sémurois aurait été capable de la planter là et de partir sans elle, songeant davantage encore aux malles renfermant sa garde-robe qu'il aurait pu lui faire descendre des chariots. Son argument final la laissa vaguement irritée mais pas abattue pour autant, elle avait eu le temps de glisser un message à transmettre à un homme qu'elle ne connaissait que peu mais qui elle avait placée sa confiance, cédant comme toujours à son impulsivité native.
Dijon et son palais centenaire avaient été quittés, puis la capitale. Le voyage avait été agréable, malgré les circonstances qui y présidaient et elle était parvenue, à la faveur d'un sommeil qui lui avait été toujours été aisé, à dormir durant la plus grande part de la route.
La Champagne avait été ralliée, tard dans la soirée, et elle ne s'était pas attardée après le souper qui leur avait été servi dans l'auberge dans laquelle ils avaient fait halte pour la nuit. Et son appréhension l'avait à nouveau gagnée car elle se trouvait seule. Pas de chambrière pour la frictionner avec vigueur, pas de suivante pour l'assommer de son babil incessant. Elle s'était alors abîmée dans la prière, agenouillée à même le sol, ses yeux grands ouverts ne quittant pas le mur nu qui lui faisait face. Elle s'était finalement jetée dans son lit, au petit matin, ouvrant l'il bien trop tôt. Elle n'était pas parue à la collation du matin, ne descendant qu'au moment où il avait été question de reprendre la route.
Et la même routine de la route avait repris, le paysage champenois défilant cette fois sous les yeux des voyageurs. Langres avait été traversée, avec hâte, afin de rejoindre pour la nuit un relais proche de la frontière bourguignonne. De nouveau, la nuit fut partagée entre de longues prières fébriles, ses doigts ne cessant de jouer avec les grains du chapelet enroulé autour de son poignet droit et un sommeil trop court.
Deux jours s'étaient écoulés, elle se trouvait à Joinville, face à la prison du bourg.
Elle se laissa aller contre la banquette, les yeux clos et la bouche légèrement entrouverte. Elle ne pourrait rester indéfiniment ainsi, à l'extérieur, Eusaias l'attendait. Il était pour le moins étrange qu'elle qui avait tout fait pour ne pas se retrouver confrontée à ses pensées prenait maintenant le temps de réfléchir. Et elle s'accordait cette pause car elle savait qu'il était désormais trop tard. Elle était arrivée, il n'était plus question pour elle de se dérober.
Et curieusement, elle se sentait vide, comme si ses efforts pour ne plus être assaillie par ses doutes avaient porté leurs fruits. Mais était-ce vraiment une victoire? N'était-ce pas plutôt un ironique répit présageant qu'elle allait douter davantage sous peu? Il n'était plus temps de s'interroger, il fallait profiter de cette accalmie, elle serait de toute façon bien trop rapidement confrontée à ce qu'elle redoutait alors qu'elle l'avait appelé de ses vux.
Après un dernier coup d'il à son miroir dépoli afin d'ajuster quelques mèches s'échappant de la natte enroulée sur l'arrière de son crâne, elle prit une profonde inspiration et murmura quelque chose, suffisamment fort pour que la portière de son carrosse fut aussitôt ouverte. Et elle apparut dans l'encadrement, drapée dans sa mante de drap noir avant de poser sa main gantée dans celle que lui présentait un des valets. Elle mit pied à terre et fit quelques pas tant pour se délasser pour donner le change.
Elle posa alors son regard clair sur Eusaias. L'exécuteur des basses et hautes uvres de Bourgogne. Le bourreau. Le tourmenteur.
Elle était prête à entrer.
Et, toujours enroulé à son poignet, le chapelet se balançait doucement, bercé par les mouvements lents de la duchesse.
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Malementer = tourmenter... ^^
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