Rouge_gorge
...dans le doux parfum d'une fleur.
[Quelques saisons auparavant]
L'esprit était si confus et la pièce si feutrée que Rouge ne savait plus dire qui du soleil ou de la lune trônait dans le ciel à cet instant. Les boucles affaissées par le poids de l'eau, les gouttelettes ruisselantes le long des cheveux bruns venaient se faire marre sur le buste habillé d'une ample chemise colorée. Le tissu collait dans le dos vouté et moulait la poitrine pressée contre les genoux. Recroquevillée au milieu des draps, les prunelles sombres couvaient la flamme vacillante et hypnotique d'une bougie sur la table de nuit.
Une forte odeur de cire d'abeille embaumait la chambre: une fragrance commune, chaude et rassurante pour l'Oiseau. Son corps n'était que douleurs et sa tête que cauchemars. Les veines de son cuir marbré éclataient en ecchymoses violacées, tachant la toile par de nombreux endroits visibles ou non. Boucle Brune fut tirée de sa contemplation lorsque l'on toqua à la porte. La carcasse se déploya de toute sa hauteur et les pas jonchèrent habits épars, cadavres de bouteille, parchemins noircis et froissés ainsi que bandes maculées de sang. La pièce était un véritable bordel mais le faible éclairage camouflait bien le tout dans la pénombre.
D'une rotation de loquet, l'huis s'ouvrit et l'oeillade noire se posa sur la silhouette. Les iris de jais tremblaient, il y avait de la peur et de la culpabilité dans le regard marqué par les insomnies et la paranoïa mais au fond, tout au fond des limbes obscurcies, dansait l'espoir que tout n'était pas que noir. D'une main abimée, Rouge invita sa visiteuse à entrer. D'un roulement de poignet, elle désigna le bureau dans un coin. Le mobilier était couvert de cire d'abeille fondue. Le parchemin d'un contrat signé était lacéré tandis qu'un éclat de lame tranchante enroulé dans des lanières de cuir -manche de fortune- fichait les écrits dans le bois.
Entre.
Dans sa tenue légère, Rouge regagna sa couche. Un miroir de plein pied était orienté vers la literie. De ses doigts tailladés, l'Oiseau ouvrit un pot d'onguent et en extirpa une noisette qu'elle entreprit de réchauffer au creux de ses paumes. Le parfum qui se dégageait était boisé, piquant mais rafraichissant comme une clairière au milieu d'une forêt dense. En s'aidant de son reflet, Boucle Brune massa un hématome sur l'extérieur de sa cuisse. Le geste était délicat et minutieux.
Je ne sais pas qui tu es mais j'ai ouï dire que tu pouvais m'aider. J'ai besoin de pallier à de fortes douleurs aussi corporelles qu'émotionnelles. Qu'as-tu à me proposer?
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Avatar par l'illustrateur Skälv. Oeuvre personnalisée et protégée. Merci de ne pas la réutiliser ou la copier.