Emelyne.alois
___ Le matin poignait à peine. Le ciel gardait ses teintes sombres de la nuit, repoussée peu à peu par la lumière naissante à l'horizon flavescent, qui grandissait, grandissait. Une légère halte dans l'avancée des voitures pour reposer les chevaux et les hydrater, et Emelyne, qui avait eu un sommeil agité, en profita pour s'asseoir sur le marche-pied, et croquer dans une pomme, bien emmitouflée dans une couverture. Elle avait sorti un ensemble de feuilles reliées entre elles par des lanières, et recouvertes de cuir pour les protéger, lorgnant sur la première page où elle avait pris soin de noter en grandes lettres entrelacées pleines et déliées :
Au bout d'un moment, elle finit par froncer le nez, et gratta l'encre de sa main libre pour effacer ces mots. L'adolescente se promit de trouver un meilleur nom à ce qui lui servirait de journal de bord lors de ce périple. Plus tard. Lorsque l'inspiration lui viendra.
___ Elle tourna la page, et réfléchit un moment devant la suivante, encore vierge de mots. La jeune brune croqua à nouveau dans la pomme, et arma sa plume avant d'inaugurer le grand carnet de voyage.
Cher journal,
Nous y sommes. Nos premières lieues ont été avalées dans ce voyage qui nous mènera sur les terres lyonnaises de Maman.
La date a fini par être décidée par la décision de Papa de rentrer, pour retrouver sa compagne, et participer aux Ducales d'Orléans, mais la Providence a voulu que le départ coïncide avec l'arrivée de beaux jours. Les arbres sont toujours dénudés, les fleurs timides, mais tout dans l'air fait penser au Printemps. Il est là, il se fait sentir en emplissant nos poumons d'un regain d'énergie et d'envie, et les oiseaux sont en liesse. Même la nuit certains continuent leurs tours de chant. Cela fait un bien fou après ces quelques jours de giboulées précoces et de tempêtes, dont on ne trouve plus trace à présent tant le ciel est dépouillé de nuages pour laisser la lumière nous inonder en lieu et place de la pluie.
D'aucun dirait que le voyage commence sous les meilleurs augures. Pourtant... Pourtant, je n'arrive pas à avoir un avis tranché sur ce voyage. Je suis partagée. Je suis à la fois heureuse et excitée de voyager à nouveau, de revoir des paysages, de retrouver des connaissances, de retrouver le Dauphiné. Et à la fois, je sais que des choses difficiles nous attendent.
Ne serait-ce que parce que chaque foulée nous rapproche du moment où l'on sera séparé de Papa. Je préfère ne pas y penser. Je sais que c'est horrible de penser cela, et je m'en veux terriblement... Mais une part de moi voudrait que l'on n'arrive jamais dans l'Orléanais, bien que nous en sommes tout proches, afin qu'il puisse rester encore avec nous. Ce mois ensemble a été au-delà de mes espérances, moi qui n'a jamais pu beaucoup profiter de Papa, et qui avait désiré le voir durant toute mon enfance. Savoir que ce sera terminé plus tôt que prévu me peine. Je m'y attendais, je me fais une raison, je ne veux pas le montrer pour ne pas culpabiliser Papa, et je préfère ne pas y penser, alors je préfère penser positivement et profiter de chaque moment qu'il nous reste ensemble. Et puis, j'ai déjà une bonne réserve de merveilleux souvenirs avec lui.
Mais je préfère ne pas y penser.
Sinon...
En écrivant ces mots, la jeune Malemort pensa soudainement qu'elle ne ne souvenait pas avoir vu Papa cette nuit. Il devait sans doute être dans l'autre voiture, et n'a pas dû le remarquer à la faveur des ombres de la nuit.
Emelyne décolla son nez de sa feuille en sentant un frôlement contre sa jambe. C'était Satin, son jeune renard, assis sur son séant, qui arborait un air fier et heureux, sa douce queue duveteuse ondulant de satisfaction derrière lui. Il venait de déposer un mulot fraîchement tué à ses pieds. La petite brune retint un soupir et s'efforça de sourire au jeune animal pour ne pas prendre une mine dégoûtée et ne pas pousser un hurlement de frayeur comme son instinct lui commandait de faire. Elle prit avec crainte le bout de la queue du rongeur -paix à son âme- entre son pouce et l'index, fébrilement, et fit semblant de le gober après l'avoir fait glisser dans son dos, et de mâcher dans le vide devant l'air absolument ravi de Satin. Emelyne offrit ce qu'il restait de pomme à son renard en échange, et il s'en alla en sautillant de joie. Puis, elle fit voler le mulot dans les airs, loin, très loin, avec un air horrifié.
Et puis, il y a le passage à Dijon. Je n'y ai pas de bons souvenirs. Et surtout, Andreaaa devra se confronter à son frère qui y vit avec son épouse, et qui n'avait daigné lui répondre alors qu'elle a tenté de prendre contact avec lui et a attendu des mois de ses nouvelles. Je serai avec elle, je la soutiendrai. Mais je sais que ce sera pénible.
Et que dire du Dauphiné ? L'AAP relatait il y a quelques temps les incursions de Renards. La situation s'est calmée, paraît-il, mais il vaut mieux rester prudents. On sait ce que le retour des beaux jours ont comme effet sur les hommes : ils sortent de leurs torpeurs, et leurs instincts guerriers se réveillent. N'importe quel prétexte ferait l'affaire.
Mes frères vont me manquer aussi. Kÿe aussi. Ils restent à Argentan. Cela dit, Kÿe me manque depuis plusieurs mois, à présent.
Et puis... La dernière soirée à Argentan ne s'est pas très bien passée. Elle a été si éprouvante que je n'ai pu véritablement trouver le sommeil. Guise était d'humeur querelleuse, et il semblait bien irrité par le fait qu'Andreaaa parte du Duché avec nous. J'ai commis une erreur affreuse et présomptueuse. Je l'ai provoqué, pour qu'il dirige ses griefs contre moi et qu'il n'en veuille pas à Andreaaa. Il n'en a pas fallu beaucoup, d'ailleurs, pour qu'il me lance injures sur injures, gratuitement, et j'encaissais sans répondre, car c'était ce que je voulais après tout. Mais, je n'avais pas prévu qu'Ehmée s'en mêle. Peut-être que Guise avait tout compris, peut-être qu'il avait vu que ses insultes n'avait pas d'effet sur moi, peut-être qu'il voulait me faire mal autrement, ou peut-être qu'il a juste agi sans réfléchir. Mais il a administré une gifle magistrale à ma pauvre petite soeur.
J'en ressens encore l'impact dans mes entrailles, plus durement que si c'était moi qui avait reçu cette gifle. J'ai appliqué de l'arnica sur la joue d'Ehmée, et je l'ai sermonnée qu'elle était allée trop loin et que ce n'était pas la peine et qu'elle ne devrait pas agir ainsi. Mais elle était dans un état de colère et de haine pour Guise bien trop grand, et moi-même le coeur n'y était pas tant je m'en voulais. C'était de ma faute.
Je ne l'ai pas encore raconté à Maman. Cela aurait sans doute pris d'autres proportions si elle avait été mise au courant sans attendre, et de toute manière elle l'apprendra d'une manière ou d'une autre rapidement.
J'entends du bruit. Je vais voir qui s'est réveillé. Peut-être Papa ? Il y a une aire aménagée, pas loin. Peut-être y passerons-nous un peu de temps avant de reprendre la route.
Je te laisse pour l'heure, Journal, bien que je n'ai jamais compris pourquoi on devait s'adresser au journal, dans un journal. Mais ce sont les tous premiers mots de ce voyage de Printemps. Garde-les précieusement, s'il te plaît.
A bien vite.
Le matin avait pris ses aises, les ombres de la nuit étaient effacées, jusqu'à la prochaine.
Et Emelyne se rendit compte que Papa n'était pas là.
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Chroniques d'un voyage entre filles, ou presque
Au bout d'un moment, elle finit par froncer le nez, et gratta l'encre de sa main libre pour effacer ces mots. L'adolescente se promit de trouver un meilleur nom à ce qui lui servirait de journal de bord lors de ce périple. Plus tard. Lorsque l'inspiration lui viendra.
___ Elle tourna la page, et réfléchit un moment devant la suivante, encore vierge de mots. La jeune brune croqua à nouveau dans la pomme, et arma sa plume avant d'inaugurer le grand carnet de voyage.
Samedi 11 Mars 1465, Mâtines.
Entre Verneuil et la frontière orléanaise.
Entre Verneuil et la frontière orléanaise.
Cher journal,
Nous y sommes. Nos premières lieues ont été avalées dans ce voyage qui nous mènera sur les terres lyonnaises de Maman.
La date a fini par être décidée par la décision de Papa de rentrer, pour retrouver sa compagne, et participer aux Ducales d'Orléans, mais la Providence a voulu que le départ coïncide avec l'arrivée de beaux jours. Les arbres sont toujours dénudés, les fleurs timides, mais tout dans l'air fait penser au Printemps. Il est là, il se fait sentir en emplissant nos poumons d'un regain d'énergie et d'envie, et les oiseaux sont en liesse. Même la nuit certains continuent leurs tours de chant. Cela fait un bien fou après ces quelques jours de giboulées précoces et de tempêtes, dont on ne trouve plus trace à présent tant le ciel est dépouillé de nuages pour laisser la lumière nous inonder en lieu et place de la pluie.
D'aucun dirait que le voyage commence sous les meilleurs augures. Pourtant... Pourtant, je n'arrive pas à avoir un avis tranché sur ce voyage. Je suis partagée. Je suis à la fois heureuse et excitée de voyager à nouveau, de revoir des paysages, de retrouver des connaissances, de retrouver le Dauphiné. Et à la fois, je sais que des choses difficiles nous attendent.
Ne serait-ce que parce que chaque foulée nous rapproche du moment où l'on sera séparé de Papa. Je préfère ne pas y penser. Je sais que c'est horrible de penser cela, et je m'en veux terriblement... Mais une part de moi voudrait que l'on n'arrive jamais dans l'Orléanais, bien que nous en sommes tout proches, afin qu'il puisse rester encore avec nous. Ce mois ensemble a été au-delà de mes espérances, moi qui n'a jamais pu beaucoup profiter de Papa, et qui avait désiré le voir durant toute mon enfance. Savoir que ce sera terminé plus tôt que prévu me peine. Je m'y attendais, je me fais une raison, je ne veux pas le montrer pour ne pas culpabiliser Papa, et je préfère ne pas y penser, alors je préfère penser positivement et profiter de chaque moment qu'il nous reste ensemble. Et puis, j'ai déjà une bonne réserve de merveilleux souvenirs avec lui.
Mais je préfère ne pas y penser.
Sinon...
En écrivant ces mots, la jeune Malemort pensa soudainement qu'elle ne ne souvenait pas avoir vu Papa cette nuit. Il devait sans doute être dans l'autre voiture, et n'a pas dû le remarquer à la faveur des ombres de la nuit.
Emelyne décolla son nez de sa feuille en sentant un frôlement contre sa jambe. C'était Satin, son jeune renard, assis sur son séant, qui arborait un air fier et heureux, sa douce queue duveteuse ondulant de satisfaction derrière lui. Il venait de déposer un mulot fraîchement tué à ses pieds. La petite brune retint un soupir et s'efforça de sourire au jeune animal pour ne pas prendre une mine dégoûtée et ne pas pousser un hurlement de frayeur comme son instinct lui commandait de faire. Elle prit avec crainte le bout de la queue du rongeur -paix à son âme- entre son pouce et l'index, fébrilement, et fit semblant de le gober après l'avoir fait glisser dans son dos, et de mâcher dans le vide devant l'air absolument ravi de Satin. Emelyne offrit ce qu'il restait de pomme à son renard en échange, et il s'en alla en sautillant de joie. Puis, elle fit voler le mulot dans les airs, loin, très loin, avec un air horrifié.
Et puis, il y a le passage à Dijon. Je n'y ai pas de bons souvenirs. Et surtout, Andreaaa devra se confronter à son frère qui y vit avec son épouse, et qui n'avait daigné lui répondre alors qu'elle a tenté de prendre contact avec lui et a attendu des mois de ses nouvelles. Je serai avec elle, je la soutiendrai. Mais je sais que ce sera pénible.
Et que dire du Dauphiné ? L'AAP relatait il y a quelques temps les incursions de Renards. La situation s'est calmée, paraît-il, mais il vaut mieux rester prudents. On sait ce que le retour des beaux jours ont comme effet sur les hommes : ils sortent de leurs torpeurs, et leurs instincts guerriers se réveillent. N'importe quel prétexte ferait l'affaire.
Mes frères vont me manquer aussi. Kÿe aussi. Ils restent à Argentan. Cela dit, Kÿe me manque depuis plusieurs mois, à présent.
Et puis... La dernière soirée à Argentan ne s'est pas très bien passée. Elle a été si éprouvante que je n'ai pu véritablement trouver le sommeil. Guise était d'humeur querelleuse, et il semblait bien irrité par le fait qu'Andreaaa parte du Duché avec nous. J'ai commis une erreur affreuse et présomptueuse. Je l'ai provoqué, pour qu'il dirige ses griefs contre moi et qu'il n'en veuille pas à Andreaaa. Il n'en a pas fallu beaucoup, d'ailleurs, pour qu'il me lance injures sur injures, gratuitement, et j'encaissais sans répondre, car c'était ce que je voulais après tout. Mais, je n'avais pas prévu qu'Ehmée s'en mêle. Peut-être que Guise avait tout compris, peut-être qu'il avait vu que ses insultes n'avait pas d'effet sur moi, peut-être qu'il voulait me faire mal autrement, ou peut-être qu'il a juste agi sans réfléchir. Mais il a administré une gifle magistrale à ma pauvre petite soeur.
J'en ressens encore l'impact dans mes entrailles, plus durement que si c'était moi qui avait reçu cette gifle. J'ai appliqué de l'arnica sur la joue d'Ehmée, et je l'ai sermonnée qu'elle était allée trop loin et que ce n'était pas la peine et qu'elle ne devrait pas agir ainsi. Mais elle était dans un état de colère et de haine pour Guise bien trop grand, et moi-même le coeur n'y était pas tant je m'en voulais. C'était de ma faute.
Je ne l'ai pas encore raconté à Maman. Cela aurait sans doute pris d'autres proportions si elle avait été mise au courant sans attendre, et de toute manière elle l'apprendra d'une manière ou d'une autre rapidement.
J'entends du bruit. Je vais voir qui s'est réveillé. Peut-être Papa ? Il y a une aire aménagée, pas loin. Peut-être y passerons-nous un peu de temps avant de reprendre la route.
Je te laisse pour l'heure, Journal, bien que je n'ai jamais compris pourquoi on devait s'adresser au journal, dans un journal. Mais ce sont les tous premiers mots de ce voyage de Printemps. Garde-les précieusement, s'il te plaît.
A bien vite.
Le matin avait pris ses aises, les ombres de la nuit étaient effacées, jusqu'à la prochaine.
Et Emelyne se rendit compte que Papa n'était pas là.
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