Archibald_ravier
Nu dans son bain, Archibald se laisse aller un bref instant à la volupté et à la langueur que l'eau brulante s'enroulant autour de ses côtes lui procure. De ses côtes. Oui.
Il rouvre les yeux qu'il avait fermés, pour regarder ses pieds, ses jambes repliées où l'articulation du genou semble plus épaisse qu'une cuisse. Le constat est sans appel. Il est maigre à pleurer, alors qu'en quittant le port il s'arrondissait de quelques livres à force d'accompagner Opaline dans ses repas.
Il en grimaça, brièvement, avant que de se prendre un savon par dessus l'épaule. Il se demanda lui aussi par quel prodige cette chose pouvait flotter, mais il resta muet. Il était plus facile de laisser Alphonse mener la conversation. Il lui fallait du temps pour organiser ses pensées, du temps pour savourer l'idée qu'il allait être propre. Du temps pour appréhender que c'était Alphonse là, dans son dos, qui lui demandait de pencher la tête en avant.
Les coudes appuyés sur ses genoux, pour maintenir hors de l'eau ses mains et ses poignets bandés, il s'exécuta, son dos s'arrondissant au point de tendre sa peau sur son échine, et ferma les yeux. Il eu même le temps de rougir de honte sous sa barbe hirsute, avant que son cerveau ne fisse l'effort de décrypter l'humour sous les mots. L'humour et l'ironie comme repoussoir au désespoir. Ce n'était pas lui qui allait blâmer Alphonse de l'employer, quand il en avait fait sa marque de fabrique.
Il ne répond pas, toujours, parce qu'il essaie de rassembler des bribes de pensées qui surgissent dans son cerveau, pour replonger aussitôt dans le brouillard. Pourquoi Alphonse ? Cela fait des jours qu'il savait que la première chose qu'il demanderait à Faust serait un bain. Qu'il n'y avait qu'avec lui qu'il pourrait affronter l'étendue du désastre qu'il était devenu.
Mais c'était à Alphonse qu'il avait demandé.
C'est Alphonse qui avait tout organisé, et encore lui qui était là, prêt à le laver, quand Archibald se serait contenté des mains rêches d'une nonne. Alphonse qui préservait le peu de dignité qu'il lui restait, après avoir passé des semaines à n'être touché que comme un objet. Nettoyé à la va-vite entre quelques cuillerées de brouet et un changement de bandages suintants.
Alphonse, qui prit la parole encore une fois. En traitre, alors que sa main pesait déjà sur lui pour l'empêcher de relever la tête. Il n'eut même pas le temps de répondre. C'est peut être mieux. Peut être pas. Archibald est trop dans le flou pour décider. Il se tait encore, rendu muet aussi bien par la phrase aux accents de rocaille que par l'eau chaude ruisselant jusque sur ses épaules.
Il se concentra sur les sensations. Les bruits. Les odeurs. Tout, plutôt que de penser qu'il n'évoquait que la pitié au regard d'Alphonse.
Et puis non.
Cela n'était pas possible, Alphonse ne se laisserait pas guider de tels mots par un sentiment aussi vague que la pitié. Il a choisi le moment en traitre, ou alors c'est sorti tout seul, mais ce n'est pas le corps débile et pitoyable du marin qui le lui a inspiré.
Archibald inspire, et chasse du mieux qu'il peut le nud qui se forme dans sa gorge. Il va falloir aller chercher la vérité loin, derrière les opiacées, le manque, la fièvre, et la terreur indicible qui vit au creux de son ventre depuis les instants où il a compris que son navire était perdu, et leurs vies avec.
- Moi je ne la regrette pas.
Pause. Réfléchis, Archibald. Bon sang, c'était quand même pas facile en ce moment !
- J'y ai appris... beaucoup. De choses. Autant sur vous que sur moi. Non. Ce n'est pas ça que je veux dire. J'y ai appris...
Qu'Alphonse n'est pas un dieu d'airain qu'on garde sur un piédestal doré en se sentant tout petit à côté.
- Tout ce que l'on ne s'était pas dit au moment où il aurait fallu les dire. Et qu'une rupture amicale blesse plus fort qu'une rupture amoureuse.
Là. Elle est là, la faille. La voix usée qui se brise. Les épaules qui s'affaissent, encore un peu plus.
- Que le présent que vous m'avez fait avait un prix... un prix indicible... et moi... moi... je l'ai coulé...
Et avec le Refuge, si bien nommé, tout avait sombré. L'espoir d'une amitié ressoudée. Ou nouvelle. Changée, mais existante. D'amours sereines. D'une vie au large. De calme. D'apaisement. Une maison, un lieu, le seul lieu où ils pouvaient être qui ils sont, sans se cacher. Un cadeau, un fardeau, l'âme du capitaine.
Savaient ils seulement, Faust et Alphonse, ce qu'il lui avait coûté d'énergie de leur envoyer un mot ? Qu'il ne l'avait pas fait pour les appeler à son secours, mais parce qu'il avait coulé leur navire, et qu'il en crevait de culpabilité ?
- Ils étaient deux. Les navires. Ils étaient deux mais ils étaient pas ensemble, enfin je crois pas. Quand le premier nous a attaqués Richard a préparé les filles à fuir, et j'l'ai obligé à aller avec elles. On était pas loin de la côte. Dans la pénombre, j'sais même pas si les navire les ont vu fuir. J'ai j'té mes chiens à la flotte, en espérant qu'ils gagn'raient l'rivage et que quelqu'un saurait voir leur valeur et leur donnerait une maison. Chaussette a suivi Opaline, mais Narcisse a pas compris, il a nagé près du navire jusqu'à la fin. On est restés à bord l'plus possible en voyant arriver l'second, on s'est dit que ptet il chassait le pirate. Mais non. Il a foncé droit sur nous. Alors on a sauté à l'eau, et Jörgen s'est brisé les jambes à c'moment là et il remontait pas, j'le voyais nulle part, même en plongeant. Il y avait des débris partout. C'est Narcisse qui l'a r'monté, c'est lui qui l'a sauvé. J'ai réussi à les hisser tous les deux sur un bout d'bois et j'me suis encordé et j'nous ai poussés loin d'là. Longtemps, je sais plus trop bien. Jörgen a r'pris connaissance puis il a r"sombré et moi aussi. Si j'ai bien compris c'est l'chien hurlant sur l'eau qui a permis au navire marchand d'nous récupérer. L'premier port d'escale pour eux c'était Marseille alors... voilà. J'ai coulé votre navire.
Et sans vraiment le réaliser, il s'était mis à pleurer, lavant son angoisse sous une saccade de mots télescopés quand Alphonse lavait son corps grelottant de fièvre.
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Il rouvre les yeux qu'il avait fermés, pour regarder ses pieds, ses jambes repliées où l'articulation du genou semble plus épaisse qu'une cuisse. Le constat est sans appel. Il est maigre à pleurer, alors qu'en quittant le port il s'arrondissait de quelques livres à force d'accompagner Opaline dans ses repas.
Il en grimaça, brièvement, avant que de se prendre un savon par dessus l'épaule. Il se demanda lui aussi par quel prodige cette chose pouvait flotter, mais il resta muet. Il était plus facile de laisser Alphonse mener la conversation. Il lui fallait du temps pour organiser ses pensées, du temps pour savourer l'idée qu'il allait être propre. Du temps pour appréhender que c'était Alphonse là, dans son dos, qui lui demandait de pencher la tête en avant.
Les coudes appuyés sur ses genoux, pour maintenir hors de l'eau ses mains et ses poignets bandés, il s'exécuta, son dos s'arrondissant au point de tendre sa peau sur son échine, et ferma les yeux. Il eu même le temps de rougir de honte sous sa barbe hirsute, avant que son cerveau ne fisse l'effort de décrypter l'humour sous les mots. L'humour et l'ironie comme repoussoir au désespoir. Ce n'était pas lui qui allait blâmer Alphonse de l'employer, quand il en avait fait sa marque de fabrique.
Il ne répond pas, toujours, parce qu'il essaie de rassembler des bribes de pensées qui surgissent dans son cerveau, pour replonger aussitôt dans le brouillard. Pourquoi Alphonse ? Cela fait des jours qu'il savait que la première chose qu'il demanderait à Faust serait un bain. Qu'il n'y avait qu'avec lui qu'il pourrait affronter l'étendue du désastre qu'il était devenu.
Mais c'était à Alphonse qu'il avait demandé.
C'est Alphonse qui avait tout organisé, et encore lui qui était là, prêt à le laver, quand Archibald se serait contenté des mains rêches d'une nonne. Alphonse qui préservait le peu de dignité qu'il lui restait, après avoir passé des semaines à n'être touché que comme un objet. Nettoyé à la va-vite entre quelques cuillerées de brouet et un changement de bandages suintants.
Alphonse, qui prit la parole encore une fois. En traitre, alors que sa main pesait déjà sur lui pour l'empêcher de relever la tête. Il n'eut même pas le temps de répondre. C'est peut être mieux. Peut être pas. Archibald est trop dans le flou pour décider. Il se tait encore, rendu muet aussi bien par la phrase aux accents de rocaille que par l'eau chaude ruisselant jusque sur ses épaules.
Il se concentra sur les sensations. Les bruits. Les odeurs. Tout, plutôt que de penser qu'il n'évoquait que la pitié au regard d'Alphonse.
Et puis non.
Cela n'était pas possible, Alphonse ne se laisserait pas guider de tels mots par un sentiment aussi vague que la pitié. Il a choisi le moment en traitre, ou alors c'est sorti tout seul, mais ce n'est pas le corps débile et pitoyable du marin qui le lui a inspiré.
Archibald inspire, et chasse du mieux qu'il peut le nud qui se forme dans sa gorge. Il va falloir aller chercher la vérité loin, derrière les opiacées, le manque, la fièvre, et la terreur indicible qui vit au creux de son ventre depuis les instants où il a compris que son navire était perdu, et leurs vies avec.
- Moi je ne la regrette pas.
Pause. Réfléchis, Archibald. Bon sang, c'était quand même pas facile en ce moment !
- J'y ai appris... beaucoup. De choses. Autant sur vous que sur moi. Non. Ce n'est pas ça que je veux dire. J'y ai appris...
Qu'Alphonse n'est pas un dieu d'airain qu'on garde sur un piédestal doré en se sentant tout petit à côté.
- Tout ce que l'on ne s'était pas dit au moment où il aurait fallu les dire. Et qu'une rupture amicale blesse plus fort qu'une rupture amoureuse.
Là. Elle est là, la faille. La voix usée qui se brise. Les épaules qui s'affaissent, encore un peu plus.
- Que le présent que vous m'avez fait avait un prix... un prix indicible... et moi... moi... je l'ai coulé...
Et avec le Refuge, si bien nommé, tout avait sombré. L'espoir d'une amitié ressoudée. Ou nouvelle. Changée, mais existante. D'amours sereines. D'une vie au large. De calme. D'apaisement. Une maison, un lieu, le seul lieu où ils pouvaient être qui ils sont, sans se cacher. Un cadeau, un fardeau, l'âme du capitaine.
Savaient ils seulement, Faust et Alphonse, ce qu'il lui avait coûté d'énergie de leur envoyer un mot ? Qu'il ne l'avait pas fait pour les appeler à son secours, mais parce qu'il avait coulé leur navire, et qu'il en crevait de culpabilité ?
- Ils étaient deux. Les navires. Ils étaient deux mais ils étaient pas ensemble, enfin je crois pas. Quand le premier nous a attaqués Richard a préparé les filles à fuir, et j'l'ai obligé à aller avec elles. On était pas loin de la côte. Dans la pénombre, j'sais même pas si les navire les ont vu fuir. J'ai j'té mes chiens à la flotte, en espérant qu'ils gagn'raient l'rivage et que quelqu'un saurait voir leur valeur et leur donnerait une maison. Chaussette a suivi Opaline, mais Narcisse a pas compris, il a nagé près du navire jusqu'à la fin. On est restés à bord l'plus possible en voyant arriver l'second, on s'est dit que ptet il chassait le pirate. Mais non. Il a foncé droit sur nous. Alors on a sauté à l'eau, et Jörgen s'est brisé les jambes à c'moment là et il remontait pas, j'le voyais nulle part, même en plongeant. Il y avait des débris partout. C'est Narcisse qui l'a r'monté, c'est lui qui l'a sauvé. J'ai réussi à les hisser tous les deux sur un bout d'bois et j'me suis encordé et j'nous ai poussés loin d'là. Longtemps, je sais plus trop bien. Jörgen a r'pris connaissance puis il a r"sombré et moi aussi. Si j'ai bien compris c'est l'chien hurlant sur l'eau qui a permis au navire marchand d'nous récupérer. L'premier port d'escale pour eux c'était Marseille alors... voilà. J'ai coulé votre navire.
Et sans vraiment le réaliser, il s'était mis à pleurer, lavant son angoisse sous une saccade de mots télescopés quand Alphonse lavait son corps grelottant de fièvre.
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