Aktarion ne dormait plus vraiment ces dernières nuits.
Il se passait des choses en Poitou qui ne plaisaient pas du tout à l'ancien mercenaire et, avec le temps, l'homme nouveau qui était née dans ces terres avait fini par y trouver une forme d'attachement, au delà des personnes, au delà des amitiés, ne serait-ce désormais que par la mousse naissante sur une pierre d'un édifice connu... Il était devenu pleinement Poitevin sans même s'en rendre compte.
Au fil du temps, il s'était fait des relations, certaines puissantes, d'anciens ducs ou duchesses, des capitaines du Poitou, d'anciens juges ou encore prévôts et bien sûr toujours en poste en maréchaussée il avait accès à tant d'informations qu'il pouvait en avoir le tournis.
Malheureusement, pratiquement toutes ces relations étaient bien encore d'avantage en sommeil que lui depuis quelques saisons.
Seul maître Xedar répondait toujours présent et avait répondu également à sa missive. Mais à lui seul il n'avait pas pu empêcher que l'on vole la voix du peuple.
Fulminant, l'ancien tisserand avait senti alors la bête se rappeler à son bon souvenir.
Discrète.
A peine perceptible.
Une brise sur le dessus de l'eau, si légère, si tenue, sans remous ni de petite ride, à peine un frisson.
Une pointe d'obscurité dans le noir le plus profond.
Un exutoire, une respiration, vite !
Une vision fuguasse, des mèches blondes, un papillon...
Il avait entendu des choses, un mariage, elle préparait les tenues d'un mariage....
Une idée.
Il saisit son trousseau de clefs de la Dentelle Bleue, passa par la lourde porte intérieure aménagée entre sa maison et la boutique, alluma plusieurs cierges et s'assit machinalement à son ancienne table.
L'oeil alerte mais perdu dans un ailleurs vaguement céleste, il dessina un croquis, le geste vif, précis, rapide, fiévreux.
Il respira profondément et se posa un instant après l'avoir achevé.
Puis il repris une autre feuille et commença à croquer les patrons nécessaires.
Une fois ces prémices terminés, il regarda autour de lui, se leva, farfouillant un peu de ci delà, sorti les instruments dont il avait le besoin puis se mit au travail.
Il n'aurait su dire combien de temps lui prit la chose, il remplaça les cierges à maintes reprises, les soufflait quand le soleil était levé, les rallumait à la tombée de la nuit.
Les yeux fatigués par la besogne et le manque de sommeil, il s'arrêta pour aller se rafraîchir. Repassant dans sa maison, il versa de l'eau dans une bassine et s'aspergea le visage. Cinglante, la chose raviva son esprit.
De retour dans la Dentelle, il pu constater à sa propre surprise que son ouvrage était presque terminé.
Il pensa à la jeune femme, se focalisa sur sa taille, fixa son regard sur un point dans le vide, dessina de la main une arabesque dans l'air. Avec le temps et l'expérience, il pouvait définir les mesures sans risque de la moindre erreur, à la seule lueur de sa mémoire.
Terminant les retouches et finitions, il se décida à ouvrir une fenêtre afin de profiter pleinement de l'éclairage du soleil.
Plissant les yeux, il regarda la robe et, après un long moment, un léger sourire finit par naître sur ses lèvres fatiguées.
Il déposa en 10 minutes la note finale.
Rangea la robe dans un emballage de soie, le tout posé dans une grande boite de forme rectangulaire.
Pris sa plume, son encrier.
Écrivit.
Qu'à jamais elle soit vôtre, ainsi que je l'ai conçu et décidé.
A jamais vôtre, tel votre prénom qui résonne et sentrelace dans toutes ses fibres.
Qu'à jamais je n'oublierais ces lettres sur lesquelles j'ai fait courir mon aiguille le long du fil.
A jamais vôtre.
Aktarion
Juste avant de partir, il plia le mot et le plaça dans la boite.
Sur la partie intérieure du col de la robe, au niveau de la base de la nuque, des lettres brodées.
Au nombre de six.
Arylis