Sixte_
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Lécurie se traverse dun rayon de lumière éclatant et frappe un ballot de foin. Il y a dans le bâtiment lodeur forte des chevaux partageant leurs saturations à celles du fourrage ; malgré les portes ouvertes, lair de cette journée daout stagne, se transperçant mollement dun aboiement lointain. Le domaine, paisible, somnole dune léthargie heureuse, et ceux qui ne travaillent pas à la fraicheur de lintérieur sont allés jusquà la petite rivière pour y trouver le salut.
Lui, a choisi le haras dont deux des box sont vides ; Sixte se tient dans lun deux et il ny est pas seul.
La porte du box est restée entrouverte et cela importe peu ; il ny a bien que le palefrenier pour y trainer à cette heure et cest justement lui quil est venu trouver.
Sous les doigts de Sixte, la ceinture a glissé, langue dun cuir souple quil a éprouvé dun pouce méticuleux et pend dune nonchalance le long de sa cuisse, frôlant les bris de paille que lon vient juste de changer.
La commissure se pare dun sourire.
Et sa proie est là.
Fauché aux genoux dune traitrise tandis quil finissait détendre la paille fraiche, Baldric est tombé en avant, front percutant le mur en bois et sy sonnant de quelques instants, surpris, hébété. Il a dix-sept, peut-être dix-huit ans, les cheveux blonds ; nouveau sur le domaine, recommandé par lon ne sait quel client de son père, il est arrivé le mois dernier et loge dans le cabanon dà côté. Si lon lui demandait, Sixte ne serait pas étonné que sa tante y soit allée se faire trousser à loccasion; ses écarts sont un de ces faux secrets que son père et sa sur taisent dune charité affichée quand lui ny prête pas le moindre intérêt, trop indifférent , trop lointain, pour cerner le poids dun tel héritage aux épaules juvéniles de sa cousine...
Jusquà ce matin.
La ceinture ligature la paume de deux tours et se tend de quelques centimètres dun claquement sec pour assurer la prise en même temps que le pied sabat sans sommation sur le visage qui se relève vers lui, hébété ; larcade sourcilière séventre contre le talon et ouvre la gorge du jeune homme dun cri de douleur.
Chhht.
Le pied revient sabattre dun angle prémédité dans les côtes.
Tu parles trop.
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Domaine DAragon, Août 1463
- Sixte a seize ans.
Les années ont changé lenfant et étirent déjà ladolescent à ses premiers airs dadulte. La lèvre est fine, les joues creuses, et le menton net, ossature mâle qui se contredit à la délicatesse dun teint de porcelaine ; au pic des après-midi radieuses, DAragon ne récolte jamais que des coups de soleil.
La pratique de la chasse a forgé le corps autant que la tête ; le jeune archer a les épaules pleines, les bras solides, le cou étiré, de longues mains qui ne tremblent pas et un regard gris qui semble toujours à laffut dun détail. Léquitation, elle, a taillé les habitudes de la chair dune adresse, dune souplesse qui ne vaut quà ceux qui savent se mouvoir dun écho à leur monture là où léducation dispensée par ses professeurs a assis à lesprit la vanité de sa condition, lautorité des savoirs et laisance de la parole.
Lécurie se traverse dun rayon de lumière éclatant et frappe un ballot de foin. Il y a dans le bâtiment lodeur forte des chevaux partageant leurs saturations à celles du fourrage ; malgré les portes ouvertes, lair de cette journée daout stagne, se transperçant mollement dun aboiement lointain. Le domaine, paisible, somnole dune léthargie heureuse, et ceux qui ne travaillent pas à la fraicheur de lintérieur sont allés jusquà la petite rivière pour y trouver le salut.
Lui, a choisi le haras dont deux des box sont vides ; Sixte se tient dans lun deux et il ny est pas seul.
- A limage de la silhouette, le caractère lui aussi sest affiné.
LOrgueil, matière première de la famille, a trouvé un logis confortable chez le jeune homme et ses exploits à la chasse lont couronné dune certaine arrogance ; il ny a bien quauprès des maitres veneurs quil se distingue dune modestie avide, dune saine compétition qui apprend autant que respecte chaque enseignement. Cest auprès de son père que se nourrissent ses travers, dans lombre haute du Stationnaire devant qui lon jette le cerf, le sanglier, ou la guirlande de faisans au retour dune campagne comme une sainte obole au Dieu Tout Puissant ; bile lui parfume toujours le palais dune satisfaction brulante lorsque Valère dAragon ne trouve rien à redire.
Les filles ne lintéressent pas vraiment; trop délicates, à lheure où il sexalte dune course, lil rivé sur le gibier, elles piaillent à leurs boudoirs ou devant leur miroir, scindant le monde dun manichéisme intact auquel il laisse dune indifférence tout le mystère des frontières. Sil est de bon ton quil sacrifie son temps dune bienséance auprès de quelques-unes dont lunion profiterait à la famille, le désir est encore trop vif chez le garçon pour quil goute le plaisir des sortilèges; culbuter une bonne dans un coin de la pièce ou une bergère dans son prés sont dagréables passe-temps auxquels il préfère encore la compagnie des hommes, les odeurs de forêts, la virilité des silences sanglants.
La porte du box est restée entrouverte et cela importe peu ; il ny a bien que le palefrenier pour y trainer à cette heure et cest justement lui quil est venu trouver.
Sous les doigts de Sixte, la ceinture a glissé, langue dun cuir souple quil a éprouvé dun pouce méticuleux et pend dune nonchalance le long de sa cuisse, frôlant les bris de paille que lon vient juste de changer.
La commissure se pare dun sourire.
- Il sera beau garçon. Pour lheure, il est encore au croisement des délicatesses et des brutalités, et sil plait, cest dun magnétisme que lon doit aux insouciances de séduire ; de bonne compagnie lorsquil est bien luné, le garçon, au contraire de son père, est un bon vivant qui apprécie le vin et y être entouré, plaisantant, samusant, quêtant son lit aux premières lueurs du jour pour y sombrer dune nuit blanche, le rire encore aux bords des lèvres.
Et puis il y a le reste. Ce reste en racines profondes, dont chaque rhizome sest enlacé aux os et quune noirceur intacte abreuve depuis maintenant huit ans. Ce reste qui assure la main, lie la colonne vertébrale, et donne aux gris des yeux limmensité des orages à ses plus vifs instincts.
Sixte a le gout des mises à mort.
Forgé dun regret, adoubé dun trophée, absout dun mouchoir, il a appris de son erreur, et y a nourri dune piété sincère autant que fascinée chacune de ses heures dapprentissage ; réputé pour sa précision, malgré son jeune âge, cest à lui que revient lhonneur dégorger le cerf ou de poignarder le sanglier et lanimal, jamais, ny tressaute dune agonie inutile.
Ce matin, il était au chenil lorsquil a entendu les cris ; derrière le haut muret, la voix familière d'un jeune homme, empattée dune excitation mauvaise sest emportée au silence du chemin, saccompagnant de quelques ricanements garçons. Les mots ont semblé anodins, "Telle mère, telle fille", jetés fort et haut aux pas séloignant sur le gravier de lallée, mais le visage de Providence en débouchant alors dune colère livide leur a donné le poids dense des injures assassines. Autant la traiter de putain
Ce fut un instant blanc, où le cur est venu battre dune note brutale aux tempes et a éclairé les ombres jusquà les rendre translucides, lisibles, une infime clarté qui sest insinuée aux veines dune immédiateté et a subjugué lâme dune colère souveraine.
Sa cousine est sacrée, parfaite créature dont les yeux toujours le bénissent dune bienveillance complice et dont la bouche close suturée dun secret lui sourit sans férir depuis son premier crime ; sils se fréquentent peu en dehors de leurs obligations, ils se savent tous les deux et cela suffit aux attachements les plus sincères.
Immobile chasseur, invisible cousin, il na pas bougé, la laissée passer sans se précipiter à sa suite, et nourri dune ferveur enfantine, a tendu loreille pour assurer avec certitude lidentité de sa proie.
Et sa proie est là.
Fauché aux genoux dune traitrise tandis quil finissait détendre la paille fraiche, Baldric est tombé en avant, front percutant le mur en bois et sy sonnant de quelques instants, surpris, hébété. Il a dix-sept, peut-être dix-huit ans, les cheveux blonds ; nouveau sur le domaine, recommandé par lon ne sait quel client de son père, il est arrivé le mois dernier et loge dans le cabanon dà côté. Si lon lui demandait, Sixte ne serait pas étonné que sa tante y soit allée se faire trousser à loccasion; ses écarts sont un de ces faux secrets que son père et sa sur taisent dune charité affichée quand lui ny prête pas le moindre intérêt, trop indifférent , trop lointain, pour cerner le poids dun tel héritage aux épaules juvéniles de sa cousine...
Jusquà ce matin.
La ceinture ligature la paume de deux tours et se tend de quelques centimètres dun claquement sec pour assurer la prise en même temps que le pied sabat sans sommation sur le visage qui se relève vers lui, hébété ; larcade sourcilière séventre contre le talon et ouvre la gorge du jeune homme dun cri de douleur.
Chhht.
Le pied revient sabattre dun angle prémédité dans les côtes.
Tu parles trop.
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