Else
RP recopié depuis la gargote alençonnaise
Les pentes douces de Longny-au-Perche sétiraient au soleil du début de lété. Sous le pas de Bazh, Mérens flegmatique à la robe lustrée, un généreux damier agricole ondoyait comme un grand drap. Çà et là, au bord de la Jambée quil remontait depuis une petite heure, létincelle des premières forges et les révolutions de moulins solitaires. Au loin, en trame du fort guerrier pelotonné dans son vallon, les pieds plongés dans un coussin de toitures, de ravissantes collines ; et puis une forêt drue, sans doute giboyeuse. Tous attraits que frôlait le regard nébuleux de la cavalière, visage orgueilleusement offert au vent, caressant les lisières, songeant, oh ! pas à lever ces voiles, mais aux promesses quils agitaient doucement. Sen contenter. Pour lheure.
Évidemment, la paysannerie et lartisanat étaient à pied duvre depuis laube. Certains, de loin en loin, interrompaient le travail de la terre ou du métal pour saluer cette silhouette inconnue qui leur rendait un signe sobre, avant de poursuivre en direction de son but : la forteresse de Longny.
À lapproche de la ville, les rencontres se multiplièrent plus vite que les politesses. Tourne le monde. Gens pressés ne sinquiètent dune passante, même montée ; et celle-ci, de toute évidence, nappelait de son rang (ni de ses vux, dailleurs) aucune marque de déférence particulière. Elle engagea sa monture à presser le pas vers le dédale des bâtisses, où le brouhaha de la vie le disputait à la clameur des forges. Tant de forges. Le fer de Longny soignait sa réputation. Un vacarme de métal sélevait comme un hymne au pied des murailles dressées pour la guerre. Cerbère, maîtresse des lieux, les avait sculptés à son image. Évidemment ? La cavalière pensive traversa un pont étroit, assez solidement étayé pour soutenir plusieurs chevaux par des renforts de fer, encore. Sans doute, il nétait pas donné à tout le monde dimprimer son image sur un fief. De laisser une trace quelconque, sur quoi que ce fut. Samsa Treiscan possédait ce talent. Sa terre chantait la vigueur et la guerre ; et son fer essemait, et ses chevaux, et bientôt ses chiens, tant soit peu, au service de son idéal. Jusquau flanc de Bazh. Quelle étrangeté
Car dans un fourreau improvisé, noué à la selle, une canne de noisetier flambant neuve, portant pommeau de basalte à leffigie du quadrupède (dans une version notablement plus énergique), avait remplacé le vieux bâton de la même essence qui accompagnait la cavalière depuis des lustres. En son cur, un secret de métal : une lame solide, épaisse, mais piquante comme un dard. Cest de cette épée en habit de faiblesse que la faiblarde, pacifique, cabocharde porteuse venait apprendre à se servir. Éliaz en lapprenant, quelques jours plus tôt, nen avait pas cru ses oreilles. « Vous. Une canne-épée. » Notions contradictoires à plus dun titre. Pourtant, il navait pas ri comme elle sy attendait. Les vrais plaisants le savent : la plaisanterie est affaire sérieuse, à manier avec égards. Un simple sourire avait fendu la bouille baignée de chaleur filiale, et dun balancement vif de sa crinière auburn, il avait approuvé. « Ça vous va bien, au fond. » Elle en aurait pleuré.
Parvenue au bord du fossé profond comme deux hommes, peut-être davantage, la femme leva les yeux vers le faîte crénelé du mur denceinte. Le drapeau noir et or flottait au vent. Parfum de gloire et de puissance certes pas les effluves fleuris dune noblesse de salon, ni ceux évanescents de laristocratie en vacances mais impérieux, entêtants, presque intimidants ? Une seconde, la cavalière regimba. Toute lextravagance de sa situation lui sautait à la gorge. Elle la connaissait, du reste : nétait faite ni pour la guerre, ni pour la noblesse, mais seulement pour tolérer lune et lautre comme des maux peut-être nécessaires, plutôt inévitables, à cause de la folie des hommes. Que fais-tu là, folle toi-même ? convaincue que tu es que ces châteaux de sable finiront par tomber, un jour, bientôt lorsque le flot des invisibles saisira en droit ce que ses faux maîtres lui cèdent déjà en fait et que cette révolution même ne servira de rien. Que fais-tu là, toi que le pouvoir dégoûte ? qui nas plus que détestation pour la couronne et pour le reste ? toi qui remettras tout en cause, tout, peut-être pour rien
Il nétait plus temps dinterroger linjustice ou la justesse de ses considérations révoltées ; un garde au poitrail fier (bombait-il le torse H24 ? ou réservait-il sa superbe aux visiteurs ?) la héla.
Lallure de cette créature-ci ne lui rappelait rien. Elle ne payait pas de mine. Vêtue détoffes simples, teintes au brou de noix proprement reprisées, mais reprisées tout de même. Voyageuse, peut-être. Économe, certainement. Rien de la coquetterie que lon prête aux femmes (mais un serviteur de Longny savait mieux que de sen étonner) ; en revanche, menton haut. Visage net, presque dur. Regard droit. Blonde, mais dune blondeur corrodée par le temps et en plissant les yeux, comme il avait bonne vue, lhomme nota un liseré neigeux à la naissance de sa chevelure. Pas si vieille, pourtant. Peu de rides autour des lèvres de celles qui trahissent une personnalité riante ; davantage sous les yeux, oh ! toutes légères, sillons rien creusés dans la peau bleuâtre. Et toujours ces yeux qui le scrutaient, ces yeux comme un ciel dorage, couvant lirritation dêtre dévisagée tandis quelle le saluait et déclinait son nom. Kermorial, vous dites ?
- Oh. La baronne vous attend.
Sur la terre de la basse-cour, les fers de Bazh battirent une apaisante mesure et le rassemblement des pensées de sa cavalière. Au-delà de létiquette quelle ne respectait plus (lavait-elle jamais fait autrement que par concession ?), la « baronne », cétait Samsa Treiscan. Si telle société avait un sens quelconque, sûrement ce spécimen en méritait les honneurs. Voilà, au moins, qui se comprenait. Voilà un terrain dentente.
Passée la seconde herse, Kermorial mit pied à terre, tira sa canne lacée de cuir et accorda des caresses reconnaissantes à sa monture. Elle se laissait rarement voler le privilège den prendre soin ; et encore, exclusivement par Éliaz. Ou par Ifig, naguère Elle chassa cette pensée en confiant les rênes (et une recommandation) à un page. Sûrement, la maîtresse des lieux ne tolérerait pas que lon maltraitât une bête ; elle les aimait trop. Témoin les écuries, qui faisaient fière mine. Bazh, du reste, en prenait placidement le chemin, parfaitement oublieux du level up question standing. Alors, la visiteuse prit seule le chemin du donjon, avisant ça et là les pierres mi-enterrées qui minaient sa route. Au fond, songea-t-elle, si perdue puisse-t-elle être dans les bras trapus de cette forteresse, elle ne risquait pas de déparer ; Treiscan nentretenait pas le goût des joliesses. Un mantra comme un autre. Elle grimpa lescalier avec lenteur, encore engourdie par sa chevauchée, et poussa la porte de la grand-salle.