Vittorina
Citation:
De Samsa Treiscan, dicte Cerbère, Vicomtesse de Luzarches, Baronne de Longny-au-Perche et Dame de Lansac,
A Vittorina Gloria Alzo, Dame de Puiseux,
Salutations.
Nous nous étions vues à Limoges il y a quelques semaines, et vous me disiez chercher un petit chien qui pourrait vous tenir compagnie. Connaisseuse de l'espèce canine, bien que n'en élevant pas de petite taille et destiné à la compagnie, il se pourrait que j'eusse trouvé une race pouvant vous seoir.
C'est comme un épagneul, mais en tout petit. Ca se prend dans les bras très facilement. C'est une race flamande qui existe depuis déjà quelques siècles. Vif et obéissant, il n'ira pas courir le lapin, mais son caractère curieux nécessitera vigilance de votre part. Il est majoritairement blanc, et marron, fauve, ou noir. Poil abondant, oreilles tombantes. On appelle cela un phalène.
Si j'élève mes chevaux à Longny, c'est à Luzarches que se trouvent mes chiens. Cela n'est guère loin de Puiseux ; passez-y quand vous le souhaiterez, je vous présenterai la jeune portée composée de quatre chiots, qui ont le bon goût de respecter la parité.
- Que le Très-Haut vous garde,
- Samsa Treiscan,
Dicte Cerbère
Alors que l'invitation émanait de Cerbère elle-même, et que réponse lui avait été donnée, par retour de courrier, annonçant la date exacte à laquelle elle se présenterait sur ses terres, Vittorina n'avait pas résisté à l'envie de prendre cette lettre qu'elle avait froissé entre ses doigts tout le trajet durant. Pour un peu que Cerbère faisait garder l'entrée de Luzarches par de drôles de bêtes à plusieurs têtes, l'idée qu'elle lui serve en quelques sortes de Laissez-Passer ne lui semblait pas foncièrement idiote.
Ce qui lui semblait niais par contre, c'était de mettre tant d'espoirs dans l'acquisition d'une boule de poils. Car c'était bien de ça dont il s'agissait. Comme souvent, à Noël approchant, Alzo s'acoquinait de trop près avec les idées dépressives, borderline, à la limite des envies de retranchement. Et comme souvent alors, il lui fallait ruser pour aller contre la facilité et lutter de toutes ses forces contre l'abandon entre les ailes des noirs papillons.
Cette année, pour se libérer des chaînes bien trop tentantes du spleen, et chasser cette impression de solitude exacerbée quand elle était pourtant entourée, elle avait eu l'idée d'adopter un chien. Un tout petit chien. Et c'était presque tout naturellement qu'elle avait donc fait appel à Samsa, lors de son passage à Limoges.
- - Madame, nous arrivons à proximité de Puiseux, vous voulez qu'on s'arrête pour y faire une courte halte ? ce serait l'occasion de ...
- Non, non, je n'ai guère le temps.
- Vous savez que vous devrez y aller un jour ?
- Je le sais bien, mais pas aujourd'hui ! La Vicomtesse doit déjà m'attendre et je ne voudrais pas la faire s'impatienter.
- Comme vous voudrez alors.
Parce qu'elle n'avait pas eu l'impression de mériter cet honneur.
Parce qu'elle ne souhaitait guère s'attacher à une terre qu'un Souverain pourrait lui retirer d'un claquement de doigts si son sourire ne lui revenait pas.
Puis devant le Château d'En-Bas, la voiture s'arrêta dans un hennissement, coupant court au reste de ses pensées.
- - Nous sommes arrivés, Signora Alzo.
- J'avais deviné, oui. Quel froid ! Y a-t-il quelqu'un auprès de qui s'annoncer ?
- Je vais voir ça, restez bien à l'abri.
- Fort bien, prenez cette lettre ... on ne sait jamais.
Mais loin d'écouter les recommandations faites, la florentine sortit du coche en remontant son col le plus haut possible jusqu'à son menton pour se protéger du froid. Apathique mais pas moins curieuse, elle regarda autour d'elle en attendant de pouvoir pénétrer la forteresse. Elle allait même pousser jusqu'à faire quelques pas quand son soulier s'enfonça dans la boue. Grimace de dépit, la paire était foutue !
- - J'aurais dû mettre des bottes ... fichu temps d'hiver !
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