Samsa
Cerbère n'avait rien répondu aux mots d'Alcimane, vexée tout d'abord. Était-elle donc la seule sur cette planète à faire preuve d'exigence ? A ne pas se satisfaire de l'approximation ? Monde en perdition. Société de peu de foi. Ça énervait Samsa, cette tendance au laisser-aller, à toujours tout laisser passer sous couvert d'excuses sans cesse renouvelées. Si l'échec devient doux ou insignifiant, alors on s'y complait, on ne cherche pas la victoire ; à quoi bon ? Et que dire alors de la vanité ? La Baronne avait serré les mâchoires, les yeux plus durs, comme si un mur s'érigeait devant les iris. Elle leur montrerait, à tous, un jour, à quel point ils avaient tort de penser cela d'elle. Elle leur prouverait que tout ce qu'ils disaient impossible est possible, parce qu'elle, elle réussirait, parce que ce n'est pas vanité de savoir de quoi on est capable. Elle ouvrirait de nouvelles voies, de nouveaux antécédents, elle rentrerait dans l'Histoire pour cela. "Conquérante !", son cry, résonnait dans sa tête et dans son cur, dans son être entier. Les doutes que les autres avaient, les certitudes quant à ses échecs à venir, ne faisaient que renforcer la détermination de Samsa à réussir. Elle y arriverait, elle le savait, parce que tout ce qu'elle avait aujourd'hui, tout ce qu'elle était, n'était pas un cadeau, un héritage : c'était le fruit de son travail et de sa force, et c'était en continuant sur ce chemin qu'elle arriverait au sommet. Ce n'était pas la voie la plus facile, mais c'était mal connaître Samsa que de penser qu'elle empruntait celle de la facilité.
Face à la petite ouverture du donjon servant de fenêtre, la Baronne avait les mains dans le dos. Elle était en colère, suite aux propos d'Alcimane sur sa gestion du personnel de Longny-au-Perche, parce qu'elle avait entendu de sa bouche tout ce que les autres lui reprochaient, sans tenir compte de toutes les chances qu'ils avaient, au contraire de bien des seigneuries. Et Samsa le lui ferait savoir, car il était hors de question que soit colportée la rumeur selon laquelle Cerbère maltraitait ses gens telle une tyran.
Quand elle entendit la porte se rouvrir et la question de la comtesse se poser, Samsa ne répondit pas tout de suite.
-Je n'ai pas instauré la peur chez mes gens pardi. Ils sont, ici, mieux traités que dans bien d'autres terres nobles : ils sont nourris, logés, blanchis, soignés, chauffés pardi. Quand l'hiver est rude, c'est pour eux que je dépense. Quand ils payent leurs impôts, c'est pour améliorer leur quotidien, leur travail, en construction et entretien de fours et de moulins banaux, des églises, de l'hospice et de l'Hôtel-Dieu, augmentation du cheptel, fortification des murs té. Quand ils peinent à payer, je ne les blâme pas. Nul part, sur mes terres, vous ne trouverez homme ou femme fouetté pour avoir manqué à un devoir ; aucun voleur n'a de main coupée té. Personne n'est pendu, ni torturé. Aucune solde n'est versée en retard, aucune solde n'est dérisoire ni figée. Personne ne travaille le dimanche, ni quand il est malade.
Samsa se retourne et prend le traité pour le tendre à Alcimane, poussant ensuite son encrier vers elle.
-En tant que fille de roturière, ayant grandi plus de vingt ans dans la roture, je sais les difficultés et les problèmes qu'on peut y avoir té. J'ai connu, aussi, les tyrans. Je suis Cerbère : je ne permettrai jamais, sous ma responsabilité, qu'on maltraite ceux dont je fus la semblable, ni qu'on les regarde souffrir sans rien faire pardi.
Samsa s'en retourne s'assoir sur sa chaire, un peu affalée, croisant mains sur son ventre, assez négligente.
-Mais je suis la baronne des lieux, et il me revient que ce petit monde tourne correctement té. Cela n'arrive pas si le capitaine de la garnison ne se lève pas à l'heure un matin parce qu'il a trop bu la veille, si la cuisinière ne tient pas ses stocks à jour, si un palefrenier oublie d'entretenir les cuirs pardi. Ou si un garde attrapant une prétendue voleuse ne me fait pas prévenir. Cerbère sourit en coin, légèrement amusée. On a tous des responsabilités, que ce soit par nos fonctions ou juste en tant que personne. J'ai les miennes et ils ont les leur. Peu m'importe que le capitaine de la garde se bourre la gueule tous les soirs, s'il est à l'heure le lendemain. Peu m'importe que la cuisinière utilise ses doigts au lieu d'un boulier pour compter, tant que c'est fait et qu'on ne meure pas de faim. Peu m'importe que le palefrenier fasse déléguer sa tâche à un autre, tant que mes gardes ne tombent pas parce que la sangle de leur selle aura lâché té. Je n'attends rien d'eux de tout ce que la noblesse de façon générale peut leur demander, avec ces grands banquets, ces chasses et ces joutes, ces exigences en terme de disposition à toute heure, ces contrariétés sur le menu du jour, simplement que, dans ce château, leurs responsabilités soient assumées pardi. Quand ils les assument correctement, ils sont récompensés. Quand ils merdent, ils sont punis té.
Et c'était même pas forcément en temps et en heure, puisque même les retardataires se voyaient baignés d'indulgence. La vérité, c'est qu'ils avaient peur de Samsa d'eux-même, et la cheffe Treiscan ne cernait pas pourquoi. N'était-elle pas juste, droite et équitable ? Indulgente, simple et altruiste ? Ils ne retenaient que la force de ses colères, bien souvent plus impressionnantes que réellement douloureuses. Oui, Alcimane : "chien qui aboie ne mord pas". Pas trop. Pas souvent. La différence, d'ailleurs, se voyait bien en dehors des gens du château : dans les campagnes et même dans la ville, la baronne n'était pas perçue de la même façon. On savait qu'on pouvait compter sur elle, comme si elle était restée roturière.
-Faut signer en bas pardi ! déclara-t-elle brusquement sur un ton enjoué qui n'avait rien à voir avec celui qu'elle venait d'utiliser pour, à son sens, laver son honneur. Pour Chiron, je vous aime bien, je vous fais un prix d'amie ; on dira aussi que c'est pour pas que vous gardiez trop un mauvais souvenir d'ici : 600 écus, qu'en dites-vous ?
Le prix était relativement bas, pour une base déjà peu élevée de 800 écus. Ceci était possible parce que Chiron était des basses-écuries, gris -robe peu rare- , et que, étant né à Longny de deux parents déjà présents, il n'y avait pas eu de coût d'importation ou de logistique. Et puis, Longny-au-Perche était un élevage tout ce qu'il y avait de personnel, sans la volonté de faire dans le luxe ou le royal, pas même le provincial ; pas de quoi exiger de tirer les prix vers le haut. Les chevaux des hautes-écuries valaient, eux, 1 000 écus, parfois plus selon les montures. Quant aux Cleveland Bays, ils n'avaient pas de prix de par leur qualité et leur coût d'importation.
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Face à la petite ouverture du donjon servant de fenêtre, la Baronne avait les mains dans le dos. Elle était en colère, suite aux propos d'Alcimane sur sa gestion du personnel de Longny-au-Perche, parce qu'elle avait entendu de sa bouche tout ce que les autres lui reprochaient, sans tenir compte de toutes les chances qu'ils avaient, au contraire de bien des seigneuries. Et Samsa le lui ferait savoir, car il était hors de question que soit colportée la rumeur selon laquelle Cerbère maltraitait ses gens telle une tyran.
Quand elle entendit la porte se rouvrir et la question de la comtesse se poser, Samsa ne répondit pas tout de suite.
-Je n'ai pas instauré la peur chez mes gens pardi. Ils sont, ici, mieux traités que dans bien d'autres terres nobles : ils sont nourris, logés, blanchis, soignés, chauffés pardi. Quand l'hiver est rude, c'est pour eux que je dépense. Quand ils payent leurs impôts, c'est pour améliorer leur quotidien, leur travail, en construction et entretien de fours et de moulins banaux, des églises, de l'hospice et de l'Hôtel-Dieu, augmentation du cheptel, fortification des murs té. Quand ils peinent à payer, je ne les blâme pas. Nul part, sur mes terres, vous ne trouverez homme ou femme fouetté pour avoir manqué à un devoir ; aucun voleur n'a de main coupée té. Personne n'est pendu, ni torturé. Aucune solde n'est versée en retard, aucune solde n'est dérisoire ni figée. Personne ne travaille le dimanche, ni quand il est malade.
Samsa se retourne et prend le traité pour le tendre à Alcimane, poussant ensuite son encrier vers elle.
-En tant que fille de roturière, ayant grandi plus de vingt ans dans la roture, je sais les difficultés et les problèmes qu'on peut y avoir té. J'ai connu, aussi, les tyrans. Je suis Cerbère : je ne permettrai jamais, sous ma responsabilité, qu'on maltraite ceux dont je fus la semblable, ni qu'on les regarde souffrir sans rien faire pardi.
Samsa s'en retourne s'assoir sur sa chaire, un peu affalée, croisant mains sur son ventre, assez négligente.
-Mais je suis la baronne des lieux, et il me revient que ce petit monde tourne correctement té. Cela n'arrive pas si le capitaine de la garnison ne se lève pas à l'heure un matin parce qu'il a trop bu la veille, si la cuisinière ne tient pas ses stocks à jour, si un palefrenier oublie d'entretenir les cuirs pardi. Ou si un garde attrapant une prétendue voleuse ne me fait pas prévenir. Cerbère sourit en coin, légèrement amusée. On a tous des responsabilités, que ce soit par nos fonctions ou juste en tant que personne. J'ai les miennes et ils ont les leur. Peu m'importe que le capitaine de la garde se bourre la gueule tous les soirs, s'il est à l'heure le lendemain. Peu m'importe que la cuisinière utilise ses doigts au lieu d'un boulier pour compter, tant que c'est fait et qu'on ne meure pas de faim. Peu m'importe que le palefrenier fasse déléguer sa tâche à un autre, tant que mes gardes ne tombent pas parce que la sangle de leur selle aura lâché té. Je n'attends rien d'eux de tout ce que la noblesse de façon générale peut leur demander, avec ces grands banquets, ces chasses et ces joutes, ces exigences en terme de disposition à toute heure, ces contrariétés sur le menu du jour, simplement que, dans ce château, leurs responsabilités soient assumées pardi. Quand ils les assument correctement, ils sont récompensés. Quand ils merdent, ils sont punis té.
Et c'était même pas forcément en temps et en heure, puisque même les retardataires se voyaient baignés d'indulgence. La vérité, c'est qu'ils avaient peur de Samsa d'eux-même, et la cheffe Treiscan ne cernait pas pourquoi. N'était-elle pas juste, droite et équitable ? Indulgente, simple et altruiste ? Ils ne retenaient que la force de ses colères, bien souvent plus impressionnantes que réellement douloureuses. Oui, Alcimane : "chien qui aboie ne mord pas". Pas trop. Pas souvent. La différence, d'ailleurs, se voyait bien en dehors des gens du château : dans les campagnes et même dans la ville, la baronne n'était pas perçue de la même façon. On savait qu'on pouvait compter sur elle, comme si elle était restée roturière.
-Faut signer en bas pardi ! déclara-t-elle brusquement sur un ton enjoué qui n'avait rien à voir avec celui qu'elle venait d'utiliser pour, à son sens, laver son honneur. Pour Chiron, je vous aime bien, je vous fais un prix d'amie ; on dira aussi que c'est pour pas que vous gardiez trop un mauvais souvenir d'ici : 600 écus, qu'en dites-vous ?
Le prix était relativement bas, pour une base déjà peu élevée de 800 écus. Ceci était possible parce que Chiron était des basses-écuries, gris -robe peu rare- , et que, étant né à Longny de deux parents déjà présents, il n'y avait pas eu de coût d'importation ou de logistique. Et puis, Longny-au-Perche était un élevage tout ce qu'il y avait de personnel, sans la volonté de faire dans le luxe ou le royal, pas même le provincial ; pas de quoi exiger de tirer les prix vers le haut. Les chevaux des hautes-écuries valaient, eux, 1 000 écus, parfois plus selon les montures. Quant aux Cleveland Bays, ils n'avaient pas de prix de par leur qualité et leur coût d'importation.
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