Antanasia
~ Premier Fragment ~
La feuille avait été arrachée d'un carnet. Le papier froissé, comme s'il avait souvent été manipulé. La main qui le tendait tremblait légèrement, et la personne semblait piétiner sur place.
Antanasia était visiblement gênée en tendant l'une des pages de son journal à Khaerdalis.
Elle lui avait parlé de son passé, mais il était le seul à pouvoir le lire également. Ce geste trahissait toute la confiance de la jeune fille envers le tenancier.
Y aurait-il d'autres pages qui suivraient ? Elle ne savait le dire. Les choses ont toujours évolué naturellement entre eux, bien que très rapidement.
- Je t'avais dit que je te laisserais lire un passage, voici le premier, le plus important de mon histoire. Avant cela, rien n'existait vraiment.
Lucian arriva, ailes déployées, et se posa doucement sur l'épaule de sa maîtresse. La tête tournée de côté comme par curiosité, il étudiait l'homme face à lui et sembla le jauger un instant.
Quelque chose chez lui sembla le rassurer, car il reprit son envol, laissant le couple seul.
- C'est étrange. Entre raconter et laisser lire, la sensation est très différente. Tu imagines que c'est un privilège que je te fais.
Elle rit doucement, d'un rire un peu forcé et enroué, trahissant la gêne qu'elle ressentait.
Il lui prit le papier, et elle ferma les yeux quelques minutes. Quand elle les rouvrit, il avait déjà entrepris la lecture.
Cette journée avait tout eu d'une journée banale, éternel refrain d'une existence solitaire, Bien qu'entourée de masses humaines, aucun visage ne laissait de trace dans mon esprit.
Combien la vie aurait-elle pu être différente, si j'avais eu le droit à une enfance normale ?
Je ne me suis jamais plainte. IL a tout fait pour me protéger, et mon rôle était d'en être reconnaissante.
M'insurger ? Comment aurais-je pu ? Cest une insurrection qui a ôté la vie de ma mère, et qui est responsable de ma solitude. Une insurrection qui est la cause de SA tourmente.
Je n'ai jamais eu aucune prise sur le temps, il glisse sur moi perpétuellement. Mon père m'offre des parures de pierres scintillantes pour mes anniversaires.
Et chaque fois, je me rends alors compte du chiffre supplémentaire: un an. Mais je ne l'assimile pas. Un an, dix, cent... Quelle différence, quand chaque jour est identique ?
Une existence morne, inodore et incolore. Apathie et désolation sur un fond de futilité.
Lorsque je regarde par la fenêtre du manoir, je vois le regard des passants sur ma prison. Ils ont un air envieux. C'est pourtant moi qui les envie d'avoir envie.
J'aimerais avoir un but, une force qui me sortirait de cette existence de froideur. Je ne suis qu'une coquille vide, que rien dans cette cage dorée ne saurait combler. IL essaie, je crois, mais on ne peut remplir le néant avec des chimères.
Je jette un il circulaire à ma chambre; tentures de velours, boiseries ornementées, fresques de qualité, mobilier au prix indécent... Mon regard qui ne s'y est jamais vraiment attardé, comme si mon âme ne pouvait apprécier les richesses physiques.
L'âtre est toujours entretenu, Je vois régulièrement des servantes faire des allers retours, mais jamais elles ne s'attardent, ni ne prononcent un mot. Je ne suis qu'une figurante dans cette maison, et tous se sont habitués à m'y voir errer.
La seule lumière de ma vie; Lucian.
Magnifique corbeau aux plumes d'un noir de jais, un bec argenté, et un regard plus vif et intelligent que celui de mes «gardiens». Je l'ai sauvé d'une mort certaine il y a quelques années, et depuis il ne me quitte plus. Seul témoin silencieux de ma détresse.
Aujourd'hui donc, mon père est rentré plus tôt de son voyage. Il avait, semblait-il, une nouvelle importante à m'annoncer. Je m'étais apprêtée comme à chacun de ses retours, cherchant à donner une image de femme, et voulant lui faire croire que les robes de grande facture qu'il m'offrait me plaisaient.
Par envie de le délester du peu de cette culpabilité qu'il ressentait à mon égard.
Pour finalement l'écouter pendant qu'il déblatérait ces infamies. Les poings serrés mais le regard inexpressif, je le regardais s'affairer sur son bureau, pendant qu'il me racontait les «réjouissances» à venir.
Il parlait davantage pour lui, ne sattendant pas à ce que sa chère enfant, soumise et bien éduquée, n'ait quoi que ce soit à redire sur l'affaire. Je l'entendais parler de fiancé, de mariage et de descendance prochaine, et jeus un violent haut-le-cur.
Tout mon être criait de rage, mais mon expression restait neutre. Quand il eut finit, il repartit, déposant un baiser fugace sur mon front, ne cherchant aucunement à savoir comment je prenais les choses.
Je suis sortie de ma transe, brisant les chaînes de la docilité. Plus rien ne me retient ici, sa trahison me laisse un goût amer, brûlant mon sophage, et affolant mon cur au passage.
Pour la première fois, je le sens pleinement battre en moi, propulsant la vie à travers tout mon être. Ma décision est prise. Ce soir, je m'enfuis. Plus rien ne me retient. J'empaquette précieusement mes bijoux. Je pourrai toujours les revendre plus tard, pour subvenir à mes besoins lors du voyage qui se profile.
Je vois que Lucian n'attend que mon signal.
Nous sommes prêts.
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"Audaces fortuna juvat"
La feuille avait été arrachée d'un carnet. Le papier froissé, comme s'il avait souvent été manipulé. La main qui le tendait tremblait légèrement, et la personne semblait piétiner sur place.
Antanasia était visiblement gênée en tendant l'une des pages de son journal à Khaerdalis.
Elle lui avait parlé de son passé, mais il était le seul à pouvoir le lire également. Ce geste trahissait toute la confiance de la jeune fille envers le tenancier.
Y aurait-il d'autres pages qui suivraient ? Elle ne savait le dire. Les choses ont toujours évolué naturellement entre eux, bien que très rapidement.
- Je t'avais dit que je te laisserais lire un passage, voici le premier, le plus important de mon histoire. Avant cela, rien n'existait vraiment.
Lucian arriva, ailes déployées, et se posa doucement sur l'épaule de sa maîtresse. La tête tournée de côté comme par curiosité, il étudiait l'homme face à lui et sembla le jauger un instant.
Quelque chose chez lui sembla le rassurer, car il reprit son envol, laissant le couple seul.
- C'est étrange. Entre raconter et laisser lire, la sensation est très différente. Tu imagines que c'est un privilège que je te fais.
Elle rit doucement, d'un rire un peu forcé et enroué, trahissant la gêne qu'elle ressentait.
Il lui prit le papier, et elle ferma les yeux quelques minutes. Quand elle les rouvrit, il avait déjà entrepris la lecture.
Cette journée avait tout eu d'une journée banale, éternel refrain d'une existence solitaire, Bien qu'entourée de masses humaines, aucun visage ne laissait de trace dans mon esprit.
Combien la vie aurait-elle pu être différente, si j'avais eu le droit à une enfance normale ?
Je ne me suis jamais plainte. IL a tout fait pour me protéger, et mon rôle était d'en être reconnaissante.
M'insurger ? Comment aurais-je pu ? Cest une insurrection qui a ôté la vie de ma mère, et qui est responsable de ma solitude. Une insurrection qui est la cause de SA tourmente.
Je n'ai jamais eu aucune prise sur le temps, il glisse sur moi perpétuellement. Mon père m'offre des parures de pierres scintillantes pour mes anniversaires.
Et chaque fois, je me rends alors compte du chiffre supplémentaire: un an. Mais je ne l'assimile pas. Un an, dix, cent... Quelle différence, quand chaque jour est identique ?
Une existence morne, inodore et incolore. Apathie et désolation sur un fond de futilité.
Lorsque je regarde par la fenêtre du manoir, je vois le regard des passants sur ma prison. Ils ont un air envieux. C'est pourtant moi qui les envie d'avoir envie.
J'aimerais avoir un but, une force qui me sortirait de cette existence de froideur. Je ne suis qu'une coquille vide, que rien dans cette cage dorée ne saurait combler. IL essaie, je crois, mais on ne peut remplir le néant avec des chimères.
Je jette un il circulaire à ma chambre; tentures de velours, boiseries ornementées, fresques de qualité, mobilier au prix indécent... Mon regard qui ne s'y est jamais vraiment attardé, comme si mon âme ne pouvait apprécier les richesses physiques.
L'âtre est toujours entretenu, Je vois régulièrement des servantes faire des allers retours, mais jamais elles ne s'attardent, ni ne prononcent un mot. Je ne suis qu'une figurante dans cette maison, et tous se sont habitués à m'y voir errer.
La seule lumière de ma vie; Lucian.
Magnifique corbeau aux plumes d'un noir de jais, un bec argenté, et un regard plus vif et intelligent que celui de mes «gardiens». Je l'ai sauvé d'une mort certaine il y a quelques années, et depuis il ne me quitte plus. Seul témoin silencieux de ma détresse.
Aujourd'hui donc, mon père est rentré plus tôt de son voyage. Il avait, semblait-il, une nouvelle importante à m'annoncer. Je m'étais apprêtée comme à chacun de ses retours, cherchant à donner une image de femme, et voulant lui faire croire que les robes de grande facture qu'il m'offrait me plaisaient.
Par envie de le délester du peu de cette culpabilité qu'il ressentait à mon égard.
Pour finalement l'écouter pendant qu'il déblatérait ces infamies. Les poings serrés mais le regard inexpressif, je le regardais s'affairer sur son bureau, pendant qu'il me racontait les «réjouissances» à venir.
Il parlait davantage pour lui, ne sattendant pas à ce que sa chère enfant, soumise et bien éduquée, n'ait quoi que ce soit à redire sur l'affaire. Je l'entendais parler de fiancé, de mariage et de descendance prochaine, et jeus un violent haut-le-cur.
Tout mon être criait de rage, mais mon expression restait neutre. Quand il eut finit, il repartit, déposant un baiser fugace sur mon front, ne cherchant aucunement à savoir comment je prenais les choses.
Je suis sortie de ma transe, brisant les chaînes de la docilité. Plus rien ne me retient ici, sa trahison me laisse un goût amer, brûlant mon sophage, et affolant mon cur au passage.
Pour la première fois, je le sens pleinement battre en moi, propulsant la vie à travers tout mon être. Ma décision est prise. Ce soir, je m'enfuis. Plus rien ne me retient. J'empaquette précieusement mes bijoux. Je pourrai toujours les revendre plus tard, pour subvenir à mes besoins lors du voyage qui se profile.
Je vois que Lucian n'attend que mon signal.
Nous sommes prêts.
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"Audaces fortuna juvat"