Lison_bruyere
Limoges, le 14 juillet 1467
Tierce venait de sonner. Stella s'endormait au berceau de châtaignier, repue de lait et toute propre. La chambre embaumait des parfums de thym, de camomille et de tilleul que Fanette faisait ingurgiter régulièrement à la jeune Nébulae, dans l'espoir de voir baisser sa fièvre. Epaule appuyée au chambranle de la porte, elle la regardait sombrer de nouveau dans le sommeil, quand elle sentit une grande main noire se faufiler à sa taille, la retourner pour qu'une bouche vienne s'écraser à la sienne en un baiser conquérant. Elle se raidit aussitôt dans le bras qui la retenait, alors que l'embarras embrasait ses joues. En huit jours de temps, ce n'était pas le premier baiser qu'il prenait d'elle, mais subitement, elle venait de retrouver toute la réserve des premières fois. Les mots ne trouvaient plus leur place à sa gorge et elle les laissa filer dans un désordre hésitant.
- Sa fièvre ... Nébi ... ça ne baisse pas vite ... on dirait.
Le regard d'obsidienne se porta sur la jeune fille étendue sur le matelas, puis vient s'accrocher, serein, à celui de la fauvette. Les mains se posèrent à ses épaules, comme pour l'ancrer dans une réalité rassurante,
- Tout ira bien Fanette. Elle est jeune et solide, il faut juste le temps que les remèdes agissent.
Il lui tendit l'étole dans laquelle elle avait coutume d'enrouler Stella pour la transporter contre sa poitrine en gardant l'usage de ses mains. Les yeux sombres s'animèrent d'un éclat vif, presque amusé.
- Laissons-la dormir à présent. Nous avons quelque chose à faire toi et moi ce matin.
Elle glissa sur lui une petite moue interrogatrice, tandis qu'il arrachait le bambin du sol pour le percher à sa nuque, comme il l'avait déjà fait à Blaye. Milo cette fois-ci ne s'offusqua pas, reprenant ses habitudes aux épaules du sombre. Et déjà, ils quittaient la chambre, emportant avec lui l'enfançon rieur à travers l'enfilade de pièces, jusqu'à la salle commune, où le chien attendait devant la porte, en battant de sa longue queue. Elle installa le nourrisson contre elle et se hâta à leur suite.
- Mais, on va où ?
- Acheter une chèvre à ton père.
Elle déglutit. Il était donc sérieux ? La poignée de main échangée la veille avec Pierre avait-elle valeur de contrat ? Tout avait commencé par une plaisanterie alors que l'on causait de la vilenie de l'Angevin avec les lourdauds qui tournaient autour de sa fille.
- Il faudra donc que je réfléchisse à deux fois avant de demander votre main Fanette.
Le père trancha d'une précision surprenante qui amusa sa fille, jusqu'à ce que l'ébène y réponde d'un air plus que sérieux.
- Oh moi, une chèvre et je donne sa main.
-Vendu !
Tyrraell tendit sa paume gauche ouverte vers le ciel, et Pierre vient taper dedans pour sceller l'accord. Les deux hommes se détendirent, et entamèrent une discussion sur un ton plus léger, mais sur le visage de la fauvette aplatie dans son dossier, l'air faussement outré cédait place à une perplexité mâtinée d'inquiétude.
- Tu aurais l'air malin si Tyrraell était sérieux.
- Je serai content. J'aurai une chèvre, et toi un époux qui prendra soin de toi et te protégera.
Elle avait alors, tour à tour, longuement posé un regard incrédule sur les deux hommes, puis s'était rebellée, prétendant pour la forme qu'elle était tout à fait capable de se défendre seule, même si les faits démontraient le contraire. Pierre, dissimulant son hilarité sous un masque austère, assurait qu'il la croyait en roulant les yeux pour finalement conclure en détaillant l'Abyssinien.
- Les deux tarés qui t'ont enlevée trainent en ville, je t'assure que je suis rassuré qu'il soit là.
- Bien, considérez-vous comme une future épouse à présent, demain je trouverai une chèvre.
La fauvette allait protester, mais les deux hommes la coupèrent net.
- Chut ! Pas de mais !
- Il n'y a pas de mais, un marché est un marché !
Ils continuèrent ainsi à s'arranger, sur la chèvre, sur les démarches auprès du curé, sur les probables vices cachés que la jeune femme tentait de faire peser dans la balance. Elle espérait encore les voir tous les deux éclater de rire, se gaussant de la bonne blague qu'ils lui auraient faite, mais, au lieu de ça, chacun semblait se conforter dans le bien-fondé de l'échange.
- Demain vous serez ma femme, faites-vous à cette idée !
- Et moi, je câlinerai ma gentille petite chèvre.
Une dernière fois, Fanette s'était insurgée.
- Et moi dans l'histoire, on ne me demande pas si je suis d'accord ?
Pierre avait éclaté de rire avant d'échanger avec Tyrrael un sourire entendu.
- D'accord pour ?
- Elle est mignonne. Une chèvre, un mariage, tout est arrangé.
- L'affaire est conclue !
Et voilà pourquoi, ce matin, le colosse d'ébène, bambin juché sur les épaules, entraînait à sa suite la fauvette intimidée. Pensant faire preuve de malice, elle avait exigé la veille une Nubienne, quand la plupart des chèvres qui se monnayaient sur la foire aux bestiaux étaient des poitevines aux longs poils sombres, ou des saanens presque blanches. Elle déchanta en apercevant, comble d'ironie, un petit troupeau de bêtes, au profil busqué caractéristique, aux longues oreilles, et aux robes pastillées de clair.
Dans quelques heures, Pierre aurait sa chèvre, une Africaine qui s'était retrouvé on ne sait comment dans ce coin du royaume, Tyrraell aurait une épouse.
... Et Fanette dans tout ça ?
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Tierce venait de sonner. Stella s'endormait au berceau de châtaignier, repue de lait et toute propre. La chambre embaumait des parfums de thym, de camomille et de tilleul que Fanette faisait ingurgiter régulièrement à la jeune Nébulae, dans l'espoir de voir baisser sa fièvre. Epaule appuyée au chambranle de la porte, elle la regardait sombrer de nouveau dans le sommeil, quand elle sentit une grande main noire se faufiler à sa taille, la retourner pour qu'une bouche vienne s'écraser à la sienne en un baiser conquérant. Elle se raidit aussitôt dans le bras qui la retenait, alors que l'embarras embrasait ses joues. En huit jours de temps, ce n'était pas le premier baiser qu'il prenait d'elle, mais subitement, elle venait de retrouver toute la réserve des premières fois. Les mots ne trouvaient plus leur place à sa gorge et elle les laissa filer dans un désordre hésitant.
- Sa fièvre ... Nébi ... ça ne baisse pas vite ... on dirait.
Le regard d'obsidienne se porta sur la jeune fille étendue sur le matelas, puis vient s'accrocher, serein, à celui de la fauvette. Les mains se posèrent à ses épaules, comme pour l'ancrer dans une réalité rassurante,
- Tout ira bien Fanette. Elle est jeune et solide, il faut juste le temps que les remèdes agissent.
Il lui tendit l'étole dans laquelle elle avait coutume d'enrouler Stella pour la transporter contre sa poitrine en gardant l'usage de ses mains. Les yeux sombres s'animèrent d'un éclat vif, presque amusé.
- Laissons-la dormir à présent. Nous avons quelque chose à faire toi et moi ce matin.
Elle glissa sur lui une petite moue interrogatrice, tandis qu'il arrachait le bambin du sol pour le percher à sa nuque, comme il l'avait déjà fait à Blaye. Milo cette fois-ci ne s'offusqua pas, reprenant ses habitudes aux épaules du sombre. Et déjà, ils quittaient la chambre, emportant avec lui l'enfançon rieur à travers l'enfilade de pièces, jusqu'à la salle commune, où le chien attendait devant la porte, en battant de sa longue queue. Elle installa le nourrisson contre elle et se hâta à leur suite.
- Mais, on va où ?
- Acheter une chèvre à ton père.
Elle déglutit. Il était donc sérieux ? La poignée de main échangée la veille avec Pierre avait-elle valeur de contrat ? Tout avait commencé par une plaisanterie alors que l'on causait de la vilenie de l'Angevin avec les lourdauds qui tournaient autour de sa fille.
- Il faudra donc que je réfléchisse à deux fois avant de demander votre main Fanette.
Le père trancha d'une précision surprenante qui amusa sa fille, jusqu'à ce que l'ébène y réponde d'un air plus que sérieux.
- Oh moi, une chèvre et je donne sa main.
-Vendu !
Tyrraell tendit sa paume gauche ouverte vers le ciel, et Pierre vient taper dedans pour sceller l'accord. Les deux hommes se détendirent, et entamèrent une discussion sur un ton plus léger, mais sur le visage de la fauvette aplatie dans son dossier, l'air faussement outré cédait place à une perplexité mâtinée d'inquiétude.
- Tu aurais l'air malin si Tyrraell était sérieux.
- Je serai content. J'aurai une chèvre, et toi un époux qui prendra soin de toi et te protégera.
Elle avait alors, tour à tour, longuement posé un regard incrédule sur les deux hommes, puis s'était rebellée, prétendant pour la forme qu'elle était tout à fait capable de se défendre seule, même si les faits démontraient le contraire. Pierre, dissimulant son hilarité sous un masque austère, assurait qu'il la croyait en roulant les yeux pour finalement conclure en détaillant l'Abyssinien.
- Les deux tarés qui t'ont enlevée trainent en ville, je t'assure que je suis rassuré qu'il soit là.
- Bien, considérez-vous comme une future épouse à présent, demain je trouverai une chèvre.
La fauvette allait protester, mais les deux hommes la coupèrent net.
- Chut ! Pas de mais !
- Il n'y a pas de mais, un marché est un marché !
Ils continuèrent ainsi à s'arranger, sur la chèvre, sur les démarches auprès du curé, sur les probables vices cachés que la jeune femme tentait de faire peser dans la balance. Elle espérait encore les voir tous les deux éclater de rire, se gaussant de la bonne blague qu'ils lui auraient faite, mais, au lieu de ça, chacun semblait se conforter dans le bien-fondé de l'échange.
- Demain vous serez ma femme, faites-vous à cette idée !
- Et moi, je câlinerai ma gentille petite chèvre.
Une dernière fois, Fanette s'était insurgée.
- Et moi dans l'histoire, on ne me demande pas si je suis d'accord ?
Pierre avait éclaté de rire avant d'échanger avec Tyrrael un sourire entendu.
- D'accord pour ?
- Elle est mignonne. Une chèvre, un mariage, tout est arrangé.
- L'affaire est conclue !
Et voilà pourquoi, ce matin, le colosse d'ébène, bambin juché sur les épaules, entraînait à sa suite la fauvette intimidée. Pensant faire preuve de malice, elle avait exigé la veille une Nubienne, quand la plupart des chèvres qui se monnayaient sur la foire aux bestiaux étaient des poitevines aux longs poils sombres, ou des saanens presque blanches. Elle déchanta en apercevant, comble d'ironie, un petit troupeau de bêtes, au profil busqué caractéristique, aux longues oreilles, et aux robes pastillées de clair.
Dans quelques heures, Pierre aurait sa chèvre, une Africaine qui s'était retrouvé on ne sait comment dans ce coin du royaume, Tyrraell aurait une épouse.
... Et Fanette dans tout ça ?
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