Milo_amalio
- [Sur les routes, entre Poitou et Bretagne]
Le soir tombe et pour la seconde fois, les petites poivrières sont montées dans une clairière à l'abri du vent. La veille, quand la nourrice a voulu entraîner Milo avec sa petite sur dans l'une des tentes, il a pleuré et s'est précipité vers Arsène. Puis, il a retourné une mine boudeuse vers la femme, épiant sa réaction en hoquetant son chagrin, et il a eu gain de cause, comme chaque soir depuis quelques jours. Un peu plus tard, c'est dans la tente des deux frères Beaurepaire qu'il s'endormira. Il a mis un peu de temps à scruter les visages identiques des deux hommes, mais à présent, il a admis et enregistré leurs similitudes et leurs différences, et il se trompe rarement. Il évite toujours Dante. Ce soir, il n'a pas hésité plus que ça quand il s'est déplacé pour venir chercher le contact rassurant de l'un des deux. C'est contre l'épaule d'Arsène qu'il est venu s'allonger. Il chouine un peu, sa mère lui manque. Il a l'habitude de s'endormir au son de la berceuse qu'elle lui chantonne. L'homme ne la connaît pas, puis, sa voix n'a pas la même tessiture. Il tourne, il gigote, et, d'un geste presque naturel, on lui offre le refuge d'un bras, alors il s'y blottit et écoute les paroles apaisantes qu'on souffle à son oreille. Il plisse le nez dans cette petite moue qu'il tient de Fanette, lui, le mini-Corleone qui ressemble pourtant à son père, et il cherche à distinguer dans le noir les lèvres d'où s'échappent le flot de mots chuchotés. Leur musique est si douce qu'il se calme et sombre dans le sommeil.
Un oiseau chante. Ses paupières papillotent, il perçoit la lumière du jour pâle derrière la toile enduite de la petite poivrière. Il remue, s'extirpe de la couverture qui le couvre, et s'assoit en regardant autour de lui. Les deux frères dorment encore. Il hésite mais un battement d'ailes l'appelle au-dehors. Voilà le petit aventurier qui rampe vers l'interstice laissé par le battant rabattu et noué qui sert de porte. Il le soulève et se faufile. Deux corneilles le survolent avant d'aller se poser à l'orée du bois. Milo se met debout et les suit des yeux. A sa dextre, il entend un cheval s'ébrouer. Il se précipite. Il court de son pas qui semble parfois maladroit mais il ne chute pas. L'animal le voit approcher et ses naseaux de velours émettent un petit vibrato qui met en joie le bambin.
Plus loin, les oiseaux se chicanent pour une brindille. Le froissement des plumes est couvert de leurs cris. Ils volettent, mêlent coups de pattes et de becs, s'éloignent à tire-d'aile pour mieux s'affronter de nouveau. Il rit et délaisse le cheval pour les rejoindre. Il veut les attraper, mais à chaque fois qu'il approche, les corneilles filent un peu plus loin. Sous le couvert des arbres, le jour levant filtre en raies laiteuses dans lesquelles dansent les particules de poussière. Il les observe un moment, immobile, et de nouveau se détourne des oiseaux pour pénétrer dans le bois. Et plus il avance, plus ces rayons qu'il cherche à saisir reculent. Il ne prend pas garde au ciel qui se couvre au-dessus des grands arbres. Voilà qu'ils assombrissent le matin qui peine à se lever. Plus aucun jour ne fait danser la poussière à présent. L'enfant décontenancé la cherche encore.
Puis, il se retourne pour retrouver les chevaux et les oiseaux, mais il n'y a que le tronc noueux des vieux arbres qui l'entourent, et les racines dans lesquels ses pieds buttent. Il fait froid. Il avance mais ne parvient plus à distinguer les bruits rassurants des chevaux, leurs sabots qui grattent le sol en attendant leur ration d'orge, leurs souffles quand ils sébrouent, leurs hennissements quand les hommes se lèvent et que le camp reprend vie. Les corneilles se sont tues aussi, il n'entend que le chant des petits oiseaux de la forêt. Il court, mais la salsepareille, étalée en travers du chemin, s'enroule à sa petite jambe et le fait tomber. Il se râpe les paumes et le menton. Il se redresse, regarde ses mains, ça brûle. Il veut se relever mais la plante, ligneuse et épineuse s'est plantée dans l'étoffe de ses petites braies. Les doigts encore potelés s'en saisissent et se piquent, et l'enfant s'agace avant de prendre peur. Il retombe dans la mousse. Ses craintes chassent le froid d'un autre frisson, bien plus glacé. Il est seul, il relève autour de lui ses yeux où viennent poindre les larmes.
Mamma Mamma...
Et bientôt, les syllabes se perdent dans le flot des pleurs qui noient son beau regard de lichen et dégringolent à ses joues rosées.
Il est perdu.
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