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[RP] Qu'est-ce qu'on peut bien faire après ça* ?

Lison_bruyere
    Routes de bretagne, 13 novembre 1467

Le froid. La veille déjà, dans la salle commune du tonnerre de Brest, Fanette ne l'avait évoqué que brièvement, taisant les frissons qui parcouraient son dos quand son front et ses joues lui semblaient brûlants. Au matin, c'était pire. Pendant que le cocher dételait les chevaux, elle avait laissé le soin des deux enfants à Marianne pour venir se pelotonner sous une peau de loup près du feu qu'Arsène allumait. Une douleur lancinante cognait derrière son front, au rythme des battements de son cœur. Les hautes flammes qui dévoraient le bois mort, crachant vers le ciel leurs escarbilles incandescentes, ne parvenaient à la réchauffer. Le nez enfoui dans la pelisse, elle avait fermé les yeux. Derrière le rideau de ses paupières, elle voulait échapper à la lumière qui semblait amplifier son mal de crâne. Elle percevait chaque bruit autour d'elle, le chuchotement du ruisseau, les pleurs de Stella, le babil joyeux de Milo, le renâclement d'un cheval. Même le pas des hommes qui installaient le campement lui était douloureux.
Le soleil poursuivait sa course vers le zénith, sans jamais parvenir à percer les épais nuages qui s'étaient amoncelés au-dessus d'Ouessant et les avaient accompagné vers la Cornouaille. Il ne pleuvait pas, mais l'humidité baignait la clairière d'une brume qui ne voulait se dissiper. Elle s'accrochait au sol, se faufilant en écharpes impalpables au pied des arbres, dont n'émergeaient que les troncs qui tendaient leurs ramures dénudées vers un ciel si bas qu'elles semblaient le retenir.

L'Angevine, sourde aux jeux des bambins à côté d'elle, n'avait pas rouvert les yeux. Elle grelottait toujours près du feu. Lorsque Arsène, alarmé par son immobilité et son silence avait attardé une main à son front, il s'était effrayé de le sentir bouillant. Il avait pris sur lui de renvoyer à Brest Marianne et les enfants, prétextant avec justesse qu'il n'était pas utile de les exposer aux miasmes de leurs mères, dans le froid des chemins. En revanche, il s'était abstenu de proposer à la jeune femme de les accompagner, assurant qu'il pourrait trouver un médecin à Rohan, et qu'il serait plus simple pour Marianne de prendre soin des petits sans avoir en plus, à s'occuper de leur mère. Le cocher ronchonna en attelant de nouveaux ses bêtes déjà fatiguées par l'étape nocturne, si courte fut-elle. Il avait ordre de revenir ensuite, après avoir sollicité auprès de Dante, le prêt de quatre carrossiers frais. Ce serait bien le diable si le nouvel intendant des terres d'Ouessant ne trouvait pas cela dans les écuries du domaine. La fauvette s'était rangée à contrecœur à cette décision, qu'elle savait pourtant être la plus sage.

L'attente fut longue, et le soleil était presque couché quand le coche fut de retour. La fauvette ne se sentait pas mieux. Toute la journée, Arsène avait alimenté le feu, coupant à la hachette les arbres les plus jeunes et plus frêles qui cherchaient leur chemin entre les troncs plus forts. Elle avait rechigné sur le morceau de viande grillée qu'on lui proposa, s'efforçant néanmoins d'en mâchouiller quelques bouchées qu'elle avalait difficilement. A intervalles réguliers, il lui avait fait ingurgiter une infusion de thym qui n'avait pas eu raison de sa fièvre. Elle effleurait alors les mains du Beaurepaire en tentant d'enrouler elle aussi ses doigts bleuis au gobelet d'argile, pour y puiser un peu de chaleur, puis se laissait retomber au sol, sombrant de nouveau dans un demi-sommeil.
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Arsene.b
      [ Routes de bretagne, 13 novembre 1467 ]


    Ils étaient repartis quelques jours, pour aller renouveler le stock de l’auberge de Rohan qui même si les recettes n’étaient pas hautes, se trouvait être régulièrement visitée. Bientôt comme une routine habituelle, le convoi s’était préparé lentement mais surement pour se mettre en route. Les femmes et les enfants dans le coche, l’homme à cheval. Lorsqu’ils s’établirent pour un bivouac, Arsène commença par s’occuper du feu qui devrait les tenir tous plus ou moins à l’abri du froid, avant de s’attaquer aux tentes pour le repos mérité des voyageurs avant de repartir le soir venu. Marianne récupéra les enfants, Fanette se pressa près des flammes. Un sourire à ce constat passa sur le visage masculin, il s’était fait à l’idée qu’elle soit frileuse, aussi cela ne l’alerta pas dans l’immédiat. Il vaqua à ses occupations. Une paire de bras en moins se faisaient quelque peu sentir. Il avait plus à faire même si le cocher devait l’aider après avoir pansé les chevaux. Un instant, il fût distrait par Milo venu courir dans ses jambes, si bien qu’il dut arracher l’enfançon du sol pour pouvoir faire un pas par là ou par ci, après l’avoir collé contre lui, sous les rires joyeux du garçonnet. Autant dire que ce n’était pas évident.

    Il avait finalement réussi à dresser une des tentes avec l’aide plus ou moins appréciable de Milo quand son regard se posa sur la silhouette masquée par la peau de loup près du feu. Il fronça les sourcils avant d’envoyer Milo voir Stella - astuce qui marchait souvent – pour venir près de la jeune mère, s’assurait qu’elle allait bien. Son immobilité était surprenante, d’habitude, elle participait malgré tout aux préparatifs ou… Enfin, elle ne restait pas inactive autant de temps. Même lorsqu’il souleva la peau de loup, la trouva prostrée, grelotant , elle ne remua pas davantage. Lentement, il avança sa main vers le front de la jeune femme, troublé de le trouver brûlant. Il acheva son geste en une caresse douce sur la joue de Fanette avant de la recouvrir à nouveau de son abri. Il n’hésita que brièvement, les ordres furent donnés. Coche, enfants et nourrice repartaient pour Brest. Le cocher objecta, Arsène se montra intraitable. D’autant qu’il préférait largement éviter aux enfants d’être malades à leurs tours. Autant Fanette avait les ressources pour résister à une forte fièvre, du moins il voulait le croire, autant de jeunes enfants, il les savait moins robustes. Il récupéra plusieurs couvertures dans le coche, et les laissa repartir non sans les pleurs de Milo qui rechignait à se faire une nouvelle fois abandonné. Arsène avait bien essayé de lui expliquer mais que voulez vous qu’il y comprends ce pauvre garçon ?

    Après quoi, une fois le coche s’éloignant, il se tourna vers la jeune femme. Il ne lui avait pas plus laissé le choix à elle, qu’aux enfants, cocher ou nourrice. L’homme savait se montrer persuasif quand il le voulait. Ainsi commença les heures d’attente, qu’il occupa les premiers instants à rassembler des pierres plus ou moins rondes qu’il put trouver dans les environs. Soigneusement, il les disposa dans le feu, près des flammes pour les chauffer, se débrouillant pour les retourner régulièrement afin qu’elles soient complétement chauffées par la chaleur du feu, qu’il entretenait en même temps, rajoutant régulièrement des branches ou buches de bois. Pendant que ses pierres chauffaient, il déplia la première couverture pour la disposer sur le sol, puis une seconde par-dessus pour isoler du sol frais. Il y força Fanette à s’y déplacer, toujours enroulée dans sa peau de loup. De la troisième couverture, il la déposa par-dessus la louve malade. Et la dernière, il en fit une sorte de boudin qu’il garnit des pierres brulantes, non sans difficulté, s’y brulant légèrement une paume par mégarde. Après quoi, le lupin glissa son improvisation sous la couverture et peau de loup, pour tenir plus chaud à sa protégée.

    Arsène était inquiet, il n’y avait pas à dire, il demeura à ses côtés, tout au long de ces heures interminables, veillant à ce qu’elle s’hydrate assez. Il avait fait griller de la viande, préparer une infusion avec les moyens du bord, mais rien n’avait fait pour la réanimer. Son mutisme le déconcertait, lui qui aimait l’entendre parler. Régulièrement, sa main avait cherché le contact du front chaud. Il guettait une baisse de la température mais rien. Elle somnolait et lui veillait. Il espérait bien trouver un médecin à Rohan pour la soulager de sa fièvre ou ses autres possibles maux. Lorsque le coche réapparut au soir, il aida la jeune femme à se lever, pour trouver le confort de la voiture. Pour une fois, il y monta également. Il ne la laisserait pas seule aussi mal en point ! Si bien que naturellement, il la cueillit contre lui, pour continuer à la préserver du froid, tout au long des lieues qui les menèrent à Rohan. Il n’aura fermé l’œil que peu de temps. Le lendemain, il lui faudrait trouver un médecin et installer la Féline dans sa chambre, bien au chaud, pour la soigner au mieux. Lui qui ne savait guère faire ça, aller une fois de plus se découvrir une occupation dont il aurait préféré se passer. Non pas que prendre soin d’elle l’embêter, loin de là, mais plutôt parce qu’il n’aimait pas du tout la voir ainsi. Il devait admettre que son cœur s’était plus d’une fois pris d’un pincement douloureux à la contempler aussi amorphe, assommée par la fièvre.



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Lison_bruyere
    Rohan, 19 novembre 1467

L'agitation du début de soirée s'était tue, et le calme était retombé sur la salle commune de l'Isil après le départ du dernier client. Il aurait été raisonnable de barricader la porte, de souffler les chandelles et de rejoindre les chambres, mais ni Arsène, ni Fanette n'avaient le cœur à l'être. La fièvre qui avait tenu l'une s'était généreusement transmise à l'autre, de sorte que, plusieurs jours durant, ils s'étaient trouvés trop souffrant pour sortir du lit ou prononcer une parole. Alors, à présent qu'ils pouvaient laisser libre cours à leurs discussions, sans faire l'effort de s'effacer dans une aimable réserve pour laisser la place à leurs clients, ils ne se privaient pas de rire, de plaisanter et de se provoquer.
Tout était parti d'une suggestion de la fauvette. Ils s'étaient découverts l'un comme l'autre dans une intimité peu reluisante, souffrant et affaibli, et le vouvoiement lui sembla soudain trop guindé. Cependant, si le tutoiement lui parut logique, il n'était finalement pas si simple à mettre en œuvre et elle ne manquait pas de le souligner malicieusement au Beaurepaire quand il faisait l'impasse, le gratifiant d'un gage à chaque fois, en omettant qu'elle se trompait sans doute bien plus que lui. La mauvaise foi était peut-être bien un trait féminin après tout.

C'est ainsi qu'elle lui avait extorqué le démêlage de ses longues boucles indociles, dans des notes florales de la poudre de racines d'iris, poudre dans laquelle elle lui avait d'ailleurs collé le nez en riant comme une enfant. Tant de fois, elle avait peigné les longs cheveux de soie de la Danoise. Elle comprenait à présent le plaisir qu'on pouvait prendre à abandonner sa tignasse à une main douce et dévouée. C'était un délicieux moment de légèreté à se faire dorloter un peu, à n'être pas très sérieux, à sourire ou rire en se tenant en équilibre, sur le fil. Et pourtant, en une simple phrase, Arsène réussit à la déstabiliser.

– Il est bien une promesse qui me tiendrait à cœur.
Elle l'avait regardé, surprise de son air soudain sérieux.
– Oui ?
Le jeune homme, qui d'ordinaire dégageait tant d'assurance sembla hésiter, intriguant plus encore la fauvette. Elle lui étira un sourire encourageant, sans le lâcher des yeux.
– Celle que tu ne partes jamais.
Une douceur rêveuse vint nimber un instant ses prunelles et souligner les traits fins de son visage. Mais immédiatement, ses dents attrapèrent le coin de sa lèvre, comme à chaque fois qu'une émotion la débordait. Elle n'osait répondre, au risque d'en dire trop sur ce qui bousculait son cœur depuis plusieurs jours, et qu'elle ne voulait guère admettre. Elle baissa la tête, un peu gênée.
– Celle-ci, j'aimerais la tenir.
Si son regard s'était dérobé, elle sentait toujours peser sur elle celui du Beaurepaire. Sa voix trahissait cependant les mêmes hésitations.
– Mais c'est compliqué, je sais.

Ça l'était pour Fanette, non pas qu'elle ait le désir de retourner auprès de son époux, mais elle se sentait bêtement coupable, et bêtement était bien le mot juste. Elle avait promis d'être une épouse obéissante, et aussi de lui laisser une seconde chance, mais elle s'était carapatée, deux fois de suite en plus. Puis, il avait été sa seule alternative quand elle craignait pour la sécurité de ses enfants et la sienne. Elle se trouvait déloyale, oubliant sans doute qu'il ne l'avait pas été moins qu'elle.
– Si tu restes ici, moi je veillerais sur toi.
L'ombre de la possible épouse vint planer au-dessus d'eux. Fanette ne savait guère s'il pourrait tenir cette promesse une fois qu'il serait marié. C'est un regard où les doutes se mesuraient aux espérances qu'elle posa dans le sien.

– Si un jour j'ai une femme, elle ne prendra pas ta place.
Etrangement, au lieu de la rassurer, cette affirmation raviva la précarité de sa position. Elle avait un mari, il devait prendre épouse de son côté, pour satisfaire aux ambitions paternelles. Quelle pourrait bien être sa place dans cette équation ? N'était-elle pas naïve de penser qu'il puisse y en avoir une ?
– Si je n'avais pas été mariée Arsène, les choses auraient-elles été différentes ?
Elle détourna le regard, regrettant aussitôt cette question qui impliquait tant d'autres choses qu'elle n'était pas prête à dire sans doute.
– Je pense que oui.

Il se surprit à répondre avec la même spontanéité, se troublant de son propre aveu. Le cœur de la fauvette avait sans doute manqué un ou deux battements et elle s'était soudainement sentie bien malheureuse. Sa vie s'était enlisée aux convenances qu'elle supportait parfois facilement, parfois en courbant l'échine. Mais à cet instant, alors qu'elle relevait sur Arsène un regard contrit, elle réalisait que, sans rien se dire, ils s'en étaient dit bien trop. Ils avaient tracé l'esquisse d'une vie qui ne serait pas la leur, puisqu'elle était mariée, et qu'il le serait tôt ou tard. Alors ils étaient restés là, douloureusement silencieux, sa fine main serrée entre les doigts masculins. Elle probablement perdue à sa déception, et lui, réalisant qu'il ne regrettait pas de s'être ainsi dévoilé. C'est sans doute ce qui le poussa à lui poser une autre question.
– M'attendrais-tu si je devais me marier, et que tu réussisses à te défaire de lui ?
Il l'avait tant surprise que sa voix, muselée par l'émotion, resta prisonnière de sa gorge. Elle susurra un oui alors que le regard clair du Beaurepaire sondait le sien, cherchant à savoir si elle était sincère. Elle acquiesça d'un signe de tête, lui offrant un nouveau oui, plus clair, et assorti d'un joli sourire. Mais malgré tout, son cœur battait la chamade, menaçant à tout moment de passer les barrières de chair et d'os.

Le jeune homme, après avoir cueilli son oui, vint prendre ses lèvres, scellant cette promesse d'un baiser qu'elle lui offrit en retour. Timidité rapidement céda la place à une audacieuse douceur. Elle se sentait prête à défaillir à cet instant-là, toute à la caresse d'une bouche à laquelle elle répondait avec la même gourmandise, et qu'importe qu'elle ne soit pas légitime. Quand enfin ils s'écartèrent, elle glissa une main à sa joue, éprouvant le besoin de garder le contact, de peur qu'il ne disparaisse, qu'il n'éclate comme une bulle de savon.
Si tout cela n'était qu'un rêve ?
Si elle avait mal compris ?
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Lison_bruyere
    Brest, 22 novembre 1467

– Si on oublie l'inconvenance, puis-je demander quelque chose ?
– Oui.
– Dors avec moi.
Fanette glissa sur lui un regard stupéfait, ne s'attendant pas à une telle suggestion. Sans doute pâlit-elle légèrement avant de sentir ses joues s'embraser, et, bien incapable d'articuler un mot, elle finit par acquiescer d'un signe de tête. Arsène l'observait, et vint effleurer sa joue de ses lèvres, soufflant à son oreille.
– Je veux juste te garder près de moi, rien de plus.
Elle acquiesça d'un sourire. L'un et l'autre en cet instant, venaient de faire fi du lendemain, préférant prolonger les quelques moments qu'ils pouvaient partager hors de la vue des autres. Ils ne savaient quand, mais bien trop tôt probablement, l'arrivée d'une possible fiancée bousculerait leur quotidien. Chacun d'eux voulait croire que rien ne changerait, mais au fond, ils savaient bien que ce n'était qu'une douce utopie.

Si le jeune homme l'entraîna à l'étage, d'une pression sur sa main, elle l'arrêta devant la porte de sa chambre et pivota pour venir se planter face à lui. Une torchère faiblarde éclairait la moitié de son visage, faisant ressortir les éclats d'or sombre à sa chevelure, l'arête de sa mâchoire implacablement rasée, et une irrésistible fossette à son menton. Son regard d'azur clair semblait gris dans la pénombre du couloir, mais il s'était résolument glissé dans le sien, quand d'un bras passé à sa taille, il l'attirait à lui, comme s'il craignait qu'elle ne change d'avis. Un bref instant qui sembla s'étirer plus longuement, elle resta là silencieuse, lovée contre lui, la main appuyée à sa poitrine, à laisser courir ses yeux sur les traits masculins comme pour en apprendre par cœur chaque relief. Pourquoi l'image du Corleone se superposait-elle parfois à celle du Beaurepaire ? Etait-ce les similitudes de leurs visages, ou bien l'arrogante assurance qu'il dégageait souvent. Un sourire léger releva le coin de ses lèvres au souvenir de la première nuit qu'elle avait sagement passée avec l'Italien, sans doute parce qu'Arsène venait de lui faire la même proposition. Elle chassa malgré tout ce souvenir. Elle avait mis plus d'un an à se libérer de son amour pour le Florentin, et son cœur pouvait bien s'attacher à un autre désormais, sans aucune once de regret.

Il était encore temps de s'écarter de lui et de s'engouffrer dans sa chambre, mais elle en décida autrement. Son cœur cognait si fort qu'elle imaginait qu'il pouvait l'entendre quand elle se hissa sur la pointe des pieds, s'efforçant d'amener son visage à hauteur du sien.
– Chez moi alors, si les enfants se réveillent, je veux pouvoir les entendre.
Précautionneusement, elle ouvrit la porte et le précéda à l'intérieur. La pièce était baignée de la lueur diffuse des braises qui couvaient dans l'âtre. Elles ajoutaient çà et là des touches orangées aux arêtes des rares meubles de la modeste chambre. Stella dormait dans un berceau de fortune, improvisé dans un coffre au pied du lit, et Milo s'était roulé jusqu'au mur, dans le coin du matelas, en prenant toutes les couvertures dans lesquelles il s'était emmêlé. La jeune mère sourit, oubliant le Beaurepaire le temps de réinstaller doucement son fils. L'enfançon ânonna quelques mots sans pour autant paraître se réveiller. Elle caressa tendrement sa joue et déposa un baiser à son front, avant d'offrir les mêmes attentions à sa petite sœur. Puis elle se retourna vers Arsène. Il venait d'étaler les tisons rouges avant de reposer dessus une bûche épaisse. Les flammes reprirent, timides d'abord, grignotant l'écorce, s'insinuant dans les fibres ligneuses du bois, avant de gagner en intensité. Bientôt, elles crépitaient joyeusement, ramenant un peu de jour à la pièce en dessinant des ombres dansantes aux murs de chaux. Si le clair-obscur dans la salle commune se faisait doux, incitant aux rêveries, à la tendresse et aux confidences, là, dans l'intimité de sa chambre, elle fut soudain mal à l'aise qu'il puisse la voir si distinctement. N'avait-elle pas envie de sa présence ? Assurément oui, et bien plus encore, elle voulait se couler contre lui, et ne jamais quitter la tiédeur des chastes étreintes qu'ils partageaient. Mais à l'instant, un sentiment diffus de honte et de crainte lui empoignait le cœur. Du haut de ses dix-neuf ans, elle avait connu deux hommes déjà, et pourtant, elle retrouvait dans le regard d'Arsène, toutes ses réserves de pucelle. Elle tenta de l'occulter, en délaçant rapidement les liens de ses vêtements qu'elle fit tomber à ses pieds, ne conservant sur elle que la chainse de cainsil fin dont l'échancrure, bordée d'une dentelle délicatement ajourée, dévoilait sa gorge claire. La pénombre rendait sans doute invisible la marque qui enserrait sa cheville droite, mais elle redouta qu'il n'aperçoive la cicatrice hideuse qui déformait son mollet. Bien trop embarrassée pour s'attarder à plier son linge, elle le laissa au sol et se contenta de l'enjamber pour aller se glisser dans le lit, à côté de Milo.

Elle ferma les yeux, osant à peine respirer, tant son souffle lui semblait bruyant. Ce n'est qu'en sentant le jeune homme se faufiler à son tour entre les couvertures qu'elle les rouvrit, tournant vers lui son minois taché de son. Il écarta un bras, et elle se rapprocha, déposant ses boucles indociles à l'épaule masculine. Sa main remonta le torse nu, appréciant la douceur de la peau glabre, pour trouver sa place, entre les pectoraux. Elle pouvait percevoir le battement régulier de son cœur. Elle referma de nouveau les yeux et ses lèvres étirèrent un sourire. Blottie contre lui, la gêne précédente s'estompait, pour ne laisser que la saveur tiède et sucrée de cet instant. Elle était bien, là, dans le silence intime d'une chambre, troublé seulement du murmure d'un feu, et de la respiration paisible des enfants. Elle ne parlait plus. Et insidieusement, la culpabilité revint hanter ses pensées. Pouvait-elle à présent encore se porter quelque estime, quand elle s'apprêtait à s'endormir alors que chaque parcelle de sa peau s'éveillait au contact de celle qu'elle effleurait, et qu'une lave brûlante se répandait à son ventre. Aurait-elle le droit encore de s'enorgueillir de loyauté quand sa nudité ne se couvrait que d'une simple chemise, et qu'elle offrait ainsi son sommeil à un homme, alors que c'est l'alliance d'un autre qu'elle portait à son doigt. Doucement, elle la fit glisser de son annulaire et la laissa tomber à l'extérieur du matelas. L'anneau percuta le plancher dans un bruit mat et roula un fugace instant avant de s'immobiliser. Elle sentit une larme traîtresse s'accrocher à ses cils mais, un baiser vint emplir sa bouche d'une caresse gourmande, et à l'instant, elle se rappela qu'en dépit de tout, ce soir, elle ne voulait pas être ailleurs que là, pressée contre le corps tiède d'Arsène.
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Milo_amalio
Brest, 23 novembre 1467


Le jour se faufile dans la pièce par les interstices du volet de bois, rabattu sur la croisée. Les yeux de Milo papillotent encore. Il fait froid, il se colle au flanc de sa mère, qui, dans l'inconscience de son sommeil, ouvre néanmoins un bras pour l'accueillir. Prisonnier encore de la torpeur nocturne, il ne bouge pas, écrasant parfois un bâillement, et son regard ensommeillé capte les petites étoiles de poussière qui dansent dans la lumière douce du petit matin. Un sourire se dessine sur le visage de l'enfant. Déjà nourrisson dans les bras maternels, elles le captivaient. Il les suit un instant, les pointant parfois de l'index. Et doucement, l'esprit s'éveille, le corps aussi, il commence à gigoter, redresse la tête pour balayer la pièce du regard. Il guette un mouvement dans le coffre mais sa petite sœur semble dormir encore. Le regard de lichen se heurte cependant à une autre silhouette, allongée de tout son long dans le lit, de l'autre côté du corps frêle de sa mère. Il n'est pas surpris, il ne se préoccupe pas des convenances encore, il est bien trop jeune pour ça. Il sait juste que l'homme est gentil avec lui, et qu'il l'a consolé quelques nuits où il était abandonné aux soins de la nourrice. Il est heureux, et se dresse, repoussant les couvertures sans se préoccuper de la fraîcheur qui s'est emparé de l'air quand le feu se mourrait. Il enjambe plus ou moins maladroitement sa mère, la tirant à son tour du sommeil et faufile ses petits pieds entre les deux corps. Une expression joyeuse éclaire le minois du petit brun. L'équilibre est précaire, les bras battent l'air pour se tenir debout. Sa voix se teinte d'amusement quand il se met à répéter à haute voix :
– A'sène ! A'sène !
Soudain, les bras qui s'agitent ne suffisent plus à le tenir droit sur le matelas trop souple, au milieu des deux adultes et il tombe en riant sur le Beaurepaire, les deux mains en avant pour se retenir.
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Arsene.b
      Brest, 22 novembre 1467


    Les moments étaient trop courts, alors qu'ils se perdaient dans les "je n'ose pas" alors que l'envie était là. Dans la pénombre de ces fins de soirées, plus propices aux confidences et aux gestes discrets, ils continuaient à se découvrir. S'il voulait croire réussir à lui conserver sa place à ses côtés, il savait aussi qu'ils devront plus rarement s'accorder ces rapprochements que pourtant il voulait chaque jour. Est ce ça d'aimer ? De ressentir le besoin de prolonger chaque instant en compagnie de la personne qui inspirait ce sentiment ? Il l'ignorait mais il le voulait, aussi il avait demandé, soudainement. Au point où ils en étaient, est ce que c'était mal de seulement s'offrir un sommeil à deux ? Est ce mal que de vouloir prendre un jour après l'autre, oublier le lendemain qui pour tout deux ne serait pas simple ? Est ce mal que d'avoir besoin d'elle pour trouver le courage d'affronter ce lendemain ? Aussi, promesse que ce contact nocturne ne sera qu'une douce étreinte, le jeune homme entraîna sa compagne vers l'étage.

    Comme surement il lui expliquerait plus tard, il ne voulait pas aller plus loin. Quand bien même il avait envie de la découvrir toute entière, il voulait lui laisser la possibilité de se préserver, de partir si un jour elle ne se sentait pas capable d'affronter ce qu'il lui destinait. Car c'était bien cela, il allait lui imposer la présence d'une autre femme entre eux. Mais non pas à la manière de son époux, juste par obligation. Si elle aurait été libre ? C'est elle qu'il aurait choisi, sans la moindre hésitation. Mais le temps les pressait, Dante et lui, et c'était à lui de marquer le premier tempo dans cette stupide vie, et cette demande paternelle. Gagner du temps. Ils en auraient bien besoin. A l'étage, il réponds à la pression sur sa main pour faire face au visage féminin. Allait-elle changer d'avis ? Au fond , c'était peut être une idée stupide, il pourrait le comprendre. Avec elle, il pouvait tout comprendre, et apprendre. Son regard erre sur les traits fins de son visage. Elle était tout l'opposé des femmes qu'il avait fréquenté avant, plus petite, plus fine, quand bien même son teint lui rappelait celui de ces filles de porcelaine, son cœur lui n'était pas le même. Et chez elle, c'était avant tout le cœur qu'il voyait au delà de la barrière physique. Elle n'était pas la plus jolie, mais elle avait ce charme délicat qui l'attirer, faisant d'elle, la plus belle. Même ses boucles blondes qu'elle disait peiner à peigner lui plaisait.

    Et dans la pénombre de ce couloir, la fauvette garda le silence un long moment, laissant le Beaurepaire apprécier. Il vient glisser un bras autour d'elle, si elle changeait d'avis, ça ne serait pas sans lui laisser la possibilité de lui dire bonne nuit à sa façon, à son envie. Le silence s'éternisa, et malgré cela, ni l'un ni l'autre ne sembla s'en offusquer. Au contraire, c'était dans ce genre de silence qu'ils avaient finalement réussi à se parler. Et ce fut elle qui le rompit, alors qu'un léger sourire s'accrocha sur les lèvres du lupin. Il acquiesça d'un simple mouvement de tête. Les enfants, innocents et surtout inconscients qu'ils seront pour l'homme la raison qui le fera se tenir sagement à sa place. Après leur mère, c'était à eux qu'il fallait penser. Il pénétra dans la chambre à sa suite. Et ce fut comme s'il venait d'entrer dans une antre où il ne devrait pas être. Soudainement, il ne fut plus très sur de devoir se laisser aller à son envie de passer la nuit avec elle. Aussi pour s'occuper, surtout contrôler ce sentiment de maladresse qui naissait en lui, il prit sur lui de s'occuper du feu dans la cheminée, pour redonner à la pièce un semblant de chaleur. Il s'y attarda plus que de raisons. C'était fort simple, il avait la sensation d'être un jeune puceau idiot. Rapidement les flammes grandirent, il se redressa pour porter son regard sur elle. Il lui sembla lire dans ses yeux noisettes un éclat d'angoisse, lui demanderait-elle de partir ?

    Ce fut pendant un très court instant ce qu'il crut mais les gestes de la jeune femme le détrompèrent. Elle porta ses mains sur ses vêtements pour venir s'en défaire. Arsène aurait aimé avoir la pudeur de détourner les yeux mais il en fût incapable. Il suivit la chute des tissus des yeux avant de remonter lentement son regard sur elle. Avait-elle conscience seulement de la chaleur diffuse qu'elle faisait alors naître au creux de ses reins ? Il en doutait. Et s'il pu apercevoir quelques traces sur son corps, ce n'est pas ce qui le perturba, loin de là. Sa Féline échappa à son regard en se réfugiant dans le lit, il étira un léger sourire. Il ne prendra que quelques minutes pour la rejoindre, ne gardant sur lui que ses braies. Il aurait pu la soulager de cette angoisse mais il n'avait pas envie de partir. Il voulait la rassurer, lui faire comprendre que peu importe tout ce qui pourrait lui faire peur, il verrait plus loin. Le lupin lui offre la possibilité de se rapprocher, elle le fait. Curieuse sensation alors que d'apprécier ce simple contact contre lui, comme une précieuse étoffe. Dans la pénombre son regard effleure les ombres dansantes sur le plafond. Il ne parlera pas, non ni même ne forcera le rapprochement, laissant à la jeune femme de se faire à sa présence là, dans cette intimité qui était sienne, car quand bien même, ils ne franchiraient pas les limites, c'était bien l'intimité qu'il avait percé ce soir. Et fort étrangement, il s'en trouvait fier. Il entendit un bruit, un anneau lui sembla t-il rouler sur le sol après être tombé. Il ne fût pas long à comprendre, alors qu'il vient déposer sur les lèvres féminines un baiser. Devait-il comprendre qu'elle faisait le deuil de ce mariage qui la tourmentait tant pour diverses raisons ? Peu importe, de ce geste il en apprécia l'importance, car d'une certaine façon c'était pour lui faire une place à lui, dans le cercle de sa vie.



      Brest, 23 novembre 1467


    Si on devait lui demander comment il se sera endormi, Arsène ne saurait répondre. Il ne saurait que décrire le moment de félicité ressenti, mais il ne souvenait plus à quel moment Morphée l'avait cueilli. En revanche, il put dire que le réveil fût pas celui qu'il aurait imaginé. Si les mouvements sur le lit attira son attention a travers les paupières encore closes, il n'avait pas pensé au réveil du garçonnet la veille en venant là avec sa mère. Tant et si bien que les escalades du bambi finit par réveiller totalement le Beaurepaire, juste à temps pour encaisser la chute dans les joyeux A'sène qui venaient de se faire entendre. Et bien au moins, il y en avait un heureux de le trouver la ce matin, c'était plaisant malgré le manque de douceur matinal. Le lupin lâcha un rire avant de soulever le bambin à bout de bras au dessus de lui.

    - Dis donc Petit Homme, va falloir que ta mère t'apprenne à réveiller les gens en douceur !

    Il ne fut pas certain que les mots trouvèrent compréhension dans l'esprit du petit garçon, car celui ci riait de se trouver dans les airs. Le beaurepaire le laissa redescendre pour le poser entre les deux corps adultes non sans gratifier le petit ventre de chatouilles. Il avait eu lors de l'absence involontaire de la jeune maman, des moments qu'on pourrait dire privilégiés avec Milo, et c'était souvent ainsi qu'ils s'étaient manifestés. Son regard tomba alors sur celui de sa compagne, il lui offrit un large sourire. Fini la tranquillité mais sans regrets, même aux deux petits il s'attachait.


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Lison_bruyere
Ce même matin, chambre de la fauvette.

Le petit Corleone partageait le lit de sa mère depuis son retour, même dans leur maison de Limoges. Sa petite sœur avait pris tout naturellement sa place au berceau de châtaignier mais rien encore n'avait été prévu pour l'enfançon, enlevé au jour de ses sept semaines. Autant dire qu'elle avait l'habitude des réveils bourrus, aussi avait-elle à peine réagi en sentant l'enfant l'enjamber maladroitement. Ses lèvres esquissèrent un sourire, mais ses yeux papillotaient encore, chassant les brumes de la nuit en s'accommodant doucement du clair obscur de la chambre. L'instant d'après, le rire du bambin achevait de la tirer du sommeil. Elle se tourna de côté vers lui, prenant appui sur son bras, quand Arsène le cala entre eux. A cet instant-là, noisettes s'accrochèrent au regard bleu du jeune homme et l'embarras de la veille au soir vint rosir ses joues. A l'abandon de la nuit, gestes et tenue n'avaient plus guère d'importance, il n'était resté que la douce innocence d'une étreinte à laquelle elle s'était fondue en oubliant toute convenance. Mais là, sa main chercha l'échancrure de sa chainse égarée à son épaule. Elle la remonta rapidement, craignant qu'elle ne dévoile trop sa gorge, et finit par lui sourire, bienheureuse malgré tout qu'il soit, avec son fils, le premier visage qu'elle puisse contempler au matin. Elle se pencha sur Milo pour l'embrasser, et ne manqua pas d'effleurer sciemment la main du Beaurepaire en venant chatouiller le petit bidon enfantin.
Alors seulement, se réappropriant l'instant, elle plongea de nouveau dans le regard d'azur profond qui n'avait cessé de la couver. Elle esquissa un sourire mêlé d'une douceur presque mélancolique. Jamais Roman et elle n'avaient pu profiter de la gaieté d'un enfant à leur réveil. On leur avait arraché Milo bien trop tôt, et le Florentin l'avait répudiée longtemps avant qu'il ne leur soit rendu, et que Stella ne vienne au monde. Probablement que ce manque ajoutait une petite touche supplémentaire à l'attachement qu'elle ressentait pour le Beaurepaire. Lentement, ses doigts partirent à la rencontre du visage masculin. Elle en effleura tendrement l'arête de la mâchoire, remonta le long de sa joue, avant de s'attarder à ses lippes. Elle laissa retomber sa tête dans les coussins, et tout ce que les mots refusaient encore de livrer, son regard câlinement rivé à celui d'Arsène en faisait sans doute la douce confession.


    Brest, 25 novembre 1467

Arsène, ainsi qu’il en avait fait le vœu, s’était engagé en premier sur l’étroite passerelle. Sa main tenait fermement celle du petit Corleone. Quand un matelot se précipita pour le décharger de ses sacs, il souleva l’enfançon, et, en quelques enjambées, rejoignit le pont. Fanette était encore sur le quai, Stella calée sur sa hanche. Son regard, brillant d’une admiration presque enfantine, courait sur le navire. La coque était forte et arrondie, pourvue de deux imposants châteaux à l’avant et à l’arrière. Le grand mât devait bien toiser plus de cent-cinquante pieds, et le mât de misaine était à peine plus petit. Les gabiers grimpaient déjà dans les haubans pour rejoindre les vergues. Elle les regarda faire, enviant le spectacle qu’ils devaient avoir sur la ville et les quais. Les flancs renflés du bâtiment étaient percés de sabords dont les mantelets étaient fermés, mais ils laissaient soupçonner les canons qui venaient en renfort des archers juchés sur les châteaux en cas de conflit. Un fugace instant, les traits de la fauvette se chiffonnèrent d’une petite moue, au souvenir d’une réflexion du capitaine sur la pertinence d’aborder les côtes normandes sur une caraque de guerre. On lui avait évoqué les intentions belliqueuses du nouveau grand Duc de Bretagne et les rumeurs d’une guerre prochaine. Elle chassa ses funestes pensées d’un soupir, bien décidée à ne pas se laisser gâcher son bonheur du moment. Ses yeux glissèrent sur le Beaurepaire qui soufflait quelques mots à l’oreille de Milo. Le sourire étira les lèvres de la jeune femme, en écho aux leurs. Elle s’engagea à son tour sur la passerelle, posant ses pas précautionneusement en regardant les vaguelettes au-dessous, se briser contre le quai. Sa main libre vint enrouler ses doigts à ceux que lui tendait Arsène pour l’aider à monter. Elle accrocha un regard tendre et impatient au sien, se ravisant rapidement, de peur qu’on le surprenne.

Enfin, elle y était, les pieds posés au bois lavé par les embruns du pont supérieur. Elle rêvait à ce moment depuis si longtemps. Quand elle avait su écrire, un peu trop tardivement sans doute, elle s’était empressée de coucher sur un parchemin la liste des choses qu’elle voulait faire dans sa vie. S’embarquer sur un navire arrivait en bonne place, entre aller voir la cité du troubadour et savoir jouer de la vielle à roue. Elle avait rayé certains vœux, au fur et à mesure qu’elle les avait réalisés, et parfois, au gré d’un récit de voyage ou d’un rêve, elle en ajoutait un autre.
Le matelot les invita à les suivre au milieu d’une bruyante agitation. Un gamin qui ne devait pas avoir plus de sept ou huit ans déversait des seaux d’eau sur le pont, qu’il chassait d’un balai de paille dont le manche devait être deux fois plus haut que lui. Des hommes acheminaient encore sur leur dos des fûts lourds de vivres et de vin, que d’autres arrimaient dans la cale, quand une grande majorité de l’équipage s’affairait à la vérification des cordages et des voiles, ou préparaient les manœuvres à venir. Les marins, adossés au bastingage, haranguaient ceux juchés dans les hunes. Fanette suivait le mouvement, regard rivé à ce monde qu’elle découvrait. Cargue, drisse, bonnette, cabestan … tous ces mots inconnus qu’elle se plaisait à entendre recelaient tant de mystère que son voyage lui semblât bien plus aventureux encore. Elle voulait tout voir, tout retenir, s’attachant à engranger chaque détail, la douceur des boiseries sur lequel elle laissait courir la pulpe de ses doigts, l’odeur iodée de la mer, le vent qui jouait dans ses boucles, le cri des oiseaux marins tournant impatiemment autour des navires voisins, desquels les pêcheurs déchargeaient leurs cargaisons. Elle s’attendrissait de découvrir dans le regard de lichen de ses enfants le même émerveillement béat qui couvait dans le sien.

Quand ils pénétrèrent dans le château arrière, l’ambiance se fit plus feutrée. L’affairement du dehors n’était plus qu’un murmure étouffé. Les cloisons de bois assombrissaient le couloir mais le parfum de cire était si prégnant qu’il parvenait à couvrir les effluves de mer. Le matelot s’arrêta devant deux portes qui se faisaient face. Il ouvrit la première et s’effaça pour laisser entrer la jeune mère. Puis il se retourna avec déférence vers le Beaurepaire. Sans doute bénéficiait-il de quelque faveur, en tant que frère de l’intendant de la Duchesse d’Ouessant. Elle entendit qu’il lui proposait de s’installer, avant de rejoindre le château avant, abritant le mess et une salle réservée à l’équipage, ainsi qu’une autre, pour les officiers.

Quand les pas du matelot s’éloignèrent, Fanette osa un regard sur la coursive et se faufila dans la cabine voisine. Elle vint presser rapidement ses lèvres à celles du jeune homme, et se recula, craignant d’être surprise d’un regard égaré par la porte entrouverte. La main potelée de la Piccolina accrocha un lien de cuir du pourpoint masculin, provoquant un léger rire de sa mère. Elle dénoua les petits doigts de sa fille, en posant un regard amusé dans celui du Beaurepaire avant de le glisser sur son fils. Milo explorait déjà les environs. Il s’était hissé sur la couchette et courait d’un bout à l’autre du matelas en riant. L’Angevine s’éloigna du jeune homme pour aller récupérer l’enfançon.
– Ça c’est le lit d’Arsène Gattino mio. Viens avec moi, on va voir notre chambre.
Elle l’entraîna vers sa cabine, effleurant au passage le châtain, d’un geste délibérément malicieux qui l’invitait à les suivre.

Au-dehors, ordres étaient donnés pour larguer les amarres, le navire appareillait.
Les voiles se gonfleraient bientôt de vent, comme le cœur de la fauvette s'était gonflé d'audace et d'espérances.
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Arsene.b
      [ 25 Novembre 1467, Brest et son port puis sur le navire ]


    Chose entendue entre eux, alors que ce moment qu'elle avait attendu avec tant d'années approchait, le Beaurepaire grimpa en premier sur le navire où ils avaient été gracieusement acceptés par la Duchesse de Ouessant pour la découverte des voyages maritimes. Lui aussi avait admiré la coque élancé du bateau, ses mâts si hauts, l'activité sur le pont, les chargements, les grimpettes dans les haubans des habitués. L'ambiance était particulière, partagée entre l'impatience de prendre la mer et le sérieux des préparatifs. Une fois juché sur le pont avec le fils de Fanette, le Lupin s'était approché du bastingage pour poser son regard sur la silhouette féminine encore sur les quais. Il devinait dans son sourire, son plaisir à se trouver là. Pas peu fier d'avoir osé demander après un navire pour lui offrir cette possibilité de réaliser un de ses rêves. Tout ce qu'il espérait, c'est qu'elle ne soit pas déçue, et tout au contraire, que ce voyage soit à la hauteur de ses espérances et imagination. Et finalement, elle s'engagea sur la passerelle, le jeune homme lui tendit la main sur les derniers pas pour l'aider à poser son pied sur le pont à son tour. Il ne voulait rien manquer des expressions naissants sur son visage et dans son regard noisette.

    Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne fut déçu. Entre l'émerveillement, la curiosité et le simple bonheur d’être là, la palette d'émotions furent bien présentes, autant chez Milo que sa mère, peut être aussi pour la plus petite des trois. On les guida vers ce qui seront leurs cabines, la première pour la jeune mère, la seconde pour le Beaurepaire. Précaution à prendre s'ils voulaient garder leur relation à l'état de secret intime, qu'eux seuls partagés, si on oubliait les deux enfants. Arsène remercia le marin avant de faire face à la jeune femme. Il aima immédiatement le confort de la cabine, la couchette, les coffres qu'on avait l'impression de voir faire partie intégrante de la coque. C'était petit mais suffisant pour un voyage en mer. Milo testa même le matelas des lieux , Arsène le suivit des yeux d'un air amusé. Voilà qui ne semblait absolument pas perturbé par les changements d'environnement. Du moins pour l'instant. Le lupin recueillit le rapide baiser offert avant de suivre la mère et ses enfants dans la cabine face à la sienne. Pour l'heure ils allaient s'installer avant de retourner à l'extérieur peut etre observer l'agitation puis rejoindre le mess dont la duchesse avait mentionné l'existence, pour les retrouvailles entre les passages.

    Un seul regret à ce tableau, l'absence de Dante qui ne viendrait pas cette fois ci.


      [ 2 Decembre 1467, Each Uisge]


    Une fois de plus, dans la pénombre feutrée, cette fois d'un mess vidé des passagers de la caraque, hormis deux, toujours les mêmes qui guettaient il faut le dire ces instants avec impatience. Il ne se souvenait plus très bien de quoi ils parlaient, tant les sujets pouvaient être divers et sans fin entre eux mais en revanche de la suite, il fallait admettre que c'était un pas de plus sur le chemin chaotique que serait leur relation cachée. Le beaurepaire en était venu à poser ses lèvres sur la joue féminine, pour lui sourire ensuite. Oui elle le rendait heureux, et surtout, il avait foi en l'avenir. Il avait confiance. Pas seulement en elle, mais sur les prochains événements, qui ne manqueraient pas d'arriver. Elle surenchérit sur ses mots.

    - Et grâce à toi, j'envisage demain autrement...
    C'est vrai Arsène, tu m'aurais offert un beau voyage, un peu d'évasion, le temps de cette parenthèse Bretonne, puis, je serai retournée à limoges près de mon époux, je ne sais pas si j'aurais su encore lui parler, sans doute pas plus qu'avant que nous partions, et quand je ne sais pas lui parler, ce n'est jamais bon pour moi

    - Mais la parenthèse ne se refermera pas..
    - oui, à présent oui, c'est en cela que tu m'offres un demain différent

    Un demain incertain mais différent oui. Arsène s'y plaisait à l'envisager avec sourire, et à y rêver de parvenir à l'atteindre, peu importe les épreuves à franchir avant cela. Il était désormais sur d'une chose, il la voulait. Elle et non une autre. Une pensée que la fauvette exprima à haute voix, elle avait renoncé à aimer quelqu'un qui l'aimerait pour elle. Un court instant, le beaurepaire songea à l'époux qui n'avait pas su se contenter d'elle, celui qu'elle avait dit croire pouvoir aimer avec le temps. Un sentiment de jalousie étreignit son coeur. Il en chassa cependant le ressenti pour lui offrir un sourire plus doux.

    - Pourquoi en vouloir une autre alors que tu en vaux dix à toi seule
    - Oh non ... sans doute que non
    - Mais si
    - Dix femmes bien imparfaites alors, je suis ... j'ne suis pas courageuse, j'suis pas instruite, j'suis petite, j'suis pas très forte, et, j'suis assurément pas la plus jolie
    - Et alors ?
    - Alors ... alors j'peux pas valoir dix fille avec tous ces défauts
    - Non peut être vingt alors

    Un éclat de rire féminin, alors que l'homme gardait un semblant de sérieux. Non non il ne se moquait pas. Au contraire. Il voulait juste lui faire comprendre comme lui la voyait. Elle étira un sourire, oui elle préférait se voir dans son regard auzr mais pourtant cela ne semblait pas lui suffire. Son corps marquait à diverses reprises portait des stigmates qui la complexait, alors que lui ? Il le voyait mais pas comme elle le pensait. Elle souffla quelques mots comme l'attente de les voir, le lupin lacha un léger soupire. Lui rendre confiance en elle ne serait pas une mince affaire. Ce n'était au fond que des détails qu'il découvrirait l'un après l'autre, pour lui montrer combien ils étaient secondaires à ses yeux. Pourtant, elle souleva le bas de sa jupe pour dévoiler son mollet disgracieux. Son regard vient effleurer la cicatrice tronant là, venant poser sa main sur la sienne, celle qui tenait les tissus relevés, pour la regarder ensuite. Sa voix sans doute rendu un peu plus rauque par le sérieux de la conversation, alors que l'instant d'avant, ils plaisantaient presque, posa la question.

    - Pourquoi voudrais tu que ca.. Ca me donne moins envie que toi..
    - Parce que les hommes préfèrent les femmes gracieuses j'imagine
    - Suis je les hommes ?

    Doucement, Fanette ébaucha un sourire, comprenant,avant de baisser néanmoins les yeux sur la main qu'il a posé à la sienne, et secoua doucement la tête après une courte réflexion. Arsène garda le silence, dans l'attente de sa réponse.

    - Tu es celui qui s'attache à rendre mon demain meilleur
    - Et celui qui apprend à regarder avec son cœur et non pas avec ses yeux
    Ca.. Ca fait partie de toi de ton histoire de ce que tu es
    De ce que je veux..


    Elle hochera la tete lentement, attentive à ses paroles, qu'il gardait sincère. De toute façon faire semblant, avec elle il n'avait jamais su ! Elle finit par lui sourire, offrant à ce qui pourrait être un regret, celui de ne pas l'avoir connu bien avant. Que pouvait-il y répondre ? Si ce n'est que même s'il était arrivé en retard dans sa vie, rien ne changera ce que sera désormais leur avenir. Ce même avenir auquel il voulait croire. Il était fort simple, moins d'un mois qu'ils avaient échangé leurs presque premiers aveux, et Arsène devait admettre avoir l'impression que c'était bien plus, tant il ne voyait plus ses jours sans elle. La féline vient alors nouer ses bras autour de son cou, ce à quoi le beaurepaire offrit étreinte en retour.

    - Je ne crois pas avoir entendu paroles plus douces ces dernières semaines, ces derniers mois
    - J'aimerai que tu ne les oublie pas
    - Non, j'oublie bien des choses en ce moment, mais ça, non
    - Et tu vas devoir apprendre à te voir aussi désirable que peut l'être la plus belle des femmes parce que.. C'est ainsi que je te vois moi..


    Le pâle sourire qu'elle lui servit, fit comprendre au jeune homme que la tâche de lui rendre confiance en elle, ne serait pas aisée à mener, vraiment pas. Pourtant il ne chercha pas à insister la dessus pour l'heure, venant plutôt poser ses lèvres sur les siennes pour un baiser intense, amoureux. L'instant se prolongea au plus grand plaisir des deux presque amants. Elle se laissant porter par son envie de ne pas avoir à se défaire de lui, lui à vouloir lui faire comprendre que c'était elle la femme qu'il aimait et qu'il aimerait. Elle lui avait permis de découvrir ce sentiment intense, il ne comptait pas s'en défaire. C'est peut etre ce bonheur de le ressentir qui le fit prononcer les mots, les uniques mots à entendre, alors qu'elle s'était lovée contre lui, visage au creux de son cou et qu'il passait ses doigts dans ses boucles blondes. Ce ne fut qu'un murmure, qu'elle perçut cependant. Son regard brillant de cette lueur étrange et envoûtante accrocha celui du lupin. Elle répondit sur le meme ton mais pas ce à quoi il se serait attendu au début. Elle parla de son premier mari, le père de ses enfants. Elle n'avait pas prononcé ces mots là depuis lui. Sa bouche s'ouvrir pour l'enjoindre à ne rien dire si elle ne le voulait pas mais les doigts fins sur sa joue, chassa les mots. Et ce fut bien car alors, il eut le plus bel aveu, celui qui vous donne l'impression d'avoir le coeur au bord d'une falaise, flirtant avec le vide.

    - Arsène, je t'aime aussi

    Un aveu qu'ils ne cherchèrent pas à briser, en allant se coucher en silence, seules leurs mains attachées l'une à l'autre prouvaient que malgré cela, c'était un pas de plus. Un bien précieux qu'ils s'échineraient à préserver dés lors.

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Lison_bruyere
    Honfleur, nuit du 8 au 9 décembre 1467

Fanette écoutait le silence à peine troublé des sons rassurants de la nuit. A quelques pas, elle percevait la respiration régulière de ses enfants abandonnés à quelques rêves bien éloignés des craintes de leur mère. Le mantelet du sabord laissait passer le clapotis des vaguelettes léchant la coque du navire. Le bois craquait parfois, mais elle ne trouvait rien d'inquiétant à ces plaintes qui lui rappelaient le bruit des vieilles maisons qui offrent rempart au temps. Et surtout, il y avait Arsène. Elle avait eu besoin de se couler étroitement à lui, de trouver refuge à la tiédeur de sa chair. Il n'avait prononcé aucune parole inutile, devinant une fois de plus combien les gestes lui étaient plus importants que les mots. Quand elle s'était lovée, dos contre son torse, il avait refermé son bras sur elle, et glissé sa paume à son ventre. Le dos de sa main effleurait le dessous de sa poitrine, dans un geste innocent bien qu'intime. La joue masculine, ou peut-être son menton, s'appuyait à ses boucles, et ses longues jambes épousaient la courbure des siennes. Elle devinait son souffle aux mouvements juste imprimés par sa cage thoracique, et les étoffes fines qui séparaient leurs dermes étaient bien incapables de dissimuler son désir, qu'elle devinait, roide et palpitant, au bas de ses reins.
Elle ferma les yeux, retenant l'envie de se retourner dans ses bras, et de prendre ses lèvres avec toute la fougue qui lui avait manqué ces dernières heures, depuis que la peur s'était glissée dans un quotidien pourtant tissé de bonheur et d'espérances nouvelles. Elle redoutait de céder au-delà de sa bouche, tant elle s'embrasait souvent à la douceur moite de ses baisers, quand les dents happaient la pulpe d'une lippe promettant délicieuses morsures, et qu'une main brûlante descendait le long de sa gorge. Elle serait sienne. Elle lui avait affirmé, pleinement consciente pourtant d'appartenir à un autre. Mais pas ainsi, pas dans l'urgence d'un réconfort. Le jour où elle se donnerait à lui, elle apprécierait chaque instant de la danse lascive, empressée, tendre ou brutale que leurs corps imprimeraient tour à tour, sans aucune contrepartie. Elle ne voulait pas être à lui par défaut, comme s'il n'était qu'un baume, venu soulager les souffrances anciennes ravivées par Lenù, aux braises des souvenirs. Sa peur de l'Alzo ne lui volerait pas cette première fois où elle abandonnerait son ventre à la vigueur du Beaurepaire.

Elle laissa échapper un soupir. L'Italien ne l'avait pas rudoyé cette fois-ci, mais la simple emprise de ses doigts maintenant son épaule, et de son ton faussement amical suintant la suffisance et la bestialité, suffisaient à raviver la terreur qu'elle avait de lui depuis qu'il lui avait promis mille tourments en la retenant dans l'étau de deux mains impudiques et avait menacé de tuer milo, dont les pleurs vrillaient ses tympans. Sa présence en ville lui faisait craindre ces moments où elle se trouverait isolée avec ses enfants. Elle se savait impuissante à assurer seule leur sécurité et la sienne, c'est même pour cette raison qu'elle avait consenti à s'en remettre à la protection de l'Abyssinien en acceptant de devenir son épouse. Dans le secret de la nuit qui baignait la cabine de l'Each Uisge, elle ébaucha un sourire. Arsène avait solutionné ses craintes en demandant au capitaine la permission d'embarquer plus tôt. Dès le lendemain, il ferait surveiller discrètement l'Italien, afin de s'assurer qu'il n'approche pas le navire. Fanette se savait hors de danger à présent. Alzo jouait de sa peur quand l'occasion s'offrait à lui. Il serait bien capable un jour de l'agresser, mais il ne la chercherait pas exprès pour assouvir ses vices et ses violences. Elle voulait croire que le simple fait de se soustraire à sa vue suffisait à la mettre à l'abri, et à présent qu'elle n'avait plus à descendre à terre, elle le serait.

Ses pensées s'égarèrent à Lenù. Elle lui aurait confié sans une once d'hésitation la vie de ses propres enfants. Quand elle craignait de mourir en couches, elles l'avaient évoqué. La Napolitaine les aimerait comme les siens, et se ferait louve pour les protéger. Mais avec le retour de l'Alzo c'est une autre nouvelle qui l'avait fait blêmir. Lenù di Massari deviendrait bientôt Lenù Alzo. Elle ressassait cette information, bien incapable de se réjouir pour la Napolitaine, quand l'affection dans laquelle elle la tenait le commandait pourtant. Elle entendait les arguments de la brune, elle savait qu'elle avait eu son lot de déceptions, dont une bonne part était liée aux prénoms de Gabriele et de Roman. Etait-ce pour cela qu'elle avait trouvé consolation dans les bras de leur ennemi ? Fanette songeait à leurs promesses. S'il lui arrivait malheur, elle ne pouvait imaginer ses enfants grandir sous le même toit que le barbu. Elle ne doutait pas de l'amour de Lenù pour les deux petits Corleone, mais elle craignait qu'elle ne soit apte à les protéger de lui, quand pourtant, elle lui avait accordé toute sa confiance. Et pour la conforter dans ses doutes, Fanette avait eu la veille un tout autre portrait de la Napolitaine. Quand un sourire perfide était venu étirer les lèvres de l'Alzo, tandis qu'il s'amusait à lui souffler quelque menace en se tenant bien trop près d'elle, la brune n'avait rien su faire d'autre que de froncer les sourcils aux agissements de son fiancé, en offrant à la fauvette un regard désolé. Pas une parole n'avait franchi la barrière de ses lèvres pour l'inciter à détourner son attention d'elle, hormis un simple "no" quand il avait évoqué la possibilité de l'étrangler là, dans cette salle commune, devant les deux femmes présentes en sous-entendant, avec raison sans doute, qu'elles ne sauraient l'en empêcher. Elle retint un sanglot, résolue à priver ses enfants de l'affection de la Napolitaine, tant qu'elle serait l'épouse de cet homme qui la terrorisait.

Son inquiétude glissa sur une autre enfant, qui elle, risquait fort de grandir auprès d'un autre monstre qui effrayait tout autant Fanette. Un violeur d'enfants, entre autres crimes. Celui à cause de qui on l'avait privé de son fils, dix mois durant, qui l'avait maltraitée à plusieurs reprises et avait laissé pour mort Roman après lui avoir brisé les côtes et la mâchoire. L'annonce du mariage prochain de Lenù avec Archibalde Alzo n'était pas la seule nouvelle qui l'avait faite pâlir. La Napolitaine, ignorant sans doute que Svan n'était plus vraiment son amie - l'avait-elle jamais été finalement - lui avait confié qu'elle forniquait avec Montparnasse. Non content que le fils de l'Alzo ait survécu, on ne sait comment à une pendaison en bonne et due forme, la Danoise avait jeté son dévolu sur lui. Fanette avait encaissé. Les mensonges successifs de la brune, les propos diffamants qu'elle se plaisait à colporter sur elle auprès de ses multiples amants, alors qu'elle venait régulièrement pleurer ses chagrins d'amour dans ses bras avaient fini par avoir raison de la confiance et de l'amitié qu'elle lui portait. Elle l'avait revu une fois, à l'été, mais n'avait su éprouver que des regrets pour cette femme qu'elle avait aimée comme une soeur, celle qui avait protégé ses voyages et nourri Milo aux premiers jours de sa vie. Mais Zilo avait raison, cette femme-là n'existait plus, et, à bien y réfléchir, celle qui restait pouvait bien s'amouracher d'un violeur et d'un assassin. Mais Astrée ? Fanette s'était tant de fois occupée de la fillette. Elle avait bercé ses sommeils si souvent, l'avait surveillée dans la salle commune de son auberge, joué avec, conté des histoires et chanté des comptines. Elle avait caressé la soie ébène de ses cheveux en la tenant tendrement contre elle, quand elle souffrait de ne pouvoir bercer son fils de la même façon, et elle s'était consolé à voir les progrès de cette enfant. Dans quelques jours elle aurait deux ans, elle était si petite encore. Et non contente d'être privée d'un père, elle grandirait près d'un monstre ? Sa mère avait-elle perdu la raison ? Son coeur se serra au souvenir joyeux de la gamine, quand à l'été, elle était venu passer quelques jours avec ses propres enfants et leurs deux cousins. La petite tornade brune savait déjà mener par le bout du nez les deux petits Corleone et Ménélik et Milo la suivaient partout, se pliant à tous ses caprices. Garderait-elle sa vive impertinence ? De quelles horreurs risquait-elle d'être témoin ? Peut-être que son père devait en être informé. Il y avait bien des choses à reprocher au Normand mais Fanette avait toujours été convaincue qu'il aimait sa fille, quoi qu'en dise la Danoise.

Elle ne put contenir les pleurs qui perlaient à ses cils. Ils roulèrent le long de sa joue pour venir mourir au bras du Beaurepaire sur lequel reposait sa tête. Elle sentit le corps masculin se lover plus étroitement encore à son dos. Sa main raffermit sa pression à son ventre, comme pour la ramener à la douceur paisible de l'instant. Elle s'efforça de chasser ses sombres pensées pour se raccrocher à ce que lui offrait l'homme qui lui faisait refuge. De nouveau elle se concentrait sur le mouvement régulier de sa poitrine collée à ses omoplates, la tiédeur de sa peau qu'elle percevait malgré la chainse légère qui la couvrait encore, le contact de son menton dans ses boucles, ses jambes longues et musclées épousant les siennes, le désir pressant qui attisait le sien. Et finalement, elle s'en trouva apaisée.
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Leo.nie
    ♖ Honfleur entre son arrivée et son départ, qu’importe la date, elle est là. ♖


En se rendant en Normandie, incognito, la jeune fauve escomptait rencontrer ce fameux fiancé et pouvoir l’épier. Elle est là pour ça, elle ne va pas se mentir, retrouver en prime ses cousines est un bonus qu’elle n’espérait pas et dont elle jouit avec plaisir. Elle a joint l’utile à l’agréable et finira sans doute par tout avouer à celle qui est à présent sa tutrice. Elle abhorre le mensonge même si cela ne se voit pas, mais dans son cas, son excuse, c’est une fierté bafouée. La jeune fille aurait pu passer outre il est vrai, ce n’était après tout qu’une simple lettre, sans doute maladroite, mais exacerbée par ce contrat si abject, elle ne pouvait en restait là. Rancunière ? À peine. Pas faute d’avoir essayé de trouver en cet Arsène un allié, mais soit, puisqu’il avait cette même arrogance que son jumeau, elle réagirait comme le fauve qui sommeillait. Et ça (merci les pestes du couvent), elle en est presque devenue experte. Il est vrai que l’impulsivité de son innocence n’a jusque-là pas travailler pour elle, et qu’elle doit savoir se mesurer en tout instant. La flamme qui brûle son être est progressivement étouffée jusqu’à ne laisser qu’une petite flammèche à peine plus grande qu’un feu follet. Si son entreprise doit être menée à bien, autant qu’elle se canalise. C’est n’est pas Léonie dé Danann qui va rencontrer Arsène Beaurepaire, mais Isodora de la BrumeArgentée (chouette nom, n’est ce pas?).


    ♟ Tychée ♟


Pourquoi le félin patiente-t-il autant pour attraper sa proie lorsque le dîner vient directement dans sa gueule. Le jeu peut-être, l’attente et l’exaltation. Cette même impatience qui a habité la lionne lorsque son repas a pointé le bout de son nez. Ô délicieux petit en-cas, si froid et hautain et pourtant si facile à attraper. La faiblesse a été repérée si vite et bien que le jeu aurait pu se terminer sans qu’il n’y ait distraction. Et amusement qu’à offert Bonne Fortune est si affriolant que sans le savoir, le fiancé vient d’être emprisonné dans les griffes acérées d’une rouquine au demeurant impitoyable dans cet Affrontement. Elle se désole pour la blonde ingénue qu’elle a rencontré, qu’elle apprécie pour sa gentillesse et son honnêteté, mais sa liberté entravée en jeu, elle ne peut qu’avancer et tant pis pour les bons sentiments. Plus tard lorsque le jour sera fait, peut-être pourront-elles devenir amies, mais elle en doute fortement.

Passe les jours, les nuits, à les observer, à la taquiner elle, tellement facile de lire sur son visage les troubles quand les mots sont justes. Léonie la joue fine, sans bousculer, choisissant les moments opportuns pour flairer l’ouverture. Elle n’a pas besoin de parler clairement, pourquoi d’ailleurs le ferait-elle, ce serait trop décevant si elle venait à cracher si vite le morceau. Ses regards, ses gestes, son attitude parlent pour elle. Et sans le savoir la blonde Fanette, dont le rouge contraste avec sa blancheur, est l’appât rêvé. Par moments, la jeune fauve doute du bien-fondé de son action. Songeant parfois à dire la vérité et à demander directement à l’intéressé, mais sa raideur maintes fois confrontée, l’ont totalement dissuadé. Oui, La jeune fille est rancunière.

Elle oscille entre demi-vérité et dissimulation, elle ne peut pas être totalement malhonnête. Son but n’est pas de se perdre, mais de retrouver ce qu’elle a en fuyant du couvent réussi à gagner. Une obsession qui ne la lâche jamais. Et pourtant, elle rechigne à faire du mal volontairement, préférant engranger les informations qui lui seront nécessaire. Et la fauvette est une mine d’or dont le filon sera exploité. Parce que le jumeau, dans son idylle presque consommé avait parlé d’elle à sa dulcinée. Comme c’était mignon de sa part, pauvres idiots qu’ils étaient de sacrifier amour et indépendance pour d’obscures raisons. Mais elle ne se laisserait pas faire, si eux étaient prêts pour cette offrande, elle ne laisserait personne lui mettre chaîne et collier. Elle est encore jeune et curieuse, elle veut voyager, s’enrichir des mille richesses contenues dans ce royaume. Sa dépendance peut être contenue, d’ailleurs, ne fait-elle pas preuve de beaucoup de sagesse en ne pariant sur rien, évitant même de frôler ses dés et ainsi éviter que le démon ne la consume de nouveau. Elle veut se débarrasser des Beaurepaire et elle y parviendra.



    ♖ A bord du Each uisge ♖


Objectif toujours en tête, et parce que le couple pour diverses raisons a embarqué la veille, Léo leur a laissé une journée et une soirée pour se retrouver avant de leur faire la surprise de les rejoindre. Elle n’a pas un peu bousculé la blonde pour la voir se replier sur elle-même, au contraire, leur dernière conversation l’enjoignait à être plus honnête avec ses sentiments. Et elle espérait ainsi, les surprendre, non pas en fâcheuse posture, mais plus proche. Quelle vilaine déception en ne la voyant pas ce soir-là, obligé de se retrouver nez à nez avec celui qu’elle voulait à tout prix éviter. Mais une fauve est joueuse et perfide, comme la jeune fille qui se targue de leur ressembler.

Soirée Ô follement amusante que de malmener d’un air innocent ce prétendu homme dont on veut la marier. Quelle impudence et cynisme lorsque son visage est contrarié. Que de plaisir jouissif, alors qu’il ne sait pas encore qui elle est. Et cette plaie dans sa bouche alors qu’elle doit jouer la comédie, des larmes de crocodile aussi chaudes que l’intérieur de la joue est cuisante. Cette froideur faite homme si semblable à celle d’un jumeau exécré. Forcer sur ce morceau de chair pour qu’il concède à l’écouter et ce mouchoir dont elle a fait usage sera brûlé ! Plus il résiste, plus l’animal se repaît. L’onyx luit alors que le regard se brouille. Sans même s’en rendre compte, il plie sous le regard perdu d’un piège dans lequel elle l’a enfermé. Faiblesse dont elle se servira encore, car s’il ne plie pour elle, il plie pour son bel ange blond. Qu’il aime qui il veut du moment qu’à la fin, la lionne reprenne son destin en main.



    ♟ Andromède ♟


Orgueil d’un homme entaché, se montre froid et distant envers sa bien-aimée. Quelle sottise après une telle conversation que de nier l’évidence. La proie est flairée, prête à être dévorée, il ne sert plus rien de vouloir s’échapper. Si les fêtes approchent et l’échéance à son terme, ne devraient-ils pas au contraire montrer à la face du monde cet épanchement partagé ? Blesser une femme en public pour mieux la consoler dans le secret d’une cabine où parce qu’elle est finaude, l’a suivi la féline.

D'ici au jour de l’an, tout sera terminé, comédie, costume et fard, Léonie jouira de ce bien qu’on lui a arraché et laissera le couple comme il a toujours été. Bien dommage qu’une si belle idylle soit bafouée par l’un comme l’autre sous des prétextes fallacieux, au moins la lionne se sera battue pour ce qui lui semblait juste, quand bien même elle s’attira foudre et inimitié.

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Arsene.b
      [ 20 Decembre, veille d'une séparation ]


    Postée face au port brestois, mains croisées dans le dos, une silhouette laissait le vent battre son visage de sa fraîcheur, jouer avec son mantel, le glacer jusqu'au fond de ses entrailles. Et si le froid aurait du le forcer à rentrer, il n'en faisait rien, ses yeux clairs semblant suivre une ligne infini sur l'horizon maritime. Calme en apparence mais en apparence seulement ! Dans sa tête se disputaient des centaines de pensées, sans qu'il ne sache en saisir une pour faire le tri. L'homme, parce que ça en était un inspira doucement. Il songeait à sa matinée, cette fin d'après midi, aux conversations avec les différentes personnes. La veille, encore il avait pas espéré mais cru à tord que son frère aurait accepté Rohan, mais la duchesse était passée, la duchesse avait parlé, et Dante s'était engouffré. Comment lui en vouloir, a sa place, il en aurait fait de même. Alors, malgré l'interruption d'une étroite proximité, il n'avait pas cédé, sa décision avait été prise à l'instant même ou la rousse avait émis l'idée qu'il la suive. Arsène l'avait su, il connaissait son jumeau, il savait qu'il ne reviendrait pas la dessus même pour lui. Et pourtant, elle lui avait demandé.

    - Bien il me semble que la reponse est claire
    - Tu m'as fait promettre qu'on se dirait tout ... ne veux tu pas intercéder ... ça t'es égal de ne pas être avec moi pour ces derniers jours sans elle ?
    - Ca ne m'est pas égal non mais tu sais que ma place est avec lui surtout après autant de temps séparés..j'essaierai de lui parler
    - Oh je sais ça oui, et je comprends que tu veuilles rester avec lui, et en plus, comment pourrions nous nier ce qui nous rassemble si tu choisissais de venir à rohan plutot que de suivre ton frère...mais .. oui, essaie de lui expliquer, je t'en prie, de le faire changer d'avis
    - Je le ferai

    Aujourd'hui il avait été forcé de lui apprendre qu'il ne viendrait pas à Rohan avec elle, sans lui dire qu'il n'avait même pas essayé de convaincre Dante. A quoi bon puisqu'il savait que rien n'y aurait fait. S'il fallait bien admettre une ressemblance entre leur géniteur et Dante, c'était bien leur facilité à prendre leurs décisions, et se montrer ensuite inflexible. Ils avaient au final qu'évoqué la destination, l'après Noël, la venue de cette fiancée et brièvement la relation avec sa féline. Que la première viendrait, qu'il ne renoncerait pas à cette union parce que la seconde avait réussi à percer son cœur. Somme toute, il avait compris que son frère avait ses propres ambitions, et qu'il comptait sur lui pour lui apporter un soutien en prenant femme, et ainsi donner du temps à ses accomplissements. Sans oublier le temps nécessaire pour retrouver l'enfant, cette possible demie soeur. Mais surtout pour la première fois depuis plusieurs années, il avait eu la désagréable sensation d'abandon. Si Dante ne jugeait pas utile d'être présent pour l'aider à affronter tout cela, oserait-il seulement lui redemander sa présence ? Arsène le savait, il ne le ferait pas. Ils étaient ainsi, à cacher leurs sentiments, et leurs émotions. Rôle endossé depuis tant d'années, mais il s'en trouvait dépité d'avoir à le jouer face à son double. Dante venait de le décevoir, et il n'en saurait probablement rien.

    La déception n'avait pas de place, il devait assumer ses choix et ses actes. Comme il l'avait dit, des Noel, il y en avait un chaque année, il y en aurait d'autres, de nombreux le jour ou ça se tassera. Il espérait à travers ces folles promesses d'avenir, avoir rassuré la jeune mère qui allait repartir vers Rohan sans lui. Il se presserait après la saint noël pour retrouver son établissement, la ville et voir venir ce fameux bal promis depuis longtemps. En espérant que les bretons seront présents. Un léger sourire apparut finalement sur ses lèvres en songeant au pari fait. Danser jusqu'au bout de la nuit sans se fatiguer ou presque. Il allait gagner non ? L'homme quitta son poste d'observation. L'heure avançait, il avait promis à Dante de le rejoindre à Ouessant pour le repas du soir. Il avait le droit de visite sur les terres de la Duchesse, et même sans cela sa ressemblance trompeuse avec l'intendant, lui facilitait forcement le passage. Il n'avait même pas à se présenter, on le laissait passer alors. Il sera toujours temps de revenir sur Brest le soir venu, pour ce moment souhaité avec sa fauvette.

    Délicat pourtant fut de se trouver l'occasion de s'isoler. Brest sembla vouloir les priver de ces aurevoirs attendus sous la présence de quelques personnes. Non pas que la compagnie ne soit pas appréciable mais quand l'attente d'une dernière étreinte se faisait sentir, on perdait plus facilement l'entrain à la conversation. Et même si la rouquine Isodora sembla se plaire à le chercher, le Beaurepaire avait joué le jeu, si on pouvait appeler ça un jeu, puisque la jeune femme prenait un malin plaisir à le piquer. Un amusement qui devait tenir de la famille De Dannan, puisque la Duchesse avait ce même piquant avec son jumeau. Arsène s'en amusait, il ne mentirait pas à ce sujet. Mais finalement, il s'était décidé à rompre la joute verbale pour embarquer Fanette dans un autre lieu. Le temps passait, et le temps manquait. L'instant fut court, trop court à son gout, pourtant il ne montra rien de son déplaisir à se séparer d'elle. Depuis qu'il l'avait retrouvé sur les terres bretonnes près d'un feu de camp, ils n'avaient pas passé une journée sans l'un ou l'autre, même lorsqu'ils furent malades à tour de rôle. Une frustration ressenti, que le châtain avait du mal à contrôler.

    Meme lorsqu'il la mena au coche avec ses enfants, il demeura un instant silencieux devant le minois de la blonde, avant de venir presser un baiser tendre sur sa joue, et lui glisser à l'oreille "Quelques jours seulement, ça passera vite ". Oui après tout, ça ne serait que quelques jours ensuite Dante ou pas, il devait rentrer sur Rohan pour le bal et l'arrivée future. L'esprit engourdi, il avait regardé le coche s'éloigner avant de retrouver sa monture, son frère et suivre le groupe de la Duchesse pour prendre la direction de Saint Pol, première étape avant Tréguier ou les attendraient les festivités organisées par la ville elle même. Sur la route, il se surprit à repenser aux craintes de la fauvette concernant Isodora. Que la rousse puisse avoir un penchant pour lui, lui prêter à sourire tant ça lui semblait idiot. Non, il avait plutôt l'impression que cette femme là au contraire ne le supportait pas, et si elle le supportait pas lui, qu'en sera t-il de Dante s'ils venaient à se croiser ! Son frère chevauchait légèrement en avant, son regard effleura la silhouette couverte, droite sur son cheval. Malgré la pointe de déception au coeur, il restait son frère, et l'air de rien, le voir lui faisait un bien fou.

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Lison_bruyere
    Rohan, 25 décembre 1467

– Allez, ouvre-le !
La brunette était aussi impatiente que si le cadeau lui était destiné. Et encore, bien heureusement, à cette heure de la matinée, Nébulae traînait devant les étals du marché avec Tristan, sans quoi, Fanette aurait eu à subir l'impatience joyeuse des deux jeunes filles. L'Angevine étira un fin sourire. Depuis son retour, le petit pochon de lin, noué par un joli ruban de soie rouge était posé sur la table de sa chambre, à côté de la cuvette et du broc de faïence. Elle passait chaque jour devant, laissant souvent son regard si attarder, mais elle avait tenu sa promesse, et ne s'était pas autorisée à l'ouvrir.

Ce matin, dans la grande salle commune, alors que ses enfants jouaient bruyamment sur une couverture posée au sol, elle l'avait déposé sur la table et s'apprêtait à en découvrir le contenu, non pour satisfaire la curiosité de la jeune fille assise en face d'elle, mais parce qu'elle avait l'impression, par ce geste qu'elle avait retenu ces derniers jours, de partager un petit moment avec Arsène, même s'il se trouvait bien loin d'elle pour cette fête de la Saint-Noël.

Elle saisit le présent. A travers la fine toile, elle sentait toujours la même chose. Elle avait la sensation d'une matière souple mais avec un certain maintien, enroulée sur elle-même. Elle songeait à un rouleau de parchemin, ou du vélin, plus noble, et qu'Arsène utilisait plus volontiers puisqu'il en avait les moyens. Il avait dû y laisser courir sa plume, mais, quels mots pouvaient être si précieux qu'ils deviendraient un cadeau ? Peut-être était-ce un poème, ou bien, une invitation pour un autre voyage, ou … Elle s'était imaginé bien des possibilités mais elle n'avait pas su déterminer celle qui assurément pourrait avoir la faveur du Beaurepaire.

Face à elle, Ange gigotait sur sa chaise. Elle la toisa d'un regard amusé, et se décida à délier le nœud du ruban, puis délicatement, elle écarta le col du petit pochon et étira un large sourire. Elle avait vu juste. Elle sortit le mot de son écrin de toile et le déroula.



Ses yeux glissèrent sur les déliés de l'encre. son sourire s'estompa sans doute légèrement, et ses joues se teintaient de rouge, trahissant l'émotion qui étreignait son cœur. Elle n'était pas bien sûre d'avoir compris, aussi, reposa-t-elle soigneusement le vélin, le côté encré vers la table et s'empressa-t-elle de reprendre le petit pochon de lin. Le message roulé qu'il avait abrité dissimulait bien un autre présent, qui était resté au fond quand elle l'en avait sorti. Elle le fit glisser dans le creux de sa main et ses yeux s'ourlèrent de larmes.

– Oh !
– Quoi ? Qu'est-ce que c'est ? la pressait Ange.

Une promesse, aurait répondu Fanette, si elle ne craignait de trop se dévoiler. Elle se contenta d'ouvrir sa main, détaillant la finesse de l'anneau en or blanc. Il était délicatement ciselé de fines arabesques. La brune se pencha et sourit à son tour. Elle n'avait guère besoin de sous-titre pour comprendre ce qu'un homme voulait dire en offrant une alliance. Elle savait pourtant la fauvette mariée. Elle lui retourna un regard complice.

– On dira que je n'ai rien vu.

Fanette acquiesça d'un signe de tête, la gorge toujours nouée par l'émotion. Comme elle aurait aimé à cet instant être face au Beaurepaire. Elle se serait blottie contre lui en venant chercher ses lèvres. La culpabilité qui régulièrement venait tourmenter ses espérances n'avait pas de prise sur elle à cet instant. Elle roula la lettre, après l'avoir lue une dernière fois, et la fit disparaître dans un pli de sa cotte. Puis, elle fit coulisser l'alliance dans la chaîne et souleva la masse épaisse de ses boucles en se tournant vers Ange.

– Veux-tu bien l'attacher autour de mon cou s'il te plaît ?

Ses doigts fins effleurèrent l'anneau qui pendait au bout de la chaîne. Elle le dissimula dans l'échancrure de son décolleté.

Quel plus beau cadeau pouvait-on recevoir en cette période que l'espoir ? Et c'était bien cela qu'Arsène venait de lui offrir, à travers la délicatesse de cette alliance ouvragée. Il rendait plus tangible cette vie qu'ils se plaisaient à imaginer. Comme s'il pouvait d'un geste balayer le mariage qui l'entravait, et renoncer à celui qui le lierait bientôt à une inconnue de quinze ans, pour contenter son père et son frère. Si elle ne s'en persuadait pas ce jourd'hui, jour de la Saint-Noël, quand pourrait-elle bien s'autoriser à y croire ?

Une bouffée d'amour la déborda, dessinant à ses lèvres un sourire, et teintant son regard pailleté d'or d'une lueur rêveuse. Elle aimait le Beaurepaire, son faiseur de rêves, son Irmo, non pour le prix de ce présent coûteux, mais pour le bonheur qu'il soufflait à son cœur, en touches légères, et qui chaque jour, lui rendait l'espoir d'un avenir meilleur, quand bien même devrait-il s'unir à une autre.
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Arsene.b
    [ Saint Brieuc le 27 Decembre ]


C'était tant de pièces à retrouver et à assembler, ces petits riens qui amenaient à un tout. Il n'était pas certain, pourtant son instinct lui soufflait qu'il voyait juste. Et s'il ne se trompait pas, il savait que la déception serait grande. Plus grande qu'il ne l'admettrait. Au fond Fanette aurait eu tord de s'en faire. Et pourtant, il avait laissé passé la matinée, il l'avait revu à midi, puis marchait à ses côtés vers le port, silencieux. Toutes les paroles échangées ou presque trottaient dans sa tête. Il essayait de recoller les morceaux mais les principaux indices demeuraient cette lettre revenue quelques heures à peine que la sienne soit postée, et ces mots prononcés par la rousse, s'arranger que les choses lui soient favorables sans tricher. Isodora ou Leonie. Il serait fixé ce soir. Et d'ici là, c'est sur les chemins enneigés qu'il irait marcher, pour évacuer la froide colère qu'il sentait poindre. Habitué à contrôler ses émotions, ces dernières semaines, il devait admettre que cela lui échappait régulièrement.

Il était temps de mettre fin aux doutes, à la trêve accordée, à ce jeu où il ne s'était que trop dévoilé. Lorsqu'il poussa la porte de la taverne, il s'était promis de garder son calme, et d'essayer de comprendre. Masque de sociabilité, alors que présente, elle l'invita à s'installer et prendre un verre. Arsène le fit et la laissa trinquer. Un commencement des banalités, évoquer celle qu'elle appelait cousine, cela aussi était un mensonge dont la Duchesse de Ouessant se serait rendue complice ? Il espérait bien que non, la duchesse a défaut d'amitié, qu'il ne comptait pas lui offrir, avait son respect. Il serait dommage d'avoir à lui reprendre. Isodora ou Leonie, chercha à le sortir de ses pensées en parlant de la course. Ah oui la course à cheval, celle qui devait les amener à Rohan plus rapidement, avec au bout du compte, un petit gage simplet. Même de cette course qu'il avait pourtant voulu, aimé l'idée, il n'en voulait plus. A quoi bon. Il aurait pu continué à faire semblant, attendre les deux jours donnés, mais il ne s'en sentait pas l'envie. Il aurait pu par rancoeur, il aurait pu tant de choses. Mais malgré lui, il ne sut paraître comme l'homme qu'elle avait entrevu ces derniers jours.


- Vous êtes bien mutique ce soir, vous vous concentrez ?
- Qui sait

Première tentative, moins frontale, il lui demanda si elle serait capable de lui écrire les mots bretons, pour avoir leur orthographe. En réalité, c'était également une envie personnelle. Il aurait pu profiter pour la confondre par son écriture mais elle s'amusa à refuser, prétextant ne pas savoir. Repli, il demanderait à la Duchesse. Il poussa même le vice jusqu'à lui proposer de lui partager la réponse ducale si elle était encore à leurs côtés. Ne clamait-elle pas à tout va qu'elle comptait repartir après les festivités ? Après la nouvelle année ? La lionne ne se laisserait pas mettre en cage, et cela il l'avait entendu.

- Vous recommencez...
- Quoi donc ?
- Vous faites votre mutique alors qu'à midi vous étiez plus bavard, vous avez reçu une mauvaise nouvelle ou votre frère a pris le premier bateau en partance pour Alexandrie ?
- Disons seulement que j'ai pris de le temps de réfléchir à certaines choses
- Et réfléchir vous rend mutique ?
- Peut etre parce que la conclusion me déplait
- Si tel est le cas, je ne peux rien faire pour vous
- Ou peut etre que si, vous pourriez m'aider à démêler le vrai du faux

La partie débutait, cette fois il jetait ses dés avec la quasi certitude d'obtenir le résultat attendu. Elle mina un mouvement d'épaules, percevait-elle la bourrasque qui allait renverser sa fausse identité ? Le beaurepaire prends alors le temps de mieux s'installer au creux de son siège, verre en main lequel est tenu négligemment. Parfait dans son rôle d'homme qui semblait seulement badiner avec une femme qui aurait pu devenir autre chose qu'une connaissance. Il l'avait entrevu, il avait sincèrement envisagé de se laisser à l'apprécier, lui qui peinait pourtant à s'ouvrir aux autres. Son regard se reporte sur la jeune femme face à lui. Devant cette cheminée, on aurait pu les prendre pour deux vieux amis, ou des personnes proches, et dieu sait que cette apparence ci était plus que trompeuse. Amis, non jamais ils ne le seront. Les dés roulent...Et la reaction sera à la hauteur de son attention portée sur elle.

- Et bien ma foi... soit, Leonie, ça vous parle ?
- Ça devrait ?
- Ça devrait

L'oeil avisé du châtain remarque non sans mal, la gorgée avalée de travers, le regard qui se rétracte, le sourire qui s'efface subitement. Il aurait pu jubiler de cette courte victoire, de se voir confirmer ses soupçons mais non, c'est plutôt une déception qui l'étreint. Douloureuse réalité de s'être fait berné.

- Dites moi simplement, pourquoi..
- Pourquoi, quoi ?
- A votre avis
- J'attends justement
- Je vous laisse l'occasion d'être franche, ou honnête au choix
- Comment ? Enfin, depuis quand
- Oh rien de compliqué, juste de remettre certaines pièces à leur place
- Je me suis laissée allée ces derniers jour. Cela m'apprendra.
- Donc j'en reviens à ma question pourquoi ?

Fini le ton aimable, fini le Arsène ouvert. Il s'était renfermé. Finalement peut être que son géniteur avait au moins raison sur une chose, l'attachement quelconque était une faiblesse. Il en avait deux, Dante, et Fanette. Peut être trois, si on considérait que contrairement à son frère, il était plus prompt à se montrer "humain" comme l'avait déjà mentionné la Isodora par exemple. Au fond, d'être plus accessible ne lui apportait rien de bon, la leçon serait prise. S'il restait un semblant d'émotion sur son visage, il le chassa rapidement pour n'être plus que masque froid.

- Parce que j'avais besoin d'un allier contre votre jumeau et que vous vous êtes montré aussi tranchant et froid que lui.
- Dommage pour vous, je n'irai jamais contre mon frère
- Je l'ai compris en effet en vous lisant, et si je n'ai réussi à trouver sa faiblesse, j'ai cherché la votre. Je n'excuserai pas ma conduite, il vous suffisait d'attendre deux petits jours, dont un à réfléchir après nos discussions, mais non, il a fallu que votre froide analyse gache tout
- Il fallait jouer plus finement

Quand on voulait entrer dans la cour des grands, il fallait s'attendre parfois à faire des erreurs et qu'elles soient mises à nue par plus habitués que soi à ces jeux là. Ne pas oublier le but, ne pas se laisser faiblir, ne pas s'oublier. Il ne mentirait pas, lui même s'était perdu dans les bras de Fanette alors que ses pas le conduisaient sur un chemin à la recherche d'une femme à épouser par convenance. Et encore aujourd'hui, il était prêt à le faire pour obtenir sa liberté, cette même liberté que la rousse avait cherché à préserver. Sur ce point il ne pouvait pas lui en vouloir, il la comprenait. Dommage, sans tout cela, il aurait pu lui rendre sa parole donnée à son frère. Il pouvait se montrer tout aussi dur que Dante mais seulement quand c'était nécessaire. La rancune qui couvait envers cette jeune femme le poussait sur ce chemin là. Non il ne lui ferait pas ce plaisir ce soir. Duperie, mensonge, les jeux sont faits, et les deux se tiennent tête pour se renvoyer à la figure leurs tromperies.

- Mettez fin à tout ceci Arsène, avant de le regretter
- Je ne vous donnerai pas de réponse ce soir, vous avez demandé le 29, vous ne le saurez que ce jour là
- Vous voulez jouer Arsène ? Très bien, alors pas un mot à Fanette avant ce jour-là
- Il ne s'agit plus de jouer , vous avez une dette à payer, si vous ne le faites pas envers moi, vous le ferez envers mon frère, et j'y veillerai.
- La seule dette que j'ai envers votre frère et de ne pouvoir refuser de vous épouser. Et si épousailles il doit y avoir, préparez-vous à apprendre à me connaître. Donc, pas un mot à Fanette.
- Vous vous chargerez de lui expliquer en ce cas

Mais pas demain. La fauve l'encourage à faire le bon choix, mais encore faudrait-il qu'elle ait toutes les cartes en main pour comprendre pourquoi ce choix ne lui était pas simple à lui. Et non, non il lui ferait pas ce plaisir de lui donner, quand bien même il y avait songé si tel qu'il l'aurait cru la rencontre se serait fait entre deux inconnus. Il avait pensé tant et tant de fois à cette entrevue, à être honnête, expliquer pourquoi il avait besoin d'une femme pour accepter d'être son épouse, sur une durée qu'il ne pouvait pas déterminé, qu'il était prêt à miser sa richesse s'il le fallait, tant que le résultat final, cette vengeance était obtenue, que ce père soit mort et eux libres.

- Libérez moi et vous vivrez heureux avec elle, enchainez moi et vous la perdrez, je vous en fait le serment
- Soit, j'ai entendu vos mots
- Vous n'avez rien à ajouter ?
- Non

Arsene.b fixa son verre, elle venait simplement de réveiller la haine qu'il éprouvait pour son géniteur, la rancune d'avoir à subir une vie qu'il n'avait pas choisi. Elle resta plantée là, à attendre peut etre une main secourable, la promesse d'une liberté retrouvée ? Il n'en ferait rien. Son coeur venait de se durcir. Même l'image de Fanette dans son esprit n'y changea rien.

- Parfait, puisque vous préférez garder le silence, je ne vais pas insister, j'attendrai alors deux jours que vous vous décidiez
- Que souhaitez vous entendre, mis à part, de vous demander de partir pour ne plus vous montrer ? Je ne le ferai pas. Je n'ai pas envie plus que vous de ce mariage, pourtant j'y suis obligé, et croyez bien .. que autant j'aurai pu apprendre à apprécier Isodora, autant Leonie, je n'ai pas envie de le faire.
- Isodora et Léonie sont la même personne Arsène. Il n'y a que le prénom qui change. Nous aurions pu être amis, mais il est plus facile de se cacher derrière des obligations, n'est ce pas...
Je vous hais vous et votre frère, lui pour sa froideur et son inflexibilité, vous pour votre lâcheté. Vous pourrez me trouvez toutes les excuses du monde que cela ne changera rien, vous préférez vous laisser enchaîner comme une bête de somme.

- Vous ne savez pas ce que je suis
- Au contraire, je ne le vois que trop bien.
Au moins moi j'ai le courage de mes actions, je suis prête à tout braver. Et vous Arsène, qu'êtes-vous prêt à sacrifier pour votre liberté ?

- Plusieurs années de ma vie s'il le faut
- L'amour aussi ?
- Ca aussi
- Je vous plains...
- Allons bon, ne vous prenez pas cette peine, vous y gaspillerez une fois de plus votre temps
- Justement, j'essaie encore, parce que malgré tout, malgré cette haine que je vous voue, je n'ai pas envie de vous voir gâcher ce que vous avez, et je pensais que vous l'aviez compris.

Il aurait saisir le sous entendu, une chose qu'elle avait déjà essayé de lui faire comprendre lors de leur conversation sur son lien avec Dante. Elle lui avait alors demandé jusqu'ou il serait prêt à aller pour son frère, il avait répondu sans hésitation, qu'il pourrait mourir pour lui. Seulement, il n'y avait pas que Dante dans la balance, et ça, elle l'ignorait. Le regard froid du beaurepaire se posa sur la silhouette féminine face à lui. Leonie, puisque c'était donc son vrai prénom lui jeta à la figure qu'il pourrait avoir une vie rangé, être père de famille, loin de ces emmerdes. Si elle pensait qu'il ne le savait pas, qu'il ne l'envisageait pas même. Elle se contentait d'effleurer la surface. Une fois encore, elle ne savait rien. Cette vie attendra, tel qu'il l'avait demandé à Fanette, parce que même s'il choisissait la blonde, celle ci n'était pas libre, et ne conviendrait surement pas aux convenances de son père et tant que ce père vivrait il ne pourrait être heureux, pas plus que son frère

- Alors profitez de demain comme si c'était le dernier. car si après demain vous ne me rendez pas ma liberté, vous n'aurez plus un seul jour à lui accorder. Et surtout, oubliez de dormir dans sa couche.
- Croyez vous vraiment que je songeais à m'unir à une femme pour la tromper avec une autre ?
- Que sais-je d'un homme qui ne fait que mentir et se ment en permanence ? Ai-je l'air si dupe ?
- Que savez vous en effet, bien peu. Si peu à vrai dire, vous pensiez venir avec vos cartes à abattre ? Votre main est faussée
- Ne m'obligez pas à employer des moyens encore plus dur... Je ne veux pas la guerre...
- Vous l'avez pourtant déclenché.

Elle avait menacé le précaire équilibre de Fanette. Il était peut etre naïf de croire que même sans lui, cette équilibre pourrait tenir ici en Bretagne. Même s'ils ne pouvaient vivre leur histoire de suite, il ne voulait pas qu'elle soit un dommage collatérale comme cette femme l'avait laissé sous entendre. La colère qu'il ne cherchait meme plus à masquer la toiser de sa superbe. Elle le trouvait arrogant, froid, ou menteur ? Très bien, il ne chercherait pas à la détromper. Qu'elle croit que ce qu'elle veut croire, au fond son avis lui importait bien peu. De la suite, il n'en tira rien de concret, ils ne surent que se balancer au visage des attaques puériles, même lui, il ne le niait pas, mais il n'avait plus envie de faire d'efforts. Ils n'étaient pas fait pour se comprendre, c'était un fait. Elle avait choisi de ne pas le croire en lui disant qu'il était prêt à tout mentionner lors de sa venue, la vraie venue, pas celle sous ce faux nom. Naîf une fois encore. Personne ne savait de quoi il était capable, personne. Pour atteindre son but, il était prêt à subir encore beaucoup de choses.
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Lison_bruyere
    Rohan, 28 décembre 1467

Les enfants dormaient. Fanette aimait bien ce moment où leurs regards s'éteignaient. Ils s'étaient efforcés de tenir, écoutant leur mère chantonner pour eux quelque berceuse. Dans la pénombre de la chambre, ils avaient fini par lâcher prise, et s'abandonner au sommeil. Elle s'était attardée, assise dans le fauteuil, à écouter leur respiration tranquille et régulière, avant de rejoindre la taverne, le plus souvent vide à cette heure de la relevée.
Elle s'arrêta net sous le linteau de bois sculpté qui ouvrait le mur entre la vaste salle commune et les pièces attenantes d'où elle venait. Son cœur s'affola aux deux silhouettes qu'elle aperçut, installées à bonne distance d'une de l'autre, à l'unique grande table qui trônait près de l'âtre. Elle n'attendait Arsène qu'au lendemain. Ses joues s'échauffèrent. Elle réprima l'envie d'aller se jeter à son cou et chercha, avec plus ou moins de succès à se composer un masque d'impassibilité aimable, quand ses traits affichaient sans doute la pointe de déception de ne pouvoir se laisser aller aux élans de son cœur.

– Oh ! Bonjour ! Je vous attendais que demain.

Crochet fut fait par le comptoir, la main fine attrapa lestement deux verres, quand l'autre saisit le col d'une bouteille de prune. Sourire fut offert à Isadora quand la fauvette la servait, puis, elle lui tourna le dos pour glisser un regard alangui dans celui du Beaurepaire, tandis qu'un godet lui était offert également. L'échange de politesses n'était pas feint, et la jeune mère aurait plaisir à bavarder avec la rouquine si elle n'était pas si pressée de se retrouver seule avec Arsène. Il lui fallait faire semblant pourtant, même si Isadora n'était pas dupe. Elle souriait, évitait de s'attarder trop sur le blond, le vouvoyait, mais à l'instant où la jeune fille se leva et les abandonna, Fanette se précipita, et s'il n'a pas attendu pour fondre ses lèvres aux siennes, elle avait réduit la distance en venant se lover tout contre lui. Les plis de ses jupes se perdaient aux jambes masculines, ses bras s'enroulaient à son cou, sa poitrine se pressait au torse du Beaurepaire. Comme si elle avait besoin d'éprouver son retour à chaque parcelle de son corps. Et quand le baiser lui rendit toute la tendresse dont elle avait manqué, c'est la passion encore inassouvie qui le rendit fiévreux, la laissant pantelante, les pommettes rougies, le regard teinté de malice et de désir quand elle s'écarta à peine de ses lèvres, hésitant à lui offrir encore sa bouche, quand elle rêvait de s'offrir tout entière.

Passé l'insouciant émoi des retrouvailles, l'ombre de la fiancée vint à nouveau ternir le moment. Elle serait bientôt là, demain, après-demain, du moins c'est ce que pensait la jeune mère, ignorant qu'en vérité, elle les observait déjà depuis plusieurs semaines. Arsène avait affirmé que rien ne changerait, que la promise accepterait ses conditions. Dans son arrogance, il songeait sans doute que son argent saurait venir à bout des résistances éventuelles de celle qu'il épouserait par pure convenance. Fanette voulait le croire, elle y parvenait parfois, et elle en doutait à d'autres.

– Je veux profiter encore de chaque instant tant que nous le pouvons encore. Je sais bien que, quand elle sera là, rien ne sera plus pareil.
Elle était suffisamment proche pour percevoir le soupir qu'il avait réprimé en venant accrocher l'azur sombre de ses prunelles aux siennes.
– Tu as raison. Si je dois m'engager, je lui serai fidèle, même si je ne partage pas sa couche.

Fanette lui releva un regard incrédule. Il l'aurait giflé qu'elle n'aurait pas eu plus mal. Le minois taché de son se chiffonna d'une petite moue.

– Mais tu ne lui seras pas fidèle Arsène. Pas plus que je le suis à Tyrraell, quand bien même je ne me suis encore jamais donnée à toi. La fidélité s'éprouve dans les pensées et les sentiments, pas seulement dans les actes. Si tu me conserves ton cœur, tu ne lui seras pas plus fidèle que je le suis à mon époux depuis que je t'ai offert le mien. Ou alors, il faudrait que je m'éloigne suffisamment pour que nous ne nous voyons plus.
– Oui, il faudra nous tenir éloigné l'un de l'autre.

Son ton était volontairement froid et distant, comme si ça ne le touchait guère, alors qu'il ne cherchait qu'à masquer les émotions qui déchiraient son cœur, la haine qu'il nourrissait pour son père, la déception imposée par son frère, la rancœur qu'il avait pour la rouquine dont il avait découvert l'identité, l'amour qu'il avait de la fauvette et le regret de la voir souffrir.
Fanette accusa le coup. Ses yeux s'ourlèrent de larmes et elle fit un effort pour les retenir. Elle se déroba à son regard. Sa gorge se noua douloureusement. Elle s'imaginait déjà devoir rentrer à Limoges, au moins les mois, ou les années que durerait cette union dans laquelle elle était de trop. Elle parvint quand même à articuler, d'une voix pâle :

– Mais ... tu avais dit que rien ne changerait. Pourquoi ... Pourquoi as-tu changé d'avis ?
– Je ne veux pas qu'elle te fasse souffrir.

Fanette hocha la tête, qu'elle gardait résolument baissée, évitant soigneusement son regard. Elle ne savait rien ajouter à cela. Elle s'attendait à souffrir. Elle savait que la situation était complexe et que rien ne serait aussi simple qu'ils avaient voulu le croire quand ils s'étaient avoués leurs sentiments. Mais jamais elle n'avait songé qu'il lui demanderait un tel sacrifice. Elle pensait naïvement qu'ils sauraient se préserver quelques instants hors de la vue des autres, même s'il leur faudrait encore jouer la comédie le reste du temps. Pire, sans vouloir y croire vraiment, elle s'était surprise à imaginer que la fiancée aurait pu concevoir son mariage comme un accord financier lui procurant suffisamment de sécurité et confort pour qu'elle accepte que son époux en aime une autre. Peut-être qu'Arsène lui avait soufflé cette espérance quand il lui affirmait que rien ne changerait et qu'il avait bien des arguments à avancer pour amadouer sa promise. Peut-être était-elle juste naïve. Ses dents vinrent emprisonner le coin de sa lèvre, comme toutes les fois où ses émotions la débordaient. Le silence pesant sembla s'étirer sans qu'elle ne sache le rompre. Doucement, il se saisit de sa main pour la porter à ses lèvres, puis se pencha sur elle. Elle sentit son souffle tiède effleurer sa tempe. Pouvait-il lire dans ses pensées ?

– Je ne veux pas que tu partes. J'aurai besoin de toi à mes côtés, plus que jamais, quand bien même je ne pourrais plus te toucher.

Elle acquiesça de nouveau, hésitant à chercher de l'espoir dans ses paroles. Elle ne partirait pas car elle avait autant besoin de lui qu'il avait besoin d'elle, mais elle savait désormais que son quotidien devrait se tisser de patience et de courage, bien au-delà de ce qu'elle avait imaginé.
L'étreinte qu'il lui offrit avait valeur d'une douloureuse promesse qu'il scella d'un baiser au goût de larmes. Elle lui sourit néanmoins. Elle n'avait aimé qu'une fois avant lui, mais elle était sûre de ne pas revoir l'avis de son cœur, quel qu'en soit le prix. Alors, elle reprit ses lèvres dans l'urgence fébrile qu'elle avait de chasser l'ombre de Léonie tant qu'elle n'était qu'un nom au bas d'une lettre. Ce soir encore, elle s'endormirait dans les bras du Beaurepaire.
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Leo.nie
    ♖ Rohan entre le 28 et le 29 décembre ♖


Depuis cette confrontation imprévue, la jeune fauve se sent prise dans un piège plus redoutable que la captivité. Ce collier qu'elle redoute tant enserre sa gorge au point de l'empêcher de respirer. Même la course folle jusqu'à Rohan n'a pas enlevé ce poids qui est sien. De rage, de fureur, elle n'a pas réussi à fermer l’œil. Se savoir entre les mains de ce Beaurepaire lui soulève le cœur. Elle aurait pu essayer de se concentrer sur autre chose comme de sa jument, mais même ça, ne l'a pas calmé. Et dire qu'il n'y a pas si longtemps, la lionne était encore innocente, il avait fallu croiser la route d'un jumeau pour que sa personnalité s'en voit changer. Elle devait encore faire semblant le temps de son bon vouloir, et même cela devenait difficile. Tout son être criait à la fuite, mais Léo drapée dans sa fierté ne pouvait s'y soumettre. Alors à défaut de dormir ou de chevaucher, elle passa le reste de sa journée à lire. Elle refusa qu'on lui monte le souper, ne se concentra sur rien et laissa les lignes se succéder.
Étendue sur son lit en train d'essayer de se concentrer sur le seul livre en sa possession, essayant en vain de faire fi de ce sentiment d'être un fauve aliéné. Mais plus le temps s'égrainait, moins elle n'arrivait à quoi que ce soit. Si seulement il avait joué le jeu jusqu'au bout et compris que la jeune file n'était en rien une ennemie et que persévérer, mènerait à une guerre ou fauve dévasterait tout sur son passage. Sans le savoir, Arsène en plus de son frère, avait rendu la jeune fauve aussi dangereuse que son pendant animalier.

Alors que contre lui, s'était endormie la jeune mère, Arsène ne parvenait pas à trouver le sommeil. La conversation de la veille tournait dans son esprit en boucle. L'heure était plus qu'avancée, l'auberge était baignée d'un silence pesant. Pour la première fois, il ne trouva aucun réconfort à se trouver là. Il demeura longuement éveillé avant de se décider. Il n'attendrait pas que le jour se lève, il devait voir la rousse qu'il avait lâchement laissée dans l'attente. Aussi, silencieux que possible, il quitta le lit, abandonnant Fanette à son sommeil, se rhabilla avant de quitter la chambrée. Il pouvait bien se moquer de l'heure qu'il était, vu ce qu'il s'apprêtait à offrir à la jeune femme, tard ou non, il pourrait presque parier sur sa délivrance qu'elle ressentirait. L'Isil fut quittée pour rallier l'auberge municipale. Surprenant sans doute l'homme présent à veiller là, il se fit indiquer la chambre de la concerner, avant de grimper les escaliers. Autant abréger tout ceci dés maintenant, elle aurait ainsi tout le loisir de partir si elle le souhaitait. Face à la porte, il marqua un temps d'arrêt, pour prendre une inspiration, puiser au fond de lui, le courage nécessaire à cette nouvelle confrontation. Vu comment ils s'étaient quitté la veille, elle tigresse le poil hérissé, lui loup prêt à défendre sa meute, nul doute que si en plus, il venait à l'éveiller, l'accueil serait peu cordial. Une deux, il toqua.

En entendant des coups à sa porte, la jeune fauve leva la tête de son oreiller. Elle n'attendait personne et elle avait bien indiqué qu'elle refusait toute nourriture, ce qu'elle voulait, elle l'avait récupéré un peu plus tôt, et ce, dont elle avait besoin trônait non loin sur une table de bureau. Un courrier à cette heure tardive, de sa cousine lui semblait le plus logique. Elle posa son livre, page ouverte contre la couverture et alla ouvrir pour tomber nez à nez avec le Beaurepaire. Son nez se fronça, la mâchoire se serra.

- Bonsoir...

- Bonsoir.

Le regard azur se posa sur le visage fermé qui lui ouvrit. Un très court instant, il se demanda s'il avait bien fait de venir à cette heure, mais puisqu'elle ne semblait nullement s'être mise au lit, il se décida à poursuivre d'un ton qu'il voulut moins agressif que la veille.

- Auriez-vous quelques minutes à m'accorder ?

L'envie de lui claquer la porte au nez était si présente que la jointure de ses doigts ont blanchi. Finalement, agrandis le passage en se décalant pour le laisser entrer. Elle avait beaucoup de défauts, encore plus depuis sa rencontre avec les jumeaux, mais elle ne manquerait pas d'hospitalité. Et lui marqua une hésitation avant de finalement franchir le seuil, pour entrer dans la chambre de la rouquine, avec la désagréable sensation de ne pas à être là.

- Je n'abuserai pas de votre temps plus que nécessaire...

Elle ferma derrière lui en restant un instant contre le bois, l'onyx suivant sa progression jusqu'au milieu de la pièce.


- Vous pouvez vous asseoir et il y a boire.


La jeune fauve présenta de la main la chaise et l'alcool, parce qu'en plus de savoir recevoir, elle avait envie de boire. Sans plus de cérémonie, se dirigea vers le bureau pour se servir, alla s'installer sur son lit, croisa les jambes et regarda le Beaurepaire. Ce dernier prit quelques instants pour la fixer silencieux, déclinant finalement la chaise et l'invitation à se servir de quoi boire. Non, il était préférable qu'il en finisse et rapidement.

- Je suis venu vous apporter la réponse que vous attendiez, mais avant tout, j'aimerais parler sans être interrompu.

Léonie Hausse les épaules sans un mot, portant même à ses lèvres le breuvage pour lui donner le courage de l'écouter sans broncher. Le châtain se contenta de la remercier d'un hochement de tête, avant de se détourner pour s'approcher de la cheminée faisant face au lit, malgré l'épais mantel qu'il avait revêtu avant de sortir de l'Isil. Non pas qu'il avait froid, mais c'était comme s'il souhaitait établir une distance entre eux. Une nouvelle fois, il puisa en son for intérieur pour trouver le courage de ses mots, avant de se mettre à parler d'une voix qui avait perdu toute notion de froideur, le ton était plus calme, presque naturel.

- Je commencerai par m'excuser pour mon attitude d'hier, je dois admettre avoir eu de quoi être en colère, au point d'en ressentir de la rancœur. Pour la simple raison, dans un de vos courriers, vous avez écrit quelque chose comme recommencer à zéro, j'y ai pensé en attendant votre arrivée. Pourquoi ? Simplement, parce que quoique vous en pensez, je comptais bel et bien dire la vérité à cette fille-là. Ça me semblait la moindre des choses si cette fille acceptait de devenir mon épouse, elle se devait de savoir pourquoi.


Arsène s'interrompit quelques instants. Il devait poursuivre, tout lui dire. Au moins, elle saurait pourquoi lui aussi se sentait pris dans un étau qu'il peinait à repousser, pour ne pas se sentir étouffer. Il n'avait pas oublié pourquoi elle avait écrit ces mots cités dans sa lettre. La main libre de la rouquine se posa à plate sur le lit, si elle n'avait pas l'intention de l'interrompre, il avait tendance pour elle à oublier pourquoi elle lui avait proposé de recommencer à zéro. Obligé de courber l'échine pour avoir un semblant d'écoute de la part de cet homme dont elle ignorait tout et sa rancune avait fait le reste. Et malheureusement pour lui, elle n'avait pas une mémoire sélective, elle. Le Beaurepaire reprit la parole.

- A ce jour, si je dois me marier, les raisons sont simples mais d'importance, la première parce qu'on nous l'impose. Nous avons jusqu'alors plus ou moins le choix de nos épouses, ça ne durera pas, parce que mon géniteur n'a guère de patience. Pour l'heure, son plus grand plaisir est de nous avoir déshérité, en attendant que mariage se fasse. C'est la première raison, notre héritage. Je ne vous exposerai pas notre vie en détail, mais après ce que nous en avons subi, c'est sans doute déjà une bonne raison que de vouloir avoir droit à ce qui nous revient. La seconde, nous concerne en partie puisqu'il s'agit de gagner du temps.

Une nouvelle fois, la voix s'interrompt, laissant le lupin se perdre dans une songerie fugace. Ce temps qu'ils devaient gagner, pour que leur homme Max, puisse chercher à son rythme le pourquoi de son engagement. À ce jour, ils n'avaient pas de nouvelles de ses recherches, ou très peu. La jeune fauve écouta malgré elle ses explications, sa part encore intacte avait envie de croire à ce qu'il disait.

- Comme vous le savez, nous avons perdu notre mère très jeune. Nous avons pu découvrir que récemment, qu'elle n'est pas morte d'une maladie comme notre père a bien voulu nous le faire croire, mais qu'elle a été tué... par ce même père. Et ce n'est pas seulement tout.. elle aurait eu le temps de mettre au monde un enfant, une fille d'un autre homme. Nous devons la retrouver avant notre géniteur. Lui aussi cherche après cet enfant, je vous laisse bien sur imaginer pourquoi...

Il laissa planer l'information, et le sous-entendu. Le jeune homme n'était pas venu là pour la mener en bateau. Et sincèrement, il espérait qu'elle ne verrait pas dans tout ça un nouveau mensonge, ou une façon de l'amener à céder. Bien au contraire. Arsène prit une inspiration avant de lui faire à nouveau face, le regard chargé d'une émotion qu'elle n'avait pas vu auparavant, il se foutait bien à vrai dire désormais de ce qu'elle penserait de lui.

- Quant à Fanette, je ne nierai pas, je peux seulement dire que je n'ai pas choisi de tomber sur elle, ni de ce que je peux ressentir à son égard, pas plus que le reste, mais qu'elle sait tout cela, et qu'elle comprend mes choix, et pourquoi je dois gagner ce temps-là.

La jeune femme acquiesça à ses mots. Sans l'échange maladroit de courriers, qui sait ce qui se serait vraiment passé entre les deux jeunes gens. Elle se leva, alla lui servir un verre qu'elle lui tendit sans lui laisser la possibilité de le refuser, avant de retourner sur son lit pour reprendre une longue gorgée. Les perles se plissèrent, comme si quelque chose en elle était en train de changer. Le jeune homme accepta le verre offert finalement pour boire une courte gorgée d'alcool. Il avait l'impression d'avoir perdu quelques forces au travers de ses paroles. Son regard ne la quitta pas avant de terminer ce qu'il avait à lui dire. Finalement ce qu'elle attendait au-delà de tout ce qu'il venait de lui dévoiler.

- J'ai été tenté de croire que j'aurai pu trouver une femme compréhensive, qui aurait accepté de jouer le jeu, le temps qu'il aurait fallu, j'ai conscience d'avoir été... Enfin, mes courriers reflétaient la crainte que j'avais de tout cela. De l'échec, si on venait à échouer, de ce mariage que je ne veux pas plus que vous. Enfin, à présent, même si j'avoue avoir songé, sincèrement à vous faire payer votre petit jeu, je ne le ferai pas. Vous pourrez reprendre votre vie, la vivre comme vous l'entendrez.

La libération offerte, il n'avait plus rien à ajouter. Elle venait de récupérer cette liberté pour laquelle elle avait menti à tout le monde, lui le premier. Son verre fut vidé avant d'être posé sur le premier meuble venu, pour se diriger vers la sortie. Il n'avait pas besoin de rester davantage dans cette chambre. Elle obtenait ce qu'elle désirait, ce qu'il avait compris comme important, lors de ces jours où il pensait encore avoir à faire une Isodora. Quant à lui ? Et bien, il laisserait son père choisir son épouse future, profitant du peu d'instants de bonheur que la vie lui apportait au travers de la tendresse de la fauvette angevine.

- Attendez.... Asseyez-vous...

Arsène tourna son visage vers elle pour la regarder et secouer la tête, le regard plus sombre qu'à la normale. Non nul besoin de s'attarder. Il ne tenait pas à entendre à nouveau ses reproches ou qu'elle ne le croyait. Ce n'était plus important à présent.

- Je vous l'ai dit, je ne vous prendrai pas plus de temps de nécessaire.
- Asseyez-vous...

Sans comprendre ce qu'elle voulait de plus, le Beaurepaire choisit plutôt de rester près de la porte, jusqu'à ce qu'une nouvelle injonction à s'asseoir ne soit prononcée, accompagnée d'une demande qui le força à accepter de prendre place sur la chaise abandonnée. En effet, elle l'avait écouté, il pouvait bien lui accorder quelques instants de plus pour lui offrir la pareille. Si elle y tenait, il l'écouterait avant de partir et cette fois pour de bon.

- Cela ne va pas être facile pour moi, alors ne m'interrompez pas.

La lionne était sur le point de prononcer des paroles qui ferait dire de lui qu'elle était encore plus folle qu'il ne pouvait l'imaginer. Mais sa voix intérieure était bien vivace depuis les aveux. Et pressente, celle-ci ne voulait pas la laisser en paix. Dispute intérieure, il fallait qu'elle s'exprime avant que cela ne soit trop tard. Arsène incline la tète, lassé par tout ceci et probablement par le manque de sommeil en lui-même.

- Je veux vous présenter mes excuses pour cette supercherie, même si je sais que je recommencerai sans hésiter. Je me suis sentie comme un animal traqué, enchaîné sans possibilité de m'échapper. Je sais que c'est ma faute, j'ai fait preuve de beaucoup trop d'insolence. Je n'ai jamais été malveillante... ou voulu l'être... mais la nécessité de recouvrer ma liberté était impérieuse.

La jeune fille aurait pu s'arrêter là, même si c'était important pour elle de présenter ses excuses, elle aurait pu les lui écrire sur la route. Ne lui offrait-il pas ce qu'elle chérissait le plus, sa liberté. Mais non, il lui fallait aller jusqu'au bout au risque de voir son indépendance entachée par une mauvaise conscience.

- Je... j'ai agi avec égoïsme, comme une enfant capricieuse et ces derniers jours, j'ai apprécié être ici, avec mes cousines. Je me suis rendu compte cette nuit que finalement, à toujours vouloir être libre, j'en étais seule... Je vais rester un peu pour profiter de ma famille. Goûter un peu ce à quoi j'aspire... Et si vous cherchez une alliée... enfin une épouse... qui puisse vous comprendre et vous épauler... Alors ne reprenez pas votre parole et dites à votre frère que vous voulez m'épouser.


Le Beaurepaire n'avait pas dit un mot, se contenta d'accorder une attention à ses mots. Si les excuses pouvaient le concerner, en revanche le côté famille non. Il suspendit un court instant sa respiration pour la regarder. Avait-il bien entendu les derniers mots ? Il se redressa lentement sur son siège.

- Après tout ce que vous avez voulu faire pour retrouver votre liberté, à présent vous me dites cela ?
- Vous n'êtes pas le seul à avoir réfléchi... il m'arrive de le faire aussi, je n'ai pas dormi de la nuit, je n'ai pas dormi du jour. Je vous ai haï plus que personne avant vous... et encore avant votre arrivée et vos explications, j'étais prête à détruire la terre entière pour la retrouver. Mais que vaut-elle si je tourne le dos à une personne qui en souffre autant que moi ?
- Elle vaut cette vie dont vous rêvez.. D'aller où bon vous semble quand il vous semble.. C'est moi qui ne peut vous en priver j'aurai dû le faire hier quand j'ai compris que cette femme qui m'a donné envie d'oublier un peu tout ça n'était que celle que j'attendais...

Tout cela, était aussi curieux que soudain pour elle. Il y avait encore quelques minutes elle serait partie à peine la phrase terminée, mais quelque chose l'avait retenue et à dire vrai, sans ce stratagème, la jeune femme aurait agi ainsi. En partant, elle ne goûterait à rien, elle le savait. Sa foutue entreprise capotait parce qu'elle avait été blessée dans son orgueil. Sa décision était prise, elle ne s'attendait pas à ce qu'Arsène le comprenne, elle-même était incapable de mettre le doigt sur cette foutue âme.

- Vous avez pu m'observer sous les traits d'Isodora... pensez-vous que je réussirai à vivre librement en sachant que pèse sur mon âme une décision qui aurait pu être prise pour aider un autre ?

- Vous apprendrez à oublier. Vous l'avez dit vous n'avez pas besoin de moi.
- Non, je n'ai pas besoin de vous, mais vous avez besoin de moi et pour une fois, aussi insensée que peut être ma décision, j'ai envie de vous aider. Parce que j'ai vu l'homme que vous pouvez être
- Oubliez-le en ce cas.[/color]
- Non, je vous donne ma parole, ce que j'ai de plus précieux en ce monde, que je saurai rester une alliée pour vous et votre bonheur futur. Je vous demanderai juste de ne pas me brider.

Arsène se lève pour lui tourner le dos, ça serait si simple de dire oui, de respirer un peu. Si simple. Pourtant, quelque chose le retenait et il savait ce que c'était. La jeune fille pour une fois fit voir sa vulnérabilité. Ne se cachait pas, ne jouait pas, pour une fois depuis longtemps, elle était prête à aider son prochain.

- Je ne peux pas.

- Pourquoi ?
- Parce que, avec une inconnue, j'aurai probablement réussi à composer, avec vous..

Ce qui laissait sous-entendre l'amitié possible, l'appréciable séjour passait en sa compagnie à tromper l'absence, ou les soucis par des jeux amusants. En somme, il ne se sentait pas capable de l'utiliser pour arriver à ses fins.


- Ne refusez pas la main que je vous tends, et acceptez. Nous finirons peut-être par vraiment devenir amis...
- J'en doute.
- Ne doutez de rien avec moi, j'ai réussi à vous faire prendre ma place quelques jours.
- Simplement parce que je l'ai voulu.
- Je n'ai pas dit le contraire, mais avouez-le, vous avez apprécié et nous pourrons de nouveau un jour.

Il avait étiré un sourire lointain, perdu on ne savait où avant de lui faire à nouveau face. Tout ceci était surréaliste, elle aurait dû le laisser partir, en rester là. Son sourire s'accentue légèrement, bien malgré lui quand il ajoute.

- Vous vous rendez compte que je suis venu ici pour vous rendre votre liberté et qu'à présent, c'est vous qui insistez dans le sens contraire ? J'ai dû m'endormir sans le voir venir.
- Je ne saurai l'expliquer avec ces mots, peut-être que je ne suis pas bien fini dans ma tête pour insister autant, mais j'ai vraiment l'impression que je dois le faire vous comprenez ?
- Pas vraiment, ce n'est pas vous qui critiquiez ce que je serai capable de faire pour mon frère ?
- Oui et je ne reviendrai pas sur mes paroles, mais ce n'est pas lui que je veux aider, c'est vous.
- Dans le cas où j'accepterai. Que demanderiez-vous hormis.. La bride.
- C'est tout ce que je demande pour l'instant, je n'ai jamais été mariée... même pour de faux.
- Très bien. Prenez le temps d'y réfléchir. De réfléchir à tout. Autant que je vous prévienne, ça ne sera pas forcément une partie de plaisir. Si demain vous souhaitez toujours garder votre parole, nous parlerons de ce qui sera. D'ici là.. J'ai moi aussi besoin de réfléchir et surtout de dormir.

Elle se contenta d'acquiescer sans en rajouter. Elle réfléchirait oui, même si à cette heure elle était sure d'elle, mais il était fatigué et elle avait besoin de réfléchir à ce qu'elle venait de proposer. Des fois, la jeune lionne agissait sans réfléchir comme son coup de sang lors de la réception de la fameuse lettre. Et il lui laissait une fois de plus, l'occasion de reprendre ce qu'elle avait cherché à récupérer malgré la dette auprès de son jumeau, alors qu'il aurait pu simplement prendre ce qu'elle lui offrait sans plus réfléchir. Mais le Beaurepaire ne le voulait pas. Il s'obligea malgré tout à ajouter une précision, à laquelle elle répondit subitement. Un sujet sensible que ni l'un, ni l'autre n'évoquerait à nouveau, tant l'indécence même de ce propos était déplacé dans l'immédiat. Par respect, il n'ajoutera rien de plus avant de lui souhaiter une bonne nuit. Il s'en alla vers la porte pour cette fois quitter la chambre, et retrouver l'Isil, sans être certain de pouvoir dormir davantage.




RP écrit avec 20 doigts, 10 du Jd Arsène et 10 du Jd Léonie

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