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[RP] Qu'est-ce qu'on peut bien faire après ça* ?

Valyrian
[Limoges, le 29 Janvier 1468, au soir.]

    Une douloureuse et terrible semaine venait d'abattre les dernières forces du brun, depuis deux jours déjà. Et Dôn avait su le lui faire remarquer au travers d'un pli plein d'attention et de délicatesse qui avait su ne pas laisser le grand brun indifférent. Partir. C'était ce qu'elle lui demandait. Pas pour elle, mais bien pour lui. Il avait déjà fait tout son possible, et hormis n'être qu'un soutien pour Fanette, bien que très fragile, il n'allait, selon la brune, qu'aller se détruire un peu plus encore. Il savait que ces événements l'affectaient plus qu'ils ne devraient. Par souvenirs de son fils, disparu à cause de la maladie. De sa femme, même refrain. Pour tous les sentiments qu'il éprouvait et encore un peu aujourd'hui, pour la jeune Mère. Parce qu'il prenait cette mission à cœur, comme à chaque fois, et n'en dormait presque plus tant il avait cherché à soigner le Mal de l'enfant. Désormais c'était la culpabilité et les remords qui l'empêchaient de fermer l’œil, la nuit, quand il venait à rejoindre sa couche improvisée, et rallongée pour que son Apprentie, inquiète, et souffrante de terreurs nocturnes, puisse lui tenir compagnie. C'était un moindre mal pour lui éviter la défaillance. Le Burn Out, voilà vers quoi il courait à pas sûrs.

    Ce soir là, après avoir salué Fanette, trouvé un peu de sommeil, quelques heures, puis préparé ses affaires à lueur d'une mèche, et conseillé Alisa d'en faire de même, il s'était attardé un moment, assis au bureau qui dominait leur chambre de fortune, à rédiger quelques mots, à destination de l'Amie.
    Remords, regrets, tant de mauvais sentiments qui l'envahissaient. Et encore ce soir, il avait pleuré. Abattu, démoralisé, et impuissant, encore une fois. Plume tremblante, et yeux encore rouges, les mots se devaient de couler sur le papier, afin d'apaiser son cœur.


    Citation:
      Fanette.
      Ma tendre et chère, très chère Amie.


    C'est avec de grands regrets que je pars. Mais il le faut. Ma présence ne vous aidera pas. Que pourrais-je vous apporter si je ne peux, comme hier au soir, tenir mes sanglots, ma déception, et que je m'écroule face à vous ? Admettons-le, tous les deux. Je ne peux plus vous aider. Et je ne l'ai jamais pu. A mon grand regret.

    C'est Dôn qui m'a fait remarquer le lamentable état que je me traîne ces derniers jours. Elle me pousse à partir, pas pour elle, pas pour Alisa, mais bien pour moi. Et je crois, avec le recul, qu'elle a raison. Des jours que j'essaie de libérer votre petite de ce Mal, et des jours que j'échoue, encore et encore, lamentablement. Je suis à bout Fanette. Je n'en peux plus. Et je ne pourrais continuer de voir votre enfant souffrir comme j'ai vu le mien souffrir alors qu'il était condamné. Mais comme vous, à l'époque, j'ai refusé cette acte que l'on me proposait. Quel parent pourrait accepté de toute façon... Je vous comprends, tellement, et je vous offre tout mon soutien. Mais de loin. C'est préférable pour vous, comme pour moi.
    Je vous sais également entourée. Ne le niez pas, il y a bien des personnes bienveillantes envers autour de vous. Il vous suffit d'ouvrir l'oeil, et les oreilles. Vous les verrais, tous. Et cela m'aide à prendre la route, je vous l'avoue. Car je n'ai envie de partir et de vous laisser. J'aurais aimé être ce soutien et ce pilier inébranlable... Mais il semblerait que j'en sois incapable tant la situation m'est douloureuse. Un parallèle avec Lucas. Et certainement que de vous avoir vue porter cette petite, et l'avoir rencontrée pas plus grande que l'avant-bras m'a aidé à imaginer l’impensable.

    Vous souvenez-vous de notre rencontre ? Lorsque je vous affirmais être capable d'aimer une femme déjà mère. Je ne mentais pas. Et je pensais, à ce moment là, à vous. Aujourd'hui, voyez, j'ai réussi à m'ouvrir, enfin m'ouvrir... Les choses se sont faites sans que je ne comprenne réellement... A Dana. Et pourtant, elle a porté cinq fois la vie.
    Tout ça pour vous dire que... Qu'il faut croire que mon esprit vous a liées, vous et Stella, à moi, inconsciemment. Certainement que je l'ai vu comme une petite que j'aurais pu, et du, aimer comme ma propre fille. Peut-être oui. Et je suis certain que cela aurait été possible, si la vie avait permis à nos routes de se croiser à de meilleurs moments. Mais la vie étant ce qu'elle est, nous en sommes là, aujourd'hui, vous et moi. Amis. Vous pouvez compter sur moi, et je suis persuadé que l'avis est réciproque.
    Je suis venu en ami de Touraine, dans la précipitation, ne prévenant ma Dame et mes confrères que d'un mot lancé au hasard, laissé sur un bureau, comme celui-ci, mais n'ayant de noirci qu'une ou deux lignes. L'Hospice, mes obligations... Je n'en ai eu que faire lorsque j'ai reçu votre mot. J'ai su où était ma place. A vos côtés, car je m'inquiétais. Et bien que je n'ai rien pu faire, incompétent que je suis, j'étais là, j'ai essayé. Et comme je vous l'ai déjà écrit, j'aurais aimé pouvoir faire plus, beaucoup plus. Mais pour ça, j'ai bien une petite idée. Et je vous prierais de ne pas rechigner à ce geste. Embauchez quelqu'un pour prendre du repos. D'Ami à Amie, ou plus... D'un homme à une femme qu'il aime. A aimé. Et aimera encore. Vous aurez toujours cette petite place dans mon cœur, quoiqu'il se passe à l'avenir.

    Je sais bien que ce pli est décousu au plus haut point mais... Mon esprit est trop embrouillé pour pouvoir vous servir de belles lignes. J'ose espérer que vous me pardonnerez pour ça, et pour mon départ. J'aurais au moins pu vous embrasser avant mon départ.

    Et je profite de ces dernières lignes pour vous faire une promesse. La prochaine fois que nous nous verrons, ce sera dans un cadre plus joyeux, et je vous ferais danser, comme à l'époque. Nous parlerons de choses plus joyeuses, sans évidemment oublier ce passif vécu l'un à côté de l'autre.

    N'hésitez pas à m'écrire. A Tours ou à Vendôme. Mon courrier me sera remis depuis là-bas. Où que j'aille. Alors faites le. Par pitié.
    Et n'hésitez pas non plus à venir, ma porte vous est grande ouverte, à vous, et à votre famille.

    Je m'en vais retourner prier les étoiles pour Stella.
    Je vous embrasse, tendrement, et avec toute l'affection que je vous porte.
    Prenez soin de vous Fanette. Et pardonnez moi, encore...

    Votre Ami.
    Valyrian.


    PS : Vous trouverez des écus, pour vous, Milo et Stella. Ne rechignez pas. Et une écharpe, la mienne, pour vous tenir compagnie les prochains jours, et y sécher vos larmes. Je n'aime pas vous voir pleurer, je vous préfère votre beau sourire, celui qui vient à illuminer votre petit minois si charmant.


    Le parchemin n'est pas plié, et laissé bien ouvert au centre du bureau, à vue si elle venait à s'approcher. Sa plume est déposée sur un coin, souvenir de son passage, cadeau à la Fauvette. Le brun laisse à côté du papier une bourse, 300 écus, comme indiqué dans son pli. Il ne connaissait que tristement la finalité de l'événement. Elle en aura besoin. Qu'elle puisse payer une mise en terre à sa fille, convenable. N'importe qui ou presque accepterait de creuser un trou et de consacrer la terre en échange d'une généreuse poignée d'écus.

    Le temps de laisser échapper un soupir ampli de tristesse, après les nombreux sanglots qui ont menacé de lui échapper et de venir tâcher le papier, et d'échanger un regard avec sa Disciple et voilà qu'ils quittaient les lieux, sans bruit, dans le noir, pour prendre la route retour vers Vendôme...

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Lison_bruyere
validé par JD Claquesous

    Limoges, 3 février 1468

– Tu devrais peut-être l'endormir.
– Elle dort là ... enfin j'sais pas, elle est ... Elle bouge pas.

Le regard du jeune homme vint rejoindre celui de la fauvette qui cherchait résolument aux traits creusés de douleur de sa fille quelque trace d'espoir. Il soupira longuement.

– Elle a juste ce râle dans son souffle.

La longue et fine main masculine vint se poser sur la poitrine de l'enfant.

– Elle va mourir Fanette. Vois, son thorax est déjà creusé.

Cruelle vérité maintes fois dite mais à laquelle la jeune mère ne savait se résoudre. Elle protesta, secouant la tête en réprimant les sanglots qui revenaient à la charge.

– N'as-tu pas remarqué que son odeur a changé ?

Elle hocha la tête, bien incapable d'un mot.

– C'est une question d'heures. Quand je dis que tu devrais l'endormir, reprit-il d'une voix plus douce, j'entends pour toujours.

Fanette s'effondra. Savait-elle sa fille perdue ? Oui. Pouvait-elle l'imaginer, ou seulement le comprendre ? Assurément non. Alors prendre la décision d'écourter la vie de cette enfant qu'elle choyait depuis le premier jour où on l'avait glissée, sanguinolente et tellement minuscule dans ses bras, lui était totalement impensable. Au-delà de l'affront au Très-Haut, elle ne survivrait pas à Stella, et succomberait d'un trop-plein d'amour brisé et des remords d'avoir donné la mort quand elle devait la vie et la protection.

A ces pensées inaccessibles qui bousculaient le cœur de la fauvette s'ajoutait la culpabilité de laisser Claquesous approcher sa fille, quand il lui avait déjà pris un fils. Elle ne savait plus faire le tri entre la rancœur qu'elle lui conservait pour l'enlèvement de Milo, et la reconnaissance pour l'humanité dont il avait fait preuve en lui évitant la potence et en lui donnant des soins quand elle était transie de peur, de froid et de mal au fond d'une geôle alençonnaise.
Pourtant, il avait trouvé les mots pour décrire la souffrance à laquelle Valyrian et Gabriele avaient déjà proposé de mettre un terme.

– Parce que sa mort est atroce, lente et douloureuse. C'est comme si tu mets la tête dans l'eau, et que tu bois la tasse. Je peux te donner du lait de pavot, ça la mettra dans un état second, ou, selon la dose, elle ne se réveillera pas.
– Je n'peux pas, marmonna-t-elle en sanglotant, Roman non plus.
– Au moins elle ne souffrira pas ... Je peux le faire pour toi.

Fanette serrait de plus belle le petit corps souffreteux contre elle. Si elle la tenait assez fort, elle empêcherait la mort de venir la prendre, et tous ces hommes qui voulaient abréger sa vie n'auraient plus qu'à reconnaître leurs torts et se taire. Elle voulait continuer à le croire, mais elle savait pourtant que Claquesous, comme Valyrian et Gabriele étaient dans le vrai. Son cœur impuissant de mère le sentait, quand déclinait un peu plus chaque jour les forces de sa fille.

– Roman me tuerait si je te laissais tuer notre fille.
– Fanette, chaque inspiration est un calvaire.

Elle était perdue, par les décisions cruelles qui s'offraient de nouveau à elle, comme par l'illégitimité de celui qui les proposait. Elle fit un effort pour refouler ses larmes et parler distinctement.

– Gabriele a dit qu'il pouvait la sédater en attendant qu'elle meure.
– C'est ce que je viens de te proposer, mais comme elle est toute petite, on ne peut être sûr que son cœur le supporte.

Avait-elle acquiescé d'un insoupçonnable mouvement de tête ? Où s'était-elle plus probablement avachie davantage à ces mots, ces maux qu'elle ne comprenait pas. Elle avait besoin de Roman pour décider. Mais si l'Italien passait plusieurs fois par jour, fuyant les salles communes pour rester reclus avec sa fille dans l'intimité de ce qui avait été leur chambre avant, à cet instant présent où elle le voulait à ses côtés, il n'était pas là.
Depuis qu'il l'avait engrossée, elle était seule. Il l'avait laissé la porter seule, lui donner la vie sans se soucier de savoir si aucune d'elles n'avait péri. Elle l'avait élevé seule ces neuf mois, affrontant sans son aide les difficultés pour nourrir leurs deux enfants, leur conserver un toit, s'acquitter des dettes et se protéger des ennemis des Corleone. Et encore à ce jour, alors qu'elle ne faisait plus parti "della famiglia", Montparnasse s'était plu à la menacer, tout comme son père l'avait fait à plusieurs reprises les mois précédents.
Roman avait accouru pour sa fille, dès qu'il l'avait su malade, mais pouvait-il comprendre qu'à traiter sa mère comme une simple nourrice il ajoutait encore cruellement au fardeau qui était sien ? Pensait-il donc vraiment qu'elle ne méritait pas même un peu de respect pour l'amour et le soin qu'elle prenait de ses enfants quand il s'en tenait loin sans même prendre de leurs nouvelles ? Que devait-elle faire ? Que ferait-il lui, si le choix lui avait été donné deux heures plus tôt, quand il était encore auprès de Stella ?

Fanette était bien trop perdue pour réagir quand délicatement, la main de Claquesous s'enroula à la sienne, et trempa l'extrémité de son auriculaire dans le liquide blanchâtre et épais. Une odeur crayeuse accrocha ses narines, traçant une petite moue à son visage ravagé de larmes.

– Fais-lui sucer ton doigt.

Elle porta mécaniquement la pulpe de son petit doigt à la bouche de l'enfant. Elle ne pleurait plus, son regard vide restait rivé au mouvement réflexe des lèvres bleuies du bébé, la langue vint l'enrouler, puis, sans doute contrariée par le goût âcre du lait de pavot, elle la repoussa en tournant la tête. Les traits enfantins se contractèrent, mais au lieu d'un cri, ce n'est qu'un sifflement rauque qui s'échappa de la petite bouche. Le thorax se creusa encore, comme s'il voulait expulser les humeurs qui noyaient les poumons malades, mais elle était bien trop faible, et la tentative avorta, déformant de douleur le minois de la Piccolina.
Fanette n'entendait plus rien de ce qui se passait autour. Elle ne vit même pas que le bourreau de Lili et de Roman était revenu la narguer jusque chez elle. Plus rien d'autre n'existait que l'enfant malade qu'elle berçait contre elle, pleurant de nouveau pour chaque souffrance qu'elle ne savait endurer à sa place. Et enfin, le petit corps s'apaisa, pesant plus mollement dans ses bras.

Roman la tuerait peut-être s'il apprenait qu'elle avait laissé faire Claquesous. Mais ce soir, Roman n'était pas encore revenu, et l'enfant dormait d'un sommeil sans rêve et sans douleur.
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Lison_bruyere
    Limoges, 6 février 1468

Tierce sonnait au clocher de la cathédrale toute proche. Dehors, le manteau froid de l'hiver emprisonnait dans sa gangue de glace les paysages limousins que Fanette aimait tant. Debout devant la croisée, la jeune mère regardait les prés qui s'étendaient derrière l'auberge. Siena, indifférente aux températures glaciales, y mâchouillait une brassée de foin posée à même la neige. Au loin, on devinait la ligne des grands arbres qui bordaient la Vienne. Ils allongeaient leurs ramures sombres et dénudées vers le ciel gris. Quelques corneilles s'entremêlaient aux branches en craillant.

Le souffle chaud de la jeune mère se figeait en buée sur la vitre. Les pieds nus, sur les dalles de pierre froide, elle s'extirpait doucement des limbes d'une autre mauvaise nuit. Elle bâilla. Un frisson parcourut son échine, sa chainse de lin ne suffisait à la réchauffer. Elle attrapa l'étole de laine jetée sur le dossier d'un fauteuil et la resserra autour de ses épaules. Si le regard s'abandonnait aux délices poudrées du dehors, l'esprit n'était pas résolu à la contemplation. Elle avait pris l'habitude de guetter la respiration difficile de sa fille. Ses bruits de gorge et ses sifflements rythmaient leur quotidien douloureux depuis de trop longs jours. Pourtant ce matin …

L'inquiétude soudaine acheva de la réveiller. Elle retraversa la chambre jusqu'au lit où Stella était allongée. Le petit minois enfantin aurait pu simplement sembler endormi, mais ... le palpitant de la jeune mère manqua un battement. Elle se précipita, glissant ses mains fines aux petites joues creuses. Rien, pas même un infime frémissement à la caresse maternelle. Le teint cireux de la Piccolina n'était rehaussé que de cernes sombres qui soulignaient son regard éteint et de lèvres bleuies. Un mauvais pressentiment chiffonna le visage de la fauvette. Elle eut l'impression qu'une main glacée étreignait son cœur, figeant son sang dans ses artères. Ses jambes cédèrent, genoux touchèrent le sol abrupt et froid tandis qu'elle arrachait au matelas le petit corps de sa fille pour le blottir contre elle. Ses lippes s'approchèrent, cherchant un contact tiède de la peau, un filet d'air, si mince soit-il, mais Stella restait désespérément inerte.

L'enfant ne dormait plus au berceau de châtaignier depuis qu'elle était malade. L'Angevine l'avait installée dans le grand lit, avec elle, pour être au plus près de son sommeil, pour empêcher les ténèbres d'emporter sa petite âme quand le jour les chassait au matin. Il restait encore, au creux du petit corps souffreteux un infime soupir de vie. Fanette refusait d'admettre qu'il puisse en être autrement. Elle colla son oreille contre la poitrine si menue du bébé, résolue à sentir cogner le cœur dans la fine cage dos et de chair, et, sans qu'elle ne le contrôle, un cri déchira sa gorge, libérant l'angoisse grandissante de sentir les serres de la mort resserrer leur prise sur sa fille toujours inerte.

A genoux près du lit, recroquevillée sur le corps immobile de la toute petite fille, elle la berçait, ou se berçait elle-même, chuchotant entre ses larmes une berceuse Italienne.

– Brilla brilla una stellina
Su nel cielo piccolina.
Brilla brilla sopra noi,
Mi domando di chi sei.
Brilla brilla la stellina,
Ora tu sei più vicina.*


* Brille brille une petite étoile
Dans le ciel minuscule.
Brilla brille au-dessus de nous,
Je me demande qui vous êtes.
Brilla brille la petite étoile,
Maintenant tu es plus proche.

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Jaimeoliver
Il s'était réveillé quelques minutes avant Fanette sur un mauvais pré-sentiment. L'Angloys s'étirait longuement dans le fauteuil qui lui servait de lit ces 3 derniers jours. La pièce dont les murs avaient revêtis des couleurs dans les tons de orange grâce aux flammes qui s'élevaient dans l'âtre était désormais grise et froide. Habituellement le feu crépite plus longtemps, il n'a pas l'habitude de frissonner sous les couvertures empruntés. Même le plancher semblait glacial. C'est une température glaciale qui s'est emparée du ''Il lupo e l'uccellino'', c'est comme si la mort avait pris entre ses bras la bâtisse. La seule odeur qui parvenait aux narines angloyses était celle de la pierre mouillée. Il frissonnait encore lorsqu'il s'est décidé à se lever pour allumer de nouveau un feu dans l'âtre. Il n'eu guerre le temps de se servir de son briquet qu'il l’entendis : Fanette.

Oliver ne craint rien, ni la mort, ni la souffrance. Il accepte chaque épreuve comme une nouvelle façon de grandir. Pourtant à ce moment il eût peur. C'était le moment qu'il redoutait temps, celui ou Stella cesserait de combattre et que Fanette serait détruite. Il ne pouvait pas se résoudre à la voir souffrir encore. Tant de souffrance pour une seule femme, si jeune, ce n'est pas normal. Jaime savait qu'elle souffrait constamment, surtout lorsque ses yeux noisette pailletés d'or se ternissaient lors d'une pensée sombre ou d'un souvenir plus sombre encore. Il doit s'avouer aussi qu'il s'est plu à bercer l'enfant et à lui fredonner des airs de chez lui lorsque Fanette était occupée. Peu à peu cette toute petite enfant, malade, inerte a pris une place de plus en plus grande dans son coeur...

Au moment ou Fanette criait, il savait déjà : La Stellina s'élevait avec ses semblables. Il se précipitait dans la chambre de Fanette pour trouver le tableau qu'il redoutait tant. Il la voyait là en train de bercer sa fille qu'il savait morte. Il n'eut pas besoin de demander des précisions, des explications. L'angloys posa calmement une bise sur la tête blonde et s'élança plus rapidement vers cette auberge ou logeait Roman. C'était un drôle de nom, il n'avait jamais entendu un mot pareil. Le seule repère qu'il avait c'était la Cathédrale. On pouvait entendre ses bottes résonner sur le pavé humide de la ville. Oliver lisait tous les panneaux sur son chemin jusqu'à la Cathédrale, jusqu'à Ewedishalahu ? C'était ça!

Le brun entra et une fois au niveau des chambres il criait:

ROMAN CORLEON! C'est votre fille! Elle n'est pas bien!
Roman.
Dans une chambre à l'étage de l'Ewedishalahu, pâlement éclairée par la faible lueur du soleil et un reste de feu vacillant, un homme se tenait voûté au-dessus d'une bassine d'eau, ses mains ruisselantes et froides plaquées sur son visage. Comme s'il ne voulait plus ouvrir les yeux sur un nouveau jour. Posé près de la bassine, le rasoir dont il venait de se servir portait une trace de sang. En travers de la joue masculine, une mince estafilade rougissait la peau. Les mains qui couvraient le visage italien tremblaient. Le bout des doigts remonta sur les yeux, les massa, les étira. Les paumes pressèrent encore les joues en descendant vers les mâchoires. Roman se regarda enfin dans le miroir. Ses yeux cernés trahissaient une quasi absence de repos; son teint livide achevait de le rendre cadavérique. Sa minceur devenait maigreur. Il n'avait presque rien avalé depuis son arrivée à Limoges. Trop inquiet, trop bouleversé par la mort prochaine de sa fille, qu'il ne pouvait ni retarder ni éviter, il n'avait plus goût aux nourritures terrestres. Seule la présence de son unique fils, Milo, le maintenait encore debout ce matin.

Il avait si peu dormi... et il avait veillé si longtemps... jusqu'au coeur de la nuit, encore. Il savait Stella proche de la fin. Chaque minute écoulée lui déchirait le coeur un peu plus. Il était père de quatre enfants; deux n'avaient qu'à peine vu le jour et à présent la toute petite Stella luttait pour conserver un peu de souffle. Sa vie était un immense vide peuplé de fantômes enfantins. La nuit, la folie rôdait, soeur de la mort, taquinant la faucheuse pour savoir laquelle des deux allait achever de le détruire.

On l'appela.

Il sut.

Son coeur cessa de battre, un instant. Rien qu'un instant, où il se sentit mourir... et il respira en un hoquet, se redressa, saisit sa chemise et son pourpoint, courut dans l'escalier en manquant s'y jeter. L'homme l'attendait. Son regard disait tout.

Roman se précipita, traversa en courant les pavés glacés, enfonça les portes qu'elles soient ouvertes ou non.

Fanette gisait, à genoux, contre le bord du lit, et ses cheveux épars couvraient à demi le petit corps de Stella. Elle pleurait sans forces, chantait doucement, la voix rauque d'avoir hurlé. Roman s'approcha plus doucement. Dès son entrée dans la pièce, il avait su que sa fille était morte. La position de ses membres, sa bouche entrouverte et figée, le teint anormal de sa peau. Elle n'était pas son premier cadavre, non. Ce n'était pas le premier enfant mort qu'il voyait. Ce n'était pas le premier nourrisson condamné qu'il avait tenté de soigner. Non. Mais c'était sa fille, sa seule fille, la seule qui avait survécu. L'autre petite n'avait pas ouvert les yeux sur le monde; et c'était Stella qu'il avait pu bercer contre lui; un peu, rien qu'un peu... de longues heures, ces derniers jours. Et il aurait alors donné tout l'or du monde pour avoir le don de remonter le temps et de faire bifurquer la route qu'il avait fait emprunter à sa vie. Il aurait jeté sa fortune à la mer pour refaire le monde et passer plus de temps avec ses enfants.

Mais ce n'était pas possible; et il fut détruit.

D'une main tremblante, il effleura le minuscule visage immobile. Les paupières closes, le petit nez, la bouche délicate. La joue encore tiède; à peine. Il n'y avait aucun souffle pour caresser la peau de ses doigts.

Les larmes silencieuses brouillaient sa vue. Fanette avait-elle seulement remarqué sa présence ? Il tomba à genoux près du lit et caressa le tout petit visage, le front posé contre celui de sa fille morte. Il pleura; chercha son souffle; longtemps. Ses mains tremblaient en effleurant les doigts de poupée qui se rigidifiaient. Elles tremblèrent davantage lorsqu'il les éleva jusqu'à la fine lanière de cuir qu'il portait au cou et dont il défit le fermoir. La petite pierre d'ambre, enchâssée dans un cercle d'argent fin, glissa le long du collier et dansa doucement dans la faible lueur du jour. Il attacha le bijou au cou gracile de sa fille; arrangea les cheveux doux autour du petit visage. Enfin, il remonta doucement le drap jusqu'à la poitrine de l'enfant et déposa ses petits bras par-dessus, comme si elle s'était assoupie ainsi.

Fanette pleurait entre deux mélopées. Il se releva. La paume de sa main s'arrêta un instant sur les cheveux de la fauvette. Rien qu'un instant.

Il sortit.

Déchiré, détruit, il prit la direction des bois tout proches.

Il y disparut.

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Arsene.b
    Limoges, 8 février 1468



**Fanette n'avait pas su réagir à la mort de sa fille. Son quotidien s'était limité à des larmes à en brûler les yeux, des cris silencieux d'une détresse sourde, à l'incapacité de manger, d'avancer, de projeter quoi que ce soit. Si Oliver s'était fait un soutien discret mais solide, supportant ses pleurs, organisant les tâches quotidiennes et la retenant quand elle voulait sombrer tout à fait, elle ne savait plus quoi penser d'Arsène, si tant est qu'elle soit en mesure de penser quoi que ce soit.

C'est de la colère qu'elle avait ressenti en le voyant pousser la porte del lupo, à la veille du funeste jour qu'elle voulait oublier. Elle n'avait pas manqué de lui dire, faisant injustement peser sur lui la maladie de sa fille en préférant le rendre responsable quand en réalité, c'est elle qu'elle blâmait. Il était resté pourtant, un jour, puis un autre, revenant sans s'imposer, et, puisque la fauvette lui semblait résignée et perdue, il avait pris les choses en mains. Prêtre et famille avait été prévenus, il s'était occupé de récupérer les papiers de baptême de l'enfant, quand Fanette était bien incapable pourtant d'imaginer où elle les avait rangés.

Ce matin du huitième jour de février, elle avait définitivement baissé la garde. Les blessures infligées par Arsène semblaient bien dérisoires à présent que sa fille n'était plus. Il venait lui annoncer l'imminence des obsèques. L'évêque était prévenu, un prêtre serait bientôt missionné, et il reviendrait vers Arsène quand date et heure seraient posées.

Elle acquiesça vaguement, plissant le nez dans une moue incertaine, et tourna son regard vers le petit cercueil de bois sombre. Oliver l'avait déposé sur la table la veille au soir. Il l'avait fabriqué et embelli son couvercle d'une délicate sculpture représentant un paysage qu'on pouvait presque oublier tant la voûte céleste, piquée d'étoiles, tenait le premier rôle.

– Tu as vu ?

La fauvette s'était approchée. Lentement, elle glissa la pulpe de ses doigts sur le ciel, pour s'arrêter sur une étoile, tellement détaillée qu'elle en semblait plus brillante que les autres.

– C'est elle.

Elle retira sa main, la portant brutalement à sa bouche pour retenir un sanglot. Mais les larmes de nouveau débordaient ses cils et roulaient à ses joues, tandis que le Beaurepaire à son tour, suivait doucement le l'index le dessin des gravures. Il se tourna vers elle, et s'approcha d'un pas pour la prendre contre lui.

– Elle ne pourrait avoir plus beau, ta petite étoile, murmura-t-il, elle sera toujours là avec toi, quand tu regarderas le ciel, ou dans ton cœur.

Elle ne s'était pas dérobée à l'étreinte offerte. Mais les mots, si tendres furent-ils, ne surent pas la consoler, elle protesta, la voix noyée de pleurs.

– J'veux pas, j'veux qu'elle reste là, toujours.**
**– Tu sais que c'est impossible Fanette.

Il ne s'était pas senti assez maître de lui pour la laisser à ses larmes sans rien faire, quand bien même ce geste de réconfort, ne s'adressait finalement qu'à la femme qu'il avait côtoyé plusieurs mois durant. Quoi qu'on en dise, il garderait pour elle cette affection, même si elle n'en voulait plus et qu'il était préférable pour tous deux que leurs vies se tiennent éloignées l'une de l'autre. La jeune mère avait protesté d'un mouvement de la tête comme signe de négation. Arsène fronça les sourcils à sa réponse.

– Elle dort ...
– Elle ne se réveillera plus.
– Oui mais elle dort.
– Son âme n'est plus là .. elle ne reviendra pas, seuls les souvenirs resteront.**
**– Elle ne reviendra pas ... mais ... hésita-t-elle, ... elle est là Arsène,tu l'a vu, elle dort. Je peux la voir, je peux la toucher. J'peux tenir ses petites mains quand les ténèbres grignotent la chambre. J'veux pas la laisser seule dans le noir.

Rares étaient les clients qui venaient au matin, et pourtant, c'est à ce très mauvais moment qu'une jeune femme aux beaux cheveux roux poussa la porte de la taverne. Elle sentit sans doute le malaise, voyant l'homme se défaire doucement de la femme en pleurs qu'il tenait contre lui. Son regard glissa sur le petit cercueil posé sur une table. Si elle se sentit de trop, le Beaurepaire percuta sur le témoin bien trop gênant de la mort posé à cet endroit inapproprié. Avant que la rousse ne s'échappe, trop gênée pour imposer sa présence, il s'était emparé du cercueil pour le mener dans la chambre.**
**Le châtain était revenu, l'air préoccupé. La chambre était glaciale, la fillette encore étendue dans le lit, l'odeur était devenue chargée d'effluves qu'il ne préférait pas savoir d'où elles venaient. Son regard s'arrêta sur Fanette.

– Tu ne dois pas y retourner...
– Ne me demande pas ça ...
– Je te le demande pourtant Fanette, ce n'est pas sain pour toi.

Qu'elle puisse se montrer têtue, il pouvait le comprendre, mais entre être têtue, et frôler la bêtise, il n'y avait qu'un pas que Fanette semblait avoir franchi. Il s'approcha à nouveau d'elle, elle protesta pour dire qu'elle ne pouvait laisser sa fille seule. Le Beaurepaire s’efforça à garder son calme, et bien qu'il parlât sans agressivité, il savait que ce qu'il lui dirait ne lui plairait pas. Si elle n'entendait pas raison, il serait forcé d'agir en conséquence, outre-passant son rôle qu'il s'était attribué depuis deux jours.

– Ecoute, je vais être dur mais c'est pour ton bien... Ce n'est plus elle, c'est seulement une enveloppe charnelle .. Si tu continues à la veiller ainsi c'est toi qui vas la suivre et Milo sera seul, ce n'est pas ce que tu veux n'est-ce pas ?**

**La fauvette protesta encore, clapant à plusieurs reprises avant de parvenir à émettre un son.

– C'est ma fille.
– Ta fille est partie.
– Elle est dans ma chambre, précisa-t-elle, bien incapable de l'admettre.

Il haussa le ton.

– N'y mets plus les pieds. Je me moque bien qu'on dise que ma présence te dérange, mais je ne peux pas te laisser ainsi. Ecoute-moi !

Elle protestait encore, plus par gestes que par mots que sa gorge nouée retenait. Les larmes silencieuses inondaient de nouveau son visage émacié et bien trop pâle.

– Ecoute ! Je vais secouer ceux qui devraient se sentir concernés. S'ils ne bougent pas, c'est moi qui...

Il ne parvint à terminer sa phrase, finalement encore incapable face à elle de tenir ce masque d'impassibilité que toute sa vie, il avait appris à cultiver. Fanette s'écarta précipitamment du Beaurepaire, trouvant refuge à l'opposé de la salle. Roman avait passé trop de temps à bercer son enfant mourante. A l'instant où il l'avait vu morte, il s'était enfui, laissant la jeune mère à des décisions qu'elle n'était pas plus capable de prendre que lui. Elle avait réagi comme elle avait pu, avec ses armes, et pour tout dire, elle n'avait pas réagi du tout, se raccrochant désespérément au corps sans vie de la Piccolina. Elle savait bien au fond d'elle que plus rien ne saurait la lui ramener, pour autant, elle était incapable d'imaginer qu'on puisse l'en séparer, et lui encore moins que les autres.**
**Face à sa fuite, le Beaurepaire se sentit une fois de plus dépassé. Il leva sa main pour la passer dans ses cheveux, signe qui signifiait combien il avait perdu un tant soit peu le contrôle, ou qu'il ne savait comment agir, quoi faire. Il se décida finalement à la suivre pour saisir ses mains entre les siennes, et les presser avec force. Une fois de plus, il s'adressa à elle, sans chercher à la brusquer, de mots qu'il voulait doux.

– Je sais que c'est dur pour toi...mais tu dois la laisser partir Fanette... Dis-toi qu'elle sera dans un monde plus beau, qu'elle t'y attendra sagement, garde d'elle ce sourire qu'elle t'offrait, laisse-la rester cette petite fille-là.

La blonde échappa à son regard en baissant les yeux, Arsène la sentit partir, par réflexe, il l'empêcha de s’effondrer au sol, la forçant à prendre place sur une chaise, elle protesta encore. Le châtain se mit à sa hauteur face à elle.

– Tu le dois...Tu sais au fond de toi que j'ai raison... même si ta douleur aveugle ta raison.

Il ignorait ce qui pouvait trotter dans la tête de la blonde, mais il lâcha ses mains pour se redresser. Elle devait entendre raison. Ce n'était pas sain de veiller ainsi le corps de cette enfant, de parler ainsi. Et c'est à cet instant que la fauvette choisit de le prendre par surprise et de filer rejoindre sa fille dans cette chambre froide, puant la mort. Le châtain n'esquissa aucun geste pour la retenir, lâchant un profond soupir. Il allait devoir aller voir ceux qu'elle avait présentés comme des hommes sans compassion, ou du moins, sous certains aspects, elle les voyait ainsi. Il voulait bien endosser certaines décisions mais il y avait des limites qu'il préférait ne pas avoir à franchir. Et s'il devait retourner Limoges pour trouver le père de Stella, il le ferait.**

**Fanette ne l'entendit pas partir, pas plus qu'elle ne le vit. Elle fut soulagée qu'il ne la suive pas, quand il venait pourtant de lui interdire l'accès à sa propre chambre. Qu'importait le parfum vicié de la mort, sa fille était restée telle que Roman l'avait déposé, allongée froide dans le grand lit, la couverture remontée sur sa poitrine, comme pour la garder au chaud. Que pouvait-elle faire d'autre que de veiller son petit corps sans vie, et de tenter de réchauffer les mains désormais figées par l'ombre glacée du trépas ?

Elle était une mère, et tant que son enfant resterait là, alors, elle resterait à ses côtés, et personne ne saurait l'en empêcher.**
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Roman.
À l'Ewedishalahu, non loin de là, Roman tentait tant bien que mal de survivre. Sans l'appui de son frère, sans nul doute aurait-il perdu pied; mais Gabriele le tenait à l'oeil pour éviter tout abandon. Il le veillait même, toutes les nuits, depuis la mort de Stella. Le sommeil de Roman ne venait que grâce aux drogues qu'il avait pris dès le premier jour, et que Gabriele lui avait ensuite fourni et imposé à doses plus raisonnables. Il avait pourtant été si doux de perdre conscience et de s'abîmer dans les limbes... mais son frère l'en avait tiré, à grandes gifles, pour le sermonner. Roman gisait, hébété, épuisé; et Gabriele l'engueulait comme un gosse. Que faire d'autre. Il avait cessé de se nourrir; la faim ne lui venait plus. Tout au plus se contentait-il de quelques tisanes... ou d'alcool.

Mais Gabriele l'avait à l'oeil, et il avait pour acolytes Lenu, amie et ancienne amante des frères iltaliens, et la princesse Mélissandre, qui avait toujours accordé à Roman une affection toute particulière. Elle l'avait déjà sauvé d'une mort certaine et semblait décidé à recommencer. Ainsi, Roman était forcé à manger, et limité dans sa perdition : il ne pouvait plus se droguer à son bon vouloir car Gabriele lui avait pris toutes ses affaires. Il avait bien essayé de sortir un matin pour se rendre au marché trouver quelques herbes communes dont il savait le mélange fort efficace pour perdre conscience, mais le marchand présent ce jour-là avait refusé d'un air effrayé, avant de lui avouer que "maître Gabriele" avait juré de lui trancher la gorge s'il fournissait quoi que ce soit à son frère. Roman n'avait pas eu la force de ruser pour envoyer quelqu'un à sa place et s'en était rentrer dormir, épuisé par sa sortie et déprimé de n'avoir pu se soulager. Gabriele lui avait laissé une dose de drogue, subtilement insuffisante. Il fallut bien s'en contenter, et une fois encore, Roman se laissa sombrer dans un sommeil agité peuplé de rêves cruels.

Quand il se réveilla en hurlant, plusieurs heures plus tard, en pleine panique, la paume ferme de son frère s'appesantit sur sa poitrine, l'obligeant à retomber sur ses oreillers, et la voix de Gabriele, basse et rauque de sommeil, lui intima de se calmer. Ils étaient seuls, dans cette chambre obscurcie par la nuit, et la respiration trop rapide de Roman ne lui suffisait pas à trouver assez d'air. Gabriele se pencha, força Roman à rester étendu, et grogna, fatigué et endormi :


- Calmati ... È solo un incubo. Io sono con te.

    * Calme toi... Ce n'est qu'un cauchemar. Je suis avec toi.


- Andrea è qui! È venuto a prendere sua sorella...

    * Andrea est là ! Il est venu chercher sa soeur...


- Andrea è morto da tempo, non può essere lì. Tua figlia è morta di malattia.

    * Andrea est mort depuis longtemps, il ne peut pas être là. Ta fille est morte de maladie.


Roman chercha, de ses mains avides, à rattraper les deux petits fantômes qui s'évanouissaient dans le noir. Gabriele raffermit sa prise. Les battements de coeur de Roman cognèrent dans son coeur au point de l'étourdir puis, manquant de souffle, il finit par abandonner la lutte. L'étreinte de son frère se desserra. Déjà, il se rendormait. Roman resta les yeux ouverts dans l'obscurité, perdu, nerveux, puis retomba dans un sommeil agité. Au matin, les deux frères avaient les yeux cernés et la mine pâle, mais ils ne dirent mot de ce qui s'était passé. Ce n'était pas la première fois.



- Roman ? Je dois vous parler.

L'homme qui venait d'entrer n'était pas tout à fait un inconnu, mais Roman peina à remettre un nom sur ce visage croisé bien peu de fois. La fatigue minait ses capacités de réflexion.

- Fanette dort avec le cadavre.

Et Roman, atterré, prit conscience que Fanette n'était plus en état de s'occuper de quoi que ce soit. Il l'avait laissée à son deuil sans se préoccuper du devenir du petit corps, persuadé que puisque Fanette était toujours bien entourée, elle saurait prendre en charge cette évidente nécessité... Elle avait donc perdu la tête. Il l'avait laissée tranquille, pour ne pas l'accabler. Il s'était tenu à l'écart d'elle pour ne pas s'obstiner en reproches à son égard. Elle était plus attachée à Stella qu'il ne l'était, lui qui avait longtemps cru que l'enfant n'était pas de lui. Il avait souffert de son trépas; mais cela était sans mesure avec la perte subie par Fanette.

- Je vais y aller.

Cétait Gabriele qui avait parlé. Il se leva et sortit, laissant Roman, Lenu et Arsène dans la taverne soudain silencieuse. Arsène s'excusa d'être venu apporter pareilles nouvelles, mais Roman le remercia. Il n'avait pas pris la mesure de l'incapacité de son ex femme à gérer la situation.

Lorsque Gabriele revint, il portait dans ses bras un petit paquet soigneusement entouré d'un linge qui le couvrait entièrement. Il disparut dans l'escalier, vers l'étage, et Roman détourna les yeux pour ne pas montrer les larmes qui les embuaient.

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Lison_bruyere
Ecrit à quelques mains et plusieurs doigts :**JD Lenù** & **JD Fanette**

    Limoges, 11 février 1468

**Le Beaurepaire s'en était tenu à ce qu'il avait dit. Et puisque Fanette ne savait pas se défaire de son enfant, il avait prévenu Roman. Contre toute attente, c'est son frère qui s'était déplacé pour soustraire le corps sans vie de sa nièce à la jeune mère. Il ne lui avait plus été permis de la revoir après cela, quand bien même Roman l'y avait autorisé avant qu'on ne referme le cercueil. Gabriele était un mur infranchissable, inexorablement dressé entre elle et ses enfants. Et si son attitude et ses mots manquaient cruellement de compassion, et que Fanette n'était pas en état de les comprendre, son refus de lui rendre Milo n'avait pour le moment qu'une seule justification, le bien-être de l'enfant.

Les parents anéantis avaient pu au moins s'entendre pour faire un pas l'un vers l'autre. Au matin précédent, un prêtre avait dit une messe pour recommander l'âme de l'enfant au Très-Haut, mais c'est en bordure de forêt, tout près de la Vienne, que Roman et son frère avaient enterré le petit cercueil gravé d'étoiles. Ainsi, même sous terre, la voûte étoilée continuerait à offrir refuge à la petite Stella. C'était un bien maigre réconfort pour la fauvette, que de savoir où elle pourrait chaque jour parler à sa fille et imaginer son souffle dans le bruissement des feuillages.

Il lui restait encore un combat à mener. Elle voulait retrouver Milo. Ne pouvait-on pas comprendre qu'à l'attention que réclamait un enfant de vingt-deux mois, elle n'aurait plus le temps de s'abîmer au chagrin ? Ses berceuses se heurtaient à l'écho du petit lit vide, et lui renvoyaient plus cruellement encore le manque qui l'étiolait jour après jour. L'idée qu'on la prive définitivement du garçonnet s'insinuait plus encore à chaque refus opposé par l'aîné des Corleone, et si son discours jusqu'ici n'avait rien de définitif, elle craignait bien plus Roman, qui projetait d'élever leur fils loin d'elle, à Florence.

Cette troisième tentative s'était avérée aussi vaine que les précédentes, mais l'humiliation avait été bien pire tant les alliés des deux Corleone était nombreux quand elle était venue proposer un compromis à Gabriele. Roman avait fait montre d'une lâcheté qui l'avait révoltée en refusant d'assumer les décisions qu'il n'avait pas su prendre plus qu'elle. Elle avait trouvé suffisamment de colère pour s'en défendre devant eux, refusant de leur céder ses larmes, mais elle s'était enfuie avant que digues ne cèdent.

C'est dans le secret de la salle commune déserte qu'elle s'était effondrée un peu plus tard. Et Lenù en entrant l'avait trouvée avachie sur une table, loin du halo des chandelles, la tête enfouie dans ses bras.
Fauvette perçut le grincement des gonds. La bâtisse était vétuste, comme en témoignait l'enduit qui par endroits, tombait des murs, laissant à nu la pierre grise du Limousin. La porte était à l'avenant. La jeune mère releva vers la Napolitaine son visage émacié. D'un geste maladroit, elle passa ses mains sur son visage, cherchant à y effacer les larges sillons de sel qui marquaient ses joues pâles.**

** L'Italienne essayait de passer une fois par jour auprès de la Fauvette. Entièrement perturbée par la mort de sa petite Princesse, elle avait refusé de la voir lorsque Fanette lui avait proposé. Promesse avait été donnée qu'elle la veillerait une nuit, cette nuit qui venait de se passer. Gabriele lui avait préparé la chambre où reposait le petit corps sans vie, là, elle avait prié, pleuré, et fixé le corps amaigri, le visage bleui de son Etoile. C'était cette nuit qui venait de se passer. Sans sommeil. Sans barrières la maintenant dans un état d'esprit vacillant entre la multitude de questions sur ce qu'il venait de se passer, et continuait à la secouer au fil des jours alors qu'en elle la vie s'agitait. Révélation d'un instinct maternel qui la guidait dans ses questionnements intérieurs. Peut-être sur le mauvais chemin. Peut-être sur le bon. Car, de cette scabreuse histoire, qui pourrait s’enorgueillir de détenir la vérité ? Personne. Même pas Fanette.**

**– Tu ne devrais pas rester seule Fanette, dit la brune en s'approchant, après l'avoir observé un instant.

Le conseil lui tira un soupir. Etait-elle donc de ceux qui la pensait toujours bien entourée ? En vérité, des amis, Fanette en avait peu, et aucun à Limoges. Seuls Arsène et Oliver se relayaient al lupo. Elle aurait voulu ne plus jamais revoir le premier, quant au second, s'il était présent à ses côtés sitôt sa journée de travail achevée, elle le connaissait bien assez peu pour comprendre ce qui le poussait à rester près d'elle. Les autres allaient et venaient sans se soucier vraiment de la confusion dans laquelle l'avait plongé la mort de Stella. Ils préféraient se rassurer en ne la pensant jamais seule, ou se contentaient de la croire quand elle répondait "je vais" à la sempiternelle question, même quand tout dans son apparence et sa voix hurlaient l'inverse.

La réflexion de Lenù, un peu plus tôt chez Gabriele lui revint en mémoire. Elle soutint un instant son regard d'obsidienne en se demandant finalement, si, malgré la confiance absolue qu'elle avait confiée à l'Italienne, il ne fallait pas la ranger dans cette dernière catégorie.

– Ils n'ont pas le droit Lenù, tu le sais n'est-ce pas ? Comment Roman peut m'accuser de tout alors qu'il n'a rien voulu faire lui non plus. Si telle avait été sa volonté, il aurait demandé à son frère ou à toi de tuer notre fille. Il se moque bien de mon avis, il me l'a dit il y a encore trois jours. Il est son père, ça lui donne tous les droits.

Fanette n'était pas dupe. Elle avait vu les mâchoires du père de ses enfants se contracter quand elle lui avait énoncé les conclusions de Gabriele sur l'état de santé de Stella. Il n'avait pas su s'y résoudre plus qu'elle. Il la tenait en un tel mépris qu'elle savait bien qu'il se serait affranchi de son avis s'il avait réellement souhaité qu'on abrège la vie de sa fille. Mais il semblait à présent que Roman ait décidé de soulager sa peine en l'accablant de tous les torts, y compris l'enlèvement de Milo quand il n'avait pas été capable de les protéger de la vie qui était sienne en les délaissant des jours durant. La Napolitaine hocha la tête, le visage exempt de toute expression.

– Ton fils est un Corleone.
– Et après ? J'suis sa mère.
– Sì, tu es sa mère.

Elle ignorait où elle voulait en venir. Jamais Fanette n'avait affirmé l'inverse. Au contraire, elle ne souhaitait rien plus que ses deux enfants puissent connaître et fréquenter la famille de leur père, parce que si son sang angevin coulait à leurs veines, ce n'était que pour une moitié, et qu'elle n'était ni plus, ni moins importante que le sang Italien qui pulsait à leur cœur.**

**Lenù reste silencieuse en se dirigeant derrière le comptoir pour prendre deux godets de terre afin de préparer une verveine pour Fanette et elle. L'eau est prélevée au chaudron suspendu dans l'âtre au-dessus d'un lit de braises ardentes. L'Italienne améliore celle de Fanette avec du miel et une pincée de sa drogue dite de l'araignée, joli mélange de Datura et Belladona, est extraite d'une des bourses de cuir suspendues à sa ceinture. Lenù inspire lentement et profondément avant de revenir vers Fanette et de s'asseoir en face d'elle. Le godet est déposé devant Fanette, prunelles sombres levées sur elle alors qu'elle porte le sien à ses lèvres.

- J'ai discuté avec Gabriele. Il attend que tu aies fini ton deuil.

Prunelles attentives au moindre geste, à la moindre réaction de la Fauvette, s'attardent sur les doigts fins qui se nouent au godet de verveine améliorée, comme pour en puiser la chaleur, l'énergie nécessaire à ces moments, suite à un si grand malheur.

– Mais comment veut-il que je le fasse si je ne peux voir mon fils, je ne demande pas à le reprendre, juste le voir un peu.
– Parce que c'est de toi qu'il faut que tu t'occupes. Que dira ton fils si il te voit ainsi ? Regarde-toi.

Et si l'Italienne a pour réputation d'être butée, Fanette, la douce Fanette, s'est révélée plusieurs fois être du même acabit quand résolution est prise. Lenù soupire doucement de la voir secouer négativement la tête, la mâchoire se crispe légèrement. Plutôt combattante de caractère, malgré l'amitié qu'elle éprouve pour la Fauvette, ses régulières plaintes et chouineries sur sa vie l'ont toujours profondément agacée. On peut tomber à terre, cela est arrivé à Lenù qui a bien failli ne pas s'en remettre. Mais pleurnicher ses malheurs, n'a jamais rien arrangé, il vaut mieux les combattre.

– Je peux faire des efforts, je suis sûre de retrouver le sourire au sien.

Visage dénué de toute expression si ce n'est le sérieux de l'instant, prunelles sombres détaillent attentivement la mère éplorée tout en soufflant sur son breuvage dont elle prélève quelques gorgées. Elle est sérieuse ? L'envie de lui dire d'aller se regarder dans un miroir la démange et pourtant elle se tient au strict minimum des mots, détaillant les cernes profondément marqués, les joues creusées d'à peine manger du bout des lèvres depuis des semaines. Et cette profonde envie, se lever, de la secouer, de lui gueuler dessus, de la frapper. Le regard ténébreux se fixe un instant, captant le geste attendu, du godet porté aux lèvres de la Fauvette. Bien trop peu prélevé, la mixture ne fera effet, il lui faudra encore patienter, tuer le temps, garder son sang-froid et la forcer à boire au vu de la moue qui s'imprime. Aurait-elle mal dosé le miel pour camoufler l'éventuel goût tant son esprit vagabonde en pensées tortueuses ? Elle réprime un soupir lorsque Fanette s'abreuve de nouveau.

– Roman veut me le prendre définitivement.
– Je t'ai mis du miel, ce sera toujours ça pour ton corps.

"C'est cela, bois, bois encore Fanette." Voilà ce qui résonne dans l'esprit de Lenù tout attentive à ce que soit bu le godet. Et la conversation continue, le jeu peut commencer. Chasseuse prend ses marques afin de débusquer le gibier, le repousser dans ses retranchements.

– Roman veut élever son fils, sì.
– Mais ... sans moi.
– Il a quel âge maintenant Milo ? Fanette, Roman ne reviendra pas.
– Vingt-deux mois bient... hein ? Non ... oui enfin non, je ne peux pas le laisser faire ça, il n'a pas le droit.
– Et toi tu as le droit d'avoir tes enfants pour toi toute seule, de voyager avec eux. Sans que leur père sache ?

Premier coup donné et capté par la Fauvette qui la regarde sans comprendre, regard interrogateur qui n'aura aucune réponse. Car si la Fauvette reprochait au père de ses enfants de ne pas être présent pour eux, elle, ne se gênait pas pour les emmener par monts et par vaux à longueur de temps.**

**Les traits de la jeune mère se chiffonnèrent d'une incompréhension teintée de révolte. Comment pouvait-on lui reprocher cela ? La Napolitaine se faisait-elle le relais de Roman ? Oserait-il vraiment venir lui dire en face la même chose où était-il encore une fois trop lâche pour préférer s'en ouvrir seulement à son ancienne amante ?
Si l'Italien l'informait des endroits où le joindre, s'il ne partait pas des mois sans prendre une seule fois des nouvelles de ses enfants, Fanette pourrait le tenir au courant de ses déplacements, et même convenir de le retrouver de temps à autre pour lui permettre de passer du temps avec eux. La vérité, c'est qu'au cours des neuf mois qui venaient de s'écouler depuis la naissance de Stella, il n'avait pris le temps de venir les voir qu'une seule fois, pour quelques jours qu'il avait passés avec eux, jusqu'à retourner à ses affaires au premier jour de septembre. Avant cela, jamais il n'avait donné signe de vie. Fanette avait pourtant envoyé plusieurs courriers quand il étudiait à Bordeaux pour lui demander son aide, ou l'informer de la venue au monde de Stella et du retour de Milo. Un père aimant et attentif n'aurait-il pas dû se précipiter auprès d'eux, ou au moins répondre au courrier ? Le chagrin n'expliquait pas tout, et si aux yeux de tous ceux qui se plaisaient à condamner Roman, elle le défendait encore, vis-à-vis de ses enfants, elle était impuissante à se persuader qu'il était un bon père. Et il aurait l'audace de lui reprocher de continuer à vivre sa vie, avec ses petits, quand il prouvait chaque jour qu'il n'était pas prêt à sacrifier la sienne pour eux ?

Voilà ce qu'elle s'apprêtait à servir à Lenù, la voix brusquée d'agacement, en espérant bien qu'elle irait le lui répéter. Mais avant qu'elle n'en ait le temps, la question suivante imposait une autre réponse.**

** – En Alençon, Stella était-elle déjà malade ? Lorsque nous nous sommes vues ?
– Non.

Lenù hoche doucement la tête. Mettant bout à bout les informations, prenant les réponses à ses questions. Se laissant le temps de la réflexion. La dernière réponse laisse un moment de répit à Fanette, n'attisant pas la colère de la di Massari.**

**Et l'agacement était retombé tout aussi vite, ravivant la culpabilité des premiers jours de l'année.

– Elle est tombée malade quand je suis revenue de Bretagne. Arsène était malade au premier jour de l'an, je suis tombée malade un peu après, et Stella après moi. C'est pour ça qu'en arrivant ici je suis allée mener Milo chez Gabriele.

Elle s'en voulait, car, au-delà de la crainte d'avoir contaminé sa fille, elle se reprochait son voyage de retour. Par fierté, elle avait refusé l'offre du Beaurepaire, préférant se débrouiller sans lui et sans son argent pour rejoindre Limoges. Elle avait pris la route au plus gros de l'hiver, dans l'inconfort d'un chariot rudimentaire, abrité seulement de quelques couvertures et d'une bâche de cuir gras. Comment pouvait-elle à présent ne pas se sentir responsable d'avoir traîné ses enfants dans le froid des chemins, quand elle aurait pu se faire raccompagner à l'abri d'un coche garni d'épais rideaux de velours, et passer chaque nuit au chaud dans une auberge ?
Elle se garda de préciser cette douloureuse pensée. Roman n'avait pas besoin de la connaître, ce serait bien pire, et elle ne doutait plus que Lenù saurait lui répéter.

Les vapeurs parfumées de la tisane s'élevaient du godet d'argile et venaient chatouiller son nez. Elle en percevait les notes citronnées de la verveine, mais elles semblaient mêlées d'une légère amertume qu'elle ne connaissait pas. Elle porta néanmoins de nouveau le godet d'argile à ses lèvres. Le liquide chaud descendant le long de sa gorge lui fit du bien. Elle soupira en reposant le contenant devant elle. Regrettait-elle d'avoir confié son fils à Gabriele ? Un autre que lui n'aurait posé aucune question en lui remettant l'enfant, à présent qu'elle souhaitait de nouveau s'en occuper. Pourtant, elle savait bien qu'en l'instant à Limoges, il n'y avait personne à qui elle aurait pu laisser Milo en toute confiance. L'enfançon connaissait bien son parrain. Contrairement à son père, il avait passé du temps très régulièrement avec le petit depuis le printemps dernier.
De nouveau son visage imprima une petite moue, suivant le fil de ses pensées avant qu'elle ne les exprime à haute voix. Gabriele avait éloigné Milo de Limoges, c'est du moins ce qu'il avait prétendu pour se débarrasser d'une mère qui s'obstinait depuis trois jours à venir chez lui réclamer son fils.

Elle voulut porter de nouveau le godet à ses lèvres, mais son geste se fit imprécis. Le muscle contracté sans qu'elle ne le maîtrise avorta la tentative et il s'en fallut de peu pour que ses doigts le laisse filer. A son sang déjà, Belladone et Datura distillaient leur poison, quand Fanette pensait juste à la conséquence du tourment et de la fatigue qui parfois semblait l'alourdir d'une chape de plomb. Elle resserra sa main autour de la tisane, et étouffa un sanglot.

– Il me manque Lenù, tu peux comprendre ça non ? Je ne demande qu'à le voir un peu, à venir l'endormir le soir, ce serait bien ainsi.
– Je sais, ma... c'est impossible.

La voix de Lenù se faisait plus lointaine, écho de ses propres paroles qu'elle croyait entendre résonner aux murs de la salle commune, comme si elles avaient été prononcées par une autre qu'elle. C'était une impression étrange qui appesantissait ses gestes, ralentissait son esprit, mettait en exergue des petits détails aussi insignifiants que le crépitement du feu dans l'âtre, ou le tremblement des flammes des chandelles quand la porte s'ouvrait.
Des gens étaient entrés, et repartis, jusqu'à l'arrivée du barbu silencieux qui s'était installé non loin d'elles.

Fanette ne voulait pas le voir, mais la parole à ses lèvres devenait moins aisée. Elle se redressa pour retourner chercher à boire, mais aussitôt ses fesses levées de la chaise, elle y retomba lourdement. La brune l'observait, tout autant que le barbu. Araignée silencieuse, son regard s'était fait plus affûté, rivé aux mouvements lourds de la fauvette. Le ton changea autant que l'attitude, qui s'était faite plus roide, plus glaciale. La colère jugulée s'était glissée au calme d'un timbre parfaitement maîtrisé.

– Il y a une maladie qui s'apparente à la folie..
– Une ... maladie ... ? Releva difficilement la jeune mère.
– Celle où on se fait du mal pour que les autres personnes vous aident, vous aiment.

Fanette plissa le nez, son souffle semblait soudain tout aussi difficile que ses gestes, et toujours le crépitement des flammes qui amplifiait les sons qui cognaient à sa tête. Difficilement, elle tenta de suivre les mouvements de la brune qui, déjà, se glissait dans son dos pour venir poser ses mains à ses frêles épaules. Elle ne comprenait pas où la Napolitaine voulait en venir.

– L'autre soir, ton Anglais m'a jetée à la porte parce que je te faisais passer le message de la veillée de Stella.

L'Alzo observait la scène, stoïque, sans vraiment comprendre ce qui se jouait devant lui. Fanette s'affolait, sans pour autant savoir que faire, avec cette l'impression de peser le poids d'un cheval de trait. Regard s'écarquilla tant de crainte que d'incompréhension quand elle sentit le souffle de la brune dans ses cheveux. Elle tenta de parler, vaine tentative ne laissant échapper que quelques syllabes presque inaudibles.

– J'... Comp... pas.**
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Lison_bruyere
Même jour, même heure, même pommes... (précision honteusement plagiée, merci Bruel.)


– Tu vas comprendre.

La terreur se refléta dans le regard de Fanette à l'instant même où elle entendit la brune siffler ces trois mots à son oreille. Elle chercha à tourner la tête vers elle mais chaque mouvement semblait à présent impossible. Seuls ses yeux acceptaient encore de se porter dans une direction ou une autre. Elle avisa le barbu impassible, toujours assis non loin d'elles. Elle perçut dans son regard une satisfaction malsaine qui la terrifia plus encore.

Un fugace instant, elle sentit ses épaules délestée du poids des mains de la Napolitaine. Juste le temps qu'il lui fallut pour venir se placer face à elle et agripper sa gorge.

– Le...nù...

La voix brisée par le poison peinait à trouver son chemin, articuler les mots devenait aussi difficile que de bouger n'importe quel muscle de son corps. La brune, bien que de petit gabarit était malgré tout plus haute et plus lourde que la fauvette, et si son ventre de sept mois aurait pu être une entrave, l'ire qui coulait à ses veines décuplait ses forces. Elle n'eut aucun mal à soulever la frêle Angevine pour la plaquer contre le mur. La chaise se renversa, Lenù l'écarta d'un coup de pied.

– Tu n'as jamais aimé Stella, asséna-t-elle, tu l'as détesté dès qu'elle a été dans ton ventre.

La jeune mère, les yeux exorbités de frayeur et d’incompréhension voulait hurler l'inverse. Sa bouche clapa sur un cri silencieux. Elle tenta de se défaire de l'étreinte qui serrait la peau tendre de son cou, des ongles qui s'y enfonçaient sans peine, mais tout son corps refusait de bouger. Elle parvint à souffler un mot, un simple non qui mourut à sa gorge, attisant plus encore la colère de l'Italienne qui l'avait entendu.

– Menteuse !

Araignée resserra l'étreinte de ses doigts autour de la gorge de la blonde. Les pupilles dilatées de terreur, Fanette suffoquait en cherchant son air, tandis que la brune continuer à lui déverser sa hargne dans un flot de paroles qu'elle ne pouvait plus arrêter.

– Enfant de la colère tu l'appelais ! Comment une mère peut-elle dire cela de l'enfant en son sein ?

Si Milo était enfant de l'amour, sa petite sœur était née de la colère du Corleone. C'était un fait immuable, et après ? La jeune mère en aimait-elle moins son enfant ? Assurément non, même si elle avait vécu le début de grossesse comme une catastrophe. Mais elle avait aimé sa fille à l'instant où elle l'avait senti bouger en elle, et bien ignorant celui qui prétendait l'inverse. Mais rien ne semblait vouloir arrêter Lenù, pas même le teint pâle de la fauvette qui commençait à virer au bleu.

– Tu jeûnais, tu t'affaiblissais, tu voyageais à travers tout le royaume pour chercher un enfant que tu t'es laissé voler par négligence.

L'air manquait, soit que l'emprise des mains de la brune était trop serrée à sa gorge, soit que ses muscles ne parvenaient plus à soulever sa poitrine dans ce réflexe pourtant si anodin de respiration. Malgré tout, elle chercha à nier encore, à préciser inutilement qu'elle avait été contrainte de retrouver seule son fils, puisque son père n'avait été bon qu'à chouiner et se renfermer à son chagrin en abandonnant les recherches. Le Corleone pouvait prétendre l'inverse à présent, mais Lenù elle-même lui avait dit que seul Gabriele n'avait cessé d'user de son réseau pour obtenir en vain une piste, quand au bout de quelques semaines, Roman s'était laissé sombrer. Elle ne put cependant rien de plus qu'un imperceptible mouvement de tête, et l'air qui peinait à emplir ses poumons du souffle de la vie, semblait tout autant refuser d'en sortir.

L'Alzo se délectait de la scène. L’œil admiratif rivé aux gestes de sa brune, un léger rictus soulevait le coin de ses lèvres en un sourire sadique.

– Stella était faible ...

Lenù n'était pas décidée à lui laisser du répit. Peut-être craignait-elle de l'avoir tuée avant de lui avoir dit tout ce qu'elle avait sur le cœur.

– ... par ta faute. Et tu as voyagé au nord pour un amant, il l'a contaminée !

Un mince filet d'air parvenait encore à nourrir son souffle, infime, et déjà la tête lui tournait et un voile sombre occultait en partie sa vue. Elle écarquilla les yeux, de peur et de souffrance mêlée, à laquelle se rajoutait la culpabilité sur laquelle la Napolitaine venait de poser ses mots. A l'amant, si on pouvait l'appeler ainsi, elle n'avait cédé que ses lèvres et son cœur, mais elle le regretterait sa vie durant. Elle avait eu tort de suivre Arsène, et plus encore de le fuir en exposant sa fille au froid des chemins. Saurait-elle se pardonner cela un jour ? Elle parvint à émettre un son presque étouffé.

– No...
– Menteuse ! lui hurla-t-elle encore, tu l'as laissée souffrir des jours durant.

L'éclat de fureur qui brûlait au regard d'obsidienne de l'Italienne se teinta de folie quand elle se rapprocha un peu plus du visage trop pâle de la fauvette.

– Et le pire, c'est que c'est Lutécien qui l'a achevée, et que tu lui as demandé de voler Milo aux Corleone !
– N..., chercha à protester Fanette.

Mais le son ne sortait plus, le souffle n'entrait plus qu'en mince filet qui la faisait suffoquer, plus encore quand, de rage, les ongles de la Napolitaine imprimèrent de nouveau leur marque à la chair fine du cou, et que ses doigts se resserraient inexorablement. Les larmes inondaient les joues de la fauvette, ses pupilles se dilataient encore, sous l'effet du manque d'air. La brune continuait pourtant, quand bien même elle pouvait déjà sentir filer la vie entre ses mains.

– Sale garce ! Il l'avait fait une fois, il pouvait bien recommencer. Tout ça pour te rendre victime, pour que Roman soit encore là à tes côtés.

Fanette voulait s'en défendre, elle n'avait jamais rien demandé à Claquesous. Jamais elle n'aurait jamais utilisé sa fille pour ramener Roman près d'elle, et surtout pas de cette abjecte manière. Et du reste, même si son cœur n'avait jamais vraiment su se défaire du Florentin, elle savait bien qu'il était vain d'espérer son pardon tant qu'il se draperait dans son orgueil. Sa bouche clapa un non totalement inaudible, les sanglots achevaient de l'étouffer, autant que l'étreinte qui la privait d'air. A moins d'une paume de son visage, celui de la brune ruisselait de larmes lui aussi.

– Tu as tué ta fille ! hurlait-elle, tu as tué ma princesse !

La fauvette s'étiolait dans les mains rageuses de la brune. Le voile noir occultait à présent tout à fait sa vue mais elle percevait la démence courroucée qui déferlait sur elle. Ses traits s'étaient crispés d'épouvante, figés par le poison que la belladone et le datura avaient mêlé à son sang. Elle n'avait plus la force de se défendre, ni même de protester. Elle allait mourir sans revoir Milo. L'idée fugace lui traversa l'esprit quand ses tempes cognaient douloureusement, et que son cœur lui arrachait une douleur à chaque maigre battement.
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Jaimeoliver
Toujours même jour, même heure, même pommes... (toujours honteusement plagiée, merci Bruel.) et toujours fait à plusieurs.


Archibalde affiche un air stoïque, mais en réalité, il se délecte de la scène qui s'offre à ses yeux. L'araignée, sa promise, sa femme, la mère en revenir de l'héritier Alzo, ivre de colère, maintenait dans ses serres la fauvette qu'elle privait d'air savamment, la conduisant à pas feutré à la mort après lui avoir inoculé son poison.

C'est sur ce tableau que déboule Oliver, mais sa réaction fut à l'opposé, précipité, anxieux, révolté, il se rue en bas de l'escalier pour secourir la jeune mère, et se heurte à l'Italien qui se lève prestement pour faire barrage. Si le visage italien est visé par le poing anglais, Alzo prompt, se baisse et l'évite de justesse, mais ses phalanges ramassées viennent aussitôt s'écraser sur la mâchoires de son opposant, ripent jusqu'à la lèvre que sa bague entaille. Alors, adrénaline aidant, il saisit au collet son adversaire et le fait trébucher contre une chaise. L'homme est grand et jeune, Alzo perd l'équilibre sous l'assaut, mais s'agrippant de même à l'Anglais, l'entraîne dans sa chute.

Coup d’œil donné en direction des deux femmes, juste le temps d'apprécier l'urgence de la situation. Il perçoit l'inquiétude dans le regard que la brune porte furtivement sur eux, pourtant, entre ses mains, l'Angevine semble s'étioler davantage, le regard figé par la drogue, elle suffoque. Il ne la laissera pas crever. Sa colère le conduit à soumettre l'Italien aux mêmes sévices que la jeune mère, le voilà qui serre ses grandes mains autour de la gorge du barbu. Les heures passées à la mine ou dans les champs ont forgés de longs muscles, précis et efficaces, et un bref instant, il décèle la surprise dans le regard de miel de son adversaire, puis l'homme suffoque à son tour, tout autant que la fauvette que sa femme continue d'étrangler.

– Lenù ! hurle-t-il pour attirer son attention sur le châtiment que subira son fiancé si elle persiste.

Pourtant l'Italien, bien que plus âgé, et plus petit, n'en est pas moins vigoureux. Si les forces commencent à manquer à la blonde, que ses jambes se dérobent et qu'elle s'affaisse, sombrant doucement dans l'inconscience d'une privation de souffle, l'homme lui se reprend. Sa bouche clape pour aspirer une goulée d'air, mais ses poings furieux viennent marteler les côtes de l'Anglais. Un craquement sec se fait entendre. L'Anglais ne lâche pas, le stress de l'action masque un instant la douleur, qui ne reviendra que plus tard, aiguë et brûlante à chaque inspiration.

Le message est clair cependant. La Napolitaine n'est pas prête à perdre son homme pour voir mourir la fauvette. Pour ce soir, elle a de la chance. Araignée se replie au fond de sa toile, à regret, appréciant malgré tout le bruit mat du corps inerte de sa proie s'échouant sur le plancher.

L'Anglais remporte la partie, relâche son emprise au cou du barbu et l'abandonne à sa dulcinée pour rejoindre l'Angevine. Ses côtes sont douloureuses. Il est un peu sonné par le coup à la mâchoire, mais il trouve encore le courage de prendre la jeune mère dans ses bras pour lui murmurer :

– Fanette, c'est Oliver, je suis là.

De l'autre côté de la salle, c'est la scène inverse qui se joue. La Napolitaine vient soutenir le Florentin, qui se redresse, tapote son vêtement et reprend contenance. Elle en a finit ici, au moins pour ce soir, elle glisse son bras à celui du barbu mais, une fois sur le seuil, c'est d'un regard glacial qu'elle pose sur Fanette.

– Milo est chez moi, t'avise pas d'y venir !

Le mensonge est perfide, sans autre ambition que de provoquer le doute et la peur. L'Angevine, regard hagard appréhendant difficilement encore l'environnement proche, déglutit douloureusement mais c'est Oliver qui répond.

– Si tu fais du mal à ce gamin ...
– Je ne suis pas comme elle, je ne tue pas les enfants. !

Le regard glacial de Lenù déborde de haine contenue et de la frustration de n’avoir pas pu achever la fauvette, mais déjà, l’Alzo l’entraîne par les rues froides de la ville endormie.

Oliver souleva la jeune mère. Ses traits se crispèrent. A l’ecchymose déjà marquée à sa joue et la lèvre déchirée, s’ajoutaient une ou deux côtes brisées. Elle se débattit faiblement, encore empesée de poison, accentuant sans doute la douleur de l’Anglais. Il s’engagea néanmoins dans l’enfilade des pièces pour aller la déposer sur son lit.

– Non !
– Fanette ! Tu veux faire quoi ? Ils ne te le rendront pas !

Péniblement, elle reprenait le contrôle de ses gestes. Elle chercha à se redresser, et sa gorge endolorie inspira l’air trop rapidement, secouant sa poitrine d’une violente quinte de toux. Il l’aida à s’asseoir quand elle voulait déjà se relever. Il n’eut aucun mal à la contenir, tant ses membres étaient encore lourds des effets conjugués de la belladone et du datura. Lasse de se débattre, elle fondit en larmes, impuissante, au creux des bras qui la retenaient.

– On s’en va d’ici Fanette.

Ce n’était pas une question, et si le ton se voulait aussi doux que le regard de ciel d’été qui l’enveloppait, il n’en était pas moins déterminé. La jeune mère releva sur lui un air perdu. Incapable de formuler une phrase, elle ânonna d’une voix presque inaudible :

– Milo … Oliver, non … Milo…

Azurs s’assombrirent de détermination en accrochant les noisettes nimbées de larmes de la fauvette.

– On ne te le rendra pas Fanette. Il faut aller voir Joanne. Qu’arrivera-t-il quand tu seras encore seule ? Elle va te tuer, et Milo n’aura plus de mère ?

La confiance n’était pas chose aisée, et encore moins quand on s’en remettait à un homme qu’on connaissait à peine, après qu’un autre vous ait brisé le cœur de ses mensonges. Pourtant l’Anglais avait raison, et si elle ne pouvait se résoudre à répondre, elle céda. Corps s’abandonna mollement à l’étreinte en signe d’acceptation, confirmée d’un imperceptible signe de tête.

Un peu plus tard, quand la jeune mère finit par s’endormir, il rassembla à l’aveuglette quelques affaires, robes, étoles, vêtements de voyage, le courrier encore scellé d'Arsène, et tout ce qu’il put trouver dans ses coffres et que savait contenir un sac de toile. Et mâtines n’étaient plus très loin quand Siena passait les portes de la ville, emportant vers le Nord l’Anglais encore perclus des douleurs de la lutte et l’Angevine tristement résignée.
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