Roman.
Il avait pris du retard. Bien avant Nantes, l'Italien avait laissé le groupe le distancer, perdu dans ses pensées, laissant sa monture vagabonder tranquillement sur le sentier tandis qu'au loin les voitures s'éloignaient dans un tranquille nuage de poussière. Isaure, Dôn, Léorique, Theodrik, Cassian... de nobles personnes et un autre garde du corps. Etaient-ils en train de devenir des compagnons de route, dans l'esprit solitaire de Roman ? Etaient-ils sur le point de devenir d'éventuels amis ? Le mot semblait un peu fort pour le moment. Mais il devait admettre qu'il aimait être avec eux, qu'il les trouvait sympathiques...
Roman leva les yeux. Les chevaux de tête qui menaient les voitures allaient à un pas qui, sans doute, berçaient leurs passagers, avinés par la soirée précédente, et probablement absorbés par un sommeil de bon aloi. L'aube était à peine levée. Roman se laissa distancer tandis que ses pensées vagabondait. De temps à autre, il reprenait sa concentration pour surveiller les alentours, mais la région à travers laquelle ils passaient actuellement était assez plane et le paysage, dégagé. Pas de brigands à l'horizon. Le temps de réfléchir, dans un silence légèrement troublé par le roulement lointain des voitures aux roues de bois bruyantes, et par le chant des premiers oiseaux du matin.
La plupart étaient encore perchés dans les arbres, au creux des nids, bien au chaud, mais déjà certains commençaient à voleter aux cimes. Roman leva les yeux lorsqu'un autre volatile s'approcha de lui puis, le reconnaissant, il tendit un bout de pain saisi dans sa poche, pour récupérer l'oiseau voyageur. A sa patte, une lettre, qui au vu de sa longueur et donc de son poids en vélin, avait sans doute été très difficile à porter. Il s'arrêta pour la dérouler, tandis qu'au loin s'éloignait le bruit des attelages. Il devina tout de suite l'expéditrice de la missive...
Fanette.
Cette jolie fille, souriante, éclatante de joie simple dans une robe de soieries qu'elle faisait tourner autour d'elle la veille au soir, restait dans ses pensées depuis lors. Il avait failli l'embrasser. Il s'était retenu. Mais comme elle avait éclairé sa nuit ! Ils avaient dansé, rit, bavardé. Roman s'était senti revenir à des jours plus heureux de sa vie, comme lorsque plus jeune, il connaissait à Florence les riches heures de la noblesse italienne, et qu'il passait des nuits entière à danser et à rire.
Cette vie-là, il l'avait quittée. La vie de la famille Medici. Fils bâtard d'un assassin, il avait fini par être peu à peu écarté, au profit d'une éducation plus militaire, dans une caserne éloignée, à Vérone. Fils bâtard du Corleone.
C'était une autre vie. Et l'espace de quelques heures, il l'avait retrouvée.
Roman s'était arrêté complètement. Il avait mis pied à terre, attaché son cheval, et pris place au sol, sur une couverture, avec sa petite écritoire sur les genoux. Sa plume hésitait, portée au-dessus du vélin vierge, tandis que l'homme cherchait les meilleurs mots pour répondre à la longue lettre de Fanette. Il n'entretenait que rarement des correspondances, et l'exercice lui demandait quelques efforts de traduction.
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Roman leva les yeux. Les chevaux de tête qui menaient les voitures allaient à un pas qui, sans doute, berçaient leurs passagers, avinés par la soirée précédente, et probablement absorbés par un sommeil de bon aloi. L'aube était à peine levée. Roman se laissa distancer tandis que ses pensées vagabondait. De temps à autre, il reprenait sa concentration pour surveiller les alentours, mais la région à travers laquelle ils passaient actuellement était assez plane et le paysage, dégagé. Pas de brigands à l'horizon. Le temps de réfléchir, dans un silence légèrement troublé par le roulement lointain des voitures aux roues de bois bruyantes, et par le chant des premiers oiseaux du matin.
La plupart étaient encore perchés dans les arbres, au creux des nids, bien au chaud, mais déjà certains commençaient à voleter aux cimes. Roman leva les yeux lorsqu'un autre volatile s'approcha de lui puis, le reconnaissant, il tendit un bout de pain saisi dans sa poche, pour récupérer l'oiseau voyageur. A sa patte, une lettre, qui au vu de sa longueur et donc de son poids en vélin, avait sans doute été très difficile à porter. Il s'arrêta pour la dérouler, tandis qu'au loin s'éloignait le bruit des attelages. Il devina tout de suite l'expéditrice de la missive...
Fanette.
Cette jolie fille, souriante, éclatante de joie simple dans une robe de soieries qu'elle faisait tourner autour d'elle la veille au soir, restait dans ses pensées depuis lors. Il avait failli l'embrasser. Il s'était retenu. Mais comme elle avait éclairé sa nuit ! Ils avaient dansé, rit, bavardé. Roman s'était senti revenir à des jours plus heureux de sa vie, comme lorsque plus jeune, il connaissait à Florence les riches heures de la noblesse italienne, et qu'il passait des nuits entière à danser et à rire.
Cette vie-là, il l'avait quittée. La vie de la famille Medici. Fils bâtard d'un assassin, il avait fini par être peu à peu écarté, au profit d'une éducation plus militaire, dans une caserne éloignée, à Vérone. Fils bâtard du Corleone.
C'était une autre vie. Et l'espace de quelques heures, il l'avait retrouvée.
Fanette a écrit:
Roman
Comment débuter un courrier adressé à une personne que lon connait si peu, peut-être par des excuses ?
Je suis bien désolée hier soir, par cette légende, davoir ravivé un souvenir qui vous semblait pénible. Je me serai abstenue si javais su quelle voilerait dune ombre triste votre regard. Je vous ai promis une autre histoire, plus gaie. Je vais tenir promesse, car je crois quelles sont importantes, et quil faut sappliquer toujours à les honorer.
Cette nuit, quand Théo et moi marchions sur Poitiers, je réfléchissais à celle que je vous ferai parvenir. Mais, de toutes ces histoires que la mère du Messonier me contait quand jétais enfant, je nen ai trouvé aucune qui ne soit pas teintée de mélancolie, même lorsquon peu admettre quelles ne finissent pas si mal.
Alors, j'ai décidé de vous envoyer lun des trois contes que jai écris. Là encore jai hésité, peut-être que ce garçonnet rebelle, se rêvant chevalier, et dédaigné par son père vous aurez plu. Jai finalement opté pour une belle espérance, celle offerte à un pauvre vagabond. Vous savez Roman, cette histoire que vous lirez, je lai imaginée à la demande du patriarche dun groupe de gitans avec qui jai fait un merveilleux voyage, du Languedoc à lAuvergne. Il voulait que je parle dun manteau, un manteau un peu particulier, que dautres avait déjà mis en scène avec leurs mots. Alors, jai regardé le visage de ceux qui voyageaient avec moi, et cest aussi deux que jai parlé dans mon histoire, car ils ont déposé tout au long de mon périple quelques petits bonheurs.
Jaurais tant voulu en trouver dautres en voyageant avec vous. Quand Léorique ma écrit votre chemin, et quil ma dit que Dôn aurait plaisir à ce que je vous accompagne, jai tant regretté de ne pouvoir accepter, et bien plus encore quand vous lavez glissé à mon oreille.
Fanette sempressa de raturer la dernière partie de sa phrase, craignant quil soit incorrect de lavouer. Un peu de rouge teinta ses pommettes, alors quelle évoquait en souriant les pas de danses, les murmures, la main de son cavalier posée au creux de son dos. et le baiser glissé sur sa joue. Et ses sourcils se froncèrent en réalisant quil fallait laisser là ce doux souvenir pour ce qui lattendait au devant. Elle craignait dêtre de nouveau happée dans un tourbillon de violence, ne sachant si elle parviendrait à lapaiser sans autres armes que ses mots. Dehors, le clocher de Sancta Maria Major sonnait loffice de Sexte, et les cloches de Sainte Radegonde lui répondaient, la ramenant à linstant présent, et à la lettre quelle écrivait. Elle trempa de nouveau la hampe de la plume dans lencre et traça encore quelques mots.
Qui sait Roman ce qui mattend demain, mais si tout se passe pour le mieux, peut-être naurais-je point besoin de trop mattarder à Nevers. Alors, ainsi que je lai écrit à Dôn, pourrais-je faire route vers vous. Je sais que votre voyage vous fera faire étape à Blaye. Jai rêvé plus dun an de pouvoir découvrir la cité du troubadour, et jai pu y aller il y a peu de temps. Si vous saviez combien jai engrangé là bas de petits bonheurs, et il serait si plaisant de vous les faire découvrir, plutôt que de les dire.
Jespère que votre route sera agréable Roman, et que vous ne moublierez pas, car moi, je chérirai le souvenir de cette soirée, comme un havre agréable et troublant dans un voyage que jespérais plus facile. Quel regret de n'avoir pu la prolonger.
Amitiés
Fanette
Voici donc, en bas de page, le conte que je vous ai réservé, j'espère qu'il vous plaira.
Il furetait le nez au sol, à la recherche d'un rat, du reste d'un repas, ou d'une jolie chienne à qui conter fleurette. C'était un chien courant, pas courant du tout. On le disait ami de deux ou trois lièvres et de quelques lapins. Mais surtout, c'était l'ami d'un homme qu'il avait délaissé, juste le temps de quelque chasse. Sa curiosité aiguisée le mena sous cette porte cochère, où était garée une charrette. Et la truffe intrépide se posa sur le manteau abandonné aux pavés. Qui sait depuis combien de temps, il était là, dissimulé aux regards, abrité de la carriole où quelqu'un l'avait laissé.
Le chien ne réfléchit pas longtemps car il aimait l'homme, et l'homme n'avait plus de maison, il vivait sous un pont. Six mois déjà, et l'hiver était arrivé, six mois qu'il avait délaissé le confort d'un toit, depuis que sa belle histoire s'était achevée, depuis qu'elle l'avait laissé, après plusieurs années d'un amour sans ombre. Oh ! Il n'était pas malheureux l'homme, c'était un optimiste. Quand on lui demandait pourquoi les histoires d'amour s'achevaient, il répondait toujours, pour que d'autres puissent naître ! N'empêche qu'il dormait dehors et que dehors, il y avait de la neige. Alors le chien qui aimait l'homme fidèlement, saisit le manteau dans sa gueule, et l'emporta vers son ami.
Et le manteau, une manche coincée dans la gueule de ce chien pas courant qui courrait vers un pont, s'enroula autour de son porteur, pour ne pas se mouiller en traînant dans le froid humide des chemins. L'homme sourit en voyant son compagnon ainsi attifé. Pour cette nuit au moins, cadeau providentiel, ils n'auraient pas froid l'un et l'autre. Il passa le manteau et en souleva un pan pour serrer le chien contre lui, bien à l'abri de l'épaisse toile de laine. Le manteau, pas ingrat d'avoir été arraché au pavé se referma sur le sommeil des deux amis, les enveloppant d'une chaleur bienfaisante.
L'un et l'autre s'éveillèrent plus tard, reposé et sans qu'aucun frisson ne soit venu contrarier leurs rêves. Alors, chien et homme se mirent en quête d'un repas, ou d'un rayon de soleil pour passer la journée. L'aube était glaciale, et les poches du manteau étaient larges et amples, comme pour inviter à y plonger les mains pour se les réchauffer. Les poings serrés pouvaient se dénouer dans la tiédeur du manteau, et les doigts heurtèrent un objet. Ne parvenant à en deviner la nature, il le sortit pour l'examiner de plus près.
Quelle ne fut pas sa surprise en trouvant une miniature, pas plus grande qu'un mouchoir, si délicatement peinte que l'artiste n'avait dû utiliser qu'un pinceau à un seul poil. Le chien interloqué de voir son ami se pencher sur le petit tableau vint à son tour le détailler de ses grands yeux bruns.
C'était un paysage, fait de grands rochers gris savamment assemblés dans une belle sommière. Et au milieu d'eux, une femme semblait danser. Sa longue chevelure oscillait entre le doré et le roux. Non loin, dans ce paysage sauvage au ciel tourmenté, un arbre avait une forme particulière. Mais à y regarder de plus près, seule la viole était de bois, car c'était un homme, et ses doigts animait l'instrument pour faire danser la gracieuse qu'il couvait du regard.
L'homme se retourna vers son chien.
- Je crois que tu as pris le manteau d'un troubadour heureux ! Et comment ses doigts pourraient encore courir sur l'instrument s'ils sont perclus de froid ?
C'est ainsi que l'homme et le chien, persuadés qu'il leur fallait abandonner le confort du manteau pour le rendre à son propriétaire, s'éloignèrent de leur pont pour rechercher les troubadours. Et les jour passaient, la neige tombait, mais le manteau emplissait son office, abritant du froid l'homme, et parfois son chien quand tout deux épuisés, s'asseyaient pour se reposer un instant.
Croyez-vous que le manteau ait pu guider leurs pas ? Bien sûr que non, il aurait fallu pour cela qu'il soit doué d'une vie propre, et tout le monde sait bien que cela ne se peut. Et pourtant, à chaque croisement, à chaque fourche, quand un nouveau sentier venait couper la route, le manteau se faisait plus pressant, semblant le pousser dans une direction plutôt qu'une autre. Parfois, sa manche s'accrochait à une branche, découvrant une sente étroite dans laquelle le chien s'engageait, devançant son ami à deux pattes.
Et c'est ainsi qu'un soir d'une longue route, le chien et l'homme aperçurent un feu de camp, et à bien tendre l'oreille, on entendait de la musique. Une viole, répondait à une flûte, et, ce ne pouvait être possible peut-être mais homme et chien aurait juré entendre quelques rossignols mêler leurs doux chant à la mélodie.
L'homme s'avança, le manteau toujours serré sur ses épaules, la miniature à la main, et son chien sur les talons. Nombreux étaient ceux là, assis autour du feu, à rire et à manger. En vérité, il y avait ici toute une compagnie de gitans, mais le chien ne s'y trompa pas, et d'un joyeux bond, il alla sasseoir sans aucune hésitation, auprès de la flûtiste, et elle ressemblait trait pour trait à la danseuse de la miniature. A ses côtés se tenait le joueur de viole. Notre vagabond arbora un large sourire en se dirigeant vers eux. Il déposa le tableau de poche dans les mains de la jeune femme et répondit à l'invitation des gitans pour prendre place à son tour auprès des flammes.
La chaleur l'enveloppa immédiatement, celle du feu de camp bien sûr, mais aussi, celle des sourires, du partage et des bons moments. L'homme et le chien n'avait plus du tout froid, et surtout, ils n'étaient plus seuls. Peut-être même oublieraient ils un moment leur pont, pour suivre les gitans sur les chemins, et partager avec eux la vie de bohème. Alors, sans que l'homme n'y prenne garde, le manteau glissa de ses épaules, abandonnant là celui qui n'avait plus froid. Et au matin, quand l'homme et le chien était repartit, accompagnant les gitans et les troubadours, le cur gonflé de l'amitié offerte, le manteau resta là, roulé en boule, sur une pierre plate, guettant un nouveau porteur.
Roman s'était arrêté complètement. Il avait mis pied à terre, attaché son cheval, et pris place au sol, sur une couverture, avec sa petite écritoire sur les genoux. Sa plume hésitait, portée au-dessus du vélin vierge, tandis que l'homme cherchait les meilleurs mots pour répondre à la longue lettre de Fanette. Il n'entretenait que rarement des correspondances, et l'exercice lui demandait quelques efforts de traduction.
Roman a écrit:
Fanette,
Si vous vous étiez abstenue de raconter cette légende, ma peine aurait simplement gardé le silence au lieu de se permettre de s'exprimer. Je tâche d'habitude de la museler. Mais votre histoire était belle et je ne regrette en rien de l'avoir entendue.
Je suis ravi de la lecture que vous m'avez offerte ce matin lorsque j'ai trouvé votre lettre, votre histoire est une sage leçon. Je devine aisément que la vie des gitans n'est guère éloignée de la nôtre, Corleone, du moins pour ceux qui, comme moi, vivent plus souvent sur les routes que dans les villes. Aussi, hier, c'est votre rencontre qui fit la chaleur et la lumière d'un feu de camp pour moi...
Cette soirée restera dans mes souvenirs en attendant que nous nous retrouvions, et je ne peux qu'espérer que votre séjour à Nevers ne vous sera pas trop pénible. Ecrivez-moi lorsque vous serez arrivée, et si vous souhaitez me raconter ce que vous y ferez.
Quant à moi, je tiens à vous rassurer quant à ma réaction à l'écoute de votre première histoire. Vous parliez de constellations, d'enfants et de mère. Mon histoire récente a fait que mon esprit est allé se perdre un moment dans les étoiles dont vous parliez, et c'est à mon tour de vous la conter, pour que vous me connaissiez un peu. Bien que ce ne soit guère dans mes habitudes, à vrai dire, et que l'écrire en français me cause quelques difficultés d'expression. Cependant je suis certain que votre esprit poète lira très bien mes sentiments même si mes mots ne sont pas toujours les plus parfaits.
Voici. J'ai été marié, il y a deux ans, et celle qui fut mon épouse a porté deux enfants de moi, mais l'ignorait. Différentes circonstances qui restent pour moi emplies de colère, de douleur et de dégoût, ont fait que ces deux enfants n'ont jamais connu la vie, et que cette femme est à présent perdue dans une vie dégradante. Ainsi, bien que je n'aie plus à me soucier de celle qui pour moi est une traîtresse et une folle, il me reste dans le coeur l'existence, presque imaginaire, de ces enfants qui auraient du être les miens.
J'ai aimé votre histoire. L'idée de ces constellations dans le ciel nocturne est assez belle pour m'offrir quelques instants de paix à leur pensée.
Prenez soin de vous, Fanette.
J'espère vous revoir.
Roman.
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