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[RP] Puisqu'elle a promis...

Jo_anne
[Coincée en Rouergue]

Que d'histoires compliquées... Que de coeurs brisés... Et si habituellement l'Italienne était peu compatissante, il s'agissait une fois encore de son fils et de la mère de son petit-fils. Aussi la prenait-elle à coeur. Et si évidemment quoi qu'il puisse faire de bien ou de mal elle se rangerait toujours du côté de son fils, elle ne pouvait s'empêcher de trouver tout cela fort dommage.

Elle avait vécu une histoire qui pouvait ressembler à tout ceci... Mais elle s'était toujours arrangée pour que les rapports ne soient pas trop terni par des erreurs ou des changements de direction. Jadis, elle avait aimé un homme. Après de longs mois, elle avait fini par se lier grandement d'amitié avec un autre homme. Elle passait le plus clair de ses soirées avec cet autre homme sans n'avoir jamais commis la moindre infidélité... Sentant leur rapprochement, son conjoint s'était énervé, jaloux, et avait voulu repartir en voyage. Joanne avait refusé et il était donc parti seul... Pas bien longtemps puisqu'Exaël avait toujours été un tombeur invétéré, et qu'il avait fini par trouvé remplaçante. D'abord en colère et dévastée, Joanne avait fini par se rendre compte de ses propres torts. Elle avait rapidement fini par couler des jours heureux auprès du grand ami qui avait tant rendu jaloux Exaël. A juste titre du coup. Exaël et Joanne s'étaient finalement recroisés des mois plus tard. Il lui avait présenté celle avec qui il l'avait trompé, et ils étaient devenus ou redevenus amis. Du temps au temps...

Elle voulait donc essayer de rassurer Fanette, et de raisonner Roman... Bien que raisonner un Corleone était chose difficile. Deuxième chose difficile, d'autant plus en étant blessée. Amalio nourrissait une colère sourde contre sa belle-fille. Aussi s'efforçait-elle de trouver un autre scripte, bien qu'elle déteste lui cacher des choses. Mais elle faisait pour le mieux pour tous. Aussi répondait-elle sous une plume enfantine.




Fanette,

Je vous l'ai déhç dit. Ce genre de fautes ne se pardonnent pas facilement. Laissez lui du temps. Laissez e faire des bêtises, s'envoyer en l'air ailleurs, et tenter de revivre. Après avoir eu un coeur brisé, c'est ce dont tout le monde a besoin. C'est sa façon d'exprimer sa colère, sa déception, et son amour propre. Parce que son amour propre en a pris un coup. C'est toujours ce que cela fait, et croyez moi je sais de quoi je parle. Alors, c'est dur pour vous, mais c'est ce dont il a besoin pour aller mieux. Il faut serrer les dents et accepter ça. Vous lui devez bien ça. Les conséquences sont toujours plus importantes que les causes.

La confiance se gagne, et se perd. Elle peut se regagner. Retrouver Milo. Donnez plus d'informations, si Roman ne peut pas y aller, nous irons avec Amalio. Donne-moitous les détails que tu as. Amalio ne dira pas non pour sauver son petit fils. Ne t'inquiète pas, et fais moi confiance. Je suis en état pour me mettre en marche. Rien ne m'arrêtera si c'est pour sauver mon petit-fils.

Quant au bébé que tu portes, ne t'inquiète de rien non plus. Il est évident que s'il t'arrivait quoi que soit, je m'occuperai personnellement de lui. Roman se rendra à l'évidence quand il sera là. Encore une fois, c'est difficile, je sais, mais laisse lui du temps. Quand le bébé sera là, chétif, quand il l'entendra, quand il verra qu'il lui ressemble, alors il saura. Et s'il refuse d'y croire, et bien moi je te crois, et je m'occuperais de lui. Et de toi s'il le faut. J'ai accouché seule deux fois, je sais ce que c'est... Mais regarde, mes fils s'en sont bien sortis malgré tout. Ton bébé n'a besoin que de l'amour de sa mère. Et je ne doute pas qu'il en aura. Et si l'argent te manque, je t'en ferais parvenir. De toute façon tu ne mourras pas en couche. Tu as survécu à bien pire qu'un accouchement, et maintenant tu sais ce que c'est. Donc ça se passera très bien. Et tu ne seras pas seule. Quoi que tu entendes, je t'en fais la promesse Fanette, je serais là pour tes enfants. Les deux. Je ne suis qu'une aveugle, brigande, mais je suis aussi une femme et une mère. J'ai connu tout ça, je l'ai vécu, j'en ai souffert. Aussi, je n'aurais qu'une parole à ce sujet, et qu'importe la colère de mon fils et de mon mari.

Oui je serais toujours de leurs côtés. Parce que je les aime. Plus que tout. Mais tes enfants n'ont pas à payer. Je refuse ça catégoriquement. Et ils ne peuvent pas m'onliger à t'en vouloir. Des fautes on en commet tous. Pas forcément les mêmes. Mais je sais bien que tu n'aurais pas embrassé quelqu'un d'autres sans aucunes raisons. Peut-être n'étaient elkes pas assez bonnes selon lui, mais ce n'est pas facile de reconnaître ses torts.

Bref laissez-vous du temps. Le mariage ce n'est pas grave. C'est sa colère qui parle Fanette. Et il a le droit d'être en colère. Laisse-lui du temps. Pense à Milo. Pense au bébé. Prends soin de toi. Réunis tes enfants. Et il reviendra. Et même si la vie vous sépare en tant que couple, vous resterez pour toujours le père et la mère de Milo et du petit. Il ne pourra jamais renié ça. Pas Milo. Vous avez ce lien que rien ne peut rompre. Et crois moi un jour la colère sera parti. Vous redeviendrez amis... Et la suite vous verrez par vous même...

Prends soin de toi, et tient moi au courant.
J.


Demain, elle écrirait à Roman pour prendre de ses nouvelles... Mais elle était trop lasse et devait aller se reposer pour le moment. Rejoindre son époux, en qui elle avait toute confiance... et le laisser prendre soin d'elle... Que c'était apaisant et rassurant... C'est sans doute cela que cherchait Roman... Quelqu'un qui prenne soin de son coeur meurtri...
Roman.
Roman, lui, continuait son voyage en s'obstinant à ne pas penser à la douleur qui poinçonnait son âme dès qu'il s'abandonnait à songer à Fanette ou à Milo. Il passait du bon temps avec de nouveaux amis, et cela convenait à son humeur, distrayant agréablement le déroulement de ses jours, chacune des heures écoulées participant doucement à faire le deuil de la vie qu'il avait espéré mener auprès de Fanette. Il n'évoquait toujours aucun pardon. Elle avait été la seule stabilité sentimentale qu'il ait jamais connu, et elle avait elle-même brisé leur lien. Il ne revenait pas sur sa décision et noyait ses mornes pensées dans les préoccupations et amusements quotidiens de leur troupe. Il n'avait pas répondu à la dernière lettre de Fanette, et seules les missives de sa mère obtenaient réponse de sa part.




    *écrit par Amalio*

    Figglio,

    Une petite missive pour prendre de tes nouvelles. Comment vas-tu ? Physiquement déjà ? Tes blessures sont-elles toutes guéries ? Peux-tu bouger à ton aise ? Refaire de l'exercice ?
    Et les autres blessures, celle qu'on ne peut pas panser avec des bandages ? Je n'insiste pas et tu n'en parleras que si tu le souhaites. Sache juste que je suis là si tu as besoin de vider ton sac.

    As-tu des nouvelles de Milo ? As-tu besoin d'aide pour quoi que ce soit ?
    Je pense fort à toi.
    Ti amo figglio.

    J.





    Mamma,

    Je me porte assez bien au vu de la situation actuelle. Je m'attache à ne plus penser à tout cela. Mes blessures ont bien cicatrisé, mes côtes seules restent encore douloureuses mais ce n'est vraiment rien de plus qu'une gêne.

    Je me trouve à Alençon avec un groupe d'amis. Nous attendons mon frère Gabriele pour lui rendre ses enfants, que l'une de nous avait en garde depuis quelques semaines.

    Je n'ai pas trouvé sur ma route de nouvelles de mon fils, bien que nous ayons traversé plusieurs duchés et comtés. Les mois ont passé et il semble bien difficile à présent d'imaginer pouvoir différencier un nourrisson d'un autre, puisque je suppose que, s'il est en vie, il est auprès d'une femme qui le nourrit et le change. Or comment reconnaître un bébé dans les bras d'une inconnue ? Il a sûrement déjà beaucoup changé. C'est le seul espoir que je puisse avoir car j'ai perdu celui de le retrouver.

    J'espère que papa et toi vous portez bien et que tu t'es aussi remise de tes blessures.

    Je t'embrasse

    R.





    Figlio,

    Je suis ravie et rassurée de savoir que tes blessures sont guéries. Pour les cotes, pour l'avoir déjà vécu, c'est long à se remettre mais ça finit par se remettre si tu ne forces pas trop dessus pendant quelques temps encore...

    Profite donc du groupe d'amis et ton ou tes frères si plusieurs sont avec toi. Vide toi la tête et amuse toi. J'espère te revoir bientôt tout de même.
    Pour ma part, mes blessures ont vite guérie également, mais comme toi - ça doit être de famille - les cotes sont encore douloureuses. Rien qui ne m'empêche de me déplacer. Heureusement que ton père était là. Je ne sais pas ce que j'aurais fait sans lui...

    Quant à Milo... N'as-tu donc pas reçu les missives de Fanette ? Ou peut-être ne souhaites-tu plus la lire. Néanmoins je me dois de te faire part de ce qu'elle a découvert puisqu'après tout, il ne s'agit nullement d'elle ici mais ton fils - qui n'est pour rien dans vos histoires. Puisque tu ne voulais plus la voir à Mende lors de ton rétablissement, je lui avais conseillé de partir à la recherche de votre fils. Ce qu'elle a fait. Elle a trouvé deux pistes possibles. Si tu veux plus de détails je te les donnerais volontiers - je suis restée en contact avec elle pour mon petit-fils, aussi ai-je donc des nouvelles.
    Elle va donc voir d'un côté pour vérifier une des deux pistes, mais ne pouvant se dédoubler, elle demandait je crois si tu pouvais aller vérifier à Castres la seconde piste. Si tu penses que tu ne le reconnaitras pas, ou si tu n'as pas envie d'y aller, ou que tu ne peux pas, dis le moi, nous irons avec Amalio. Une mère reconnaîtrait son enfant entre mille. Et je suis persuadée que je saurais reconnaitre mon petit fils. Et ton père est assez observateur également... Tiens moi au courant de ta décision... Nous allions à Périgueux rejoindre un ami mais nous pouvons faire demi-tour sans souci.
    Il ne faut jamais perdre espoir... Même quand rien ne semble marcher comme on souhaiterait. On va retrouver ton fils. Moi j'ai encore de l'espoir.

    Ton père va bien et moi aussi donc. C'est surtout à toi qu'il faut penser pour le moment.
    On t'embrasse, ainsi que Gabriele quand il vous aura rejoint.
    Prends soin de toi.
    J.





    Mamma,
    Je n'ai pas répondu à Fanette parce que je veux laisser toute cette vie derrière moi. Cette femme était la seule en qui je pouvais placer ma confiance, la seule à qui j'avais ouvert la vérité de mon coeur, en-dehors de toi. C'était le seul pilier stable de ma vie.
    J'ai bien réfléchi au paragraphe qu'elle avait écrit à propos de la piste qu'elle pensait plausible, à Castres : je suis intimement persuadé à présent que cet enfant sera mieux élevé chez les di Cesarini qu'avec un père absent et une mère cinglée.
    Cependant, si tu souhaites partir à sa recherche avec Papa, si tu le reconnais, alors prends-le contre ton sein et prends soin de lui pour moi; et alors je viendrai peut-être.
    R.

_________________
Lison_bruyere
Limoges, le 23 octobre 1466

Seule la flamme d'une chandelle trouait l'obscurité de la chambre. Elle repoussa les volets sur la croisée. Au-dehors, le bruit assourdi de la pluie tapant sur les carreaux, trouvait écho dans les pleurs qui de nouveau déboulaient de ses cils et noyaient ses joues pâles. Elle s'était enfuie de la salle commune, pourtant vivante aux premières heures du soir, pour n'imposer aucune larme à ceux qui venaient là boire et s'amuser. Ses doigts dénouèrent leur étreinte sur le bref que venait de lui remettre le grouillot. Le parchemin s'échoua à terre à l'instant où le corps las de désespoir se recroquevillait sur le matelas. L'évêque avait tort. Roman n'avait pas eu besoin d'en passer par lui pour faire dissoudre leur mariage. Quelques mots froids et conventionnels tracés dans l'encre par un bedeau appliqué venaient de le lui prouver. Mais il aurait bien pu écrire « Vous vous êtes faite 'tèj' par Roman. Loser ! » que ça ne lui aurait pas fait moins mal. Son entourage s'appliquait à lui montrer l'Italien sous un jour qu'elle n'était pas prête à accepter. Comment aurait-elle pu leur avouer, l'espoir, si ténu soit-il, de le voir revenir sur sa décision. Après tout, ne lui avait-il pas dit qu'il la pardonnait, parce qu'il reconnaissait avoir été trop absent ? N'avait-il pas promis qu'il trouverait plus de temps pour elle, quitte à délaisser les affaires de son père ? Et s'il s'était empressé aussitôt d'oublier ses propres mots, la fauvette ne le pouvait, parce que c'est au creux de ses entrailles plus sûrement qu'à son oreille qu'il les avait plantés.

Mais ce soir, elle devait se rendre à l'évidence, jamais plus il ne lui reviendrait. Un frisson parcourut son échine. L'humidité de l'automne passablement pluvieux qui suintait aux murs de sa chambre, n'y était pour rien. Le temps pourrait bien emprunter la moiteur des chaudes nuits d'été que le froid glacerait encore sa peau et viendrait se tapir au fond de son cœur. Elle se recroquevilla plus encore, refermant ses paupières, minces digues largement débordées de chagrin, jusqu'à ce que l'épuisement vienne le tarir.

Puis seulement, quand la nuit fut avancée, elle se releva, jeta le bref au feu pour s'interdire d'y repenser, enfila l'une des tenues plus masculines qu'elle avait en horreur et, armée de tout son petit courage de fauvette, quittait la ville derrière un inconnu, dans l'espoir presque vain de retrouver son fils.

Et si, quelques lieues plus loin, à l'occasion d'une étape au milieu de nulle part, un courrier fut rédigé, il n'était pas pour celui qu'elle appelait tendrement son diable, mais pour la mère de ce dernier, qui toujours lui accordait soutien.




Joanne,

A défaut d'avoir su garder Roman, je veux conserver l'espoir de retrouver mon fils. Je guetterai avec impatience les nouvelles de Castres. Je suis partie moi aussi pour l'Alençonnais. Puissions-nous, vous ou moi le retrouver.
Je ne sais trop si notre route sera aisée. L'homme qui me fait escorte dit que la guerre gronde non loin des chemins que nous emprunterons. Il craint d'avoir à croiser des armées belliqueuses mais, il a été payé pour s'assurer qu'il ne m'arrive rien de fâcheux. Il connaît un peu les Corleone, et a travaillé par le passé avec Gabriele, mais surtout, on m'a affirmé à plusieurs reprises qu'une fois sa parole donnée, il n'y dérogeait plus, alors j'imagine que je peux lui faire confiance. Je vous écrirai de nouveau quand je serai rendue là-bas, en espérant y trouver la femme que je veux voir.

Pour le reste Joanne, si vous saviez comme vos paroles me réconfortent. Vous et Lili, vous semblez être les seules à me considérer encore comme si je faisais partie de la famille, j'ai si peu eu ce sentiment, même quand je savais encore rendre votre fils heureux.

Pour le reste, comment pourrais-je cesser de me reprocher ma faute, quand je réalise combien je l'ai blessé. Bien sûr ce n'était qu'un baiser, un simple baiser. Mais sans doute ne l'entend-il pas de cette façon-là. Et puis, j'imagine aussi que son entourage ne doit pas l'inciter à l'indulgence, au pardon, ou même à réfléchir différemment à cette malheureuse histoire.

Je n'ai pas voulu plaire, ni séduire, je n'avais rien prémédité. Je ne sais expliquer, les épreuves peut-être, qui se sont enchaînées depuis le printemps, le décès de trois de mes amis, le procès pour tentative de meurtre, les deux mises à sac successives de mon auberge, l’enlèvement de Milo, les menaces … J'ai tenu bon Joanne, j'ai fait face, et le plus souvent sans le soutien de Roman. Je ne sais même pas s'il a pris la mesure de ce que j'ai eu à endurer. Svan a sans doute raison. Elle croit que j'ai commis une faute, et que ce n'est pas d'avoir embrassé d'autres lèvres, mais d'avoir subi sans rien dire à Roman. Moi je refusais de me plaindre, de lui réclamer plus d'attention que ce qu'il avait à m'offrir. Je me croyais bien plus forte que je ne le suis en réalité, et j'ai cédé au réconfort de cet homme qui n'était pas le mien, le temps d'un baiser. Mais il aura fallu cela pour que je comprenne à quel point c'est de Roman dont j'avais besoin. A cause de moi, au-delà de son cœur brisé, lui ai-je donc fait perdre toute sa confiance, et pire, tout espoir de retrouver son fils ? Je me suis perdue Joanne, et je l'ai perdu tout autant. Alors si je peux admettre qu'il a des torts, je n'arriverai pas à me pardonner autrement qu'en obtenant son pardon. Mais je crains cet espoir vain à présent. Ce n'était qu'un simple baiser, mais il fut suffisant pour que votre fils fasse dissoudre notre mariage.

Prenez soin de vous.
Fanette


23/10/1466 17:24 : Vous vous êtes fait(e) 'tèj' par Roman.. Loser !

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Roman.
Alençon, 25 octobre.

Bien loin de là, l'Italien qui faisait tant pleurer la fauvette avait quant à lui verrouillé son coeur. Il s'interdisait de penser encore à elle, dont le simple souvenir ravivait trop de douleur. Ho oui, pourtant il l'avait aimée ! Trop, sans aucun doute, car malgré toutes ses belles promesses, elle n'avait pas su résister aux difficultés qu'elle avait pourtant juré être capable de surmonter. Les absences de Roman faisaient partie du contrat, non pas tacite mais bien explicite, qu'il lui avait exprimé avant de la prendre pour épouse. Elle savait depuis le début qu'il partirait au loin, souvent, sans la prévenir. Voilà une leçon qu'il saurait retenir.

Il lui fallait admettre que sa vie ne pouvait concilier à la fois l'amour d'une femme, le rôle de père, et les exigences de son emploi. Il lui fallait admettre, comme son père avant lui, que son existence devrait être celle de ses comparses : celle d'hommes solitaires qui ne s'autorisaient que des conquêtes de passage, tout comme ils avaient renoncé à une vie de famille. C'est ce qu'il aurait du comprendre depuis le début. Il avait été naïf d'espérer échapper à cet échec pourtant programmé...

Pourtant Fanette avait été une lumière dans sa vie faite de meurtres et de solitude déguisée. Peu d'amis, beaucoup de conquêtes, mais guère d'amour, si ce n'avait été, quelques années plus tôt, Alaynna, puis plus succinctement, la belle Giannah. Il ne pouvait compter que sur sa famille, en vérité, en guise de stabilité. Le temps de l'innocence et des beaux espoirs était terminé.

Il avait fait son deuil.

Il était temps de reprendre les affaires.





    Mon oncle,

    J'ai achevé la convalescence qui m'était nécessaire. Je suis de nouveau disponible pour répondre à tes demandes. Tu peux m'écrire à Alençon.

    R.d.M.


Il était de retour auprès des Medici.
_________________
Lison_bruyere
Alençon, le 3 novembre 1466

La jalousie, ce n'était pas elle. Ce sentiment lui était étranger. Plus que ça, le plus souvent, elle ne le comprenait pas. Et pourtant, quand elle avait vu le regard de son Corleone s'accrocher à la silhouette de la blanche Kryotos aussitôt qu'il avait poussé la porte, sa silhouette féline s'en approcher d'un pas faussement nonchalant, et aussitôt un affable sourire se glisser à ses lèvres, parfaitement mesuré, découvrant à peine l'émail blanc d'une denture irréprochablement alignée, et creusant une discrète fossette au coin de sa joue droite, la jalousie piqua son cœur. Il s'était rapproché d'elle, jouant d'une voix à l'intonation maîtrisée avec finesse, distillant juste ce qu'il fallait d'accent Italien pour embellir sa voix déjà chaude et profonde.

- Bonsoir Signora.

Fanette l'observait, s'aplatissant dans son siège, comme si elle découvrait pour la première fois tout le charme parfaitement assumé, dont il usait avec talent. De nouveau, une perfide jalousie la piqua douloureusement, peut-être parce qu'elle savait qu'à présent, ces sourires-là ne lui seraient jamais plus destinés, et que les lichens qu'elle aimait tant ne l'enveloppaient plus que d'une indifférence méprisante. Et ce fut exactement ce regard qu'il lui offrit quand il s’aperçut de sa présence. Délaissant l'idée d'une charmante compagnie, il se replia vers la sortie. Fanette eut tout juste le temps de le retenir.

- Non ! S'il te plaît, reste.

Si le ton de la fauvette s'était presque fait suppliant, c'est un souffle glacé qui s'échappa des lippes Italiennes.

- Pour quoi faire ?
- Pour Milo.

Pour quelles autres raisons le retiendrait-elle ? Evidemment il n'en manquait pas : pour parler de la décision qu'il avait prise pour eux, pour implorer une fois de plus son indulgence, pour lui dire combien elle regrettait d'avoir bafoué la confiance qu'il lui portait, l'assurer de son amour, ou pour simplement passer encore un peu de temps dans sa simple présence, même s'il faisait montre d'une hostilité que jamais il n'avait eue à son égard. Sauf que, de tout cela, elle savait bien qu'il ne voudrait pas parler, et elle ne se sentait plus légitime pour exiger qu'il s'y prête malgré tout. D'ailleurs, le verbe exiger n'appartenait pas plus à son vocabulaire que le mot jalousie. Kryotos avant senti le vent tourner, et s'était retirée, préférant les laisser à un tête-à-tête à l'issue incertaine.

- Roman, ta mère m'a dit que tu avais perdu tout espoir de retrouver Milo. C'est vrai ?

Elle venait de poser dans son regard glacé de colère des noisettes assurées en dépit de la situation, parce que, s'il était bien un sujet sur lequel elle voulait garder courage, c'était celui de son fils. Mais la réponse ne fut malgré tout pas celle attendue.

- Ce que je pense ne te regarde pas.

Le ton était cinglant et détaché. Le regard n'avait pas faibli, dénué de la moindre trace de compassion, de gentillesse, ou de regret. Quels que soient les sentiments qui animaient le Corleone en cet instant, il ne laissait rien paraître d'autre qu'une indifférence glacée. Elle ne pouvait néanmoins se satisfaire de pareille réponse, tant son attitude lui échappait totalement. Elle secoua imperceptiblement la tête, marquant sa désapprobation.

- Bien sûr que si Roman, il est mon fils, autant que le tien. Que tu me répudies, j'peux comprendre mais Milo ? Tu avais promis qu'on retournerait tout le royaume jusqu'à le retrouver.

Avant qu'elle poursuive, il lui assena la même réponse, sur le même ton résolument glacial.

- Ce que je pense ne te regarde pas.

Il venait de réitérer pour la seconde fois cette affirmation, espérant bien la faire entrer dans la tête de piaf de son ex-épouse, mais elle ne fit tout au contraire qu'attiser son incompréhension, son chagrin et le sentiment d'injustice qu'elle avait pour son fils. Sans doute, sa voix ne sut-elle pas dissimuler tout cela, et son regard, comme à chaque fois qu'une émotion un peu trop forte la submergeait, se pailleta d'or.

- Dis-moi au moins pourquoi.
- Il aura de meilleurs parents.


Il n'avait pas cillé le moins du monde en prononçant ses mots, toujours adossé au mur près de la porte, les bras croisés dans une posture un peu fermée. Il en semblait presque convaincu, sauf que, là aussi, Fanette ne pouvait l'entendre. Comment lui, qui accordait si difficilement sa confiance, qui la lui avait retirée, alors qu'il savait pertinemment qu'elle n'était pas une menteuse, pouvait l'accorder à de parfaits étrangers en les jugeant plus aptes qu'eux pour élever cet enfant qu'il avait tant désiré ? Ça n'avait aucun sens, il l'aimait trop pour l'abandonner au premier venu. Elle ne pouvait intégrer cette information-là, c'était au-delà de ses capacités de compréhension. Et avant qu'elle ne moufte, il tenta vainement de clôturer le débat.

- Et je n'ai pas l'intention d'en discuter avec toi.
- Mais c'est injuste, c'est notre fils, et j'ai bien le droit de savoir pourquoi l'homme que je croyais être un père aimant, d'un seul coup, pense que je ne suis pas une bonne mère, et qu'il n'est plus un bon père.
- Ni un bon père, ni un bon mari !


Cette fois-ci il ne lui laisserait aucune occasion de poursuivre. Il s'écarta rapidement du mur et quitta la salle commune, claquant la porte derrière lui, et laissant Fanette avec cette ultime phrase qui avait soulevé la tempête sous les boucles blondes. Les flammes dans le foyer s'étaient ravivées, attisées par le courant d'air froid que la sortie abrupte de l'Italien avait généré. Comme hébétée, elle regarda fixement la porte désespérément close, réprima un premier sanglot avant de sentir ses larmes gagner la partie et déborder ses cils. Elle s'effondra sur la table, tête enfouie dans ses bras, ne comprenant pas plus ses derniers mots que les précédents. Qu'insinuait-il ? Jamais elle ne l'avait vu autrement que comme un bon père, et encore à présent qu'il semblait vouloir abandonner Milo à son sort, elle se refusait à l'admettre. Quant à ses qualités d'époux, n'était-ce pas à elle d'en juger, plutôt qu'à lui. Il ne s'était sans doute pas toujours conduit comme elle aurait aimé, mais il avait fait de son mieux, et elle avait fait bien pire en mêlant ses lèvres à une autre bouche. Son appréciation était-elle simplement ironique, ou se sentait-il une part de responsabilité dans les égarements de celle qu'il avait aimé ? Leur mariage n'était certes pas parfait, pas plus que l'un et l'autre ne l'étaient, mais quand bien même, elle n'en voulait pas d'autres que lui, et jamais plus elle ne trahirait sa confiance s'il lui laissait une occasion de se racheter.

Mais pour l'heure, ses yeux n'en finissaient plus de pleurer, car non seulement, par son inconséquence, elle s'était privée de l'homme qu'elle aimait, elle en privait l'enfant qu'elle portait, mais pour s'ajouter une culpabilité de plus, voilà qu'elle réalisait qu'elle avait aussi privé Milo du soutien de son père.
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Jo_anne
Joanne avait mis le temps mais enfin elle se décida à écrire aux deux ex mariés, ces deux parents en recherche de leur fils, pour le moment unique. Elle avait mis du temps à répondre à Fanette parce qu'elle n'avait pour le moment aucune nouvelle précise à lui donner. Elle avait mis du temps à répondre à Roman parce que sa dernière lettre l'avait étonnée, surprise, énervée et déçue à la fois. Elle fit donc sa dictée à un jeune homme du coin qui joua le scripte pour elle.



Fanette,

J'espère que tu vas bien, et que ton voyage vers Milo se passe bien. As-tu des nouvelles?Comment te portes-tu ? Et le bébé ?
N'hésite pas si tu as besoin de quoi que ce soit.
Avec Amalio nous sommes à Castres. Les recherches avancent. Pour l'instant je ne peux pas t'en dire plus. Mais à la moindre nouvelle information je t'écrirai aussitôt.

Prends soin de toi.
J.




Figglio mio*

Je m'excuse d'avoir mis si longtemps à t'écrire de nouveau. Il faut dire que je cherchais mes mots pour te répondre. Il faut dire que ta missive m'a grandement surprise. Etonnée. Enervée. Déçue. Fait culpabiliser. Bien que je sois heureuse que tu me livres tes sentiments sans retenu.Néanmoins, je me dois de te dire que je ne suis pas du tout d'accord avec toi. Mais je t'en prie, lis jusqu'au bout pour comprendre pourquoi.

Sache déjà que quelles que soient tes décisions et tes choix, je t'aimerais toujours autant. Tu es mon fils, tu le resteras pour toujours, quoi que tu puisses dire, ou faire. Et oui, t'es condamné à perpétuité à me supporter mon gamin. Bref, tu es grand et tu prends tes décisions mais ça n'empêche en rien que je te donne mon point de vue. Après tout il me semble que c'est le rôle des mères...

Premièrement, je suis certaine que tu reconnaîtrais ton fils. Ce n'est pas n'importe quel bébé. C'est le tiens. Et dis toi que si toi tu ne le reconnais pas, Lui te reconnaîtra. Ensuite, je regrette mais tu dis des sottises que tu regretteras toute ta vie. Tu as été déçu à juste titre par Fanette. Sa naïveté l'a perdu. Et peu importe. Je comprends ta déception et même ta réaction. Mais Fanette n'est pas la seule femme en qui tu peux placer ta confiance. Pour le moment tu souffres tu es en colère, déçu et trahi. Mais tu t'en remettras. Une femme saura te redonner confiance. J'ai épousé Amalio a presque 40 ans. L'espoir et la confiance je les avais perdu depuis longtemps. Et pourtant...

Bref, passons sur ce point ce n'est pas l'essentiel. Tu ne peux pas consciemment abandonner ton propre fils à un ou une inconnue. Je sais que je ne suis pas le modèle de la bonne mère de famille. Je m'en veux de t'avoir imposé tout cela. Chaque jour qui passe je regrette de ne pas mettre occuper de toi comme j'aurais dû. Néanmoins je ne t'ai pas abandonné. Je t'ai confié à ma famille. J'avais de tes nouvelles régulièrement, je pouvais en avoir et en demander quand je le souhaitais. Dès que tu fus en âge d'écrire tu as pu le faire. Je savais où te trouver quand je voulais venir voir comment tu avais grandi, à quoi tu ressemblais en grandissant. Et ça, crois-moi c'est important. C'est même primordial. Tu ne peux pas abandonner ton fils. Tu auras besoin de savoir un jour. Savoir s'il est mort ou s'il est encore vivant. Parce que vivre dans l'ignorance est pire que tout !! Et puis Milo n'y est pour rien. Ce n'est nullement sa faute. Tu ne peux pas lui faire ça. Il est ton sang. Même quand tout va mal, on peut compter sur sa famille. Tu es un Corleone. Milo aussi. Un Corleone n'abandonne pas.

Enfin, cela est mon point de vue. Aussi, avec Amalio, nous sommes partis à Castres suivre une des deux pistes trouvées. Je te tiendrais informer si tu le souhaites. Evidemment que je prendrais soin de lui si je le retrouve. Et je m'en occuperais tant que tu le voudras, tant que tu en auras besoin. Mais réfléchis bien à tout ça.

Amuse-toi, vis ta vie bien sûr. Mais n'oublie pas ton fils. Ni ta vieille mère qui n'a pas toujours été là,mais qui t'aime profondément tout de même.
Salue Gabriele et Lenu pour moi si tu es toujours avec eux.
Prends soin de toi, et donne moi de tes nouvelles.

J.
Lison_bruyere
Nord du marais Poitevin, le 18 novembre 1466




Fanette passait chaque halte recroquevillée près du feu, glanant le moindre repos dans la chaleur des flammes. Elle posait bien quelques collets, jamais loin, pour se dispenser de trop d'efforts supplémentaires et laissait le plus souvent à Myr le soin de chasser de quoi agrémenter de petit gibier les frugales provisions qu'ils avaient emportées.

Si elle trouvait plus facilement le sommeil, rassurée de sa présence, ou de celle de sa « suocera », sitôt qu'elle se retrouvait seule, elle ne parvenait que plus rarement à fermer l'œil. Elle patientait, les sens aux aguets, retrouvant peu à peu ses automatismes de vagabonde. Au moindre craquement derrière elle, elle tournait la tête, prompte à se lever rapidement et saisir le couteau qu'elle gardait à portée de main, ou une branche dont l'extrémité reposait dans les flammes. Elle tentait de s'occuper le plus souvent, en triant quelques simples qu'elle glanait autour du campement, ou en relisant les cinq précieuses lettres de son père.

Et parfois, même si elle savait bien que c'était là une très mauvaise idée, elle ressassait des souvenirs qui lui broyaient le cœur. La veille, Joanne l'avait assuré que sa faute n'était pas si grave, que ça ne faisait pas d'elle une mauvaise personne, et que si Roman persistait à renier son enfant, quand il viendrait au monde, c'est qu'il était idiot et borné. Même si ces paroles, dans la bouche de l'Italienne était emplie de la tendresse qu'elle conservait à son fils, Fanette ne parvenait toujours pas à s'en convaincre, préférant encore se blâmer elle-même. Et sa belle-mère avait conclu d'un « qui se ressemble s'assemble, vous êtes bien pareil tous les deux, à vous fustiger de la sorte. »

La fauvette glissa la pulpe de ses doigts sur la couverture patinée d'un petit carnet, dont la première page s'ornait d'un coquelicot séché. Les anthères noires avaient définitivement perdu leur aspect bleuté et les pétales s'étalaient à présent dans un camaïeu de brun rougeâtre. En face, quelques mots d'une plume italienne distillaient encore l'amour d'un loup pour une fauvette, comme dans le conte de la page suivante, celui qu'elle avait écrit pour son fils, dans des lettres qu'elle lui destinait, et qui trouvaient refuge dans cet écrin de cuir et de vélins reliés.

Il y a un an...

Et comment pouvait-elle ne pas songer à lui précisément ce jourd'hui, alors qu'elle faisait route vers la Bretagne, en espérant retrouver Milo. Ses yeux délaissèrent la fleur qu'un jour, l'Italien avait cueillie pour elle et mis à sécher dans ce petit carnet qu'il lui avait offert, pour s'échouer sur les deux anneaux qu'elle portait à senestre. Même s'ils n'avaient plus aucune signification, elle n'avait pu se résoudre à les ôter. L'anneau d'argent, finement ciselé, marquait la promesse d'une vie à deux. Le jonc d'or, précieux et sobre à la fois, simplement gravé de deux initiales entrelacées, Roman l'avait passé à son annulaire un an plus tôt, jour pour jour. Un soupir mourut à ses lèvres, quand les larmes montaient de sa poitrine et débordaient à ses cils sur ce gâchis inachevé dont elle était responsable. Ils lui manquaient tant, et elle ne gardait de tout cela qu'une petite vie indésirable blottie au creux de son ventre.

Alors, sans savoir s'il était convenable d'envoyer ou non cette lettre à lui qui avait préféré refermer à jamais ce qu'il lui restait de cœur pour oublier qu'un jour il l'avait aimé, elle tira de sa besace l'écritoire de voyage.





Te souviens-tu il y a un an ? Il y avait quelques personnes sous la grande croix quand tu as passé l'anneau d'or à mon doigt. J'ai été ton épouse Roman. Ce que Véra m'a expliqué n'est pas tout à fait aussi simple que ce que tu m'as écrit, même si, à présent que tu as choisi de me répudier, ça n'a plus aucune importance.

Malgré tout ce jourd'hui, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à cela. Je te revois encore, le visage fermé, entrer dans cette église. Ta cousine marchait juste derrière toi, et la sobriété de ta tenue contrastait avec sa robe rouge sang. Je t'avais accordé mon pardon, plein et entier, sans retenue, au premier instant de ton retour, quatre jours plus tôt, et pourtant ce jour-là, même si je voulais plus que tout devenir ton épouse, ce n'était plus pour les bonnes raisons.

Je t'aimais Roman, je t'aimais infiniment, de ce même amour qu'aujourd'hui encore je te conserve mais, tu avais entamé ma confiance, et je craignais que tu ne m'abandonnes encore, cette fois-ci pour de bon. Si je t'ai épousé un dix-huit novembre, c'était pour Milo, parce que, je préférais, si tu choisissais de me quitter vraiment, être une épouse délaissée plutôt qu'une gourde, engrossée par un séducteur. J'ai gardé cette peur encore quelques mois, jusqu'à comprendre que tu ne le ferais jamais plus, jusqu'à avoir retrouvé la même confiance que je te portais avant, et jamais je n'ai regretté de devenir ton épouse, même si ce ne fut pas toujours facile. Je ne regrette rien encore ce jourd'hui, qu'un baiser à de mauvaises lèvres.

Le pardon et la confiance sont deux choses bien différentes. J'ai bien conscience d'avoir brisé celle que tu avais placée en moi, mais s'il te plaît, Roman, accorde-moi ton pardon, juste ton pardon. Pour moi, mais pour toi aussi, parce que, tu ne peux pas détester autant celle que tu as suffisamment aimé pour vouloir en faire la mère de tes enfants, et pour tes enfants aussi, pour Milo, pour celui que je porte. Il est de toi, et tu le sais bien.

Roman, je te demande de reconsidérer ce que tu m'as dit au sujet de Milo. Il ne mérite pas que son père l'abandonne, et surtout pas à cause de moi. Il n'y est pour rien. La piste dans le Toulousain s'est avérée infructueuse, notre fils n'est pas avec les Dicesarini. Il ne me reste que cet autre espoir que j'avais suivi en Alençonnais. Cette femme qui peut-être aurait adopté notre fils. Elle était bayle d'un noble d'Argentan, mais elle a tout quitté du jour au lendemain pour partir vers la Bretagne. C'est donc là que je vais, sans plus indications que cela. J'ai conscience que c'est vague, mais je suis prête à écumer tout le Duché pour la trouver. Ça revient cependant à chercher une aiguille dans une botte de foin tant les terres bretonnes sont étendues. Ton fils a besoin de toute l'aide nécessaire, y compris de la tienne, pour retrouver celle qui s'en occupe peut-être à notre place. Elle s'appelle Alaynna Valassi, et je sais à présent qu'il s'agit de la femme que tu as épousée en premières noces. Aide-nous à la chercher, je t'en prie Roman.

Pour l'amour de Milo.

F.

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Roman.
Et tandis qu'il s'en allait à la guerre pour prendre en charge les soins de ses amis blessés, elles ne cessaient de lui renvoyer à la figure ce qu'il voulait faire disparaître de son âme. Il voulait la paix et non un surplus de tourments. Les siens lui suffisaient sans qu'il faille qu'elles en rajoutent. Qu'elles le laissent donc à ses errances ! Mais non, Fanette et Joanne ne baissaient jamais les bras, et leurs courriers lui étaient encore portés à l'auberge de Saumur où il avait fait halte depuis la nuit passée.



*écrite d'une main masculine inconnue*

Figglio mio,

Comment vas-tu ? Ma dernière missive t'a-t-elle blessé? Sache que je ne voulais en aucun cas nous mettre en froid. J'espère que tu ne m'en veux pas.
Je te donne tout de même les dernières nouvelles que j'ai. J'ai laissé Amalio à Périgueux. Il avait beaucoup de travail. A Castres nous n'avons rien trouvé. Ce n'était pas Milo dans la famille suggérée malheureusement. Cependant en prenant la route avec quelques gens rencontrés, j'ai croisé ton ex-femme à Angoulême. LIS JUSQU'AU BOUT ! Elle a une seconde piste et je vais donc l'aider. Nous partons pour la Bretagne. Sache que si ce qu'elle a appris est juste, celle qui aurait ton fils avec elle ne serait autre que ALAYNA. Fais en usage comme tu le souhaites.

Au delà de tout ceci, prends soin de toi. J'espère que tu te portes bien.
Donnes moi de tes nouvelles tout de même.
Ta madre qui t'aime et pense à toi.
J.


Il relut deux fois le nom que sa mère lui indiquait. Alaynna... cette autre femme, cette première épouse, qui elle aussi s'était détourné de lui pour un autre. Cette première épouse qu'il avait aussi rejetée. Cette première épouse qui avait, par folie et par ignorance, tué les enfants de lui qu'elle portait sans le savoir. La première à l'avoir fait souffrir.

Pris dans ses souvenirs, il parcourut distraitement la lettre de Fanette. Elle aussi mentionnait la Valassi... Il reposa les lettres, vidé de ses forces. Le destin se jouait de lui, et bien cruellement. Mais si Milo était avec Alaynna, alors, il n'était ni mort ni perdu, et au moins il savait à présent où se trouvait son enfant. La Bretagne, donc...

Il se perdit un long moment dans ses réflexions, écoutant d'une oreille distraite les crépitements du feu qui ronflait dans l'âtre de la salle commune vide.

Il ne prit pas la peine de répondre à ces lettres. De toute façon, ni Fanette ni Joanne n'avaient besoin de lui.

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Lison_bruyere
Limoges, le 13 décembre 1466


L'accueil était froid, non que Fanette détestât Lenù, mais elle ne savait pas vraiment la situer. Alors, elle avait opté pour un simple hochement de tête à son adresse quand elle l'avait trouvée à son retour, installée dans un fauteuil de la salle commune. Elle s'appliqua à s'occuper, virevoltant autour de l'étal, pour ranger quelques écuelles sur le dressoir, ramasser aux tables les chopes vides, ou surveiller la soupe du soir qui couvait au coin du feu. Mais sans doute, chacun de ses gestes trahissait son malaise, à sentir sur elle les prunelles ténébreuses de l'Italienne. Et finalement, c'est la brune qui avait rompu le silence, prétextant sans doute ses talents d'apothicaire pour s'enquérir de l'état de la future mère. Ce n'était qu'une porte d'entrée, car rapidement la discussion s'était portée sur Roman.

- Il est détruit.

Et à l'évocation de ces trois petits mots, ses dents vinrent saisir le coin de sa lèvre inférieure, s'efforçant de contenir les trois émotions qui la débordaient. La culpabilité ne l’avait pas lâchée depuis cette nuit d’août où elle avait trahi sa confiance, et tous les propos de Svan, de Joanne ou de Myr ne pouvaient rien y changer. Quels que furent les torts de Roman, les siens étaient plus grands encore. Le chagrin arrivait à part égale, car Fanette n’avait jamais cessé de l’aimer, elle pouvait imaginer sa douleur et en souffrait tout autant. Elle cherchait parfois à se rassurer sur son état, gardant de son diable la dernière image qu’il lui avait offerte, ignorant encore de sa présence, d’une démarche faussement nonchalante, d’un regard aiguisé, d’un sourire charmeur quand il saluait une jolie demoiselle installée dans une auberge d’Alençon, jouant de sa voix suave aux doux accents toscans. Mais les mots de Lenù lui confirmaient la vérité plus prosaïque d’une souffrance que l’Italien s’obstinait pourtant à nier, et ravivait l’étreinte souffreteuse de son cœur qui venait s’étrangler dans sa gorge dès qu’elle songeait à lui. Mais ce qui était nouveau, c’était la colère qui, depuis quelques jours se déversait parfois dans ses artères, cognait à ses tempes et lui rendait des couleurs que la fatigue, le manque d’appétit et les larmes diluaient à ses joues. Soit, il était détruit, mais se souciait-il de savoir si elle allait bien, dissimulant sous ses sourires le poison qu’elle s’était seule inoculé par l’infidélité de ses lèvres ? S'il lui faisait largement payer sa traîtrise, ne lui offrant que plus que mépris, il la poignardait plus encore en privant leurs enfants du soutien d’un père, et en les abandonnant à l’incertitude de l’avenir qu’elle leur offrirait. Elle avait déjà accumulé des dettes, que le comte avait en partie effacées, elle devait vendre la jument, et ne savait pas combien de temps encore elle parviendrait à conserver un toit pour son fils, et celui qui viendrait.

Elle tourna un regard vers la brune, crispant sensiblement ses doigts sur le verre qu’elle achevait d’essuyer, et chercha à refouler ses larmes, préférant l’agacement qui raidissait son échine et accélérait son pouls.

- Je ne crois pas être seule responsable de cela. Avait-elle soufflé d’un ton ferme, trahissant l’ire qu’elle nourrissait à l’égard du clan. Si on lui avait laissé un peu le temps de faire le point sur sa situation, sur le pardon qu’il m’avait pourtant accordé, au lieu de l’encourager à me répudier en lui disant sans doute encore combien j’étais indigne de lui, ou faible, ou je ne sais quoi ? Si cette garce d’Anaella ne s’était pas glissée dans ses draps aussitôt qu’il s’est relevé, encouragée sans doute par Amalio et Gabriele. Comment voulais-tu qu’il prenne le temps de penser à sa vie, à ce qu’il veut réellement dans ces conditions ?

Lenù la devisait, le visage impassible, acquiesçant parfois d’un hochement de tête, offrant toujours son calme et son écoute quand la fauvette luttait contre les émotions qu’elle avait toujours eu du mal à contenir. Et finalement, d’une voix douce et affirmée, elle s’était défaussée.

- Je ne me sens pas responsable, je suis arrivée bien après Fanette.

Elle haussa les épaules, plantant ses noisettes éclaircies de larmes contenues dans le regard sombre de l’Italienne.

- Bien après ? Mais, ça ne fait que quatre mois !

Elle reposa verres et torchon et se laissa choir, vaincue sur une chaise. Elle n’en voulait pas à Lenù, et en vérité, c’était bien à elle-même qu’elle en voulait le plus, se réservant malgré tout une petite exception pour Anaella. Elle avait compris dès le début, à Mende, bien avant que la brune ne rencontre Roman, qu’elle chercherait à mettre le grappin dessus à la première occasion. Tout, dans ses mots, dans le comportement mielleux qu’elle affichait en présence des Corleone, laissait entendre qu’elle voulait se faire accepter d’eux. Fanette était même persuadée que la fausse prude se ferait engrosser à la première occasion pour être bien sûre d’être acceptée du clan et de Roman. Dans la rancœur qu’elle nourrissait pour la jeune femme, elle avait juste oublié que son diable n’était pas un idiot et que ses déchirures ne l’avaient pas empêché de voir clair dans le comportement de celle qui était devenue sans surprise son amante. Il l’avait finalement éjectée, non seulement de sa couche, mais aussi de leur groupe. Si ça ne changeait rien pour Fanette, elle s’en était un peu consolée quand Lenù lui avait confié cette fin de l’histoire.

Elle soupira, appréciant malgré tout la franchise de la Napolitaine. Elle s’était épanchée sur ce qui les avait rapprochés, sur la place qu’elle avait prise à présent entre les bras de son ex-époux, sur nature de leur relation, basée simplement sur le besoin de se reconstruire, cherchant dans leur étreinte le ciment qui comblerait leurs failles respectives plutôt qu’un amour entier et exclusif. Fanette écoutait les paroles de Lenù, la quasi-perfection qu’elle attribuait à son amant, et l’évidence lui sauta aux yeux. Elle en tomberait amoureuse tôt ou tard, et si elle se refusait à le croire encore, c’est qu’elle aussi avait verrouillé son cœur, pour lui éviter de souffrir une fois de plus. Quant à Roman, ce n’était qu’une question de temps. Il panserait ses blessures, et comment ne pourrait-il pas s’éprendre de cette femme qui lui ressemblait tant, qui goûtait sans doute pour le sang le même attrait que lui. Il lui offrirait l’enfant qu’elle désirait, et s’efforcerait alors de ne plus souffrir de ceux qu’il avait voulu oublier, et qui le hanteraient toujours.
Fanette ne connaissait guère le sentiment de jalousie, c’était un trait de caractère exempt de sa personnalité. Elle avait gardé pour elle ses ressentis, ne prêtant à la brune qu’une écoute tristement résignée de n’avoir pas su conserver cet amour que son diable un jour offrirait à une autre.

Elle releva un regard vers la jeune femme, l’observant un moment. La perfection de son teint soulignait un regard sombre et affûté. La soie noire de ses cheveux coulait gracieusement à son dos, ordonnée dans une longue natte. Les lèvres charnues s’étiraient en un sourire bienveillant, mais elle les avait vues parfois se figer dans un rictus qui jetait alors à ses traits toute la glace de l’hiver. Elle était un peu plus grande que Fanette, et sans nul doute était-elle plus harmonieuse dans ses courbes, osant une poitrine plus généreuse, un galbe de hanches plus arrondi, indéniablement mis en valeur par la finesse de sa taille. Sa beauté était largement sublimée par son assurance, son maintien altier, et son habileté à dissimuler ses émotions.
Elles n’avaient rien de commun, quand Fanette était petite et menue, les hanches à peine élargies par un premier enfantement, et ne savait bien souvent contenir le rouge que l’embarras ou la passion glissaient à ses joues piquées de son. Elle trouva un semblant de réconfort à l’idée que, si Roman puisse aimer une autre femme, ce soit celle-ci, qui était si différente d’elle-même. Il serait bien plus douloureux de songer qu’il l’avait répudiée pour chercher en une autre les qualités qu’il avait aimées chez elle.

Et de Roman, elles avaient glissé sur les reproches qu’il s’adressait, et sur son incapacité à tenir la promesse qu’il avait faite de retrouver Milo. Fanette s’était révoltée en entendant Lenù expliquer que Roman ne se considérait ni comme un bon père, ni comme un bon époux. Pourquoi lui refusait-il le droit d’entendre ce qu’elle avait à dire là-dessus ? La brune faisait son possible pour le convaincre du contraire, mais il savait se montrer borné.

- Tout ce temps à m’entendre reprocher ma faiblesse, mes fragilités Lenù, parce que c’est bien ce qu’ils me reprochent tous, et en attendant, qui se montre faible ? J'ai bien plus de courage et de détermination qu'eux.

De nouveau sa voix s’étrangla, submergée par le refus de reconnaître à son diable le droit d’abandonner son fils, mais aussi par les peurs auxquelles la ramenait la naissance à venir.

- Je vais mourir Lenù.
- Ne dis pas de bêtises !
- La naissance de Milo ne s’est pas bien passée, la matrone a sauvé la vie de mon fils, et Roman a sauvé la mienne. Ma mère est morte en donnant naissance à ma petite sœur, juste un an après moi, tout comme cet enfant viendra un an après son frère. Si je meurs, je veux que mes enfants puissent compter sur leur père.


L’Italienne à son tour scrutait le visage d’une fauvette aux prises avec les larmes qu’elle s’efforçait toujours de refouler. Elle s’approcha, pour poser une main chaude à son épaule.

- Je peux t'aider si tu veux. Après le tournoi de Genève, je vais revenir.

Fanette releva vers elle de grands yeux surpris.

- Tu ferais ça ?
- Bien sûr, je ne suis pas un monstre, enfin, pas toujours.


Blondine acquiesça sobrement, en proie à l’incompréhension, et aux inquiétudes.

- Et si roman ne veut pas ?
- Roman ne prend pas de décision pour moi.

De nouveau la fauvette acquiesça, sans doute un peu timidement, et au prix d’un effort, parvient à lui souffler un merci, qui, s’il était à peine audible, était pourtant lourd de sincérité et de reconnaissance.

- L'enfant ne mérite pas cela. Si son père l'oublie, moi je ne peux le laisser venir à la vie en tuant sa mère ou mourir sans pouvoir sortir.

Elle avait recueilli ses paroles avec soulagement, tant qu’elle n’avait cette fois su retenir les larmes qui ourlaient ses cils. Peut-être se trompait-elle, mais elle était rassurée de savoir que Lenù serait là si elle perdait la vie en mettant son enfant au monde. Qui d’autre qu’elle ou Joanne pourrait convaincre Roman de prendre soin du nouveau-né, en pareille situation ?

La brune s’était retirée, avec toute la sobriété qui l’avait animé au cours de cet échange, mais avant de partir, elle l’avait une dernière fois enveloppée d’un regard ténébreux et qui pourtant n’avait rien d’hostile.

- Ecris-moi, il n’en saura rien.

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Lison_bruyere
Largement inspiré d'une conversation entre une Danoise et une Angevine



Lyon, le 18 janvier 1467


Quatre mois pratiquement sans nouvelles, et les deux presque sœurs s'étaient retrouvées, comme toujours, enterrant leurs rancœurs, riant, s'étreignant et finalement, dans l'intimité d'une salle commune presque vide, elles renouaient aux confidences.

- Je vais écrire à Seayrath pour lui dire qu'il est limogé de son poste de sœur intérimaire.

Bon, à vrai dire, le ton là, n'était pas encore vraiment aux confidences. La Danoise avisait plutôt la fauvette avec son air un peu narquois, son œil qui frisait et son sourire plein de malice. Et quand l'Angevine lui en avait demandé la raison, la réponse avait fusé, forcément évidente.

- Parce que je suis ton unique sœur pardi !
- J'suis bête bien sûr, mais tu sais, il n'a jamais été ma sœur, j'dors pas avec lui.


Fallait préciser que Fanette n'aimait pas dormir seule, et que, bien souvent, quand, du temps de son mariage, l'Italien s'absentait quelques semaines, la Danoise partageait sa couche, et poussait même l'amitié jusqu'à accepter qu'elle lui colle ses petits pieds froids sur la peau pour les réchauffer. Et c'est sans doute pour la taquiner qu'elle l'incitait à passer désormais ses nuits avec Seayrath, ou pour pouvoir lui reprocher d'avoir promu l'Angevin sœur et confidente à sa place, il apprécierait. A moins qu'elle ne cherchât juste à comprendre ce qui avait bien pu attirer sa petite sœur vers ce grand type qu'elle-même trouvait détestable. D'ailleurs, la malice s'était estompée de ses traits quand elle avait posé la question suivante, qui n'avait pas manqué d'imprimer à ceux de l'engrossée une petite moue incertaine.

- Il est quoi pour toi Seayrath ?
- J'sais pas trop. J'sais bien ce que tu penses, ce qu'il montre de lui dès qu'il y a du monde. Il est prétentieux, arrogant, il se croit tellement supérieur aux femmes, mais quand nous sommes seuls, il est vraiment différent, j't'assure. Je me sens à l'aise avec lui, en confiance. Il est gentil avec moi.


Bon, c'était peut-être un peu maigre comme explication la gentillesse, mais Fanette n'avait jamais vraiment su expliquer comment elle pouvait apprécier cet homme qu'elle aurait dû s'appliquer à fuir. Finalement, elle lui avait confié l'avis de Seay sur ce qu'ils étaient l'un pour l'autre.

- Il dit que notre relation est un peu ambigüe, à cause de l'attirance que nous ressentons chacun pour l'autre. Mais, j'sais pas. J'sais que je l'embrasserai plus, et que j'ai jamais été amoureuse de lui, pas plus que lui de moi.
- Tu dois sentir l'Angevine, je vois que ça !
Avait-répondu Svan en riant.

Fanette s'était fendu d'un rire elle aussi. Et quand elle avait précisé à la brune qu'elle ne pouvait pas être de celles que l'Angevin aimait, elle lui avait répondu que c'était une bonne chose, au regard des filles qu'il courtisait d'ordinaire. Et finalement, la discussion avait dévié quand la Danoise avait affirmé ne pas comprendre comment il pouvait courir tant de lièvres à la fois en étant amoureux d'une femme.

- Je l'ai bien embrassé moi, pourtant, j'aimais Roman.
- Toi, c'est pas pareil, tu as eu un moment d'égarement, lui, il couche avec tout ce qui écarte les cuisses.


Fanette n'était pas sûre de cette allégation. Elle baissa les yeux sur ses mains un peu nerveusement nouées. Pour la première fois, elle s'apprêtait à un aveu qui probablement, n'allégerait pas sa conscience, mais, sans doute éprouva-t-elle le besoin de faire preuve de plus d'honnêteté qu'elle en avait eu jusque-là. La confession fut un peu pénible, hésitante, appelant quelques silences entre les mots, tant elle en était honteuse.

- Il ne couche pas avec tout ce qui écarte les cuisses Svan. Sinon, cette nuit-là, dans le pré du vieux Ferdinand … En fait … en fait, je voulais pas vraiment l'embrasser … Je voulais pas vraiment l'embrasser mais, quand nos lèvres se sont trouvées … quand j'ai senti ses mains sur moi …

La brune l'écoutait. Son visage n'affichait plus aucune moquerie, elle ne riait pas, mais au contraire, l'enveloppait tout entière d'un regard bienveillant que Fanette s'appliquait à fuir, les yeux toujours rivés à ses mains, à la table, à n'importe quoi d'autre que celle qui l'écoutait.

- Quand j'ai senti ses mains Svan … S'il avait poursuivi … j'crois que je l'aurais laissé faire … Même si je ne voulais pas vraiment ça, même si c'était Roman que j'espérais. Il l'a bien compris, mais il aurait pu en profiter, et il ne l'a pas fait.

La fauvette osa relever vers sa presque sœur un visage un peu pâle de cet aveu coupable.

- Pourquoi tu as honte ? Ton mari ne te touchait pas assez souvent, et avoir contre soi un homme tendu de désir, je comprends que ça donne envie.

Fanette ne pouvait s'y résoudre, elle avait promis à Roman de s'accommoder de la vie qu'il lui offrirait, elle avait bafoué sa promesse, et manqué de céder à un autre bien plus que ses lèvres. Jamais elle ne saurait se pardonner cette trahison, et encore moins si l'Italien lui refusait son indulgence.

- Franchement Fanette, quand on voit ce qui s'est passé pour un baiser, ça n'aurait rien changé, sauf, peut-être que c'est son enfant que tu porterais, et non celui de Roman.

Seayrath avait évoqué déjà cette possibilité, et elle était plausible. L'Italien avait forcément engrossé son épouse quelques heures à peine après son escapade nocturne, car il ne l'avait pas touchée les douze jours précédents, et plus jamais après cette fois-là.

- Oui. Au moins, je trouverai plus juste le châtiment que m'impose Roman, mais, sans doute me sentirais-je bien plus coupable encore.
- Je crois que Roman aurait tué Seay, j'imagine même pas autrement.


La fauvette la regarda d'un air un peu dubitatif avant d'opposer un constat à cette idée.

- Il n'a pas tué Zilofus.
- Zilo ne t'a pas touchée, enfin pas comme ça, si ?


Un moment, l'interrogation qui se glissa dans le ton de la Danoise sembla se teinter d'un affolement que Fanette s'empressa de rassurer.

- Non bien sûr, mais il a entaillé mon ventre alors que je portais son fils, c'est pas mieux Svan.

La brune lui répondit d'une question qui la déstabilisa un peu.

- Tu lui en veux de n'avoir rien fait ?
- Ben, ça donne raison à Zilo quand il dit que mon époux n'a jamais rien eu à faire de moi, qu'il se moque bien de ce qui pouvait m'arriver. Tu en penses quoi toi ?


Elle releva vers elle deux grands yeux éclaircis de quelques larmes retenues.

- Fanette, tu veux vraiment que je te dise que pour une fois je suis d'accord avec mon crétin d'ex-mari ? Ils sont toujours là, à dire la famiglia machin, et un mec lève la main sur sa femme et rien ? A la rigueur, pour son frère, c'est son aîné, le respect tout ça, je peux comprendre, mais là on parle de Zilo !
- Il ne savait pas pour ce qu'a dit son frère.
- Il savait Fanette, je lui ai dit qu'il te menaçait, qu'il espérait que tu crèves.


La fauvette fronça imperceptiblement les sourcils, tandis que la brune continuait.

- Même son père t'a défendu contre Zilo. Son père quoi ! Son père te défend plus que lui, parce que en dépit qu'il ne t'apprécie guère, il a le sens de la famille. Alors, si Roman dit qu'il est un mauvais époux, je vais pas lui donner tort. Ce n'est pas en travaillant des semaines sans vous voir, toi et Milo, pour de l'argent qu'il avait déjà que ça fait de lui un bon époux.

Fanette encaissait, silencieuse, luttant avec la volée d'émotions contradictoires qui nouait sa gorge, le regard brillant, échoué au le chêne usé de la table.

- Après la naissance de son fils, tu as passé trois jours entre la vie et la mort, et quinze jours après, il repartait déjà.
- Ça n'a pas toujours été ainsi. On avait prévu de voyager, il m'a emmené où je voulais, la Normandie, la Bourgogne. Il m'avait promis la Toscane. Tout ça, c'est à cause de ce qui s'est passé à Vendôme.
- Vendôme n'explique pas tout.
- Vendôme explique tout, bien au contraire.


La fauvette n'en démordait pas. Son diable ne s'était pas caché d'être un assassin, mais il s'était toujours attaché à préserver son innocence en la laissant dans l'ignorance des meurtres qu'il perpétrait pour sa puissante famille maternelle. Tout avait basculé à Vendôme, quand, bien malgré lui, elle avait été mêlée à l'assassinat d'un diplomate espagnol et de deux gardes. C'est depuis lors qu'il partait sans elle, lui refusant le droit de savoir où il se rendait et la durée de ses absences. Il n'avait d'autres desseins que de la protéger mieux qu'il ne l'avait fait quand elle voyageait avec lui. Comment aurait-elle pu lui reprocher ?

- Ça explique tout, car il voulait me protéger de cette vie de crime qui est la sienne, et il a compris que c'était impossible. C'est pour cela qu'il partait sans moi, pour que ce qui s'est passé en Touraine ne se reproduise plus.
- Et tu te fanais dans ton auberge alors que tu rêvais de voyages.
- Il m'a rendu heureuse. Je l'étais quand je retrouvais ses bras et sa couche.
- Pour quelques heures Fanette, toutes ces absences pour quelques heures de bonheur, ça valait le coup ?


L'Angevine ne savait plus que répondre. Si la brune voulait lui ouvrir les yeux, lui donner des arguments pour effacer les regrets qui la rattachaient toujours à l'Italien, elle n'était sans doute pas prête à les admettre. Elle chassa les larmes qui ourlaient ses cils dans un profond soupir, et releva un regard pailleté d'or vers la Danoise.

- Je me sens si ingrate.
- Pourquoi ?
- Parce qu'il s'est efforcé de me rendre heureuse, de satisfaire toutes mes envies. Limoges, c'est moi qui voulais y vivre. L'auberge, c'était mon projet, et il l'a payée en grande partie. Il en réglait les factures, il faisait venir le chianti de Gaiole à ses frais. Il m'avait promis la Toscane, il m'y aurait emmenée.


Svan tourna un instant son visage vers l'âtre. Le reflet des flammes dansa dans les yeux de charbon. Elle semblait réfléchir, comme en témoignait la ride légère qui s'était creusée à son front, à moins qu'elle n'hésitât. Elle revint l'envelopper d'un regard bienveillant avant de poursuivre.

- Et si tout cela n'avait été simplement qu'une passion qui n'aurait pas dû durer ? Tu te vois ? Tu n'as pas vraiment l'allure d'une fille qui fait tourner la tête d'un Corleone.

Malgré la douceur compatissante dont savait faire preuve la Danoise, ses paroles plantaient une aiguille de plus au cœur de la fauvette. Elle s'était résolue à trouver des torts à son Italien, elle acceptait de l'avoir perdu, mais elle n'avait jamais remis en cause l'amour qu'il lui portait.

- Je n'sais pas Svan. Si tu avais raison, pourquoi m'aurait-il épousé, en dépit de sa famille qui n'approuvait pas ce mariage ? Pourquoi aurait-il voulu faire de moi la mère de ses enfants, parce que ça, ce n'est pas un hasard, il le souhaitait vraiment, sinon, il m'aurait informé des plantes que l'on peut prendre pour éviter d'être grosse. Il les connaissait parfaitement, quand j'ignorais tout de ces choses.
- Parce qu'il te voyait comme une gentille petite épouse qui allait l'attendre sagement, à qui il pouvait faire confiance.
- Tu veux dire qu'il ne m'aimait pas ?
- Bah, il t'aimait pour ce que tu représentais pour lui de stabilité, de sécurité, et toi tu l'aimais pour sa fougue, sa passion. Vous n'aviez pas les mêmes attentes, et fatalement est venu un moment où vous n'avez plus eu ce que vous attendiez de l'autre.

La fauvette écoutait, impuissante à retenir les pleurs qui diluait le gâchis d'un amour perdu, et il aurait fallu en plus, qu'elle se résigne à le croire plus ténu qu'elle ne l'avait pensé.

- Il a mis de la distance, et toi, tu as voulu vibrer ailleurs et tu as brisé la douce monotonie qui le sécurisait.
- Mais une seule fois, un seul baiser, je l'avais toujours attendu avant, sans jamais me plaindre. J'avais promis de m'accommoder de la vie qu'il m'offrirait et j'aurais continué à le faire.
- Une seule fois Fanette, une seule fois a suffi à lui faire réaliser son erreur. Si même une épouse docile, presque soumise comme toi pouvait aller voir ailleurs, c'est qu'il y avait un sacré souci, et le souci c'est lui, il le sait, sinon il ne dirait pas qu'il est un mauvais époux. Il ne le dit sûrement pas pour te faire mal, mais comme un fait, la conclusion de votre mariage.


Elle releva vers elle un regard noyé d'incompréhension.

- Mais s'il le pensait vraiment Svan, pourquoi ne me pardonne-t-il pas ? Je ne demande pas à ce qu'il me revienne. Il pourrait juste m'accorder son pardon, et son indulgence.

La brune secoua la tête doucement, ne sachant pas vraiment si elle pouvait lui apporter une réponse.

- Parce que tu le mets face à lui-même ? Parce que malgré tout, tu as brisé son cœur ? Parce qu'entre les folles qui tuent ses enfants et les dévouées qui le trompent, il est juste démuni.
- Ne s'est-il pas appliqué à briser le mien depuis que je lui ai avoué ma faute ? Je n'ai vu dans chacun des regards qu'il a posé sur moi depuis, que le mépris, la colère et les reproches qui me glaçaient l'âme et m'écorchaient le cœur.
- Et tu voulais quoi Fanette ? Qu'il éclate en sanglots et pleure sa douleur dans tes bras ? Il est orgueilleux, ne l'oublie pas !


L'engrossée éprouvée par ce que la conversation ravivait de chagrin ramena son visage dans ses mains, essuyant maladroitement ses joues. Elle resta un fugace instant, suspendues à ses souvenirs, puis glissa ses doigts à son ventre, laissant ses prunelles éclaircies de larmes effleurer les mouvements qu'elle distinguait sous l'étoffe de sa cotte. Le petit Corleone s'agitait encore, rappelant à sa mère qu'il n'aurait peut-être qu'elle pour veiller sur lui.

- J'aurais voulu qu'il hurle, qu'il se détourne peut-être, qu'il me frappe, peu importe, mais qu'une fois l'orage passé, il accepte qu'on parle de nous. Je voudrais que, même s'il décide de me répudier, il ne renie pas ses enfants qui n'y sont pour rien. Alors, si vraiment il s'en veut Svan, pourquoi ne nous accorde-t-il pas au moins cela ?
- Parce que c'est plus facile de t'en vouloir à toi. Tu crois que Zilo assume les coups qu'il m'a donnés, et les insultes ? C'est bien plus simple pour lui de me faire passer pour une nana instable qui le quitte toujours. Ils ont merdé Fanette. Ils ont merdé, alors maintenant nous, on peut en souffrir, ou bien tourner la page et avancer.

Avancer, n'était-ce pas ce que faisait la fauvette depuis que son diable l'avait privée de son soutien ? Ne s'était-elle pas appliquée à poursuivre sans lui les recherches de leur fils ? Ne tentait-elle pas malgré les difficultés de conserver l'auberge pour que ses enfants puissent avoir un toit au-dessus de la tête. N'espérait-elle pas, sans y croire vraiment, qu'un autre homme, un jour, saurait lui offrir ce dont elle manquait tant ? Et malgré tout cela, elle refusait de ternir l'amour qu'il avait eu pour elle, et qu'elle avait trahi, quelles que soient ses excuses, en mêlant sa bouche à celle d'un autre.
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Lison_bruyere
Bordeaux, le 18 février 1467

Elle avait passé une bien mauvaise nuit, sans doute remuée par les souvenirs évoqués avec Arsen. La soirée silencieuse s'était finalement égrenée en confessions chuchotées. Tour à tour, les craintes ou de bonheurs passés de l'un, hantant toujours les méandres de l'esprit, reprenaient vie et se déliaient doucement pour passer les lèvres, s'offrir à l'écoute bienveillante de l'autre, et le toucher d'un écho tantôt tendre ou douloureux. Non que leurs histoires se ressemblaient, mais, ils partageaient sans doute cette même mélancolie qui les liait à un passé qui ne reviendrait plus, et dont l'un et l'autre ne parvenaient encore à faire le deuil.

- Ecrivez-lui, au moins pour plaider en faveur de votre fils. Que risquez-vous de plus que l'indifférence dans laquelle il vous tient ?

Fanette avait déjà songé à le faire, dès qu'elle avait su l'Italien dans cette même cité, où ils étaient arrivés un peu plus tôt. Chaque soir au moment de trouver sommeil, elle se repassait les mots qu'elle lui écrirait au matin, et quand l'aube crevait le voile de la nuit, elle n'osait plus, craignant de raviver ses colères. Ce jourd'hui était différent, elle avait puisé son courage aux murmures de la veille.





Roman,

Accorde-moi de lire ce courrier jusqu'au bout.

Je ne sais comment débuter cette lettre, tant j'imagine que tu trouveras matière à t'agacer dans chaque mot que je tracerai pour toi. Pourtant, j'ai la sensation que toute la colère qui t'habite n'est pas entièrement dirigée contre moi, et que tu t'en réserves une bonne part. Pourquoi Roman ?

Pourquoi je ne parviens pas à reconnaître, dans les récits qu'on me fait de toi, l'homme dont je me suis éprise ? Tu n'as jamais été celui qui se morfond, celui qui abandonne. J'admirais ton courage et ta loyauté aux tiens. Je l'ai vu à maintes reprises dans le soin que tu as pris de moi quand je n'allais pas bien, comme dans celui que tu prenais d'eux. Je t'ai vu être la foi et la détermination qu'ils avaient perdu. Comment peux-tu à présent t'accuser d'être un mauvais père en te détournant de Milo, ou même te reprocher d'être un mauvais époux en me refusant ton indulgence ? C'est lâche. Il ne tient qu'à toi de reprendre courage, si ce n'est pour moi, au moins pour ton fils, et de cesser de te morfondre. Non Roman, ne souffle pas, et ose admettre que c'est ce que tu fais, non pour avouer ta faiblesse, mais bien pour la dépasser. Tu es un Corleone, et on m'a que trop fait comprendre qu'ils ne sont ni des pleurnichards, ni des faibles, alors mordiable, reprends-toi ! Pour ton fils, si ce n'est pour ta famille ou pour moi.

Milo va bien Roman. Il est bien avec ta première épouse, et j'ai rencontré un homme qui a pu passer un peu de temps avec lui. Ton fils a toujours la même peau claire, et les mêmes cheveux, de ce ton de châtain qu'il partage avec toi, et qui s'illumine de cuivre dans les jeux du soleil. Il a aussi tes yeux clairs, de la même teinte de lichen gris-vert que j'ai toujours aimé chez toi. On m'a dit de lui qu'il était un petit garçon courageux, curieux, et très déterminé, qu'on pouvait le deviner à l'éclat qui couve dans son regard, comme à sa façon de fermer ses petits poings.

Roman je t'en prie, tu connais Alaynna, quand j'ignore tout d'elle, de ce à quoi elle ressemble. Elle a prévu de retourner à Paris, suivre des cours de médecine à l'Hostel Dieu. Si mon ventre me le permet, j'y retournerai avec ta mère, mais qui mieux que toi saurait l'y attendre et la reconnaître ? Qui mieux que toi saurait lui faire accepter de nous rendre notre fils ? Elle l'a adopté, elle se croit sans doute légitime à l'élever. Tant de fois j'ai songé à ce moment où je la retrouverai. Que se passera-t-il ? Faudra-t-il que je lui arrache notre enfant comme on me l'a arraché il y a huit mois ? En serai-je seulement capable, sans qu'il ait à en souffrir ? Il a besoin de toi Roman, te ton aide. J'ai besoin de ton aide.

Tu crois sans doute que tu ne me dois plus rien ? Au non de quoi ? D'un baiser que j'ai égaré à d'autres lèvres que les tiennes ? Peut-être, mais Milo n'est pas responsable de cela, et à lui, tu dois tout. Tu es son père, et je sais que tu crèves d'amour pour lui. Je t'en prie Roman, il faut que tu t'en souviennes. Il est fait de chair et de sang, pour lui il n'est pas trop tard. Tu pleures assez ces enfants dont tu n'as été père que dans le souvenir de leur souffle perdu avant que leurs yeux ne puissent s'ouvrir au monde. Tout ce que tu n'as pu leur offrir de tendresse et de protection, tu peux l'offrir à Milo, et à cet autre qui viendra bientôt. Tu as toujours été dur aux sentiments quand on pouvait égratigner les miens d'un coup d'ongle, mais même si tu as enfoui tout l'amour que tu avais au plus profond de ton cœur, je sais qu'il existe toujours. Oublie-le pour moi, puisque ça te chante, mais ne le gâche pas pour eux, je t'en supplie, ils ne le méritent pas.

Roman, je t'ai déçu, et il ne se passe pas un jour sans que je le regrette. Mais tu n'es pas meilleur que moi, ni plus courageux, ni plus loyal. J'ai au moins autant de pardon à t'accorder que tu n'en as me donner. Sache qu'ils te sont acquis déjà, ils le sont depuis toujours, pour chaque blessure, pour chaque oubli quand j'avais besoin de toi, pour chaque regard détourné de Milo, pour chaque refus de cet enfant qui est tien et qui prend chaque jour plus de place dans mon giron. Il paraît que ce sera une petite fille. Et tu peux faire croire à tous le contraire, au fond de toi, tu ne doutes aucunement d'être son père, car si j'ai bien des défauts, le mensonge n'en a jamais fait partie, et tu le sais parfaitement. Tu étais encore mon époux quand tu l'as laissée au creux de mon ventre. Je me suis renseignée, ce ne sera pas une bâtarde, et qu'il te plaise ou non, elle portera le même nom que son frère, celui que tu m'as donné un soir d'hiver, et pour lequel nous avons chacun à notre façon, oublié nos promesses.

Retrouvons-nous avant que je ne reparte Roman, et je te parlerai de tes enfants.
S'il te plaît, pour l'amour que tu as d'eux.
Fanette

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Lison_bruyere
Ecrit à quatre mains avec jd Alaynna



Limoges, le 18 avril 1467


Fanette se redressa, brusquement happée par les pleurs de son fils. Milo hurlait, le visage ravagé de larmes inconsolables, debout dans son berceau. Une vive douleur lui transperça les reins, et contracta son abdomen, lui coupant le souffle, mais les hoquets de l'enfant ne pouvaient attendre. Pâle comme un linge, elle s'efforça de gagner l'alcôve, soutenant son ventre trop pesant tout en prenant appui sur le mur.

- Ne pleure pas gattino mio.

Elle avait conservé l'habitude de ces petits mots doux en Italien, qu'elle avait appris justement pour qu'il se rappelle que, bien que né en royaume de France, il était pour moitié Florentin. Elle espérait qu'il serait fier de ce double héritage. Elle tendit les bras vers son fils, le soulevant avec bien des peines mais l'enfançon se débattait, ravivant la douleur à ses reins, autant qu'une pointe cruelle en son cœur. L'enfant hurla bien plus fort encore, jusqu'à lui échapper, se tortillant jusqu'au sol.

Dans cette chambre chez l'Etrangère, où j'avais finalement accepté de me poser avec Anna, mais, avouons-le, uniquement parce qu'Aless y louait sa piaule également, je m'étais assise au pied de la couche de ma fille. Apollo était comme à son habitude couché près de moi, sa truffe reposant sur mes genoux, quant à Njörd, il s'était faufilé jusqu'au bout du lit d'Anna et s'y était installé.
J'observais la clarté du jour qui se reflétait dans la chambre, quand j'ai entendu les premiers pleurs. Malgré les jambes qui me démangeaient, j'ai pris sur moi et je n'ai pas bougé. C'est quand j'ai entendu les pleurs se transformer en hurlements qui s'en duraient bien trop longtemps à mon goût, que j'ai fini par me redresser, intimant à mes deux danois de rester dans la chambre auprès d'Anna.

Deux coups frappés à la porte de la propriétaire des lieux, et sans même attendre son aval, je poussais la porte d'un coup de botte pour assister au spectacle d'un Bambino en larmes qui du haut de ses petites gambettes encore mal assurées venaient à ma rencontre, ses petites mains s’agrippant à mes jambes, alors qu'il hoquetait lamentablement avant que je ne l'entende prononcer ce mot qu'il ne m'avait encore jamais dit et qui me pétrifia sur place.


- Mamma !

L'épuisement des derniers jours, la vive douleur qui ceignait ses hanches et ses reins, et le triste constat d'être une étrangère pour son propre fils eurent raison d'elle en cet instant. Fanette fit un effort pour maîtriser les larmes qui menaçaient ses cils, et se laissa choir dans le fauteuil installé près du berceau. Ses traits s'étaient crispés sur une moue douloureuse alors qu'elle regardait l'Italienne arracher l'enfant au sol, et qui déjà se calmait en enroulant ses bras à son cou.

Je restais coite un moment, avant d'embrasser la scène du regard. Il ne faisait aucun doute que la jeune femme que j'avais en face de moi était en souffrance. Et pas seulement du fait de sa grossesse. J'aurais pu finalement en ressentir une certaine délectation, mais ce n'était pas le cas.
Alors que je réconfortais l'enfant qui s'apaisait doucement, ses petits bras enroulés autour de mon cou, bercé par les mots italiens que je lui serinais doucement, je finis par m'adresser à sa mère.

" - J'peux m'occuper du petit si vous voulez. C'serait bien qu'il puisse passer un peu de temps avec sa s... avec Anna. Pour qu'elle lui dise au revoir. Et ça vous permettra de souffler un peu. Vous voulez qu'je prévienne quelqu'un qui vienne vous aider, ou bien ça va aller ?"


La fauvette les regardait, impuissante. Ce qu'elle avait tant craint se jouait là, devant elle. Elle savait que ça finirait par s'arranger, que ce n'était qu'une question de temps pour qu'elle apprivoise son fils de nouveau. Il était si petit encore, mais ce matin sans doute, il y avait la tension des derniers jours, la fatigue, l'urgence de savoir se débrouiller seule avec ce fils pour qui elle était devenue une étrangère, alors que bientôt, un nouveau-né ajouterait ses pleurs et ses sourires à ce lien qu'elle voulait renouer entre eux. Il y avait cette douleur qui lui ceinturait les hanches, alors, elle acquiesça, à regret. Elle prit une profonde inspiration, et essuya discrètement ses joues avant de parvenir à répondre.

- S'il vous plaît oui, emmenez-le un peu. Vous savez, j'avais l'habitude de l'aller avec lui au bord de l'eau, il est des berges tranquilles sur la Vienne. On écoutait les oiseaux, il semblait fasciné par les jeux du soleil dans les frondaisons. Servez-vous à l'office, prenez de quoi grignoter, pour vous trois, vous pourriez y aller si vous voulez. Je crains de ne pas avoir la force de l'y emmener ce jourd'hui. Je vais vous attendre ici, me reposer un peu le temps de votre absence.
Ne dérangez personne, ça va aller j'crois. J'ai juste besoin de repos.


Elle lui étira un sourire empreint tout à la fois de résignation, de regret et de chagrin. Quand l'Italienne s'approcha, tendant l'enfant vers elle, Milo sembla s'agripper plus encore à sa mère adoptive. Fanette ravala un sanglot, glissant une main tendre à sa joue, attardant ses doigts dans le châtain de sa chevelure. Elle accrocha un regard reconnaissant à la femme et les laissa s'éloigner.

Quand la porte se fut refermée, et que le silence eut envahi la pièce, elle ferma les yeux sur les pleurs qui inondaient ses joues. Mais de nouveau, son ventre se fit violence, lui coupant le souffle cette fois-ci. Elle chercha à se remettre debout, courbée par douleur, s'appliqua à calmer sa respiration, une main pressée sous le galbe de ses jupes. Elle laissa ainsi le temps filer, quelques instants, ou plus, elle ne savait dire, mais, l'inquiétude la gagna. Quand elle se sentit suffisamment ragaillardie, elle s'achemina vers la salle commune. L'enfilade des pièces lui sembla plus longue qu'à l'accoutumée, sa chambre, le bureau de Roman, la pièce qui tenait lieu d'office et de cuisine, et par-delà, l'ouverture qui donnait sur la vaste salle d'où elle ne percevait aucun bruit. Ce serait bien sa veine qu'elle soit déserte encore. Elle n'en su rien, elle s'était engagée de quelques pas vers l'arcade quand une nouvelle douleur l'écartela. Elle se rattrapa dans un cri à une étagère, y agrippa ses doigts pour ne pas tomber, et le long de ses cuisses, le liquide tiède s'écoulait déjà, trempant ses bas, ses chausses et ses jupes. Dans un souffle, elle parvint à appeler.

- Quelqu'un ! Y'a quelqu'un ?
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--Pierre.de.craon


La Trémouille, charmant village poitevin où on trouve des vêtements peu chers et de bonne facture. Et qui avait pour avantage de n'être qu'à trente lieues de Limoges. C'est là-bas que depuis un mois, Pierre Loiselier aka le papa de Fanette, prétendu mort et miraculeusement revenu parmi les vivants, travaillait et vivait. Il avait eu le courage de reprendre contact avec sa fille en juillet, le jour de ses dix-huit ans. Puis en décembre, il s'était volatilisé comme il était venu. Sans un bruit, sans fierté, juste partir pour ne pas nourrir la honte et la déception de sa fille d'avoir un père tel que lui. Parce qu'il n'a rien d'un père modèle, Pierre. A la mort de sa femme, il avait nourri son chagrin d'alcools forts et souvent frelatés. Il avait lutté des années durant pour faire de sa fille, ce tout petit être, résumé de sa famille, sa priorité. Mais il avait abandonné. Il l'avait abandonnée. Et qui connait Fanette, qui est un peu intime sait ce qu'elle a vécu avec les Messonnier. Tant que la grand-mère était vivante, cela restait supportable mais à sa mort, elle vécut l'enfer.

Mais comme on ne peut décemment pas tout lui faire vivre à cette pauvre enfant et qu'il est de bon ton de donner un peu de joie dans les malheurs de l'angevine, papa était réapparu après cette absence. Il avait mis du temps à se soigner, il avait pris le temps aussi de se faire présentable pour sa fille. Car elle ne lui en voulait pas de ses trop longues absences, ni de ce silence mortuaire. Elle le voulait près d'elle et il y serait. Alors après ce mois à travailler d'arrache-pied, à prendre tous les petits boulots qui passaient, jour et nuit, du plus ingrat au mieux payé, il avait pu s'acheter une tenue complète. Des bottes de cuir noir à sa taille tout d'abord et c'était la première fois depuis des années qu'il en avait à sa taille et avec des semelles qui ne prenaient pas l'eau. Puis une paire de braies marron ainsi qu'une chemise de lin beige pour les coordonner avec sa besace qu'il ne quittait pas depuis ses dix-sept ans. C'était la copie conforme de celle que Fanette possédait et qui appartenait à sa mère. Il eut même de quoi aller chez le barbier pour faire entretenir sa barbe qu'il gardait pour paraître enfin son âge. Il avait toujours paru plus jeune et il serait de mauvais goût qu'on pense qu'il était le frère de sa fille ! Angevin mais pas à ce point !

Alors comme promis dans sa dernière lettre, il passa les remparts de Limoges ce 18 avril 1467. Pierre inspirait longuement l'air frais du printemps comme si c'était la première fois qu'il respirait un air si pur. Le nez au vent, il profitait. Les rayons du soleil éclairaient son visage d'un teint frais et hormis ses grands yeux tristes, personne n'aurait pu deviner qu'il y a deux mois encore, il se laissait mourir, maigre et sale, affamé et ivre. Ses joues picotées par la brise fraiche rougissaient avec plaisir et malgré l'appréhension qui lui vrillait le ventre, il souriait. Un peu. Pas de large sourire pour Pierre. Le dernier fut pour son épouse. Depuis il ne souriait que dans de rares occasions et revoir sa fille en était une. Il avait lu, relu, rerelu, la lettre qui lui indiquait le nom de l'auberge qui lui appartenait et il arpenta les rues de la ville à sa recherche. Et quand enfin il se trouva devant, il hésita.

Qu'allait-elle penser de lui ? Allait-elle le reconnaitre ? Y aurait-il cette évidence entre eux ? Contrairement à ce que vivait Fanette avec son propre fils ? Pierre avait pu élever Fanette jusqu'à ses quatre ans ... est-ce alors suffisant pour se rappeler une voix, un regard ? Et peut-être que s'il n'avait pas entendu des cris dans la taverne, peut-être qu'il n'aurait pas osé ouvrir la porte, qu'il aurait attendu encore un peu, une journée, une semaine ... le temps de lui écrire, de lui dire qu'il était là, en ville.

Mais instinctivement, les cris le poussèrent à ouvrir la porte et à se précipiter dans les couloirs qui serpentaient derrière la salle commune. Et durant une seconde, une toute petite seconde, il s'arrêta et regarda le spectacle. Il la reconnut, bien entendu qu'il l'avait reconnue, il aurait pu la reconnaitre entre mille. Elle était là, sa petite fille, son tout petit bébé ... qui allait accoucher. Il revoyait aussi douloureusement son épouse, dans la même position ou presque quand il était revenu du marché, ce jour funeste où il l'avait perdue à tout jamais en mettant au monde leur enfant mort. Et dans sa tête, c'est l'explosion. Fuir, fuir, fuir, il faut fuir. Pendant cette seconde, il s'imagine tout et son contraire. Fanette ne l'a pas vu encore, il a le temps de fuir, de l'abandonner, de se voir décerner le prix du pire père au monde. Ou alors enfin assumer, enfin s'occuper d'elle, enfin faire quelque chose de bien, enfin être un père.

Il se précipita vers elle et sans un mot, l'aida à se relever. Il chercha ses yeux et lui sourit avec bienveillance. Il aurait aimé lui dire "ça va aller, papa est là ..." mais ne put pas. De quel endroit pouvait-il s'autoproclamer père après toute une vie sans l'être ? D'une voix douce et aussi calme que possible, il lui dit tout bas comme pour ne pas l'effrayer :


Viens, on va t'allonger sur ton lit, Fanette ...
Amarante.
Depuis quelque temps, déjà, la brune n'était plus que l'ombre d'elle-même. Arrêter, ce voyage Royal, lui avait fait plaisir et revenir à Limoges, avait été très apprécié aussi ... Du moins pendant un temps ... Maintenant, elle sortait très peu et chose extrêmement rare, la Bretonne était aller s'enfermer dans une Abbaye, alors qu'elle n'y allait jamais jusqu'à maintenant ... Elle avait perdu, l'envie de voir du monde et ses sourires étaient souvent un peu forcé, pour donner une illusion à ceux qui ne la connaissaient pas, que ça allait et cela fonctionnait plutôt bien.

Elle se forçait cependant à sortir, parce qu'elle avait promis à Mélissandre de ne plus s'enfermer avec les nonnettes et aussi parce que Fanette arrivait à son terme et qu'elle lui avait promis d'être là, pour le jour de la naissance. Donc la voilà qui marchait dans les rues de la ville, en direction de l'auberge, pour voir, comme elle le faisait de temps en temps, si tout allait bien. La veille, elle avait pu voir sa filleule heureuse, puisque son fils lui était enfin revenu. Elle était sincèrement contente pour elle, et pourtant, elle n'avait rien montré et rien dit non plus ... Comment expliquer ? Elle se sentait de trop et vraiment mal à l'aise, mais cet état de fait, ne s'appliquait pas seulement à Fanette, mais avec beaucoup de personnes, d'où son besoin de réclusion ...

Alors qu'elle marchait, ses pensées un peu perdues dans les courriers qu'elle avait échangés avec Zilo et sa conversation d'avec Fanette qui en avait suivi, elle bifurqua alors automatiquement pour prendre la ruelle et se diriger vers l'avant de l'auberge, quand son regard fut attiré par un chariot qui se trouvait à l'arrière du bâtiment, rempli de fûts et de provisions, que déchargeait son petit protéger ... À savoir Kieran. Ce dernier, étant occupé à remplir le cellier, n'avait pas entendu Fanette crier. La brune s'approcha du jeune homme et lui sourit doucement, quand il revint prendre une caisse.


Bonjour Kieran, je vois que tu travailles dur. C'est gentil à toi d'aider Fanette comme ça.
- C'est rien, c'est normal, dans son état, elle a besoin d'aide.
Oui, tu as raison et d'ailleurs, je vais aller voir comment elle va. Avec Milo revenu, elle va se fatiguer encore plus.

Elle laissa là, ce jeune homme, en qui elle avait le plus confiance, en dehors de son frère et fit le tour de l'auberge pour enfin pousser la porte et entrer dans la bâtisse. La salle commune était étrangement calme pour un endroit où un enfant vivait maintenant ... L'espace d'une minute, elle se dit qu'elle pourrait faire venir Catherine et Salomon pour que Milo soit avec d'autres enfants, mais pour l'heure, ce silence était presque trop oppressant ...

Fanette ! Vous êtes là ? Fanette !

Un petit coup d'œil dans la cuisine ... Rien. Elle se décida donc à aller voir l'étage ...
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Lison_bruyere
Elle releva doucement le nez sur la silhouette qui approchait. D'abord les bottes, dont le cuir, à peine souillé du sable des chemins, semblaient avoir encore la rigidité du neuf, puis, sur la hanche, une besace. Elle fronça les sourcils, reconnaissant celle que lui avait remise un jour son oncle, et qui s'ornait des cinq lettres du prénom de sa mère, brodées d'un fil de lin. La patine des ans s'était imprimée en rides profondes et désordonnées mais en avait rendu le cuir fauve bien plus souple et doux sous la pulpe des doigts. Son regard hébété y resta accroché un instant jusqu'à réaliser que nulle broderie ne venait l'agrémenter, et elle en fut soulagée. Noisettes poursuivaient leur ascension jusqu'à saisir l'expression bienveillante dont l'inconnu l'enveloppait.
Elle s'y perdit un instant, avec une impression étrange, jusqu'à l'entendre prononcer son prénom. Une moue interrogative s'empara de ses traits, bien vite balayée par une grimace, témoignant d'une nouvelle douleur tordant son ventre et lui coupant les jambes. Elle s'affaissa légèrement, soutenu des bras inconnus. D'un signe de tête elle lui indiqua la porte derrière elle, ouvrant sur le bureau qu'il faudrait retraverser pour gagner la chambre.
Si aucun son ne sortait de sa bouche, les questions balayaient les craintes qui étaient siennes en cet instant. Pourquoi cet inconnu connaissait son prénom ? Pourquoi son visage lui semblait tout à la fois étranger, alors que sa voix résonnait de notes familières ? Il l'aida à s'allonger, précautionneusement, calant son dos dans tous les coussins qu'il avait pu trouver dans la pièce, ôtant ses chausses trempées, tandis qu'elle détaillait chacun de ses gestes, mal à l'aise d'abandonner ainsi sa faiblesse à un inconnu, un homme de surcroît.

- S'il vous plaît ...


C'est un murmure qui s'écoulait des lippes trop blanches, presque une supplique.

- S'il vous plaît, il faut prévenir Lenù, Lenù di Massari. Dae ... Daeneryss, l'auberge près de la cathédrale, avec un nom étrange et un cerbère gravé sur la porte d'entrée. Demandez Daeneryss, elle saura où la trouver. Joanne di Medici aussi, et Amarante Dehuit...

Et avant qu'elle n'ait achevé sa liste de noms, de nouveau, sa mâchoire se contracta sur le mal qui lui broyait le ventre. Elle ferma les yeux, retenant un cri, un souffle, sa respiration, luttant contre la douleur en pâlissant davantage. Elle y était. Presque un an après la naissance de Milo, ses pensées se tournèrent vers sa mère, et sa certitude de ne pas voir l'aube prochaine se lever. Le sanglot qu'elle étouffa n'était sans doute pas dû à la douleur. Elle était terrifiée. Elle rouvrit les yeux sur l'inconnu.

- Je vous en prie, faites prévenir.
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