--Pierre.de.craon
Il y a dix-sept ans, il avait paniqué ne sachant que faire, comment agir, comment soulager son épouse qui se mourait devant ses yeux. Et pendant tout ce temps, il avait revécu la scène encore et encore. Se demandant à quel moment il s'était trompé, à quel moment il aurait dû agir différemment pour sauver l'amour de sa vie. Et sont-ce ces longues années qui lui permettaient à présent de paraitre si calme ? Rassurant presque. Même si dans sa tête, c'était une tempête de questions et d'interrogations. Il l'écouta, prenant sa main pour la rassurer.
Je ne connais personne ici Fanette hormis toi ...
Il y a un jeune homme dehors qui semble travailler pour toi.
Il lui prend délicatement le visage de sa main pour l'obliger à l'écouter et à se concentrer sur sa voix pour qu'elle ne pense pas aux douleurs qui vrillaient son ventre.
Je vais aller lui demander d'aller chercher les femmes dont tu me parles. Il va y aller et moi, je vais rester avec toi, jusqu'à ce qu'elles arrivent, d'accord ?
Il attendit un signe, un faible hochement de tête, un battement de cils, quelque chose qui prouvait son consentement.
Bien ... je reviens.
Relâchant sa fille à contre-cur, il se précipita dehors, paniqué. Là, il pouvait laisser la panique s'emparer de lui, le souffle court, le cur au bord des lèvres, les mains tremblantes. Il lâcha les noms, s'emmêlant certainement les pinceaux dans des consonances qu'il ne connaissait pas, tenta de les répéter, repris par le jeune homme ou pas, il n'en savait rien, il n'écoutait pas. Tout ce qu'il voulait à l'instant, c'était revenir avec sa fille. N'écoutant même pas ce qu'il répondait, il repartit en trombe dans la taverne, passa à l'office pour trouver un peu d'eau fraiche, un linge et avant d'entrer dans la chambre, il reprit son souffle.
Quelques secondes pour prendre sur lui.
Un sourire aux lèvres et il réapparait.
Venant s'asseoir à côté de son enfant, il lui passa le linge frais sur le visage et continua de lui parler.
Maman serait si fière de toi, tu sais ...
J'en suis certain. Tu as vu comme tu es belle ... et tu as bien réussi. Cette auberge est bien tenue. Et tu as tout un tas d'amies, ce sont tes amies, les femmes qui vont venir ?
Il prit avec douceur sa main pour qu'elle puisse la serrer quand une nouvelle contraction viendrait. Oh il la voyait avec les yeux d'amour d'un père pour sa fille car la pauvre Fanette n'avait rien de bien joli à cet instant. Entre les cernes des nuits trop courtes, les yeux tristes d'une vie qui est partie à vau-l'eau dernièrement. Les cheveux en pagaille, la mine défaite par le chagrin ou tendue par la douleur et pourtant ... pourtant, là devant lui, il avait la plus jolie des enfants. Un mélange parfait de ses deux parents.
Sans même attendre de réponse, il caressa sa joue et tendrement fredonna un air qu'il avait inventé pour elle, quand petite, il avait du mal à calmer ses pleurs.
Il était une petite fauvette
Qui enchantait tout le monde
Elle sifflait des notes fluettes
Et invitait ses amis à la ronde.
Mais le petit oiseau avait peur
Peur de se faire croquer
Par le vilain renard rusé
Qui jouait les vils flatteurs.
Mais papa oiseau veillait
Et quand le vilain futé
Tenta de manger son bébé
D'un bond, il alla la sauver.
De son bec, il picora le museau
Du vilain renard tout pas beau
Et sa jolie petite Fanette
Sous son aile enfouit sa tête.
Il se rappelait alors que la petite fille venait glisser sa tête sous son bras pour s'endormir en hoquetant encore des sanglots de ses nuits sans maman.