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[RP] Puisqu'elle a promis...

Alaynna
No, je ne suis pas un monstre. Je ne suis pas cette femme sans coeur et froide que je laisse souvent paraitre. Mon organe de vie a beau avoir été brisé et piétiné en mille morceaux, amputé d'une partie qui repose à jamais auprès du Novgorod, j'ai encore un coeur sous cette carapace que peu sont autorisés à franchir.

Il me suffit de le sentir tressaillir quand elle m'évoque la naissance de Milo et ses difficultés. De serrer les mâchoires jusqu'à m'en faire grincer les dents quand je réalise que toutes deux nous avons - encore - quelques points communs. Nous ne sommes pas vraiment faites pour enfanter. Elle a perdu sa mère en couche, j'ai vu la mienne mourir sous mes yeux en mettant au monde ces deux soeurs que je hais viscéralement toujours autant aujourd'hui.

Mes bleus tempêtueux viennent de capter le regard bordé de larmes. Quand ses doigts frôlent ma main, je les retiens un instant, en un geste de douceur inattendu, et ma voix s'en prend alors les mêmes teintes pour lui glisser quelques mots. L'appellant, pour une rare fois sans que cela ne m'écorche la gorge, par son prénom.


" - Fanette. Ne pleurez pas. Si je vous le demande, c'est parce qu'il faut que vous gardiez vos forces, et pleurer vous épuise et ce n'est pas bon pour le bébé.
Ecoutez moi. Cet enfant ne mourra pas, et vous non plus. J'ai ramené votre fils auprès de vous, ce n'est pas pour qu'il vous perde maintenant. Capito ?
Votre bébé est sur le point de venir au monde et vous allez l'y aider. Vous allez pousser et je vais tâcher de faire en sorte de le dégager rapidement. La tête, les épaules. C'est l'plus délicat. Après ça va aller tout seul.
J'vais pas vous laisser mourir. Aucun d'vous deux. Maintenant va falloir pousser c'est l'moment. Vous pouvez gueuler autant que vous voulez si ça peut vous soulager."


Il n'était plus temps d'attendre maintenant. Il fallait mettre cet enfant au monde. Tout en me replaçant entre les cuisses de la mère en devenir, je lui lançais un regard afin de l'inciter à faire sa part du travail.
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Lison_bruyere
Quand les doigts Italiens se serrèrent aux siens, Fanette accrocha le regard clair d'Alaynna. Malgré la douleur qu'elle sentait poindre de nouveau à ses entrailles, elle imprimait chaque parole qu'elle lui assénait, acquiesçait d'un signe de tête à chaque phrase. Et quand elle lui demanda dans sa langue natale si elle avait compris, c'est presque sans y prendre garde qu'elle répondit de ces mots qu'elle s'appliquait à apprendre depuis que Roman avait fait d'elle la mère d'un petit Corleone.

- Ho capito

Oui, elle avait bien compris, et si à cet instant, elle accorda à cette femme la même confiance que celle qu'elle avait placée en Lenù pour l'accompagner dans cette épreuve, elle n'en restait pas moins persuadée que si le Très-Haut avait décidé de la rappeler à lui, aucune des deux Napolitaines ne pourraient aller contre.

La brune libéra sa main et se redressa pour reprendre sa place entre les cuisses de la parturiente. Elle n'était pas si loin mais Fanette se sentit irrépressiblement seule. Alaynna était à portée de voix, elle sentait la chaleur de ses paumes encore posées pour l'instant à ses genoux, mais, tout cela était si différent de l'année précédente.

Tout au long de cette longue épreuve passée, elle n'avait jamais été seule. Joanne occupait tout l'espace de ses anecdotes tour à tour drôles, croustillantes, rocambolesques. Puis, il y avait Svan. Chaque douleur, elle l'avait partagée avec la Danoise qui lui offrait appui et soutien, qui avait épongé son front, souffert avec elle, soufflé à son oreille des encouragements quand les efforts écartelaient ses hanches et usaient ses dernières forces. Elle l'avait empêché de basculer sur le côté quand elle avait perdu connaissance, et ne s'était arrachée à la fauvette que quand la matrone l'y avait contrainte, pour nourrir l'enfant d'une mère abandonnée au seuil de la mort.

Dans le creux de sa main, la petite rune était tout ce qui lui restait de cette presque sœur. Elle resserra les doigts, sentant le bois s'incruster dans sa paume, pressé au béryl que lui avait donné Faust pour protéger l'enfant à venir. Le regard de l'Italienne se planta dans le sien, aussi sûrement que la douleur qui transperça soudainement ses chairs et suspendit son souffle dans un cri.

Le sort en était jeté.
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Jo_anne
Une fois n'était pas coutume, l'aveugle italienne était… en retard ! Jamais, o grand jamais dans sa vie elle n'était arrivée à l'heure quelque part… Et il était trop tard pour changer une habitude vieille de plus de trente années. Bref, la belle-mère arriva alors que Fanette criait… ou hurlait à vous de choisir. De loin elle avait entendu crier bien avant ça. Ne reconnaissant presque qu'aucune des voix poussant pareil beuglement. Elle s'était donc hâtée sur le peu de distance qu'il restait pour rejoindre celle qu'elle continuait d'appeler sa belle-fille malgré toutes les péripéties vécues.

Sa canne oscillant rapidement et donc un peu brutalement sur le sol, pour qu'elle puisse marcher plus vite, elle fit son entrée, cogna quelques meubles ou tibias, ne prêtant guère attention aux voix masculines peu connues et entra en trombe dans la pièce.


T'aurai pu m'attendre quand même ! Aucun respect pour les aveugles ici hein, on attend même pas la nonna pour commencer le travail !

Oui, Joanne est chiante. Elle fait semblant de râler pour essayer de détendre l'atmosphère et masquer son inquiétude. Se plaçant vite à proximité de la jeune femme qui crie sans doute plus fort que le bébé ne pleurera jamais, elle pose une main réconfortante sur son bras, lui soufflant des paroles réconfortantes à l'oreille. Elle avait connu l'accouchement en solitaire, et était plutôt ravie de l'éviter à Fanette. Certes, elle arrivait tard… Mais mieux valait tard que jamais. Et puis elle n'allait tout de même pas rater ça… C'était une histoire sacrément cocasse. Une histoire qu'elle raconterait à son fils et son époux avec un plaisir non dissimulé, pour les faire râler. Ils n'avaient qu'à être là. Quand la dernière épouse de Roman accouche grâce à l'aide de sa première épouse… Cocasse.
Ne restait plus qu'à espérer que le second enfant vienne plus facilement que le premier…

Le sort en était jeté.
Alaynna
Et c'est le moment ou l'Une s'en met à pousser qu'Aveugle s'en pousse la porte, et pénètre dans la pièce se dirigeant droit sur la mère en devenir, en train de crier.
Et l'arrivée de mon ancienne belle-mère me soulage grandement, même si je suis bien trop occupée entre les cuisses de la parturiente pour en montrer quoi que ce soit.
Je n'ai donc plus désormais qu'à me consacrer à cet enfant qui pointe le bout de son crâne, et laisser Joanne s'occuper de la mère. J'imagine que celle-ci devrait se sentir quelque peu réconfortée par la présence de la Matriarche Italienne et moins seule. Bien que je n'en sache foutrement rien pour ma part. J'étais seule pour ma fausse couche dans les geöles, j'étais seule lorsque j'ai mis au monde un enfant mort-né, et j'étais seule lorsque ma fille est née. Mais la mère légitime de Milo aura elle, la chance d'avoir la grand-mère de ses enfants auprès d'elle.
Et peut-être qu'ainsi, ses poussées seront plus efficaces.

Cela semble être le cas car millimètres par millimètres, le petit visage ensanglanté de l'enfant fait son apparition, et je me concentre, soutenant le petit crâne d'une main alors que l'autre s'en glisse, prête à accueillir petites épaules.

Voilà. On y est presque. Epaules engagées qui s'en glissent maintenant et le reste du petit corps s'en suit le mouvement. Je ne détaille pas l'enfant, simplement concentrée sur les problèmes qui pourraient survenir. Certes, je note qu'il s'agit d'une petite fille.
Mais je m'évertues déjà à couper le cordon,une fois m'être assurée des premiers pleurs de la nouveau-née, et glissant l'enfant entre des linges et me redressant pour la déposer entre les bras de sa mère.


" - Vous avez une petite fille. C'est à vérifier, mais je dirai qu'elle pèse moins de cinq livres, et qu'elle ne fait guère plus de seize pouces."*


Le bain de l'enfant viendra après. Dans l'immédiat, il me faut encore m'occuper de Fanette et de faire en sorte que les suites de couches se passent au mieux.

Mais je n'ai qu'une hâte. C'est d'en finir et me foutre le camp de cet endroit qui fait office pour moi, d'une véritable salle de torture. Je dois sans doute avoir le visage blafard fermé, le souffle opressé et les mâchoires contractées, alors que je lutte intérieurement contre toutes ces images qui me reviennent et se bousculent dans ma tête, d'un passé qui vient se rappeller cruellement et sans détours.

Au point de me donner la gerbe.

Je ne sais pas ce que j'ai bien pu dire ou pu faire, une fois que je me suis assurée que l'enfant allait bien, ainsi que la mère.

Si Fanette et Joanne m'ont parlé, je n'en aurai certainement rien entendu, j'avais le sentiment de me trouver emprisonnée dans un épais brouillard et de ne plus rien avoir d'autre comme perception.

Je ne me souviens pas même avoir prévenu le grand-père de la naissance de sa petite-fille. Je n'ai aucune notion d'avoir vu Alessandro ou pas.

Je n'ai pas non plus le moindre souvenir de l'endroit où je suis allée me terrer.

La seule chose dont je me souviens, c'est de cette douleur qui me vrillait le crâne et les entrailles, et d'avoir dégobillé tout mon soül, De ce ballet infernal que me jouait mon organe vital et cette sensation d'étouffer.
J'entendais le hurlement d'une bête blessée sans avoir conscience qu'il s'agissait de moi.

Non contente de m'avoir repris Milo, cette femme venait de me faire revivre les pires moments de ma vie, de réveiller mes démons, et de me replonger dans mes enfers.


* 40 cm
2,041 kilos exactement

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Lison_bruyere
Quand la main de Joanne se posa sur son bras, celle de Fanette vint la chercher, s'y agrippa, usant de ses dernières forces pour mettre au monde l'enfant qui depuis quelques heures déchirait ses entrailles. La tête lui tournait, le souffle lui manquait, la souffrance l'écartelait, mais elle était consciente. Chaque battement de cœur cognait à ses tempes, en écho aux battements rapides de la petite vie qui glissait entre ses cuisses, lui arrachant un dernier cri.

Le sourire las, mais le regard brillant de bonheur, elle avait accueilli sur son sein l'enfant sanguinolent enroulé dans un linge. Elle en détaillait chaque trait, partageant cet instant avec sa belle-mère. Sa main, maladroitement, effleurait le duvet roux du petit crâne, glissait à la joue minuscule, suivait le dessin des lèvres. La chaleur du petit corps pressé au sien diffusait à sa peau. C'étaient des sensations nouvelles, ou du moins, en avait-elle été privée quand elle avait mis au monde le petit Milo, presque un an plus tôt, alors, elle savourait l'instant.

Elle avait relevé son visage vers celui, fermé de la Napolitaine, mais de nouveau son ventre se contractait. Elle roula un regard affolé vers sa belle-mère, crispant de nouveau une main à son bras, mais la matriarche la rassura. Ce n'était que la secondine, et mieux valait qu'elle sorte, au risque de provoquer une fièvre puerpérale, ou peut-être la mort.
La Rougemont l'aurait brûlée ou enterrée, comme il était d'usage pour éviter que les démons ne viennent, mais, sitôt expulsée, la Valassi était sortie. Elle n'avait pas pris la peine d'apporter dans la pièce les seaux d'eau tiède déposés à l'entrée de la chambre par le balafré, ni même de prévenir quiconque. Prisonnière de ses démons, elle s'était enfuie.
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Lison_bruyere
Limoges, le 21 avril 1467


Les heures s'étaient égrenées après la naissance, sans que Fanette ne les voit passer. Dae n'avait pas pu trouver la Massari à temps. Quand elle était passée, la parturiente était bien trop faible pour en avoir saisi les raisons, mais peu importait. Stella était là, et malgré sa petite taille et son faible poids, elle semblait aller bien. Elle était active, et tétait goulûment.

Les trois jours suivants s'étaient avérés difficiles, mais, tandis que la jeune mère récupérait, elle pouvait compter sur l'aide de Joanne, et de son père. Pierre prenait ses marques, comme il le pouvait, découvrant petit à petit l'environnement de sa fille, faisant au mieux pour lui éviter les corvées. Et ce matin-là, plus qu'un autre. C'était l'effervescence chez la fauvette. Elle avait camouflé la pâleur de sa peau derrière quelques touches de vermillon, et passé un corsage blanc, comme les langes avec lesquelles elle avait emmailloté sa fille. A présent, elle attendait avec impatience qu'arrive le prêtre. Elle tenait absolument à baptiser la piccolina, mais le choix des parrains et marraines était en désaccord total avec les principes de la diaconesse de Limoges, qui avait refusé de célébrer le sacrement. Fanette avait alors dégoté, grâce au concours d'un client de l'auberge, un itinérant sans paroisse, et suffisamment porté sur la bouteille pour n'être guère regardant si on lui offrait suffisamment.

Fanette en revanche, était certaine de ne pas s'être trompée. Ursicin n'avait peut-être pas achevé sa pastorale, mais ce n'était qu'une question de jours ... de semaines ... de mois ... peut-être, mais au moins était-elle sûre qu'il prendrait son rôle au sérieux, et ne disparaîtrait pas dès qu'il s'éloignerait. Il était de ces amis que la distance et le temps n'étiolent pas. Quant à Lenù, elle avait promis, et si la plupart du temps, Fanette était mal à l'aise en sa présence, elle savait pouvoir compter sur la loyauté de l'Italienne. Elle aimerait et protégerait les petits Corleone s'ils n'avaient plus de mère, et leur rendrait leur place au sein du clan.
Un doute subsistait pourtant quant à sa présence ce matin. Quelques semaines plus tôt, les proches de l'aîné de Roman avaient subi l'assaut d'une armée, et nombre d'entre eux avaient eu des difficultés à s'en relever. Fanette avait cru comprendre que c'était le cas de la Napolitaine. Elle l'avait fait prévenir, mais n'avait eu aucun retour, et elle ignorait si elle pourrait être présente pour le baptême. Pourtant, elle ne voulait pas déroger à son choix, et avait échafaudé avec sa belle-mère un petit stratagème qui déplaisait fortement à son père. S'il en était besoin, Joanne, le temps de la cérémonie, se ferait passer pour la Massari, et signerait le certificat en son nom. Après tout, le curé ne les connaissait, ni l'une, ni l'autre.

Fanette avait évoqué ce temps des relevailles, où les mères impures n'ont pas le droit de sortir de chez elle, et l'homme de foi, moyennant un fût de bière supplémentaire avait accepté de pratiquer le sacrement al lupo. La jeune mère avait ramené dans le bureau de Roman bon nombre des chandelles qui éclairaient d'ordinaire la salle commune. Elle avait également installé une table sur laquelle elle avait posé le baquet à lessive et fait tiédir de l'eau. Le plein soleil s'écoulait tapageusement par la croisée, soulignant le fumet âcre des chandelles de suif qui s'accumulait doucement sous les solives du plafond. Que le prêtre arrive vite, car le bureau de Roman était bien moins vaste que la cathédrale où, onze mois plus tôt, le père Grégory avait baptisé Milo, et bientôt, la pièce ressemblerait davantage à un fumoir de charcutier.
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Ursicin
Un soleil triomphant éclaire en ce jour la ville de Limoges, une journée comme il fait bon avoir après des jours de grisailles et un moral en vrac. Sans savoir de quoi, j’ai l’âme échouée et le cœur qui tangue à m’en déchirer les pupilles. Entre ténèbres et éthers sirupeux, j’avance comme un funambule qui sur une corde d’ombre et de lumière.

Mais aujourd’hui tout va pour le mieux, la nuit fut douce dans les bras de mon aimée et le déjeuner copieux que je nous ai préparé lui a redonné le doux éclat et surtout c’est le grand jour. Après avoir vérifié que je ne ressemblais pas trop à un vieux contrebandier amnésique à tendance lyrique et surtout après avoir copieusement câliner mon aimée, je descends à pas lent les escaliers qui plonge vers la salle commune.

C’est calme point de client, tellement que je peux entendre d’ici la sereine agitation naissante du petit bureau niché au fond à l’abri des regards. Il y a aussi cette petite voix qui me dit que je ne suis pas digne et que je ferai mieux de partir. Je l’ignore du mieux que je peux, je sais que c’est faux, elle me susurre souvent que je ne rends pas mon aimée heureuse, ce n’est pourtant pas le cas alors pourquoi l’écouter aujourd’hui.
J’espère juste que le fais que je ne sois pas baptisé ne lui porte pas préjudice, ma lecture du livre des vertus va en ce sens mais je ne suis pas ce que le très haut a conçu de plus vertueux, je me débrouille juste pour être mieux que ce j’ai failli être.

J’avance lentement, vérifiant par la même occasion que mes bottes soient bien cirées et que mes vêtements tombent bien. Il serait peut noble de me présenter comme un gueux devant Stella et Fanette. La taverne me semble incroyablement longue et mes pas incroyablement lent, à moins que je ne sois encore incroyablement perché mais au moins ça me laisse le temps de vérifier que mes cheveux soient en ordre.

Je me présente à l’orée du bureau un léger sourire aux lèvres qui ne laisse en rien transparaitre, le trac de ne pas être la personne qu’il faut.

« Bonjour ! »
Lenù, incarné par Jo_anne
Le soleil ou les nuages, pour Joanne ça n'avait guère d'importance. Le baptême non plus d'ailleurs. Elle le cachait comme elle pouvait mais l'aveugle ne croyait plus tellement en l'existence d'un dieu tout puissant. Aussi, quand sa belle-fille lui avait demandé de venir, elle avait hésité. Elle trouvait toujours ces cérémonies très chiantes et pas très intéressantes. Même pour sa petite fille qu'elle aimerait plus que tout, évidemment mais tous les cérémoniales... Pourtant c'était devenu très intéressant quand sa belle-fille, généralement très sage et respectueuse, lui avait demandé de signer à la place de la marraine de Stella.

Évidemment, pour l'experte en fausse identité et en duplicité - quoi qu'un peu rouillée ces temps-ci - le défis ne pouvait être refuser. Aussi l'aveugle s'était-elle pointée à l'heure pour une fois. Joanne était toujours en retard, mais Lenù sans doute que non. Elle avait donc fait un effort, revêtu une robe jaune décente - cadeau d'un grand ami - et coiffé ses cheveux. Elle imaginait que Lenù était une très belle femme, alors elle faisait quelques ajustements pour paraître en être une. Et puis à tenue différente, caractère différent. Il lui en fallait peu à l'italienne.

Bref, la voilà qui se pointe. Et comme c'est à la maison, elle fait même l'effort de ne pas prendre sa canne. Elle s'est entraîné la veille à faire le chemin de sa chambre au bureau, à maintes reprises pour pouvoir se passer de sa précieuse amie. La voilà donc en robe, sans sa canne, à l'entrée du bureau à lâcher un "bonjour" sonore, sans regarder personne dans les yeux. Et d'avancer encore de quelques pas avant de se prendre une chaise ou elle ne sait trop quoi qui traînait sans doute sur le passage.


Et mer... je mets le bazar, je vous prie de bien vouloir m'excuser.

Ne pas jurer. Dialogue pompeux activé. Se redresser, lisser sa robe, et se statufier en attendant qu'on l'invite à bouger davantage. Elle sent déjà que ça va être long... Après ça Fanette, il te faudra l'arroser longuement d'alcool pour qu'elle survive tout de même.
Lison_bruyere
Milo jouait avec son grand-père, dans un coin de la pièce et Stella s'était rendormie, repue et propre. Fanette accueillit Ursicin avec un large sourire et l'invita à passer le seuil du bureau. Quand sa belle-mère le suivit, elle étira un sourire admiratif, avant de la saluer chaleureusement. Tout était prêt ou presque. La fauvette espérait encore l'arrivée de la véritable Lenù, même si Joanne ferait une doublure tout à fait crédible, et puis, ce n'était qu'une Napolitaine remplacée par une Florentine. Le Très-Haut saurait bien pardonner ce petit arrangement, ce n'était qu'une question de forme, le fond seul importait. Et il s'agissait bien d'attirer sur la dernière-née la divine protection, de lui octroyer un parrain et une marraine qui s'en préoccuperaient, et c'était bien là le cas d'Ursicin comme de la Massari, quand bien même sa santé ne lui permettrait pas d'être présente en ce jour.

Fanette s'éclipsa un instant pour accueillir le prêtre qui beuglait dans la salle commune. Le chien était venu baver sur sa bure, ça commençait bien ! Elle flanqua Huan dehors, et invita l'homme de foi à la suivre dans l'enfilade des pièces, après avoir glissé dans sa main la bourse promise. En traversant l'office, elle nota son regard qui traînait sur deux fûts de bière portant le seau de Sainte-Illinda.

- C'est par là mon père. J'sais pas trop de quoi vous avez besoin, j'ai rassemblé des chandelles, et un baquet à lessive avec de l'eau tiède. Le parrain et la marraine sont là, et j'me suis même fait prêter un livre des vertus. Ça ira ?
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Lison_bruyere
L'extrême-onction était à peu près le seul sacrement que pratiquait le prêtre depuis qu'il arpentait les chemins avec sa robe de bure. Un baptême, c'était presque jour de fête. Il déchanterait plus tard, quand il s'apercevrait qu'il n'était pas invité au banquet, et pour cause, la fauvette n'avait rien prévu. La seule chose importante pour elle, était le sacrement qu'allait recevoir sa fille, et elle n'avait pas eu l'idée d'en faire une fête. Après tout, il y en avait eu ni le jour de ses noces, ni pour le baptême de Milo. Pas grave, l'homme de foi avait repéré quelques tonnelets de plus à quémander, et au moins serait-il seul à profiter de la bière.

Il avait à peine salué les présents en entrant dans le bureau. Il souffla quelques chandelles en maugréant et sortit son attirail d'un large sac de toile grossière. Puis, commença à jeter du sel dans la flotte tiède qui emplissait le baquet à lessive, en psalmodiant les psaumes adéquats. Il se pencha ensuite sur le livre posé au bureau, et l'ouvrit à la page qui l'intéressait, avant de se retourner vers l'assemblée. D'un geste ample, il les invita à s'approcher légèrement. Fanette enleva délicatement sa fille du panier, et, la tenant tendrement contre elle, vint se placer entre sa belle-mère et Ursicin.

- Bien, bien ... Qui veut présenter cette enfant ? Et quel nom lui donne son parrain, et sa marraine ?

Fanette avança d'un pas, présentant le petit minois de porcelaine, lovée au creux de son bras. La dernière-née n'allait pas dormir très longtemps. Le prêtre commença à agiter ses mains au-dessus d'elle en marmonnant quelques mots à peine compréhensibles, puis déposa une pincée de sel sur les lèvres du nourrisson, lui tirant une grimace.

Il s'appliqua ensuite à lire un extrait de la prière universelle, avant de les entraîner vers le baptistère improvisé. Tout comme elle avait remis un an plus tôt son fils entre les bras de Gabriele, l'Angevine déposa Stella dans ceux d'Ursicin, puis guida la main de sa belle-mère vers l'enfant, comme il était de coutume pendant que le prêtre lui versait l'eau sur la tête. La piccolina se mit à hurler, éveillant soudain l'intérêt de son frère qui se faufila entre les adultes pour tendre ses petites mains potelées vers elle. La jeune mère l'arracha du sol, pour qu'il puisse voir ce qui se passait au-dessus de sa tête. Visiblement contrarié des pleurs de sa sœur, il se tortillait pour tenter de la toucher, agrippant la bure du curé quand, le doigt enduit du Saint-Chrême, il traçait une croix au front de la petite.

Fanette soupçonna l'homme de foi d'abréger la cérémonie pour échapper aux pleurs de la dernière-née. Il fallait bien reconnaître qu'elle compensait largement son faible poids pas une voix plus qu'affirmée. Sans doute entendait-on la pauvrette depuis la salle commune. Quand il prononça le souhait final, auquel, d'une même voix, tous répondirent Amen, on pouvait lire le soulagement sur les traits de l'aveugle. Et pourtant, on abordait l'instant le plus délicat pour elle. Si Lenù n'arrivait pas là, dans l'instant, Joanne devrait signer le certificat à sa place, et en son nom. Sans l'usage de ses yeux, la tâche risquait d'être ardue.
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Lison_bruyere
Limoges, le 28 juillet 1467


Elle lui avait laissé le temps de se rajuster, puis, lentement, le regard sans doute terni d'un non-dit, elle n'avait trouvé d'autre endroit pour s'asseoir que son genou, dans ce bureau qui ne comptait qu'une seule chaise. Les doigts de l'homme vinrent effleurer la joue piquée de son, en une caresse tendre à laquelle elle répondit d'un sourire un peu las.

- Je bénis chaque jour notre rencontre.

Elle acquiesça, silencieuse, se contentant de se laisser mollement aller contre lui. Deux bras se refermèrent sur elle, la pressant un peu plus contre son cœur, et délicatement, il posa un baiser à la chevelure blonde.

- Tu sembles soucieuse.

Elle ne l'était pas, c'était autre chose. Un peu plus tôt, quand le grouillot était venu lui remettre la lettre du Corleone, son cœur avait manqué quelques battements. Elle s'était assise pâle comme un linge pour lire les quelques mots froids couchés au vélin.

Combien de fois avait-elle souhaité que ses enfants ne manquent pas de leur père, comme elle avait manqué du sien, comme elle en manquait encore. Et à présent qu'il se manifestait, elle était perdue. Elle n'avait aucune intention de le priver de les voir, mais, qu'il puisse employer le verbe vouloir, quand elle avait imploré une aide qu'il s'était appliqué à lui refuser, la piquait douloureusement. Puis, il ne parlait que de Milo, et aucunement de Stella. Il avait su la planter au creux de son ventre, il était hors de question qu'il s'en détourne à présent. Elle persistait à ne pas comprendre qu'il ait pu abandonner ses enfants au motif d'un chagrin qu'il s'était infligé seul, par orgueil, préférant pleurer sur son sort que de se soucier d'eux. Il avait fait preuve d'une telle faiblesse quand elle s'était, contre toute attente, montrée bien plus tenace et déterminée. Et pourtant, quelle détermination lui resterait-il quand elle se retrouverait confrontée à lui. Elle n'oubliait pas l'éclat impertinent de ses beaux yeux de lichen, l'arrogance de son sourire, elle aimait tant le châtain de ses cheveux quand ils s'auréolaient de cuivre. Elle pouvait se souvenir du grain de sa peau sous ses doigts, jusqu'aux notes de musc et de lys qui l'habillaient encore quand il se défrusquait. L'encre froide gardait ces relents inavouables de l'amour et des regrets qui broyaient son cœur, quand c'est d'autres bras qui pourtant l'enlaçaient de tant de tendresse. Quand une grande main noire cherchait encore le chemin de ses cuisses alors que, se défaisant de l'étreinte, elle allongeait ses doigts vers le bureau pour saisir le courrier et le tendre à son époux.

Roman. a écrit:


    Fanette,
    Je voudrais voir mon fils. Si cette lettre te trouve à ton établissement de Limoges, fais-moi porter réponse à l'auberge municipale de Bordeaux.
    Roman


- Je ne suis pas soucieuse Bali, c'est juste, que je ne sais plus comment répondre à ça.

L'homme saisit le pli, émettant un léger grognement.

- Je vois. Tigist doit récupérer ses enfants ce soir, nous pourrions bientôt partir. C'est le père de Milo, il a le droit de le voir, je ne m'y opposerai pas. Mais, dis-lui que s'il ne vient pas rapidement nous serons partis. Qu'il le voit, mais sans rien nous imposer.

La réponse ne convenait qu'à moitié à la fauvette. Elle avait dans l'idée de l'y autoriser, mais, il restait l'enfant que Roman n'évoquait pas. Devait-elle attendre qu'il soit là ou allait-elle lui rappeler qu'il était père une seconde fois ? Elle se fia à l'avis de l'Abyssinien pour rédiger sa réponse, quelques heures plus tard.





Roman,

Je suis encore à Limoges, mais je dois partir. Je peux néanmoins attendre quelques jours de plus, si tu peux venir dans trop tarder. Milo a beaucoup changé, mais il te ressemble toujours autant. Il en va différemment de Stella. Elle est encore trop petite pour ses trois mois. Ton frère a dit qu'elle rattraperait sans doute les pouces et le poids qui lui manquaient en naissant, et qui lui manquent encore. Mais elle va bien et grandit, même si c'est doucement. Mon père dit qu'elle est le portrait de ma petite sœur, morte avant d'avoir vécu. Elle a aussi le même duvet roux, cette chevelure que portent aussi ta sœur Arsène, et ton neveu, Vittorio. Mais surtout, ses yeux changent. Ils étaient du même gris ardoise que Milo quand elle est venue au monde, et à présent, ils se sont éclaircis, par leur centre déjà, pour prendre cette teinte verte rompue de gris que tu partages avec ton fils. Elle aura vos yeux Roman, et si tu viens voir Milo, alors, tu ne pourras pas l'ignorer elle.
Nous t'attendrons jusqu'au septième jour d'août.

Fanette

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Roman.
Et voilà encore une lettre à laquelle Roman aurait bien des difficultés à répondre. Ces derniers jours l'avaient laissé bouleversé, non pas au sens déprimé du terme, mais plutôt en celui que ses certitudes avaient été mises à mal. Il avait accepté d'écouter Alaynna, et il avait entendu ses paroles. Il avait accepté d'arrêter de s'obstiner indéfiniment dans les mêmes reproches. Il s'en était senti soulagé, bien que l'ensemble de la conversation se soit avéré nerveusement éprouvant pour lui. Il était toujours terriblement, profondément blessé par le décès d'Andrea et Raffaele, d'autant que, ne les ayant jamais vus, il s'en faisait une idée onirique et empreinte de tristesse.

Quant à Milo, il le connaissait depuis sa naissance et n'avait aucun doute sur son héritage... mais il ne l'avait pas vu depuis tant de mois qu'il avait du mal à l'imaginer encore vivant. Mais la petite Stella... il était, pour l'instant, incapable d'en reconnaître la paternité. Il s'était tellement persuadé - mais n'était-ce pas par provocation et par vengeance ? - qu'elle n'était pas de lui ! Et cependant qu'il relisait la lettre de Fanette, de petits visages tendres, imaginaires, se peignaient dans son esprit, prenant au fil des mots quelques touches de couleurs...


Roman a écrit:
Fanette,
Je viendrai ces jours prochains. Je prends la route demain par le Périgord.
Je lis que mon frère est présent. J'en suis content. Je lui parlerai et je suis bien certain qu'il aura mille reproches à me faire. Autant que toi, je n'en doute pas.
Lenu m'a dit qu'elle était la marraine de ta petite Stella. C'est une bonne chose.
Je ne sais toujours pas quoi penser de sa naissance, mais je la rencontrerai, avec Milo.
Je ne souhaite pas me quereller encore avec toi. Cela n'est pas nécessaire. Je ne viens pas pour cela.
Roman

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Lison_bruyere
Limoges, le 5 août 1467


Le soleil tombait déjà derrière l'horizon de lauzes, et ne restait dans la salle commune qu'un jour moribond dont quelques lambeaux s'accrochaient aux flammes des nombreuses chandelles. Rien ne semblait changé à l'auberge du loup, les mêmes tables aux mêmes endroits, le même parfum de soupe qui se gardait tiède au coin d'un feu, et l'air frais du dehors, s'écoulant des croisées grandes ouvertes pour s'opposer à la chaleur des flammes. Pourtant le silence régnait à cette heure où elle aurait débordé de bruits et de paroles quelques mois avant, quand elle était la taverne la plus fréquentée de la ville. Fanette berçait sa fille, un regard un peu préoccupé, égaré sur la lourde porte. Trop de drames s'étaient joué entre les murs un peu décrépis de la grande bâtisse, à moins que les langues fielleuses de Limoges n'aient eu raison, ce que semblait penser Valyrian. Elle n'était rien d'autre qu'une fille bonne à s'appareiller à ces autres espèces d'hommes, un Italien d'abord, et pire encore à présent, un Africain, à la peau trop différente des leurs.

Elle en était sans doute là de ses réflexions quand le Corleone entra. Fauvette accrocha un regard à la silhouette déliée qui la jaugeait dans l'encadrement de la porte. Un fugace instant, une bouffée d'amour raviva ces détails qui l'avait séduite, les récits d'une vie rêvée aux accents chauds de la Toscane, le parfum du musc entremêlé au lys qu'elle avait tant goûté, la douceur de ses lèvres avides d'un baiser, la hardiesse de ses mains coulant à sa peau claire. Elle glissa au lichen de ce regard qui l'avait si souvent enveloppé de tendresse pour n'y lire rien d'autre que l'éclat glacé de l'indifférence, quand toute son attitude la morguait déjà. Elle chassa les souvenirs qui l'auraient fait chanceler au profit de la colère qu'elle lui devait, pour s'être montré si faible. Délicatement, elle reposa la piccolina endormie dans le panier garni de coussins et remonta sur elle le drap léger, ajouré de fines broderies.

Il s'approcha enfin, tout aussi silencieux qu'elle, s'affranchissant d'un bonjour qu'elle ne lui avait pas plus donné, bien incapable d'entamer un quelconque dialogue.

- Est-elle ma fille ?

La question la piqua, elle qui n'avait jamais ouvert ses cuisses à un autre que lui, jusqu'à ses secondes noces, quelques jours plus tôt. Elle s'interposa, mâchoires contractées sur la colère qu'elle retenait depuis trop longtemps et qui lui démangeait les mains. La gifle fut cinglante, écrasée à la joue glabre qui ne s'y attendait pas, aussitôt suivie d'une seconde.

- Ça c'est pour ce que tu as fait à nos enfants, et l'autre est pour ce que tu m'as fait à moi.

Il se recula, surpris de sa réaction, alors qu'elle cédait sa place devant le panier, la voix adoucie de la tension qu'elle venait de libérer en marques cuisantes sur sa belle gueule d'Italien.

- Oui, c'est ta fille.
- Tu te sens mieux maintenant, on peut parler entre adultes ?

Il avait rapidement retrouvé contenance, la toisant à son tour d'un regard sévère qu'elle soutint pour une fois sans ciller.

- Puisque Lenù et Gabriele me le disent, je le crois.

Les mots l'irritèrent de nouveau, attisant un chagrin tissé de courroux qu'elle ne pouvait retenir.

- Tu l'as toujours su Roman.
- Non.
- Tu me connais assez pour savoir que je ne suis pas une menteuse, si je l'étais tu n'aurais jamais rien su de ce baiser. Tu es juste trop orgueilleux pour le reconnaître.
- Je t'ai dit que je n'étais pas venu pour qu'on se dispute. Arrête de me gonfler avec tes arguments, puisque je te dis que je l'accepte comme ma fille.

Elle ne souhaitait pas plus que lui se disputer. Elle voulait juste qu'il lui accorde son pardon. Elle lui accorderait son indulgence en retour, mais elle avait encore bien trop de colère pour ne pas s'y prendre de la pire des manières, aussi jugea-t-elle préférable de s'abstenir de répondre.
Une débauche de sentiments contradictoires se bousculaient sous les boucles blondes, accéléraient la course de son cœur, et commençaient sérieusement à entamer sa détermination. Pourtant, elle luttait vent debout pour se tenir droite encore, dissimulant le tremblement de ses mains dans les replis de ses jupes tandis qu'elle l'observait. Il détaillait le nourrisson endormi, cherchant peut-être des traits familiers au petit minois de porcelaine. La seule ressemblance qu'on pouvait lui attribuer, hélas, était la teinte d'émeraude délavée de gris que semblaient vouloir prendre ses prunelles. Pour le reste, si la plupart lui trouvaient une parenté évidente avec sa mère, le père de Fanette assurait qu'elle était le portrait de Charlotte, sa jeune sœur qui, à peine née, avait emporté sa mère dans son trépas. Quant à ses fins cheveux roux, Stella les partageait avec ses deux tantes, Charlotte comme Arsène.

- Tu peux la prendre si tu veux.
- Pas ce soir, je sens la poussière, la sueur et le cheval. Où est Milo ?
- Il dort dans notre chambre, il est trop tard pour que je le réveille, tu devras revenir plus tôt.

Le visage du Florentin imprima une moue de désapprobation.

- Ta chambre.
- Ce n'est pas que la mienne, c'est aussi celle des enfants.

Elle avait omis de préciser qu'elle la partageait désormais avec l'ébène, qui justement, déboula des appartements privés, de l'autre côté de l'office. Il vint poser un baiser aux lèvres de la fauvette avant de se tourner vers l'Italien, dont les sourcils s'étaient arqués de surprise. Elle n'aurait su dire ce qui l'étonnait, de la silhouette massive de Tyrraell, de sa peau sombre ou des rides et de la balafre qui affichaient les quelques années supplémentaires d'une vie âpre.

- C'est le père des enfants Bali.

Les deux hommes se considérèrent, avant de s'adresser quelques mots sur un ton cordial à défaut d'être amical, offrant un peu de répit à la jeune mère. Si l'arrivée de l'Abyssinien l'avait soulagée, elle n'en restait pas moins encore sur la défensive, sans doute plus à cause de tout ce que la présence de Roman ravivait de souvenirs heureux et malheureux, qu'à cause de son comportement. Après tout, n'avait-il pas fini par exaucer ses vœux, en venant à la rencontre de son fils, comme de sa fille ? Elle prenait sur elle encore, refusant d'afficher une quelconque faiblesse quand ses jambes allaient à l'unisson de son sang qui courait un peu trop rapidement à ses artères, et elle tint bon, au moins jusqu'à ce que l'Italien consente à repartir. Si elle s'était effondrée ensuite, et si l'ébène l'avait réconforté de la plus charnelle manière, tandis que les deux enfants passeraient une autre nuit avant de profiter leur père, le Florentin n'en saurait rien.
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Lison_bruyere
Limoges, le 6 août 1467


Tierce venait de sonner quand l'Italien passa la porte de l'auberge. Il était rasé de près, et embaumait toujours de ce même subtil parfum qu'elle reconnaissait entre mille. Il s'était vêtu pour l'occasion d'un gippon de toile grise, dont le galon brodé d'argent aux poignets et au col attestait de la qualité. Il était ajusté à la taille et les manches fendues laissaient entrevoir au-dessous une chemise légère de soie blanche. Il déposa sur une table le baudrier et la fine dague qui pendait sur ses braies noires, plantées dans des bottes impeccables et de couleur identique, puis, toisa la fauvette du même regard inflexible que la veille.

Elle se contenta de le saluer d'un signe de tête, s'efforçant de garder à l'esprit ce qui l’amenait ici et qu'elle avait tant souhaité. Il avisa la salle d'un regard, s'attardant sur l'enfant qui jouait tranquillement dans un coin. Sans doute était-il pressé de revoir son fils, mais Fanette ne lui laissa pas encore cette possibilité. La petite demoiselle qu'elle tenait contre elle ne dormait pas, aussi s'approcha-t-elle, et, délicatement, la déposa dans ses bras.

- Je l'ai appelée Stella Lucia.

Elle les observa un moment, puis, oubliant sa colère, poursuivit.

- Je sais que tu émettais des réserves pour Stella quand nous cherchions un prénom, ignorant encore que Milo serait un garçon. J'ai gardé tout de même Lucia qui te plaisait, mais Lili n'a jamais cessé de m'aider à rechercher notre fils, et elle a semblé heureuse que je donne pour elle, ce prénom à cette enfant. Puis, regarde-la, ça lui va bien non ?

Dans ses bras, la fillette se tenait immobile, semblant suspendue aux expressions de son père, qu'elle décortiquait. Sa peau pâle mettait en valeur ses lèvres rosées, et le fin duvet roux qui couronnait son ravissant minois s'accordait à merveille à la teinte d'émeraude rompue de gris que prenaient ses prunelles.

- Elle est née le dix-huit avril. Elle faisait guère plus de seize pouces et pesait sans doute moins de quatre livres, mais elle a toujours été vigoureuse. Je crois qu'elle va bien, ton frère doit avoir raison. Elle deviendra une petite fille comme les autres.

Fanette chercha son approbation, sans doute plus celle du médecin que du géniteur, toujours un peu inquiète pour toutes ces fois où le nourrisson s'était mis à hurler des maux qu'elle n'avait su consoler. Stella observait toujours le visage de son Italien de père. Elle étira un sourire en agitant ses petits membres. Ses doigts graciles se tendaient vers l'homme qui la détaillait à son tour, et elle émit des petits cris aigus qui ne manquèrent pas d'attirer l'attention de Milo.
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Milo_amalio
Assis sur une couverture, Milo joue, restant malgré tout attentif à ce qui se passe autour. L'enfant a l'habitude de voir défiler du monde dans la salle commune. Devant lui sont étalées les petites marionnettes de tissu que sa marraine lui a fait envoyer pour son premier anniversaire. Il en tient une dans sa main, et de l'autre, la figurine à l'effigie d'un cheval qu'il aime par-dessus tout. Il la fait galoper sur le flanc du grand chien allongé de tout son long à côté de lui. L'animal impassible supporte patiemment chaque jeu du bambin. Il le suit quand le garçonnet part en courant sur ses petites jambes de plus en plus habiles, et parfois, lui offre soutien de son grand corps quand il est fatigué, et que son équilibre devient précaire. Pour le moment, il écoute à moitié endormi les histoires que le mini-Corleone baragouine dans un langage plus qu'approximatif, dont certaines syllabes prennent l'accent chantant de l'Italie, quand d'autres semblent avaler quelques voyelles comme le font les Angevins. Il ne parle pas vraiment, mais, tout le monde semble finalement le comprendre, et ça suffit à en faire un enfant insouciant et heureux, même s'il demeure toujours le bambin observateur qu'il était à son retour auprès de sa mère, presque quatre mois plus tôt.

Sa petite sœur a crié, pas de ces pleurs plaintifs qu'elle émet quand elle a mal au ventre, non. Il sait déjà faire la différence. Tout semble aller au mieux, elle doit être contente. Alors, Milo pose la marionnette, et se détourne un instant du dogue. Il fronce légèrement les sourcils pour détailler l'homme qui tient sa sœur dans ses bras. Doucement, il se relève, serrant toujours son cheval à sa dextre, puis se rapproche, peut-être un peu intimidé. Il contourne la table, pour venir se placer à côté de sa mère, prenant soin de la garder entre elle et l'inconnu.

L'Angevine lui sourit, écartant un bras pour l'attirer à elle. Elle s'assied et le hisse sur ses genoux, puis invite l'homme à faire de même. Si le bambin ressemble comme deux gouttes d'eau à son père, il a dans cette façon de plisser le nez les expressions de Fanette. Son regard miroir se plonge dans celui de l'Italien, glisse sur la petite fille, avant de se planter dans celui de la femme qui le tient tendrement sur elle. Elle lui sourit, rassurante, même s'il n'a pas vraiment peur.

- Gattino mio* ...

La fine main enveloppe la joue de l'enfant, quand les lèvres féminines égarent un baiser aux cheveux châtains.

- … è tuo papà*.

Elle prend soin de lui parler Italien, pour toutes ces phrases simples qu'elle a appris à maîtriser, malgré ses origines et son accent, plus ancrés dans les terres humides du nord que dans le soleil du sud. Cette langue paternelle, Milo l'entend régulièrement, si ce n'est de la bouche de sa mère, elle coule de celles de sa grand-mère et de son oncle qui n'en usent pas d'autres pour lui parler. Ils en feraient un parfait petit bilingue, à l'image de ses cousins et c'est tout ce que la fauvette a toujours voulu pour lui.

Il tourne un regard interrogateur vers elle, ne sachant pas trop faire encore le lien entre l'homme et ce mot qu'il a pourtant déjà entendu plusieurs fois, mais dont la notion est restée abstraite, faute de figure paternelle. Silencieux, il délaisse le visage de sa mère pour s'intéresser de nouveau à celui de l'inconnu. Il ne l'a jamais vu encore, et pourtant, il décèle sans doute quelque chose de familier dans ses traits. Ses doigts desserrent leur étreinte sur le cheval de bois, et il les allonge vers celui qui tient sa sœur. Un bras agrippé au cou de sa mère, il cherche à se redresser sur ses genoux, pour atteindre son but. Il veut toucher. De nouveau la petite main se tend vers l'homme et il vient effleurer maladroitement le contour de son œil gauche, y cherchant peut-être le dessin d'un serpent enroulé, qu'il a si souvent détaillé sur le visage de son parrain. La similitude de certains de leurs traits ne lui a pas échappé, aussi jeune soit-il. Alors, Milo reprend place sur les genoux de sa mère, et d'un geste affirmé, avance le cheval de bois vers l'Italien.

Comprenne qui pourra. Sa mère a compris elle, et elle lui sourit, fière de cet enfant, et étonnée par son esprit vif et déterminé.




* Mon chaton ... c'est ton papa.

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