Lison_bruyere
Paris, cour des Miracles,
Derniers jours de septembre
Elle avait remisé arbalète et épée dans la chambre de l'auberge, trouvant sans doute ces armes bien trop ostentatoires, surtout au vu du peu d'usage qu'elle savait en faire. Au lieu de cela, elle gardait contre elle, dissimulé dans une poche de son paletot un petit couteau, dont la lame ne dépassait pas une paume de long. Le manche de corne était patiné par les années, mais le fourbisseur de Limoges avait rendu le tranchant à son fil. Elle s'était échappée au petit matin, vêtue comme un homme, même si l'idée ne lui plaisait guère. Les braies sombres remplaçaient avantageusement des jupes trop encombrantes pour ce qu'elle avait à faire. Le beau ruban de soie orange que lui avait fait parvenir Svan à l'hiver nouait sa chevelure bien trop voyante qu'elle dissimulait sous son capuchon. Si la Danoise égocentrique l'avait privée de son soutien, elle se réconfortait à l'idée de ce précieux souvenir d'elle, tout comme la petite rune de bouleau qui ne la quittait plus.
Promesse était faite à Amarante de ne prendre aucun risque, et de ne pénétrer sous aucun prétexte dans l'orphelinat. Elle se faufilait le long des façades, luttant contre les nausées de ce début de grossesse, ignorant la fatigue qui parfois soudainement l'accablait. Elle lutait aussi vent debout contre la peur qui lui prenait les tripes à chaque fois qu'elle croisait un regard, ou qu'on la frôlait. Mais la fauvette déterminée poursuivait son chemin, silencieuse et discrète, arpentant ruelle après ruelle, revenant sur ses pas, se perdant parfois, tournant souvent en rond, mais, peu avant sexte, elle avait fini par trouver ce qu'elle cherchait, au fond d'une impasse qui débouchait dans la rue Réaumur. Les lettres rouillées, suspendues au-dessus d'une grille brinquebalante indiquaient « Orph linat Sainte-Cathe ine. »
Elle s'approcha doucement, abritée par l'ombre d'une façade. Au-delà du portail, la cour pavée semblait à l'abandon, autant que la façade vétuste, mangée d'une vigne vierge qui commençait à se teinter de rouge. La mauvaise herbe, revigorée par les premières pluies d'automne s'étalait tapageusement dans l'allée, et de part et d'autre était un foisonnement de buissons désordonnés qui pouvait presque donner à l'endroit un charme bucolique qui contrastait avec la crasse des Miracles.
Elle prit une profonde inspiration, pour tenter de calmer le fracas de son cur. La peur en l'instant se mêlait à l'espoir fou de revoir son fils. Si Montparnasse disait vrai, il n'était plus là, mais, pourtant, elle se sentait plus proche de lui qu'elle ne l'avait été depuis ce funeste jour de juin où on était venu lui arracher. Il était passé là, par ces murs, par cette allée, il avait franchi cette grille. Elle réprima un sanglot en essuyant une larme qui s'accrochait à ses cils. Et, d'une main tremblante, fit tourner la poignée de la grille, en surveillant les fenêtres de la bâtisse. Le fer grinça mais ne céda pas, témoignant d'une serrure verrouillée.
Elle observa un instant les alentours, évaluant la hauteur du mur qui reliait le portail aux façades aveugles des maisons adjacentes et en formait la clôture. Elle jeta un dernier regard inquiet à la demeure, et ravalant son hésitation, posa ses pieds dans les anfractuosités du mur pour se hisser par-dessus. Elle retomba souplement de l'autre côté et courut pour s'accroupir à couvert le long du mur. Le sang cognait presque douloureusement à ses tempes. Elle réprima un haut-le-cur, adossée aux pierres humides du soubassement, et laissa passer un instant, pour reprendre contenance, ou se faire prendre. Cette dernière possibilité lui rendit suffisamment de courage pour se relever lentement. Elle se glissa le long de la façade, se baissant sous chaque fenêtre, pour ensuite observer à la dérobée à travers les carreaux. En contournant la bâtisse, elle perçut des voix et osa toujours aussi discrètement un regard par l'une des deux croisées grandes ouvertes. A l'intérieur, plusieurs enfants étaient regroupés dans ce qui semblait être un réfectoire, sous la surveillance d'une femme au visage parcheminé et à l'air revêche. Elle dévisagea rapidement les gamins attablés avant de se couler de nouveau le long des pierres. Un voile de tristesse vint brouiller ses traits. Chacun d'eux était né des hanches d'une femme, quelles disgrâces les avaient donc privé de leur amour ? Courbée le long du mur, elle poursuivit sa progression, s'attardant davantage sur la pièce suivante. De taille modeste, un immense bureau de bois sombre semblait en occuper tout l'espace. Quelques vélins s'empilaient négligemment sur le cuir patiné, frappé d'un liseré doré, qui en recouvrait la surface. Le reste du mobilier se résumait à trois chaises et une étagère, sur laquelle quelques livres jouxtaient d'autres piles de parchemins parfaitement alignées. Elle passa sa main sur la fenêtre, et le vantail grinça en pivotant sur les paumelles.
De nouveau son cur fit un bond dans sa poitrine. Elle jeta un il autour d'elle. Personne. L'occasion de cette fenêtre ouverte se représenterait-elle ? Combien de temps pour l'enjamber, fouiller dans les papiers, ouvrir les tiroirs du bureau, trouver quelques indications du passage de son fils à l'été, et surtout, de la personne qui l'avait acheté ? Elle s'accroupit de nouveau, jambes tremblantes. Elle avait promis de ne pas entrer seule dans l'orphelinat, elle devait juste repérer la rue où il se trouvait. Si elle se faisait prendre, Amarante ne s'en rendrait pas compte avant le soir. Elle devait s'en tenir à ce qu'elles avaient prévu. A contre-cur, elle se résolut à quitter les lieux, avant que sa présence ne soit remarquée. Quelques toises à découvert séparaient la vieille bâtisse de la clôture. Elle couvrit la distance en courant, et escalada le mur aussi prestement qu'à l'aller, pour poursuivre sa course dans l'impasse. Débouchant essoufflée dans la rue Réaumur, elle réajusta son capuchon sur ses boucles et ralentit le pas, pour se fondre dans la populace, jetant parfois un coup dil inquiet par-dessus son épaule pour s'assurer qu'on ne la suivait pas.
L'impatience se lisait sans doute dans l'empressement de ses pas, dans la tension de son expression. Les nausées tenaient toujours son ventre, mais elle était parvenue à mettre de côté sa fatigue pour se hâter vers l'auberge des cinq sens. Y trouver refuge plus sûr en l'instant lui importait moins encore que d'informer la Bretonne de sa trouvaille. Non seulement, elle avait localisé l'orphelinat dans le dédale de rues qui tissaient cette cour des Miracles aussi crasseuse que dangereuse, mais s'il était là-bas des traces de son fils, elle savait dans quelle pièce les trouver. Rien ne comptait plus à présent que d'y retourner.
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Derniers jours de septembre
Elle avait remisé arbalète et épée dans la chambre de l'auberge, trouvant sans doute ces armes bien trop ostentatoires, surtout au vu du peu d'usage qu'elle savait en faire. Au lieu de cela, elle gardait contre elle, dissimulé dans une poche de son paletot un petit couteau, dont la lame ne dépassait pas une paume de long. Le manche de corne était patiné par les années, mais le fourbisseur de Limoges avait rendu le tranchant à son fil. Elle s'était échappée au petit matin, vêtue comme un homme, même si l'idée ne lui plaisait guère. Les braies sombres remplaçaient avantageusement des jupes trop encombrantes pour ce qu'elle avait à faire. Le beau ruban de soie orange que lui avait fait parvenir Svan à l'hiver nouait sa chevelure bien trop voyante qu'elle dissimulait sous son capuchon. Si la Danoise égocentrique l'avait privée de son soutien, elle se réconfortait à l'idée de ce précieux souvenir d'elle, tout comme la petite rune de bouleau qui ne la quittait plus.
Promesse était faite à Amarante de ne prendre aucun risque, et de ne pénétrer sous aucun prétexte dans l'orphelinat. Elle se faufilait le long des façades, luttant contre les nausées de ce début de grossesse, ignorant la fatigue qui parfois soudainement l'accablait. Elle lutait aussi vent debout contre la peur qui lui prenait les tripes à chaque fois qu'elle croisait un regard, ou qu'on la frôlait. Mais la fauvette déterminée poursuivait son chemin, silencieuse et discrète, arpentant ruelle après ruelle, revenant sur ses pas, se perdant parfois, tournant souvent en rond, mais, peu avant sexte, elle avait fini par trouver ce qu'elle cherchait, au fond d'une impasse qui débouchait dans la rue Réaumur. Les lettres rouillées, suspendues au-dessus d'une grille brinquebalante indiquaient « Orph linat Sainte-Cathe ine. »
Elle s'approcha doucement, abritée par l'ombre d'une façade. Au-delà du portail, la cour pavée semblait à l'abandon, autant que la façade vétuste, mangée d'une vigne vierge qui commençait à se teinter de rouge. La mauvaise herbe, revigorée par les premières pluies d'automne s'étalait tapageusement dans l'allée, et de part et d'autre était un foisonnement de buissons désordonnés qui pouvait presque donner à l'endroit un charme bucolique qui contrastait avec la crasse des Miracles.
Elle prit une profonde inspiration, pour tenter de calmer le fracas de son cur. La peur en l'instant se mêlait à l'espoir fou de revoir son fils. Si Montparnasse disait vrai, il n'était plus là, mais, pourtant, elle se sentait plus proche de lui qu'elle ne l'avait été depuis ce funeste jour de juin où on était venu lui arracher. Il était passé là, par ces murs, par cette allée, il avait franchi cette grille. Elle réprima un sanglot en essuyant une larme qui s'accrochait à ses cils. Et, d'une main tremblante, fit tourner la poignée de la grille, en surveillant les fenêtres de la bâtisse. Le fer grinça mais ne céda pas, témoignant d'une serrure verrouillée.
Elle observa un instant les alentours, évaluant la hauteur du mur qui reliait le portail aux façades aveugles des maisons adjacentes et en formait la clôture. Elle jeta un dernier regard inquiet à la demeure, et ravalant son hésitation, posa ses pieds dans les anfractuosités du mur pour se hisser par-dessus. Elle retomba souplement de l'autre côté et courut pour s'accroupir à couvert le long du mur. Le sang cognait presque douloureusement à ses tempes. Elle réprima un haut-le-cur, adossée aux pierres humides du soubassement, et laissa passer un instant, pour reprendre contenance, ou se faire prendre. Cette dernière possibilité lui rendit suffisamment de courage pour se relever lentement. Elle se glissa le long de la façade, se baissant sous chaque fenêtre, pour ensuite observer à la dérobée à travers les carreaux. En contournant la bâtisse, elle perçut des voix et osa toujours aussi discrètement un regard par l'une des deux croisées grandes ouvertes. A l'intérieur, plusieurs enfants étaient regroupés dans ce qui semblait être un réfectoire, sous la surveillance d'une femme au visage parcheminé et à l'air revêche. Elle dévisagea rapidement les gamins attablés avant de se couler de nouveau le long des pierres. Un voile de tristesse vint brouiller ses traits. Chacun d'eux était né des hanches d'une femme, quelles disgrâces les avaient donc privé de leur amour ? Courbée le long du mur, elle poursuivit sa progression, s'attardant davantage sur la pièce suivante. De taille modeste, un immense bureau de bois sombre semblait en occuper tout l'espace. Quelques vélins s'empilaient négligemment sur le cuir patiné, frappé d'un liseré doré, qui en recouvrait la surface. Le reste du mobilier se résumait à trois chaises et une étagère, sur laquelle quelques livres jouxtaient d'autres piles de parchemins parfaitement alignées. Elle passa sa main sur la fenêtre, et le vantail grinça en pivotant sur les paumelles.
De nouveau son cur fit un bond dans sa poitrine. Elle jeta un il autour d'elle. Personne. L'occasion de cette fenêtre ouverte se représenterait-elle ? Combien de temps pour l'enjamber, fouiller dans les papiers, ouvrir les tiroirs du bureau, trouver quelques indications du passage de son fils à l'été, et surtout, de la personne qui l'avait acheté ? Elle s'accroupit de nouveau, jambes tremblantes. Elle avait promis de ne pas entrer seule dans l'orphelinat, elle devait juste repérer la rue où il se trouvait. Si elle se faisait prendre, Amarante ne s'en rendrait pas compte avant le soir. Elle devait s'en tenir à ce qu'elles avaient prévu. A contre-cur, elle se résolut à quitter les lieux, avant que sa présence ne soit remarquée. Quelques toises à découvert séparaient la vieille bâtisse de la clôture. Elle couvrit la distance en courant, et escalada le mur aussi prestement qu'à l'aller, pour poursuivre sa course dans l'impasse. Débouchant essoufflée dans la rue Réaumur, elle réajusta son capuchon sur ses boucles et ralentit le pas, pour se fondre dans la populace, jetant parfois un coup dil inquiet par-dessus son épaule pour s'assurer qu'on ne la suivait pas.
L'impatience se lisait sans doute dans l'empressement de ses pas, dans la tension de son expression. Les nausées tenaient toujours son ventre, mais elle était parvenue à mettre de côté sa fatigue pour se hâter vers l'auberge des cinq sens. Y trouver refuge plus sûr en l'instant lui importait moins encore que d'informer la Bretonne de sa trouvaille. Non seulement, elle avait localisé l'orphelinat dans le dédale de rues qui tissaient cette cour des Miracles aussi crasseuse que dangereuse, mais s'il était là-bas des traces de son fils, elle savait dans quelle pièce les trouver. Rien ne comptait plus à présent que d'y retourner.
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