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[RP] Ange ou Démon ?

Lucas_storm
Cette journée du Dimanche, il la garderait sans doute longtemps en mémoire. Leyna avait finalement réussi à le convaincre de sortir et de s’aérer et il s’était rendu en taverne, exténué par ces journées de veille passées au chevet de Lutécien.
Taverne où il rencontra Ishtara, mère de Lutécien qui passait par Alençon.

Il fut d’abord content de l’y voir, car Lutécien serait ravi de sa présence et s’était dit sur le moment qu’ Emelyne avait bien fait de la prévenir. Mais il eut à peine le temps de saluer et d’entrer, qu’elle s’en prenait à lui, sans lui demander aucune nouvelle de son fils. Il en fut si surpris qu’il mit un certain temps à vraiment réaliser que personne ne l’avait prévenue. Et c’est à lui qu’elle reprochait avec insistance…
Il trouva cela si injuste. Lui qui n’avait été capable de ne songer qu’à Lute, le veillant à toute heure, focalisé sur ce souffle hésitant qui entrait et sortait par ses lèvres entrouvertes, priant à chaque instant qu’il ne s’arrête, Lute, qu’il avait refusé de quitter.
Lui écrire ? Il n’aurait même pas su où l’adresser cette lettre… ils ne s’étaient rencontrés qu’à très peu d’occasion, à la dernière visite d’Ishtara sur Alençon, lorsqu’elle était venue annoncer sa grossesse. Et aurait-elle même trouvé destinataire alors qu’Ishtara était visiblement sur les routes ? Il n’avait même l’énergie d’argumenter.
Et puis, Emelyne était sa belle-fille, la demi-sœur de Lute, n’était-elle pas mieux placé pour apporter si terrible nouvelle ? Elle avait bien vu l’état dans lequel il se trouvait suite à cette agression qu’avait subi Lutécien. Et elle savait où l’adresser, cette missive, elle…
A aucun moment Lucas n’avait ne serait-ce eu l’idée que cela n’avait été fait.
Mais ce n’était pas le moment de se disputer, n’est-ce pas ? Même s’il semblait bien qu’Ishtara n’avait aucunement envie de l’écouter, aussi bien quand il lui dit qu’elle était évidemment la bienvenue, afin de pouvoir passer du temps au chevet de son fils, que plus tard quand il avait essayé de lui expliquer qu’il ne le la jugeait en rien.
Car Ishtara, jusqu’à présent, les rares fois où il l’avait rencontrée, n’avait su que lui montrer un masque de froideur glaciale, même lorsqu’elle s’adressait à son fils. Elle l’aimait pourtant, ce fils. Ça Lucas, n’en avait aucun doute. L’acte d’adoption était un acte d’amour. Mais l’image qu’elle montrait était tellement à l’opposé de la seule image d’amour maternel que possédait Lucas comme référence que cela le déroutait totalement. Il avait besoin de comprendre cette énigme, mais énigme cela resterait pour le moment..

Ishtara lui avait ensuite posé la question fatidique, qui le choqua sur le moment. Lutécien et lui, étaient-ils amants ? Est-ce qu’on posait ce genre de question en taverne à une personne que l’on connaissait à peine ? Hors de question qu’il lui réponde. Est-ce qu’il demandait aux gens avec qui ils couchaient, lui ?
Malgré son extrême lassitude, il avait tout de même réussi à se retenir de lui demander les noms des siens, d’amant., Ce n’était pas la peine d‘en rajouter non plus. Elle était la mère de Lute… Et même si la fatigue, la douleur, l’angoisse avait mis à mal sa diplomatie naturelle, il se devait de faire un effort, pour Lute...

Il y repensa plus tard, au chevet de son Ange Blanc, se demandant s’il cela n’était pire de ne n’avoir répondu à la question finalement.
Puis il se perdit dans ses songes, alors que Lute dormait paisiblement sur sa couche.
Il se remémora leur histoire commune, leur rencontre il y cinq mois de cela à la taverne, Lute lui avait paru si fragile, hanté par son passé. Il avait besoin d’un logement et, il fut décidé le jour même, qu’ils partageraient tous deux la même chambre, chez Emelyne, que Lucas découvrit alors être sa demi-soeur.
Puis étaient venus les cauchemars, les premières bribes de souvenirs qu’il lui avait confiées, il s’était attaché à Lute, doux, sensible et travailleur alors qu’il étudiait la médecine sans relâche et son sentiment s’était transformé bientôt en quelque chose de bien plus fort. Lucas avait mis du temps à l’accepter, suite aux évènements tragiques de son passé, alors que l'image de Camille le hantait encore si souvent.
Cela lui faisait peur. Il avait son lot de cauchemars, lui aussi, qui le réveillaient et le laissait en nage. Ils s’étaient soutenus l’un l’autre.
Puis leur premier baiser... Ce moment inoubliable qui les avait rapproché encore. Lute était venu le soutenir et le consoler en taverne et l’avait embrassé, faisant naître une nuée de papillons dans le ventre de Lucas.
Puis l’aveu échangé, celui de leur amour.
Puis la promesse que Lucas lui avait faite alors, celle de ne jamais lui faire de mal, pas après le peu de ce qu'il avait appris jusque là de ce que Lute avait vécu, gamin, drogué, dans les bras d’autres hommes qui lui avaient volé son innocence. Il l’aimait trop pour cela. Lucas ne ferait rien que Lutécien n’émette le désir d’obtenir.
Et enfin l’emménagement, dans cette maison, qu’il avait fait rénover et qu’il avait agrémentée d’un jardin et d’animaux comme Lutécien lui avait révélé le vouloir à l’avenir lors d’une conversation qu’ils avaient eue un après-midi pluvieux en taverne. Manquait encore les chats et certains des gallinacées qui devaient compléter la basse-cour dans son projet actuel afin que cette maison corresponde aux vœux de son Ange. Peut-être des chevaux aussi, plus tard...

Lucas se laissa à rêver encore alors que Lutécien se reposait, sa main pâle dans la sienne, qui l’englobait en la caressant doucement du pouce pour lui faire savoir qu’il était là, à veiller sur son sommeil.

Puis vint le réveil.


Oh, why you look so sad ?
Oh, pourquoi sembles tu si triste ?
The tears are in your eyes,
Il y a des larmes dans tes yeux
Come on and come to me now.
Viens et viens à moi maintenant
And don't be ashamed to cry,
Et n'aie pas honte de pleurer
Let me see you through,
Laisse moi voir ce qu'il y a en toi
'Cause I've seen the dark side too.
Car moi aussi j'ai connu de mauvaises périodes
When the night falls on you,
Quand la nuit te tombe dessus
You don't know what to do,
Que tu ne sais pas quoi faire
Nothing you confess
Rien de ce que tu confesseras
Could make me love you less.
Ne pourrait diminuer mon amour pour toi
I'll stand by you,
Je serai à tes côtés
I'll stand by you,
Je serai à tes côtés



Lutécien lui raconta tout à son réveil. Tous ces souvenirs, qu’il avait retrouvés et dont Lucas connaissait déjà quelques bribes.
Lute commença par raconter la génèse de ce coup de couteau qui avait failli lui coûter la vie :
Le jeune Lutécien, un gamin encore, forcé à regarder, un couteau planté dans son flanc, son frère se frère torturer ainsi par des Corleone. Mais qui diable étaient ces gens pour infliger cela à un gamin ? Ne pouvaient-ils le laisser en dehors de leurs histoires ? Lucas l’avait écouté, le coeur serré.

Lute lui raconta s’être vengé ensuite, enlevant le nouveau né de l’un d’eux afin de le confier à une dame noble pour lui éviter d’être élevé parmi de tels criminels et lui offrir la possibilité de vivre une meilleure vie. L’acte était à la fois répréhensible et louable. Car bardé de bonnes intentions également. Un projet fou, né dans l’esprit d’un gosse ayant vécu une vie que Lucas savait traumatisante, même s’il n’en avait eu encore tous les détails. Et les détails, il les eut ensuite.

Le mal né, abandonné par sa mère, confié à un orphelinat où les enfants étaient vendus à des clients désirant passer quelques heures avec eux. Ce frère qui, malgré les mauvaises actions qu’il avait déjà à son actif, l’avait protégé en s’offrant à sa place, et qui avait fini par lui faire porter ce masque pour faire croire à la maladie et faire fuir ceux qui voulait profiter de son jeune corps d’une beauté angélique. Puis sa vente, par le directeur de l‘orphelinat, à un établissement marseillais où il travaillait avec les filles ... Les gens payaient cher pour l’avoir à leur disposition.
La fuite ensuite, et les retrouvailles avec son frère qui avait tué celui qui s’était lancé à la poursuite de Lutécien pour le récupérer. Ce frère qui l’avait sauvé et qui était tout pour Lutécien et dont les mauvaises actions avaient sans doute, pensa alors Lucas, rejailli sur la réputation du gamin que Lute était alors.
Au fur et à mesure de ces révélations, Lucas se sentait de plus en plus mal. Il s’était installé dans le dos de Lutécien, le tenant tout contre son torse pour lui apporter le soutien et réconfort de bras aimants. Les larmes du brun coulaient doucement sur ses joues alors que l’Ange racontait son histoire, qui n’était pas finie hélas.
Car vint ensuite l’adoption, par cet homme, alors client de son frère qui vendait son propre corps, qui abusa de Lutécien avant de disparaître. Ce père qui avait marqué sa possession au fer rouge sur la fesse, telle une bête de somme.

Lucas le laissait parler, encore et encore. Si c’’était difficile à entendre, plus encore devait-il l’être de le raconter, et par là même de le revivre. De temps à autre, pendant ces révélations, Lucas lui faisait savoir son soutien et son amour par un baiser. Comment un si jeune être avait-il bien pu vivre tout cela ?

Quand Lutécien se tut, Lucas lui embrassa la nuque doucement, lui demandant comment il se sentait. Le soulagement, celui d’avoir enfin recouvré la mémoire sans doute, la déception aussi, mais de quoi donc ? De ne pas croire être l’Ange que l’on croyait qu’il était, lui avait-il répondu... Cette révélation brisa le coeur de Lucas. Comment cela aurait-il pu être de sa faute ? Il n’avait fait que subir des actes immondes de la part d‘hommes plus immondes encore. Lucas le serra davantage contre lui.
Lute... ce qui t'es arrivé n'est en rien ta faute !
Ce sont les autres qui t'ont fait du mal.
Lute lui répondit alors avoir fait du mal lui aussi, à cette mère, en lui enlevant son enfant.

Lucas le berça tendrement en silence, espérant lui apporter le réconfort dont il avait besoin.

Lute était si fatigué maintenant, il ne tarderait pas à s’endormir.
Et Lucas le rassura doucement d’une voix douce :
ça ne change rien tu sais... pour moi… je t'aime et t'aimerai toujours… Lutécien l’avait alors regardé avec reconnaissance. Quoiqu'on t'ait fait...et malgré ce que tu as fait…

Puis Lucas le mena à sa couche et l’aida à se rendormir, s’installant à ses côtés pour veiller sur son sommeil.
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Amarante.
Depuis l'agression, la brune s'occupait du jeune homme en lui prodiguant les soins post-opératoires en relais avec Emelyne ... À chaque fois qu'elle venait le voir, elle était frappée par les traits de Lutécien. Précautionneusement, elle nettoyait la plaie recousue, vérifiait que la cicatrisation se faisait bien et qu'elle ne suppurait pas ... Il y avait bien eu une période de fièvre, mais ce n'était plus le cas maintenant ...

À chacune de ses visites, elle parlait un peu avec lui, mais évitait, autant que possible de prononcer le nom de Fanette. Elle ne savait pas si Lucas ou Emelyne lui avait dit qu'elle était la marraine de son agresseur, mais elle ne voulait pas que cela puisse entrer en considération ... Elle, ne jugeait ni lui pour ce qu'il avait fait, ni Fanette dont elle ne connaissait que la version ... Elle aurait pourtant aimé connaître celle de Lutécien, mais elle ne posait aucune question ... Ce n'était pas vraiment le moment pour cela et puis, elle savait qu'il en avait parlé à Lucas, celui-ci, le lui ayant dit ...

Lutécien, pouvait laisser cela derrière lui et avoir une vie, plus ... " rangé " ...
Il s'évertuait à cela, à en croire ce que disaient les personnes qui l'entouraient, sur l'avancée de ses études de médecine ... S'il s'y tenait, il changerait radicalement de vie et ce n'était pas plus mal ...

Elle parlait souvent avec Lucas en taverne. Elle lui avait même conseillé de poser une paillasse sur le sol puisqu'il s'inquiétait tant que cela ... Il serait proche et pourrait quand même se reposer et dormir correctement, ce qui ne serait pas du luxe pour le maire ...

Elle venait de remettre la chainse de Lutécien en place après le soin, elle ramassa tout ce qui étaient souillé en y mettant dans une petite bassine en métal qu'elle tenait entre ses doigts fins ...

Lutécien, je sais par Lucas que vous réclamez un bain, mais il faut encore attendre qu'Emelyne ait enlevé les files des sutures.

Elle se tenait devant le lit et le regardait, un petit sourire étirant ses lèvres ...

Évitez aussi de faire le " lit buissonnier " s'il vous plaît. Je sais que c'est dur de se reposer, mais c'est pourtant ce qu'il faut faire, vous avez perdu beaucoup de sang ...
Jouez donc de votre instrument ou étudiez comme vous le faites d'habitude ...

Elle le laissa un moment puis revint avec un bol de soupe et un bon morceau de pain qu'elle posa sur la chaise près du lit.

Mangez tant que c'est chaud ... Je reviendrais demain ...

Amarante, la mère poule était de retour. Elle le laissa ensuite, comme toujours et s'en retourna à ses propres occupations ...
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Emelyne.alois
Quelques cliquetis, puis un sourire.

- On inspire fort, on bloque sa respiration.
A trois, je tire.
Un.

Et Emelyne tira d'un coup sur les fils fraîchement coupés, agrémentant le geste traître d'un clin d'oeil malicieux et d'un sourire. Cela n'avait rien de bien agréable de sentir cette brûlure sous la peau lorsque les fils des points de suture glissait à travers la chaire blanche pour s'en libérer. La brune préférait donc faire durer la chose le moins longtemps possible, et d'en faire un moment amusant, à défaut d'être plaisant. Car après tout, le retrait de points de suture était un moment de nature heureuse ; elle marquait la fin d'une blessure, elle confirmait qu'il n'y avait plus de danger.

La médecin appliqua de l'huile de millepertuis sur la plaie refermée, pour apaiser aussitôt et aider à achever la cicatrisation, profitant de quelques tapotements sur les côtes pour s'assurer que tout était bien. Il y avait bien quelques trous nouvellement présents dans la peau, mais pas de renflement, de déformation, les os ne s'étaient pas écartés.

- La cicatrice est propre. Elle devrait s'effacer au fil du temps, pour ne laisser qu'une marque discrète que l'on ne remarque que si l'on sait où regarder, et avec beaucoup d'attention.
Attendez encore deux jours pour le bain, et ce devrait être bon. Ou alors couvrez d'un peu d'argile verte avant, à faire partir avec le bain. Je vais vous en laisser un peu.
Pour le reste, de la marche, pour se remettre en forme, mais pas de gros efforts physiques encore. On ne change pas le régime alimentaire non plus pour l'instant.

L'examen se finissait. Le teint était bon, pas de signe de cyanose, pas de souffle suspect, tout semblait aller. Elle adressa un sourire à l'assemblée, penchant légèrement la tête sur le côté.

- Amarante, Lucas, Lutécien... Bon travail. Si l'un de vous avait manqué à l'appel, sans doute que les choses n'auraient pas tourné aussi bien. Tout devrait aller à présent.
Et Leyna. Leyna est encore là ?

Emelyne nettoya à nouveau ses mains, et porta un regard soulagé sur son demi-frère. Quelques jours plus tôt, tout semblait sombre et difficile, et à présent, le ciel semblait plus clément.
Il est vrai qu'elle aurait dû écrire à Tara, c'était à elle de le faire. Mais la brune voulait s'assurer que Lutécien fût hors de danger pour le faire ; ou alors à l'antichambre du trépas. Elle avait jugé qu'il était dangereux de mettre à court-bouillon la rate d'une mère proche d'une délivrance avec une information incertaine.
Hélas elle et Papa les avaient pris de court et par surprise, en arrivant deux jours après l'agression, et la prévenance se changea en maladresse.

Où était Fanette, à présent ? Regrettait-elle ? La jeune Malemort tentera de lui adresser un courrier. Elle lui avait proposé de l'aide, autrefois. Emelyne n'avait dévoilé à personne le lien entre Amarante et l'agresseuse. Parce que cela ne changeait en rien la présence et les actes de sa cousine auprès du Blanc, et parce que ce n'était à elle de le faire ; seule Amarante le partagerait si elle en avait le souhait.

Lutécien était hors de danger, à présent.
Et pourtant... Tout n'était pas rose, tout n'allait pas reprendre simplement comme avant. Cela avait mis en exergue le passé de Lutécien aux yeux des témoins et des proches, et même aux yeux de la victime amnésique. La relation entre Tara et Lutécien serait différent. Les échanges entre Tara et Lucas ne s'étaient améliorés. Et qu'en serait-il du lien entre Amarante et Fanette ?
Lucas lui-même... Emelyne qui savait une part du passé du jeune homme se doutait de ce que ce coup de poignard avait dû éveiller chez lui, et des traces qu'il en garderait. Puisse-t-il en faire une revanche, car il venait d'accomplir ce qu'il n'avait eu la chance de faire autrefois.

Il y avait autre chose.
Désormais, les objets se mettaient à disparaître, et à revenir par magie, ou presque. Ou alors se retrouvaient dans les poches de Lutécien. Les doigts agiles saisissaient les objets à portée comme un réflexe de préhension de nouveau-né. Conscients ou pas, il fallait surveiller cette évolution.

La cicatrice s'estompera. Mais cette nuit-là laissera sa marque.
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Elvire_acoma
Bureau du procureur - Cour de justice d'Alençon, au coeur du Palais Ducal...

Tandis que la victime reprenait lentement mais surement des forces, veillée par les siens, le courrier de dépôt de plainte était arrivé jusqu'au procureur, par le biais d'un page ayant récupéré la missive au bureau public des plaintes pour le porter directement à la petite brune. Laquelle avait haussé un sourcil, avant de se signer et d'adresser, dans le secret de son bureau, une brève prière pour la guérison du jeune homme.
Prestement, elle avait ouvert une enquête, demandant des renseignements au prévôt sur les mouvements de celle qui avait commis cet acte horrible, pour apprendre qu'elle avait quitté le duché sitôt son méfait accompli, ce qui ne l'avait point surprise outre mesure. Les choses eurent été bien trop simples, autrement...

Quelques jours plus tard, une nouvelle missive du maire d'Alençon l'informait qu'il avait mené enquête de son côté, aidé de deux de ses amis, et qu'il avait ainsi retrouvé la trace de la criminelle, pensant savoir où elle se trouvait. Elvire était donc allée trouver le duc, lui exposant la situation et la proposition de "chasse à la femme". Sa Grâce ayant donné son accord, tant sur le principe que sur l'emploi de mercenaires, la petite brune fit passer une annonce pour le recrutement de gros bras prêts à traverser la moitié du royaume, dans le but de ramener manu militari ladite accusée.
De son côté, la procureur avait rédigé l'acte d'accusation, rassemblé les preuves fournies par le maire et les témoins présents le jour de l'agression, et se tenait prête à ouvrir le tribunal.
--Fanette_loiselier
Limoges, 6 octobre 1467


Emelyne.alois a écrit:
Fanette Loiselier,
Le bonjour.



    Je ne sais si vous vous rappelez de moi, et sans doute que mon écriture et mon scel vous sont inconnus et que mon nom vous est brumeux.
    Nous nous étions croisées il y a moins d'un an, dans le Duché alençonnais. Je me souviens de vous, enceinte jusqu'aux oreilles, désemparée, à la recherche d'un fils et à la sortie d'une entrevue avec votre ancien époux qui tentait de vous dissuader de vos recherches, et qui lui avait abandonné.

    De la provenance de ce courrier, sans doute que vous devez vous douter du sujet qui sera abordé.
    Il s'agit de Lutécien, mon demi-frère depuis le printemps. Je ne sais comment vous le prendrez. Peut-être n'avez-vous envie de savoir, peut-être cela vous rassurera ou vous décevra. Peut-être l'avez-vous déjà appris, par des voyageurs faisant courir rumeurs. Lutécien est hors de danger à présent. Il a survécu et il vivra sans séquelle, physique du moins.

    Je vous apporte cette nouvelle sans arrière-pensée. Peut-être serez-vous heureuse d'apprendre que vous n'êtes une meurtrière. Une plainte a été déposée à votre encontre, mais je ne sais où cela en est, ni où cela mènera. Sans doute nulle part.
    Ceci étant dit, je ne saurais me joindre tout à fait aux voix qui vous sont véhémentes à notre capitale. Mon métier de médecin me fait voir le monde sans jugement, ou plus précisément, sans condamnation. Nous sommes tous faits de sang et d'os, nous souffrons pareillement face aux maux, face aux blessures, et j'ai autant de peine pour les victimes que les agresseurs, qui, souvent, sont simplement des victimes potentielles qui s'en sont sorties. Personne n'est tout à fait violent sans raison. Il y a toujours une histoire, des défaillances, des manques, chacun de nous peut être l'agresseur. Je ne saurais donc vous en vouloir, comme les autres. Si votre geste reste un crime, j'ai la faiblesse de penser que d'autres à votre place, que vos détracteurs même sans doute, n'auraient pu s'empêcher de le commettre pareillement.

    Cette lettre n'appelle pas de réponse. Je souhaite seulement que vous ne vous sentiez seule pour un geste avec lequel il vous faudra vivre. Peut-être vous hantera-t-il, peut-être ne le regrettez-vous uniquement parce qu'il a échoué, ou d'avoir cédé à une folie incontrôlable. Si je souhaite comprendre, si je n'ai qu'une partie des réponses, si nous ne nous connaissons qu'à peine et peut-être jamais n'aurons de contact, sachez en tout cas, que si je ne vous soutiens tout à fait, tout du moins je compatis. Et quelques pensées vont pour vous.


L'On vous préserve,
Plein de bonnes choses,




Fanette se laissa retomber sur le fauteuil du bureau, ses doigts se desserrèrent mollement sur la lettre qui tomba au sol, elle pâlit. Par chance, Milo était parti avec sa Nonna, et hormis sa fille qui dormait au berceau de châtaignier dans la chambre voisine, personne n’était présent. Elle accusa le coup.

Dix-sept jours plus tôt, elle avait poignardé un homme plus jeune qu’elle, qui n’était déjà pas très vieille, par colère, par haine, par vengeance, sans réfléchir aux conséquences et voici que son geste la rattrapait. Lui c’était Claquesous. A cette époque, elle ne le connaissait que sous ce sobriquet, et il lui avait arraché son enfant le seize juin mille-quatre-cent-soixante-six. Dix mois durant, elle l’avait cherché, déterminée à chaque aube naissante, épuisée de larmes et d’impuissance au crépuscule venu, le ventre lourd d’une seconde grossesse alors même que son époux l’avait répudiée et la privait de son aide pour retrouver leur fils. Comment pouvait-elle laisser passer l’occasion de se venger pour le mal qu’il lui avait fait, pour les souffrances accumulées, pour son bonheur qui avait volé en éclat ce funeste jour ?

Qu’est-ce qu’elle pouvait bien faire après ça ? Elle s’était enfuie, et dans la nuit, avec l’aide de ses compagnons de route, elle avait franchi la frontière du duché pour se réfugier chez son amie Léo, dans le Maine. Mais quand, quelques jours plus tard, elle avait été avertie de l’arrivée en ville de deux Alençonnais, elle était partie de nouveau, et c’est chez elle, en Limousin, qu’elle espérait oublier ce passé douloureux. Limoges était à plus de soixante-dix lieues d’Alençon, elle avait naïvement cru que la distance suffirait à la faire oublier.

Elle se baissa et allongea ses doigts pour ramasser le courrier échoué sur le sol. De nouveau, son regard de noisette courait sur les arabesques d’encre et insidieusement quelques larmes s’accrochèrent à ses cils avant de rouler à ses joues. La bienveillance des mots la toucha, mais ils la ramenaient à l’horreur de cet acte, et les questions soulevées par la Malemort ne trouvaient aucune réponse satisfaisante.

Etait-il légitime de se faire justice ? Non assurément, et pourtant, pas un instant, l’idée d’aller déposer une plainte à l’encontre de Lutécien n’avait effleuré Fanette. Des tribunaux, elle n’avait qu’une image d’iniquité et d’immobilisme, acquise les trois fois où elle y avait eu affaire. Elle avait voulu le voir mort. Elle s’effraya de le penser, mais pourtant, si elle osait sonder le secret de son cœur, là, alors que sa main tremblante serrait encore le parchemin taché de ses larmes, elle regrettait qu’il respirât toujours. Ce n’est pas ce crime qu’elle jugeait légitime qui ferait d’elle une meurtrière. Elle l’était déjà, et sa conscience avait bien plus de mal à s’en accommoder, car pour sauver la vie d’un assassin notoire, c’est un garde qu’elle avait tué, un honnête homme a priori. Claquesous méritait d’être châtié, lui, son père, son frère, et elle assumait d’avoir été l’instrument de cette vengeance.

Pourtant il s’en était sorti, et c’est la peur à présent qui noyait son regard pailleté d’or, et traçait ses sillons de sel à ses joues. Emelyne n’était pas alarmiste mais si une plainte était déposée, elle mènerait à un procès, et que se passerait-il si elle était condamnée ? Allait-on la pendre ? Etait-ce le sort qu’on réservait à ceux qui avait cherché à tuer ? Risquait-elle la geôle, les fers ? L’image de deux enfants pleurant leur mère s’imposa. Qu’adviendrait-il de Milo et de Stella si on l’oubliait dans un cul-de-basse-fosse ?

Un claquement de porte retentit dans la salle commune. Elle se leva promptement, précipita la missive dans l’âtre, et passa ses mains sur son visage, cherchant à reprendre contenance, et les yeux sans doute encore rougis de pleurs, regagna son comptoir. Quelques clients devisaient à une table en réclamant de la bière. Elle les servit distraitement, l’esprit occupé à échafauder des solutions pour échapper à la justice. Elle abandonna rapidement l’idée de trouver le soutien de son nouvel époux. La confiance accordée de nouveau depuis l’épisode Lucile était bien trop ténue pour s’en remettre à lui. Il restait bien une solution. Qui saurait la trouver si elle quittait la ville ? Et l’occasion lui avait été offerte, elle n’avait qu’à la saisir.
Demain, elle parlerait à Tyrraell, elle devait le convaincre absolument de la laisser partir. Deux hommes promettaient une rétribution plus que convenable si elle leur servait de guide pour leur voyage à venir et distrayait leurs soirées de ses contes. Le travail était à sa portée, les finances du couple n’étaient pas suffisamment fructueuses pour refuser un gros salaire. Et si on venait la chercher dans sa maison, on ne l’y trouverait plus. Elle tenta de se tranquilliser à cette idée. Tout irait pour le mieux.
Claquesous
    J'espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir
    En osant te revoir, place à jamais sacrée,
    Ô la plus chère tombe et la plus ignorée
    Où dorme un souvenir !

    Que redoutiez-vous donc de cette solitude,
    Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main,
    Alors qu'une si douce et si vieille habitude
    Me montrait ce chemin ?

    Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères,
    Ces larmes que soulève un cœur encor blessé !
    Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières
    Ce voile du passé !




La convalescence avançait, plutôt dans le bon sens pour ce qui était du physique. Mais pour le reste, c'était une autre paire de manches.
Le Blanc dormait beaucoup, d'un sommeil agité et fébrile, mouvementé de cauchemard ou son passé revenait par brides.Il se trouvait que les souvenirs fusaient, bien plus douloureux que le coup de couteau porté par Fanette. Lui en voulait-il ? Il ne pouvait l'affirmer mais une chose certaine c'est que les premiers jours, il avait prié pour que la blessure l'emporte et mette fin à une vie trop dure...

Mais....
Parce qu'il y avait toujours un mais, cette petite voix qui vous murmure à l'oreille, qui vous fait prendre conscience que vous n'êtes pas seul.
Il n'aurait jamais pensé qu'après l'incident, des gens puissent encore prendre soin de lui. Et pourtant, ils étaient là, gravitant autour de lui, le soignant, le nourrissant.
Malgré ses yeux clos, chaque parole de Lucas restait imprégné dans sa tête, les douces attentions et recommandations d'Amarante, la présence de Zhou, de Leyna et Emelyne qui par ses gestes lui avait probablement sauvé la vie. Au fond de lui, il eût honte de penser à la mort alors que finalement il n'était pas si seul qu'il le pensait.
Sa mère adoptive aussi était venue, même si cela ne l'avait pas vraiment consolé...Et d'ailleurs, de quoi aurait-il pu être consolé ?

Entre deux siestes, il se surprit à penser à Enguerrand et son coeur se serra dans sa poitrine mutilée. Son grand frère lui manquait, son odeur, ses gestes, sa voix rassurante. Parce que oui, chaque monstre est l'être aimé de quelqu'un et malgré toutes les conneries de l'Aîné, le jeune Claquesous avait toujours aimé son frère d'un amour inconditionnel, refusant de voir la laideur en lui et le portant sur un pied d'estale.
Discrètement, tourné sur le coté, il avait par plusieures reprises caché ses larmes, les laissant rouler dans le secret de sa couverture, simulant par moment le sommeil pour dissimulé les cernes et le regard bouffé par le chagrin.



...La croix sur mon poignet, notre promesse, je l’emmène avec moi en enfer.
J’espère ne jamais t'y voir, parce qu’alors je mesurerais l’étendu de mon échec.
Prend sois de toi petit frère.
Promet moi que jamais tu ne deviendras pas comme moi…

La dernière lettre d'Enguerrand, Lutécien la connaissait par coeur. Il l'avait d'abord lue et relue, cherchant dans sa mémoire trouble le sens de ses paroles...Maintenant, il comprenait. Etait-il un monstre, lui aussi d'avoir enlevé cet enfant ? S'il ne regrettait pas son geste vengeur à l'encontre du père bourreau de l'enfant, il regrettait les tourments causés à cette mère . Dans le fond, il aurait dû s'en foutre. Combien de fois avait-il dû payé les erreurs de son frère ? Combien de fois l'avait-on pointé du doigt ? Même Fanette le faisait, ne voyant que cette fameuse histoire de viol dont Claque refusait d'y croire. Elle ne comprenait pas, ni ne voyait la détresse d'un enfant face à un frangin torturé...Alors dans le fond, pourquoi ne devait-elle pas payer les crimes de son mari, elle aussi ?
Toute cette histoire n'était qu'un cycle infernal d'une vengeance sans fin, de gens qui souffraient.
Aujourd hui, la balle était dans le camp de Claquesous. Il ne tenait qu'à lui de le faire payer à Fanette ou pas.
Tourmenté, il se laissait faire, ouvrait docilement la bouche pour prendre sa nourriture et ses potions. Il se forçait à sourire pour rassurerLlucas.
De nature pas très patiente et téméraire, il s'extirpait parfois de sa couche pour faire quelques pas, fumer un peu d'Opium et admirer l'automne qui se levait, appuyé contre le perron de sa petite cabane. Il observait la vie autour de lui, sans trop s'aventurer au dehors, souriait au son des cloches que Lucas avait accroché à ses vaches et gentiment, notre Blanc reprenait des forces et des couleurs.



    Eh quoi ! l'infortuné qui trouve une étincelle
    Dans la cendre brûlante où dorment ses ennuis,
    Qui saisit cette flamme et qui fixe sur elle
    Ses regards éblouis ;

    Dans ce passé perdu quand son âme se noie,
    Sur ce miroir brisé lorsqu'il rêve en pleurant,
    Tu lui dis qu'il se trompe, et que sa faible joie
    N'est qu'un affreux tourment !



Alfred de Musset

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Lucas_storm
Lucas esquissa un pâle sourire aux mots qu’avaient prononcés Emelyne après avoir ôté les fils de la blessure.

Il avait l’impression de n’avoir su faire grand chose pour sa part, si ce n’était de comprimer la plaie, empêchant au mieux le sang de fuir le corps inconscient de Lutécien, de l’avoir mis en sécurité au cas où la jeune femme ne s’en serait pas tenue à ce seul coup de poignard, et d’avoir fait appeler la seule personne qui pouvait le sauver : Emelyne. Bien sûr, il serait mort sans doute sans cela. D’ailleurs, Lutécien lui même l’avait remercié quand avait enfin commencé à aller mieux au bout de quelques jours. Remercié de de lui devoir la vie. Tu es ma vie, mon Ange. Tu ne me dois rien. Lui avait-il répondu, les yeux brillants de larmes contenues. Mais cela lui semblait si peu à côté de ce qu’avait accompli Emelyne. S’il n’avait été pris en charge rapidement, l’acharnement de Lucas n’aurait sans doute servi à rien.
Un tel sentiment d’impuissance l’avait d’ailleurs envahi alors que Lutécien recevait les soins nécessaires. Il s’en souvenait encore. Et cela le minait. Cette peur aussi, cette angoisse, vicieuse tel un serpent, froid, écailleux et affamé, qui avait niché aux tréfonds de son son esprit, s’y tortillant avec délectation...
Cela avait été heureux que ce drame se fût passé alors que Fanette et Lutécien ne se trouvaient seuls en taverne. Que serait-il advenu de Lutécien sinon ? Lucas l’aurait perdu à jamais, comme Camille…
Maintes fois il y avait songé. Cela tenait à si peu de choses. Ils revenaient le hanter, ces sentiments, souvent… Tout comme ces images de Lutécien, livide, inconscient et baignant dans son sang sur le sol de cette taverne, revenaient, faisant fuir Morphée, qui refusait alors de l’emporter dans ses bras réconfortants, le laissant las et si fatigué. L’angoisse… alimentée ensuite par les révélations de Lutécien sur son passé douloureux. Et si… il n’était hors de danger ? Si… d’autres, plus dangereux que cette femme, venaient à leur tour et cherchaient à venger cet enlèvement ? L’enfant avait un père aussi… et un père… capable d’actes abominables, un criminel... d’après ce qu’il en savait. Tout ceci se terminerait-il un jour, et comment ? Lutécien, si jeune encore, avait tant souffert déjà. Lucas aurait tant voulu pouvoir lui offrir un bonheur bien mérité, après tout ce qu’il avait vécu. Ne pouvaient-ils conjurer ce sort d’être mal né ? Il l’espérait de toute son âme. Lutécien lui avait semblé si fataliste sur le sort qui avait été le sien, lui confiant ne plus avoir foi en un Dieu qui n’était là que pour les riches, non pour les pauvres. Ne lui avait-on répété, enfant, que l’avenir d’un fils de prostituée était déjà tout tracé avant de le contraindre à subir ces actes immondes à son tour ?
Mais libéré de ses bourreaux, il n’avait continué dans cette voie de lui même, contrairement à son frère qui vendait volontairement son corps. Pour Lucas, c’était signe qu’il aspirait à un tout autre avenir que celui que d’autres avaient voulu tracer pour lui, et cet avenir, il voulait de toute son âme l’aider à l’obtenir, et l’aider à continuer, malgré sa mémoire retrouvée, à suivre cette voie de la médecine qu’il s’était choisie. En attendant, il lui fallait sans doute continuer à taire à Lutécien ce qui le minait ainsi. Lutécien devait se concentrer sur sa propre guérison, non s’inquiéter pour lui.

Lucas se remémora les derniers jours. Il n’avait de répit qu’aux côtés de son Ange, qui lui parlait et lui souriait, lui rappelant alors qu’il était en vie. Il ne dormait pas suffisamment, il le savait. Dormir aux côtés de Lutécien, maintenant qu’il allait suffisamment bien pour qu’il puisse se glisser à ses côtés et le serrer dans ses bras sans risque de le lui faire mal, sentir son coeur battre dans sa poitrine qui se soulevait sous sa respiration, bien que courte parfois, lui avait permis d’obtenir quelques heures de repos supplémentaires. Insuffisantes cependant, il en avait conscience. Mais il lui fallait tenir le coup, pour Lutécien.
Il repensa en souriant à la suggestion d’Amarante, à qui il avait confié ses problèmes de sommeil alors qu’elle s’inquiétait des cernes sous ses yeux, de déposer une paillasse à côté du lit de Lutécien afin de pouvoir rester auprès de lui la nuit et se reposer tout en le veillant. Cette paillasse, il l’avait ajoutée, oui, cela valait mieux… Tant de gens entraient dans cette chambre, leur chambre, pour les soins ou les visites. Mais c’est Procyon qui avait élu domicile dessus. La nuit, Lucas avait repris sa place aux côtés de l’Ange qu’il chérissait et qui souhaitait sa présence à ses côtés. Au fil des jours, le sommeil ne se faisait pas meilleur, mais au moins l’angoisse s’éloignait parfois au contact du jeune homme qui se remettait doucement.

Chose étrange, cette angoisse avait semblé lui offrir un peu de répit par moment ces derniers jours.
Lucas se souvint alors de cette journée passée au Cabinet de la Bouche des Goûts, où il s’était senti bizarre… Il avait déjeuné là, choisissant le plat de porc et était resté dans l'après-midi. Mais, fait étrange, il en était arrivé parfois à plaisanter avec l’un ou l’autre des visiteurs de la journée, chose qu'il n'avait fait depuis l'agression. Il en avait parlé à Lutécien le soir, celui-ci lui avait demandé un grand sourire aux lèvres s’il n’avait bu une fiole entreposée là, sur les étagères. Quelle idée ? Boire une fiole dont il ne connaissait le contenu... Sûrement pas non !
Lutécien avait fait ensuite dévié la conversation, et si sa réaction lui avait semblé un peu étrange, cela fut vite oublié cependant. Ils avaient passé un bon moment, Lucas avait offert à Lutécien ces deux bracelets d’archer en cuir qui imitaient les plumes de l’Ange qu’il était à ses yeux et la soirée avait suivi son cours. Lucas avait ramené à la maison, le portant dans ses bras, un Lutécien exténué mais heureux.
Le lendemain, Lucas se sentit bizarre à nouveau suite au plat de porc grillé sur un lit de psilos pris en taverne. Il s’en ouvrit encore à Lutécien, lui précisant qu’il avait du ingérer quelque chose, c’était trop étrange de se sentir ainsi deux fois de suite. Mais il ne savvait quoi puisqu'une fois de plus, il n'avait ingéré que cette viande grillée accompagné de drôles de petits champignons qu'il ne connaissait pas. A moins que cela date du petit déjeuner ? Mais il ne se souvenait plus trop de ce qu'il avait mangé alors...
C’est ensuite qu’il comprit… Les psilos… Ces drôles de champignons, qui, lui expliqua Lutécien apportaient un peu de bonheur. D’ailleurs, Lutécien lui avoua en mettre régulièrement dans la soupe servie dans cet établissement où il avait du « travailler » avec les filles, cela… rendait les clients plus gentils, moins violents. Et Lucas, horrifié, découvrit un pan de plus de la vie qu’il menait, avant. Il n’avait jamais mis les pieds dans ce genre d’établissement et ne connaissait donc rien de la vie de ces personnes qui, contrainte ou non de le faire, vendaient leur corps aux clients de passage. Il écouta Lutécien lui raconter cette vie.
Les tendres baisers, qu’il déposa sur ses lèvres afin de le rassurer et de le soutenir pendant ces nouvelles révélations, devinrent rapidement plus fougueux alors que Lutécien y répondait avec empressement. Lucas eut à peine le temps de penser que décidément, il avait dû manger un peu trop de ces champignons du bonheur, qu’il se reculait déjà, penaud, alors que Lutécien lui lançait un regard interrogateur.
Je.. euh… suis désolé…
De quoi ?
Je… en fait… Sieur Joyeux s’est réveillé…
Oh, le filou ! Il dormait !
Plus maintenant…
Lutécien eut un sourire en coin alors que sa main descendit doucement le long de son ventre pour vérifier par lui même le réveil du gredin, déjà debout et prêt à démarrer sa journée.
Lucas ferma les yeux un instant, avant de plonger son regard dans le sien, les pupilles légèrement dilatées, et de prononcer d’une voix rauque.
Si.. tu l’encourages, on ne s’en sortira pas…
Qui te dit que j’ai envie que l’on s’en sorte ?… Viens…
Et Lutécien l’emmena derrière le rideau, où se trouvait la couche sur laquelle il reposait en journée quand il en avait besoin.


Pour l’heure, alors qu’Emelyne évoquait la possibilité pour Lutécien de pouvoir prendre un bain bientôt, Lucas ne put s’empêcher de sourire. Ce bain chaud, Lutécien l’attendait depuis que Lucas lui en avait parlé, évoquant la possibilité de lui frotter le dos, idée qui lui avait paru des plus agréables. D’ailleurs… demande Lutécien lui fit de prendre ce bain en sa compagnie ce qui le rendit rêveur. Peut-être Lucas devrait-il continuer de manger de ce porc sur lit de psilos, finalement...


Dialogues rapportés avec l'aimable autorisation de JD claquesous.

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Elvire_acoma
Bureau du Procureur - Cour de justice d'Alençon

L'aube se levait à peine, les serviteurs du palais ducal n'étaient pas encore arrivés, la plupart des conseillers dormaient encore du sommeil du juste : le palais était silencieux, et presque désert. Dans le bureau du procureur, pourtant, un feu crépitait déjà dans la cheminée, et un chandelier éclairait la table de travail de la petite brune qui, si elle s'efforçait de ne pas le montrer, n'en menait finalement pas large. Devant elle, une femme et deux hommes qu'elle aurait, en d'autres circonstances, fuit comme la peste en courant aussi vite que ses jambes le lui auraient permis. Mais ce matin-là, elle était sagement assise sur sa chaise, les bras croisés et le regard posé sur les trois mercenaires qui avaient répondu à l'appel et se tenaient debout face à elle.

Voilà la femme qu'il vous faudra ramener jusqu'au tribunal, expliqua-t-elle en leur tendant un parchemin sur lequel un portrait de l'accusée avait été dessiné. Elle s'appelle Fanette Loiselier. D'après les informations dont je dispose, elle se trouverait dans les environs de Loches. Soyez discrets, elle est prudente et sait visiblement disparaître lorsqu'elle se sent traquée.

La jeune fille ouvrit un tiroir, saisit une bourse en velours bien rebondie, et la fit glisser jusqu'au bout de la table. La femme qui semblait commander les mercenaires ne tarda pas à faire disparaître l'objet dans les plis de son vêtement, non sans l'avoir auparavant soupesé dans sa main. L'Acoma retint un sourire amusé, avant de préciser.

Il y a la moitié de la somme promise par Sa Grâce le duc pour la capture de Fanette. L'autre moitié vous sera remise dès votre retour avec la femme recherchée.

"Rouge", la femme qui était entrée la première dans le bureau, hocha la tête avant de se tourner vers les deux hommes restés en retrait derrière elle. Leur accord obtenu, elle promit qu'ils seraient bientôt de retour avec la "marchandise", puis tous trois saluèrent brièvement et s'en allèrent comme ils étaient venus : presque silencieusement.
De nouveau seule dans le bureau, Elvire se laissa aller contre le dossier de sa chaise et ferma les yeux, laissant la pression redescendre lentement.

Alea jacta Est.... Murmura-t-elle, tandis que les premiers rayons du soleil annonçaient le lever du jour.

Les dés étaient jetés. Si Dieu le permettait, la justice serait bientôt rendue.
--Fanette_loiselier
15 octobre 1467, une auberge aux alentours de Loches.


Les frères Beaurepaire avaient convenus d'un léger crochet pour une affaire à régler à Loches, à moins que ce ne soit pour prendre quelques contacts. A vrai dire, Fanette ne savait rien du détail de leurs occupations, et ne cherchait pas à savoir, considérant que ça ne la regardait pas. Depuis deux jours, elle profitait de ce début de voyage, où chacun prenait ses marques. Son vrai travail, celui pour lequel ils l'avaient embauchée en la gratifiant d'un généreux salaire, commencerait réellement quand ils laisseraient Thouars derrière eux. Accoudée à la table la plus proche de l'escalier, la joue posée dans sa main, ses yeux s'étaient égarés par-delà le carreau de la salle commune. Pourtant, on ne voyait rien au-dehors, que la lueur jaunâtre d'une torchère qui jetait sur le mur en face des ombres mouvantes. La nuit avait avalé le bourg tout entier, et la lune, drapée d'épais nuages annonçant des pluies prochaines, ne parvenait à percer la noirceur des ténèbres. Peu importait car derrière son regard pailleté d'or, d'autres images se formaient, de mer grise brodée d'écume, de navires, de grès tapissés de lichens, de bruyère... Elle souriait, perdue dans ses pensées. Seule, une infime partie de son esprit restait attentive aux bruits ou aux pleurs qui pourraient provenir de l'étage. Comme à chaque halte, l'un des deux frères retenait une chambre pour y coucher ses enfants. Ils pouvaient ainsi profiter de quelques heures de sommeil au calme, avant de devoir se satisfaire d'un repos bercé par les cahots de la route.

Pour l'heure, ils devaient dormir profondément, et elle attendait donc rêveusement le retour des Beaurepaire, occupés dans quelque cossue maison. Elle ne prêta pas attention aux trois personnes qui entrèrent. Mais deux mains se posèrent sur la table devant elle, deux mains féminines, dont la finesse était alourdie d'une bague massive qui ornait le majeur. Noisettes s'y abîmèrent un fugace instant, assez pour distinguer la tête d'un lion délicatement ciselée dans l'argent.

- Loiselier ?

Elle releva un minois surpris vers celle qui tenait toujours un appui solide sur ses mains. Son regard d'eau glacée la mit mal à l'aise. La femme paraissait forte et solide. Son visage, encadré d'une tignasse sombre et courte aurait pu être gracieux mais ses traits s'étaient figés dans une expression peu conciliante. La fauvette s'abstint de répondre mais déjà, la brune poursuivait.

- C'est bien elle, pas de doute possible.

Ces derniers mots ne lui étaient plus destinés. Elle s'adressait directement aux deux acolytes qui étaient venus prendre place de part et d'autre de la jeune mère, silencieux comme des chats, tant qu'elle ne les avait pas entendu approcher. L'Angevine paniqua et se leva précipitamment, mais avant même qu'elle ne tente de fuir, leurs poignes déterminées se refermaient à ses bras. Elle balaya rapidement d'un regard affolé les deux hommes qui s'étaient saisis d'elle pour revenir à la brune qui l'ignora parfaitement, tournant déjà les talons.

- Ne traînons pas !

Elle hurla et se débattit mais aucun des convives ne leva le petit doigt, préférant détourner la tête. Même le cabaretier, sentant peut-être l'échauffourée, s'était réfugié dans sa réserve. Ils n'eurent aucun mal à lui faire passer la porte. Le dogue couché sur la margelle de l'abreuvoir releva la tête en reconnaissant sa maîtresse. Il sauta à terre pour la rejoindre en battant joyeusement l'air de sa queue. L'instinct de protection n'était définitivement pas ancré dans les gènes de cet animal-là. Fanette continuait néanmoins à se débattre comme un beau diable. Ses pensées s'étaient focalisées sur ses enfants dormant à l'étage. Elle ne songea pas un seul instant au sort que lui réservaient les trois inconnus, mais à celui de ses enfants endormis à l'étage. Elle n'osa pas révéler leur présence, de peur d'attirer le danger plus près d'eux, mais elle redoubla d'énergie pour se libérer de l'emprise solide qui continuait à l'entraîner par les ruelles sombres. Des larmes de panique brouillaient sa vue et ruisselaient à ses joues. Pas un seul instant, elle n'avait songé que cet enlèvement puisse être en rapport avec l'agression de Claquesous. Elle était pourtant informée de la plainte déposée à son encontre mais, elle pensait bêtement s'être mise à l'abri en quittant sa maison de Limoges.

- A l'aide ! … Arsène ! … A l'aide !

Elle hurlait, et ses cris ne trouvaient écho qu'aux battants des volets de bois qui se refermaient sur leur passage. Elle freinait, plantant ses talons dans le sol sableux, quand elle ne cherchait pas à donner des coups de pieds à ses assaillants. Elle parvint, à force de contorsions, à planter ses dents dans la main qui agrippait son bras gauche.

- Elle m'a mordu la garce !

Elle n'eut pas le loisir d'en entendre plus. La douleur fut fulgurante, cinglant l'arrière de son crâne. En l'espace d'un battement de cils, elle ne perçut plus rien que le néant vide et froid de l'inconscience. Fauvette légère fut prestement jetée sur une épaule jusqu'à ce que les trois mercenaires, toujours suivis par le chien, ne rejoignent les chevaux qui piaffaient d'impatience. On la chargea en travers de l'une des montures, et sitôt fait, les cavaliers talonnèrent leurs bêtes et passèrent au galop les portes de la ville.
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Lison_bruyere
Alençon, 20 octobre 1467


C'est une mère que les trois mercenaires avaient cueillie cinq jours plus tôt, mais c'est une ombre qu'ils ramenaient à Alençon. Ils avaient pris soin de contourner les villes et les hameaux, préférant les bivouacs en pleine nature, malgré les pluies d'automne qui lavaient régulièrement la campagne des poussières de l'été. Fanette suivait, bon gré, mal gré. Elle avait tenté de leur fausser compagnie, mais n'en avait gagné qu'une surveillance accrue et ses pieds et poings liés par une corde de chanvre qui entamait ses articulations. Elle grelottait, transie de froid, malgré la couverture qu'on avait enroulée à ses épaules pour la réchauffer. Sa cape de gros bureau, et toutes ses affaires étaient restées dans la modeste auberge de Mauvière, où les frères Beaurepaire lui avaient réservé une chambre, le temps de régler leurs affaires à Loches. Elle ne savait plus à quand cela remontait.

La fièvre brûlait son front et tout son corps semblait douloureux. Les conditions de voyage, chaque nuit, posée à l'avant de la selle d'un cheval au galop n'arrangeaient rien, mais au-delà du froid et des courbatures, c'est d'une enfant qu'elle manquait. Le sevrage brutal du nourrisson était éprouvant, sur le plan physique autant que pour son cœur. Sa poitrine était douloureuse, rouge, durcie du lait devenu inutile, pour bien lui rappeler, s'il en était besoin, combien l'abandon forcé de ses petits lui mordait cruellement l'âme. Quand elle ne somnolait pas, recluse aux affres de ses cauchemars, c'est à eux qu'elle pensait. Qu'étaient-ils devenus ? Yoln et les deux frères ne les auraient pas laissé en s'apercevant de son absence, mais qu'avaient-ils pu bien en faire ? Les avaient-ils ramené à Limoges, pour les confier à son époux, et à leurs grands-parents ? Les avaient-ils remis aux bons soins de religieuses, dans le premier couvent venu ?

Elle ne mangeait plus guère, la gorge nouée de l'inquiétude d'eux. Son regard s'était ombré de cernes profonds qui accentuaient encore la pâleur de sa peau. Elle était crasseuse, ses boucles emmêlées avaient perdu leurs éclats d'or, ses vêtements étaient tachés de la terre humide sur laquelle on l'asseyait lors des étapes, sa peau en était pareillement souillée, et seuls, ses pleurs y traçaient des sillons plus clairs. Mais, au jour de son arrivée à Alençon ses yeux, épuisés d'avoir trop pleuré, n'étaient plus que deux billes noisette et hagardes. Ses jambes ne la portaient plus, et les premiers sangs d'un retour de couches imbibaient ses jupes, sans qu'elle ne sache s'en soucier. Elle n'était plus qu'une enveloppe frêle et vide, verrouillée aux sollicitations extérieures. Même la menace angevine grondant aux portes de la capitale ne la touchait pas. Son âme s'était réfugiée ailleurs, dans le souvenir des deux enfants qui lui manquaient cruellement.
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Lison_bruyere
Alençon, 22 octobre 1467


– Tu me considères comme un monstre car je t'ai blessée. Tu n'arrives pas à comprendre l'envers de la chose.

Fanette aurait pu la comprendre, mais son esprit s'y refusait. Claquesous l'avait privé de son fils. A cause de lui, elle avait enduré dix mois de souffrance, perdu un époux, porté seule une enfant née de sa colère, sur les routes, se fatigant plus que de mesure à traîner son ventre rond en usant ses yeux à pleurer son aîné. Alors, quand elle avait appris que le jeune homme avait été violenté autant que son frère pour un crime dont il était innocent, à chaque fois qu'il le lui rappelait et que la compassion se déversait à son cœur, elle en verrouillait l'accès, trop atteinte encore par la douleur cruelle qu'il lui avait infligée. S'il était une victime tout autant qu'elle, elle ne parvenait qu'à voir le criminel qu'il en était devenu, pour l'amour de son frère.

Malgré tout c'était elle qui était là, à croupir dans cette geôle humide et nauséabonde, comme elle avait croupi plus jeune dans celles de l'Anjou. Au moins n'était-elle pas enchaînée. Les deux enfants qu'elle avait laissés derrière elle la hantaient. Les questions tournaient en boucle, toujours les mêmes, les reverrait-elle ? Qu'adviendrait-il d'eux si on la pendait ? Parfois, elle croyait entendre leurs pleurs, elle les voyait, maigres et sales, sur le pas d'un orphelinat, et les larmes qu'elle versait dans ses cauchemars la ramenaient à la morne réalité de ce cloaque de pierre nauséabond où on la retenait prisonnière.

Pourtant, depuis deux jours, en dehors des gardes, elle n'avait vu personne d'autre que lui. Il n'était jamais venu les mains vides, lui procurant des remèdes pour soulager sa poitrine douloureuse, et des vivres tièdes et goûteux qu'elle dévorait en le fixant, rencognée contre le mur froid du fond de sa cellule. Pas qu'elle ait eu un gros appétit mais le pain que lui jetaient les gardes chaque matin était coupé de sciure et en partie moisi. Il échouait le plus souvent dans la bauge qui la baignait et elle n'avait gagné que des haut-le-cœur à tenter de le consommer.

Alors quand Claquesous parlait, elle se surprenait à lui répondre. Assurément revêche les premiers temps, elle était à présent perdue davantage à chacune de ses visites. Elle avait tant voulu le voir mort, mais voilà que les seules douceurs, les seules espérances qu'elle pouvait caresser dans les méandres de la solitude qu'on lui imposait, c'est lui qui lui offrait. Elle ne comprenait pas, c'était au-delà de son entendement, il avait raison en ce point. Pourquoi se montrait-il aussi charitable et compréhensif quand elle avait tenté de le tuer. Elle réitérerait probablement son geste si l'occasion lui était donnée, comme s'il était dans l'ordre des choses, la conclusion létale d'une souffrance trop longtemps endurée pour s'oublier trop vite. Mais au fond d'elle pourtant, elle ne savait plus. Tenait-elle tant que cela à sa mort ? Ne pouvait-elle vraiment pas comprendre à quel point ils étaient semblables ? Elle avait l'impression de devenir folle, ou bien était-elle juste confuse, probablement à cause du froid et de la fièvre qui la tenait depuis son arrivée. Elle en venait à attendre ses visites, à les espérer, et elle s'en blâmait, s'adressant à elle-même les reproches qu'elle trouverait légitimes dans le regard de son fils s'il la voyait misérablement recroquevillée dans sa cellule à attendre un peu d'attentions et d'humanité de celui qu'elle tenait pour responsable.
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Elvire_acoma
Au matin du retour des mercenaires, la petite brune était accaparée par le changement de conseil, et une discussion houleuse avec la régente, qui l'avait fortement ébranlée. La journée l'avait vue cloîtrée dans la chambre qu'elle occupait toujours à la maison d'Ozé maugré le départ en catimini de sa tante, ne laissant dans la demeure que le garde assurant sa protection et celle de la maison, et la cuisinière, promue pour l'occasion intendante. Elvire n'était retournée au palais ducal qu'en début de soirée, et s'était retrouvée nez-à-nez avec Rouge, laquelle faisait les cent pas devant la porte de son bureau. En quelques mots, la petite brune comprit que la mission était accomplie, et que l'accusée croupissait désormais dans les geôles au sous-sol. Avec un hochement de tête, la procureur alla chercher la bourse contenant le reste de la récompense promise pour la capture, et la regarda s'en aller, songeuse.
Après un rapide souper, elle était retournée au bureau des juristes, peaufiner l'acte d'accusation, en vue de lancer le procès dès le lendemain matin.

C'est ainsi qu'en milieu de matinée, Fanette avait été amenée dans la salle du tribunal, sous la bonne garde du geôlier qui tenait, d'une main la longe maintenant les poignets de l'accusée solidement liés, de l'autre, son coude. Deux précautions valaient mieux qu'une, la fugitive ayant tenté de fausser compagnie aux mercenaires sur le chemin du retour. D'une pression sur l'épaule, il la fit asseoir, et attacha la longe au pied du banc des accusés, avant de se poster derrière elle.

La petite brune lissa les plis de sa robe, posa la pile de parchemins sur sa table de travail, puis se redressa pour faire face à tous les présents. L'affaire était grave, un homme avait failli mourir.

Nobles dames et seigneurs, bourgeois et paysans d'Alençon, voyageurs, salut et paix. Je, Elvire Mayella d'Acoma, procureur du duché d'Alençon, ouvre en ce 20 Octobre 1467 procès pour Trouble à l'Ordre Public à l'encontre de la dame Fanette [ Fanette ], pour tentative d'assassinat sur la personne du sieur Lutécien [ Claquesous ].

Nous sommes donc dans la soirée du dix-neuf septembre dernier, dans une taverne de la cité d'Alençon. Sieur Lucas_storm, maire de ladite ville, s'y trouve en compagnie du sieur Lutécien, ainsi que de dame Sirelna [ Sirelna ] et de sieur Zhou Yu [ Zhou_yu ] ; lorsque la dénommée Fanette fait son entrée et, sans crier gare, se dirige droit sur Lutécien et le poignarde en visant clairement le cœur.
Par chance, le jeune homme survivra, grâce aux bons soins d'un médeçin renommé de notre duché et de la veille attentionnée de ses proches. Sieur Lucas_storm s'est ensuite adressé à moi pour déposer une plainte que j'ai reçu et instruite, afin de tirer cette affaire au clair et permettre à la justice d'être rendue.
La dénommée Fanette a, quant à elle, pris la poudre d'escampette, mais les services de la prévôté sont parvenus à la retrouver, et des mercenaires engagés par le duché se sont chargés de la ramener manu militari en Alençon. D'où sa comparution devant vous ce jour.

Une brève pause le temps de reprendre son souffle, puis Elvire reprit.

Le Duché d'Alençon est régi par les trois principes de la Coutume, à savoir :
-le critère du bon père de famille; est-ce qu'un père de famille se comporterait de la sorte ?

-l'universalité d'action; que se passerait-il si tout le monde commettait ce genre d'action ?

-la jurisprudence; quels ont été les précédents sur ce type d'acte ?

En vertu de tout cela, dame Fanette [ Fanette ], vous êtes formellement accusée de Trouble à l'Ordre Public.

Vous avez droit de demander à être défendue par un avocat de votre choix. Si vous n'en connaissez pas, vous pouvez faire appel à l'Ordre du Dragon.

La parole est à la défense.

Et elle se rassit, portant son regard sur l'accusée, attendant sa déclaration. Elle était curieuse de l'entendre, la gravité de l'acte ayant amené beaucoup de questions que le procès aiderait sans doute à résoudre : l'accusée et la victime se connaissaient-ils auparavant ? L'acte était-il réfléchi, était-ce une vengeance, l'accomplissement d'un contrat passé avec quelqu'un voulant la peau de Lutécien ? Elvire était jeune, elle avait passé son enfance à l'abri de la misère et des coupe-jarrets, mais elle savait que la vie était dure, sa mère ne lui avait jamais rien caché à ce sujet, sans doute pour l'endurcir et la protéger.
Lison_bruyere
Elle somnolait dans le recoin d'un cul de basse fosse quand un garde était venu l'en tirer pour l'escorter au tribunal. Les murmures s'étaient tus quand on l'avait fait entrer dans la vaste salle des audiences. Crasseuse au possible, enveloppée d'une couverture puante tout autant qu'humide qui ne lui épargnait pas le froid qui s'était insinué jusqu'au creux de ses os, faible à en avoir du mal à supporter son propre poids, fiévreuse et tremblante, la fauvette n'avait plus rien de l'affable aubergiste qui accueillait les voyageurs dans sa maison de Limoges. D'un regard perdu, elle balaya l'assemblée avant de le porter sur la femme qui énonçait l'acte d'accusation. Elle s'affaissa sur son banc et laissa passer un long moment de silence avant de prendre la parole, d'une voix presque monocorde.

– Je n'ai pas visé son cœur. Je n'ai pas visé du tout, j'ai agi sous le feu de la colère que j'ai pour cet homme qui m'a privé de mon fils. Il m'a arraché un bébé de sept semaines. Qui peut être capable de priver un enfant aussi jeune de sa mère ? J'aurai dû viser sa gorge ...

Sa voix s'étrangla et elle réprima un sanglot, difficilement. Il lui avait ôté son fils, de juin à avril, dix longs mois, et à présent, elle était privée encore de cet enfant, et de sa petite sœur. Pourtant, c'est de ce même jeune homme que lui était venu le seul réconfort qu'elle avait eu depuis son arrestation. Elle tenta de se reprendre pour préciser d'une voix brisée de chagrin.

– Ne m'appelez pas Dame Fanette, j'ne suis pas une dame ! Je suis Fanette Loiselier. Je suis juste une mère qu'on prive de ses enfants parce que vous avez décidé de défendre un vaurien.
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Elvire_acoma
... parce que vous avez décidé de défendre un vaurien.

Les derniers mots flottèrent un moment dans la salle redevenue silencieuse. Elvire accusa le coup, tout en hochant la tête. Sans le savoir, elle avait effectivement entrepris de mener procès au nom de quelqu'un qui avait, lui aussi, quelque chose à se reprocher.
Remerciant d'un hochement de tête l'accusée pour sa réponse, le procureur se tourna vers le premier rang de bancs, là où se tenaient les témoins ayant assisté à l'incident.

J'appelle sieur Lucas Storm et sieur Lutécien à présenter leurs témoignages.
Claquesous
Du haut de ses 14 ans, Lutin s'avança à la barre d'un pas décidé. Tant bien que mal, il tentait de cacher sa respiration sifflante et la douleur que lui provoquait sa poitrine lors de changements de position. Le teint était pâle, trop, mais la mâchoire juvénile et le regard limpides étaient volontaires.
Il ne flancherait pas.

Madame le procureur, Madame le juge buongiorno.

Je me nomme Lutécien de Gruefelder, seigneur de Labeissières et je réside en Alençon depuis plusieurs mois. J'ai tenté tant bien que mal, de montrer une image positive de ma personne en m'intégrant à la vie de ce beau duché.

Effectivement, cette dame...

Il fit un signe de la main en direction de Fanette

...m'a porté un coup de couteau en taverne. Néanmoins, je ne souhaite pas qu'elle soit punie pour son geste.
Laissez-moi vous en expliquer la raison.
Il y a plus d'un an, j'ai comme elle l'affirme, enlevé son nourrisson âgé de quelques semaines. Je me rend compte aujourd hui, après avoir subi son courroux, tout le drame de mon acte. A l'époque, je ne voyais que le positif dans mon agissement. En effet, le mari de Madame Fanette, Roman Corleone ainsi que son frère Gabriele Corleone et d'autres membres de leur famille, ont torturé et violé mon frère avec un couteau pour des raisons qui leur sont propres, m'obligeant moi, à 12 ans à être témoin de la scène. Comme cela m'était insupportable et que je fermais les yeux en criant, ils m'ont contraint à me taire en m'enfonçant une lame dans le côté du ventre, ma cicatrice m'en est témoin. Suite à cet horrible événement, j'ai emporté le bébé de Roman afin de préserver l'enfant de la monstruosité de ce père, connu pour être un criminel. Je devais le remettre à une famille très aristotélicienne et noble, mais en chemin, j'ai été attaqué, le bébé a été volé et j'ai perdu la mémoire.
Mémoire qui me revient progressivement depuis l'accro avec dame Fanette.

Minot ferma les yeux, reprit son souffle et poursuivit

Fanette a agi sous le coup de l'émotion et de la colère, malgré qu'elle est pu récupérer son enfant. Je ne peux la blâmer et au contraire, je me rend compte que mon geste fut très douloureux et injuste vis à vis d'elle.

Il se tourna vers Fanette

Je ne regrette pas d'avoir tenter d'arracher un enfant des griffes d'un monstre par contre je regrette d'avoir causer du tort à la mère que tu es. Pourtant, tu m'as dit toi-même que la vie est faite de choix et tu as blâmé le mien. J'ai payé en y laissant un bout de ma santé et toi tu as payé ton laxisme face à l'atrocité des Corleone en étant séparé 7 mois de ton fils. Je ne souhaite pas que tu sois punie pour se que tu m'as fait, au contraire. Je souhaite que tout cela s'arrête et que chacun réfléchisse puis fasse le deuil de cette triste affaire.

Revient au juge

Madame la juge, j'aimerais que Fanette Loiselier soit relâchée sans conséquences. Sa place est auprès de ses enfants et non pas à croupir dans une geôle humide et sinistre. Je suggère comme acte de contriction autant pour elle que pour moi, un don symbolique pour notre chère Eglise et une confession en bonne et dûe forme.
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