Lison_bruyere
Sur les routes, fin octobre 1467
Depuis combien de jours déjà était-elle prise dans l'étau de la peur ? Fanette n'en savait plus rien. Son séjour dans les geôles Alençonnaises lui avait fait perdre la notion du temps. Elle avait senti une main glacée lui étreindre le cur quand la juge l'avait reconnue coupable et passible de la peine de mort par pendaison. Ses jambes s'étaient dérobées sous elle et elle était retombée sur son banc, livide et tremblante. Pourtant, la magistrate, sans doute influencée par le témoignage de la victime, avait contrevenu à son propre verdict pour se montrer finalement plus clémente. Sa peine de prison était accomplie, sa bourse allégée de cinq écus, et elle devait un mois de travail dans un hospice. Pourtant, elle avait attendu la faveur de la nuit, et s'était faufilée par une poterne dissimulée dans la muraille, à l'opposé des portes de la ville. Depuis qu'on l'avait arrachée à ses enfants, elle n'avait qu'une obsession, les retrouver. Les frères Beaurepaire les conduisaient en Bretagne, c'est donc là qu'elle irait.
La peur encore l'avait accompagnée, quand, sous le couvert des arbres, elle cheminait. La lune semblait drapée dans des écharpes d'anthracite et de gris floconneux. Parfois, les nuages se dissipaient un instant, et la lumière nacrée révélait le chemin bordé des grands arbres sur près de cent pieds. Mais, dès qu'elle se voilait de nouveau, les ténèbres semblaient se rapprocher dangereusement. Elle s'efforçait d'en percer les mystères, l'oreille aux aguets, prête à fondre dans un fourré au moindre bruit. Ce n'est que quand les premières lueurs de l'aube teintèrent de mauve l'horizon qu'elle se détendit un peu. Aucune armée angevine n'avait croisé sa route, et les gardes d'Alençon ne s'étaient pas lancés à ses trousses. On pourrait encore lattendre ce matin, dans quelque hospice que ce soit.
La fauvette était épuisée, et assurément éprouvée par les jours précédents. Elle devait prendre un peu de repos au risque de seffondrer. Elle s'écarta du chemin pour s'enfoncer sous le couvert du bois. Elle distingua clairement le chuchotement d'un cours d'eau. Le dogue la bouscula et disparut sur létroite sente. Elle accéléra le pas pour retrouver son chien. La végétation s'était un peu clairsemée et une berge descendait en pente douce jusqu'à l'eau, dans laquelle Huan folâtrait. Elle posa son baluchon dans l'herbe. Il ne contenait guère que Babet, la marionnette que Claquesous avait donnée pour Milo, et une tenue propre et sans doute trop grande pour elle. Elle baissa les yeux en écartant les pans de la robe quelle portait depuis trop de jours déjà et imprima une petite moue de consternation. Son regard glissa à nouveau sur la rivière. Elle ôta ses bottes et savança vers le courant. La fraîcheur de leau lui scia les chevilles. Elle renonça à sy baigner, de peur daggraver encore la fièvre qui la tenait depuis le début de sa captivité, dautant quelle navait rien pour allumer un feu. Elle ôta sa cape de laine bouillie, puis, délaça la cotte brune qui la couvrait, et fit glisser à ses pieds la chainse de cainsil. Le froid mordit son derme instantanément, cyanosant déjà ses extrémités. Elle fut prise d'une quinte de toux, aussi sempressa-t-elle de revêtir les vêtements propres et parfumés quon lui avait préparés. Le chien grimpa sur la rive en face, sébroua et disparut de sa vue, le nez au ras du sol.
Elle saccroupit au bord de leau avec les habits dont elle venait de se défaire et entreprit de les laver. Lodeur nauséabonde des geôles semblait incrustée jusquau plus profond des fibres de l'étoffe. Elle frottait à sen user les mains, quand elle entendit un bruissement de branches derrière elle. Trop affairée à sa tâche pour se retourner, elle invectiva son chien.
T'avise plus de me bousculer toi !
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Depuis combien de jours déjà était-elle prise dans l'étau de la peur ? Fanette n'en savait plus rien. Son séjour dans les geôles Alençonnaises lui avait fait perdre la notion du temps. Elle avait senti une main glacée lui étreindre le cur quand la juge l'avait reconnue coupable et passible de la peine de mort par pendaison. Ses jambes s'étaient dérobées sous elle et elle était retombée sur son banc, livide et tremblante. Pourtant, la magistrate, sans doute influencée par le témoignage de la victime, avait contrevenu à son propre verdict pour se montrer finalement plus clémente. Sa peine de prison était accomplie, sa bourse allégée de cinq écus, et elle devait un mois de travail dans un hospice. Pourtant, elle avait attendu la faveur de la nuit, et s'était faufilée par une poterne dissimulée dans la muraille, à l'opposé des portes de la ville. Depuis qu'on l'avait arrachée à ses enfants, elle n'avait qu'une obsession, les retrouver. Les frères Beaurepaire les conduisaient en Bretagne, c'est donc là qu'elle irait.
La peur encore l'avait accompagnée, quand, sous le couvert des arbres, elle cheminait. La lune semblait drapée dans des écharpes d'anthracite et de gris floconneux. Parfois, les nuages se dissipaient un instant, et la lumière nacrée révélait le chemin bordé des grands arbres sur près de cent pieds. Mais, dès qu'elle se voilait de nouveau, les ténèbres semblaient se rapprocher dangereusement. Elle s'efforçait d'en percer les mystères, l'oreille aux aguets, prête à fondre dans un fourré au moindre bruit. Ce n'est que quand les premières lueurs de l'aube teintèrent de mauve l'horizon qu'elle se détendit un peu. Aucune armée angevine n'avait croisé sa route, et les gardes d'Alençon ne s'étaient pas lancés à ses trousses. On pourrait encore lattendre ce matin, dans quelque hospice que ce soit.
La fauvette était épuisée, et assurément éprouvée par les jours précédents. Elle devait prendre un peu de repos au risque de seffondrer. Elle s'écarta du chemin pour s'enfoncer sous le couvert du bois. Elle distingua clairement le chuchotement d'un cours d'eau. Le dogue la bouscula et disparut sur létroite sente. Elle accéléra le pas pour retrouver son chien. La végétation s'était un peu clairsemée et une berge descendait en pente douce jusqu'à l'eau, dans laquelle Huan folâtrait. Elle posa son baluchon dans l'herbe. Il ne contenait guère que Babet, la marionnette que Claquesous avait donnée pour Milo, et une tenue propre et sans doute trop grande pour elle. Elle baissa les yeux en écartant les pans de la robe quelle portait depuis trop de jours déjà et imprima une petite moue de consternation. Son regard glissa à nouveau sur la rivière. Elle ôta ses bottes et savança vers le courant. La fraîcheur de leau lui scia les chevilles. Elle renonça à sy baigner, de peur daggraver encore la fièvre qui la tenait depuis le début de sa captivité, dautant quelle navait rien pour allumer un feu. Elle ôta sa cape de laine bouillie, puis, délaça la cotte brune qui la couvrait, et fit glisser à ses pieds la chainse de cainsil. Le froid mordit son derme instantanément, cyanosant déjà ses extrémités. Elle fut prise d'une quinte de toux, aussi sempressa-t-elle de revêtir les vêtements propres et parfumés quon lui avait préparés. Le chien grimpa sur la rive en face, sébroua et disparut de sa vue, le nez au ras du sol.
Elle saccroupit au bord de leau avec les habits dont elle venait de se défaire et entreprit de les laver. Lodeur nauséabonde des geôles semblait incrustée jusquau plus profond des fibres de l'étoffe. Elle frottait à sen user les mains, quand elle entendit un bruissement de branches derrière elle. Trop affairée à sa tâche pour se retourner, elle invectiva son chien.
T'avise plus de me bousculer toi !
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