Eirik_gjermund
Eirik s'était assis en tailleur, la couverture sur ses jambes et ses pieds. Assis de façon à voir Fanette sans lui donner un tour de cou.
La terre des héros, c'est un titre prometteur, qui inspire l'aventure et l'audace. Mais attendez Eirik, vous avez dit « runes » ? Ce mot signifie chant ?
Les runes sont un alphabet. On les parle, on les chante.
Quand j'ai mis mon fils au monde, la princesse de mon conte m'a donné une petite pièce de bois. (.....) Elle appelait cela une rune, elle disait que c'était pour nous protéger. (.....) Ou une rune peut être à la fois un chant et un objet ?
Non, une rune n'est pas un objet en soi. Comme c'est un alphabet que l'on grave, une petite pierre peut être appelée "rune". Quant à la protection... C'est de la superstition. Un porte-bonheur peut bien être une touffe d'herbe arrachée au lieu de son premier rendez-vous. On voit l'importance où bon nous semble.
Eirik but de longues gorgées et s'essuya barbe et bouche d'un revers. Il ferma les yeux un instant. La froideur de cette nuit sans vent. La forêt était presque silencieuse. Pas un oiseau ne chantait à cette heure, dans ce froid. Le feu crépitait et il voyait les flammes danser derrière ses paupières closes. Il entendait les quatre êtres respirer, sauf Hunt, qui devait dormir plus loin.
Eirik pensa à ses pays, surtout à celui de sa mère, la Finlande. Tout au Nord du pays... Il trouva son rythme. Des battements de cur puissants et vibrants.
Il ouvrit lentement les paupières après les cinq secondes où il les avait fermées.
Au commencement du monde, il n'y avait ni soleil, ni lune, ni étoiles, ni terre. Juste la mer, immense. La Déesse de la Nature et Fille de l'Air, nommée Luonnotar, sennuyait.
Un aigle immense vint du ciel et se posa sur elle. Il pondit sur elle six ufs d'or et un de fer.
La chaleur de l'aigle en train de couver dérangeait Luonnotar. C'était si chaud... Trop chaud. Le quatrième jour, la Déesse bougea. Les ufs roulèrent les uns contre les autres et se brisèrent.
Eirik fit une petite pause. Il était très loin de l'histoire qu'il voulait raconter mais pour comprendre le Joukahainen de l'histoire, il fallait parler du héros. Donc de la création même qu'était ce héros.
L'aigle, d'un cri, s'envola.
Une chose merveilleuse arriva alors dans l'immense univers... Dit-il d'un ton plus léger.
La coquille des ufs s'élargit, s'étendit et forma la voûte du ciel et la surface courbe de la terre.
Les jaunes dufs formèrent les astres ; le soleil, la lune, les étoiles. Les fragments de luf de fer se changèrent en nuages et coururent sur la mer.
Des années passèrent... La Déesse s'ennuyait à nouveau. Le monde lui semblait uniforme et plat. Alors elle forma de ses doigts les golfes et les baies. De ses pieds, les montagnes et les vallées. Ses cheveux posés contre la terre dessinèrent des lacs, des fleuves, des cascades. Et là où Luonnotar avait marché, on vit surgir une guirlande d'îles brunes.
Ainsi naquit la Finlande, l'étrange terre aux quarante milles yeux d'azur, couronnée d'îles et de rochers.
Eirik eut un sourire mental. Son pays. Il tenait cette très longue histoire de sa grand-mère maternelle. Il avait passé tant de jours sombres - les mois de nuit - à écouter cette Odyssée... Il était surpris de si bien s'en souvenir.
Cent années passèrent encore, et Luonnotar se sentait très seule.
Alors elle créa un humain. Wäinamönen. C'était son nom. Mais nous diront Wäino. Il naquit adulte. Il erra longtemps sur les vagues et lorsqu'il toucha terre, il était déjà vieux. Il connaissait les ressources de la magie et vit une terre morte. Wäno eut pitié et chanta des formules et fit descendre des cieux Sampsa, Dieu des semences.
Alors la terre devint plus riche ; arbres, buissons, fleurs, herbes. Il y avait de la vie.
Eirik s'arrêta. Comme s'il avait terminé.
Ses yeux de glace étincelaient au feu, si bien qu'ils semblaient gris. Ou peut-être blancs ? Il se lissa la barbiche, sentent les bagues runiques terminant les deux tresses de sa barbe. Lui portaient-elles bonheur ?
Eirik regarda Fanette.
C'était la première partie de mon histoire. La naissance de la vie, du pays et du héros.
Eirik but et commença la seconde partie. Il en aimait l'introduction, qui rendait un visage méconnu du pays de sa mère.
Il y a, au nord de la Finlande, une terre beaucoup plus glaciale et déserte, habitée par les Lapons. Ils creusent leurs maisons dans la neige, vivent de chasse et de pêche. Ils élèvent des rennes, qui leur servent à tout.
Aujourd'hui, ce pays ne fait qu'un avec la Finlande. Les Finnois grands et blonds protègent les Lapons petits, trapus et bruns.
La mère d'Eirik était à moitié Lapone. Il resservit Fanny et lui-même puis étendit ses jambes ankylosées.
La suite...
La renommée de Wäino, le Sage et grand Poète arriva jusqu'en Laponie. Un jeune Samì - autre nom de hommes bruns du nord - entendit parler du Sorcier et vint trouver sa mère.
Il s'appelait.. Joukahainen. Dit aussi Guikainen, selon les conteurs.
Eirik sourit. Fanette était éveillée... Elle écoutait toujours.
Eirik ne savait pas faire les vois et les tons aussi bien qu'elle... Il ferai de son mieux et penserait à sa grand-mère. Qui fredonnait en tout temps.
Ainsi donc, Joukahainen vint trouver sa mère et lui ordonna de préparer ses habits de fête, son plus beau traîneau et le cheval le plus rapide afin d'aller en Finlande.
- Pourquoi ? Demanda-t-elle.
- Je veux voir le vieux Wäino et lui lancer un défi ! Il ne peut pas être meilleur que moi ! S'était exclamé le jeune-homme, arrogant comme tant de gens de son âge.
- Prends garde, mon fils !
Rendre les voix vivantes n'était pas dans la nature du rude homme du Nord. Son plus jeune frère y excellait, lui. Eirik faisait des efforts sans trop y penser.
- Wäino est vieux et sage et il en sait long de la vie ! Il te vaincra par son art magique et jamais tu ne reviendras.
Alors Joukahainen s'adressa à son père, qui lui fit la même réponse. Le jeune entêté n'écouta personne et partit. Il faisait voler son traîneau sur la glace, soulevant des gerbes de neige.
Le quatrième jour, le mauvais fils aperçu le vieux mage et fouetta son cheval, se ruant sur le vieil homme avec fureur.
- Qui est-tu, toi qui passes avec une telle furie que tu as brisé mon traîneau ?
- Je suis Joukahainen, le jeune Lapon.
- Alors cède-moi la place, car je suis plus âgé, dit Wäino.
- Il ne s'agit pas de vieillesse ou de jeunesse ! Tu es Wäino, je suis venu de Laponie te défier et te battre ! Tu ne me vaincras pas, vieil imbécile ! Conta Eirik.
Il s'agissait d'un combat de poésie et de chant. Malgré toutes les années de Wäino, Joukahainen se pensait meilleur que lui.
L'arrogant jeune Lapon chanta la vie de chez lui et le vieux Mage se moqua. Agacé, Jouk chanta encore et se vanta de choses impossibles, et Wäino se moqua encore du jeune sot.
- Si les chants ne te suffisent pas, je te battrait à l'épée !
Le Sorcier refusa car, dit-il, il ne voulait pas lui faire de mal. Joukahainen se perdit en menaces, criant, rouge de colère.
Puis Wäinämönen perdit patience.
Encore, Eirik s'arrêta.
Le vieux Sorcier se mit alors à chanter sa magie d'une voix haute et puissante. Le sol sentrouvrit sous le jeune Lapon terrifié qui demanda grâce en proposant toute ses possessions à Wäino.
Des armes ? Il n'en voulait pas. De l'or ? Non plus.
Alors Joukahainen offrit sa jeune sur au Mage. Aïno, sage et belle. Wäinämönen fut satisfait et accepta. Il se sentait vieux et seul.
A cinq jours de là, Aïno tressait ses fins cheveux noirs en pensant à son frère. Alors elle le vit arriver ! Elle cria de joie et appela père et mère. Mais le visage de Joukahainen était empli de larmes amères.
- Je pleure car je suis un mauvais fils et un mauvais frère. Le sage m'a vaincu et je lui ai vendu Aïno pour épouse afin de vivre.
La jeune-fille sanglotait. Elle pleura nuit et jour.
En cherchant du bois, Aïno entendit la voix de Wäino l'enjoignant de revêtir sa robe d'épousée. Aïno rentra chez elle en courant et raconta cela à sa mère qui lui ordonna d'obéir. La fillette mit donc sa robe d'épousée... Elle ne voulait pas épouser ce vieillard !
Après ce long paragraphe, Eirik but à nouveau. Son histoire, qui n'était qu'un infime chapitre, allait sur sa fin.
Aïno se sauva et arriva près d'un lac où elle s'endormit, épuisée.
Au matin, elle ôta son voile d'épousée et entra dans l'eau...
- Que jamais mon père ne pêche dans ce lac, que jamais ma mère y puise l'eau. Dans chaque goutte de ce lac il y aura mon sang.
Ainsi parla Aïno en mourant...
Un lièvre la vit et s'en alla rapporter la mort de la fillette à la famille de celle-ci, qui s'effondra de chagrin. Wäino aussi était très triste.
Il se précipita près du lac et y jeta un filet. Seul un petit poisson doré s'y était pris les écailles. Le Sage prit son couteau pour l'ouvrir mais le poisson séchappa.
- Je n'étais pas né pour que tu m'éventres ! Dit le poisson.
- Et pourquoi donc était tu né ?
- Je suis la petite Aïno, ta petite épouse, et tu m'as perdu deux fois.
Et le poisson-fille disparut pour toujours...
Eirik souffla un coup.
Tout le monde pleurait Aïno. Sa mère s'en voulait et se désolait d'avoir promis sa fille à un homme dont elle ne voulait pas. Elle versait des larmes sans fin. Et ces larmes formèrent trois fleuves et les fleuves trois cascades et au milieu des cascades trois îles avec trois montagnes d'or. Et sur chaque montagne il y avait un bouleau et sur chaque bouleau un coucou qui chante.
Le premier coucou chante un chant d'amour, le second un chant de regret, le troisième un chant de douleur.
Le chant d'amour est pour la petite Aïno, l'épouse qui n'a pas connu l'amour. Le chant de regret est pour le vieux Wäino, qui a perdu sa jeune épouse et l'appelle en vain sur les rives du lac.
Le chant de douleur est pour la vieille mère, qui pleure sur son seuil des larmes sans fin et nourrit de ses pleurs les fleuves et la cascades.
C'était le ton de la fin et il le fit comprendre à Fanette. Il se garda de tout commentaire pour ne pas interférer avec ceux de sa compagne.
* Histoire tirée du Kalevala
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