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[RP] Qu'est-ce qu'on peut bien (re)faire après ça ?

Eirik_gjermund


Fanny avait accepté ses remontrances. Eirik pouvait se montrer très pédagogue. Mais pas toujours.
Il lui avait demandé où elle avait apprit à suturer. Son lapsus était révélateur quant à ses sentiments pour le père de ses gosses. Eirik le remarqua mais n'en dit rien. Il n'en pensait rien non plus. C'était son histoire, pas la sienne. Fanny se confia pourtant et Eirik l'écouta.

Il ne fait pas bon être dans l'entourage proche des tueurs comme il l'était. Les amis, la famille surtout. C'est dangereux. C'est pas une vie.
Si on fait ce métier, 'faut être seul. Ou sans-cœur.
Dit-il d'une voix bourrue.
Il n'ajouta pas qu'il pensait que c'était meilleur pour ses gosses et pour elle. On ne lui avait pas demandé son avis.
Eirik laissa Fanny à ses songeries et se perdit dans les flammes sans penser à rien. Il avait trop de soucis. Regarder le feu intensément le soulageait.

Ils mangèrent. Surtout lui. Elle mit son frêle morceau de poulet dans sa gamelle.

Non. Mange !
Eirik allait lui rendre son dû lorsque Huan leva la tête.

Derrière eux, il y avait la fille d'hier. Transie de froid. Fanette la retint et comme elle hésitait, Eirik lui dit d'approcher. Il s'écarta du feu pour lui laisser la place la plus chaude.
Elle bégaya son prénom. Ça y ressemblait en tout cas. Elle était sale et elle puait. Eirik regarda son assiette et les deux morceaux de poulet. Il prit le sien à main nue, par l'os de la cuisse et donna sa gamelle à la brune.

Mange. Ou tu vas mourir.
Elle croassa un "merci" chevrotant. Eirik lui donna sa flasque de whisky.
Alcool fort. Ça réchauffe. Bois.
Jjje ne bbbois pas dd'alcol fffort.
Alors commence. Ça réchauffe.

Elle obéit à contre-cœur et cracha presque tout par la bouche et le nez puis... elle se mit à pleurer.
'Manquait plus qu'ça ! Eirik regarda Fanette d'un air de dire "tu t'en charges !".

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Sa langue natale
Lison_bruyere
Elle se contenta d'acquiescer sobrement aux paroles d’Eirik. Elles ravivèrent les difficultés qu'elle avait eu à s'éprendre d'un assassin. Roman lui-même avait douté du bien-fondé de l'entraîner dans sa vie. Il l'avait abandonnée près d'un mois, juste avant leur mariage, perdu aux affres des remords, mais il l'avait engrossée, et il était trop tard pour faire volte-face. Elle n'était plus Corleone à présent, depuis plus d'un an, mais néanmoins, sa vie ne s'était pas apaisée pour autant. Les ennemis du clan, l'un d’eux surtout, continuait à faire peser ses menaces sur elle et ses enfants dès qu'il en avait l'occasion. C'est même cette raison qui l'avait poussée à accepter une seconde union, orchestrée par son père. Elle n'était plus très sûre d’avoir eu raison à présent.

La fille vint interrompre ses pensées et le repas frugal qu'elle s'efforçait d'avaler. Le Nordique avait approuvé son geste, bien que son visage ne laissât paraître aucune émotion, si ce n'est l'agacement, quand la brune avait fondu en larmes. Rien ne semblait pouvoir calmer les sanglots qui la secouaient, à moins que ce ne fût le froid qui continuait à la faire trembler comme une feuille. Si Fanette ignorait ce qu'elle avait pu subir, elle avait peur de l’imaginer, à commencer par la nuit qu'elle avait dû passer seule, peut-être non loin d'eux. C'était un miracle qu'elle ait pu résister aux températures glaciales de la tempête.

Elle se rapprocha et vint enrouler son bras aux épaules de Sylvia. Elle la sentit se contracter sensiblement au contact, mais elle maintint son étreinte, légère, tiède et réconfortante, se gardant d’un mot, la laissant simplement évacuer le trop-plein de larmes qui se déversait à ses joues. Elle avait bien du mal à garder une distance émotionnelle, tant la jeune fille la ramenait aux violences qu’elle-même avait subies et dont certaines resteraient à jamais gravées à sa peau. Certes, elle avait échappé au viol, parfois de justesse. Le seul qui s’était permis de la forcer en quelques occasions était son époux, sans doute cela ne comptait-il pas. Mais elle avait connu les menaces, les coups, la morsure de l’acier. Elle avait appris que la justice faite par les hommes ne rendait que rarement grâce aux femmes, surtout à celles qui n’avaient rien. Elle l’avait expérimenté au sortir de sa quinzième année, quand un bourgmestre bienveillant s’était appliqué à la convaincre de déposer plainte contre un butor qui l’avait battu comme plâtre pour tenter de la déflorer. Elle ignorait comment il l’avait su, mais on l’avait obligée à raconter encore et encore, par le détail, la violence sordide de ces instants où elle avait cru perdre la vie, au comte, au procureur, au juge … Pourtant il n’y avait eu aucune condamnation, rien que la honte d’avoir répété son histoire quand elle aurait voulu la taire et l’oublier.

Elle ignorait le détail de ce qu’avait vécu Sylvia, mais elle puisait à la souffrance qui imprimait des sillons clairs sur ses joues crasseuses de la brunette la justification des morts de la veille. Il n’était de justice que celle qu’on se rendait soi-même, immédiate et sans appel, et, des quatre hommes qui avaient entravé la jeune fille, au moins trois étaient morts. A cette heure, elle ne le regrettait pas. Quand la brune parvint à se calmer un peu, c’est finalement la première chose qu’elle trouva à lui dire, pour entamer une discussion qui serait sans doute difficile.
 
– Tu n’crains plus rien, ils sont morts … enfin, sauf le plus jeune qui s’est enfui.

La fauvette ignorait bien sûr que le fuyard s’était collé la cheville dans un piège et que la nuit l’avait emporté. Elle ôta son bras des épaules féminines et lui offrit un sourire.

– J’m’appelle Fanette. Lui c’est Eirik, dit-elle en pointant le blond. Et le chien, c’est Huan.
Le dogue s’approcha en entendant son nom, oreilles plaquées en arrière en battant joyeusement du fouet. La fille le regardait d’un air méfiant.
– Il est gentil, t’en fais pas.

Elle répondit d’un hochement de tête, sans lâcher des yeux l’animal. L’Angevine l’observait. Elle était sale, mais ses mains étaient dans un état bien pire que le reste. Les ongles noircis de terre prolongeaient ses doigts entamés jusqu’au sang, sans doute à creuser à mains nues un abri de fortune, ou à se défaire de ses liens. Elle se leva, s’assura d’un regard que le Nordique ne trouvait rien à redire et alla piocher dans sa réserve d’herbes sèches. Puis elle remit à chauffer sur les flammes une gamelle au cul noirci de suie qu’elle venait d’emplir de neige.

– J’vais r’faire une décoction de thym pour nettoyer tes mains.

Elle hésita un peu, ne voulant l’effrayer à se montrer trop intrusive dans ses questions. Pourtant, si elle avait d’autres plaies, il serait bien venu de les nettoyer aussi. Elle n’osa rien lui demander finalement, espérant que la brunette causerait d’elle-même si elle en avait l’envie ou le besoin.

Fanette s’accroupit de l’autre côté des flammes, s’employant à faire infuser la juste quantité de simples, et à sacrifier de nouveau un autre bout de ce qui restait de vêtements. Sylvia suivait chacun de ses gestes sans prononcer un mot, mais ses joues semblaient un peu moins pâles, colorées sans doute par la proximité de la chaleur. Elle attarda ensuite un regard sur le Nordique et se leva doucement. Elle contourna elle aussi le feu pour rejoindre la roussette. Elle se baissa à sa hauteur, prête sans doute à lui confier quelque secret qu’elle voulait dissimuler à l’oreille masculine, mais elle se figea au grognement émis dans son dos.

Hund venait de revenir, les babines et le poil encore maculés de sang. Il gronda sourdement en direction de la fille, sans lâcher le lièvre mort qu’il tenait dans l’étau de ses mâchoires. Tête et queue haute, il la toisait fixement, son épais pelage s’était hérissé sur toute la longueur de l’épine dorsale.
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--Sylvia.


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Elle avait eu tellement peur ! Elle avait ENCORE peur. Nerveusement et physiquement épuisée, Sylvia fondit en larmes, le corps secoué de sanglots, le nez plein de morve, les joues ruisselantes. Elle n'arrivait pas à maîtriser le bruit de ses pleurs désespérés.
Le jeune-femme la serrait contre elle et ce contact amical achevait de la faire pleurer. Après de longues minutes bruyantes, Sylvia commença à se calmer. Elle ne voulait pas regarder l'homme. Même s'il l'avait acceptée, il lui faisait peur. Mais plus le gros chien. Elle avait un chien... Un petit bâtard au poil sable.


Tu n’crains plus rien, ils sont morts … enfin, sauf le plus jeune qui s’est enfui.
Sylvia renifla bruyamment.
J’m’appelle Fanette. Lui c’est Eirik. Et le chien, c’est Huan. Il est gentil, t’en fais pas.
Fanette lui souriait et Sylvia grimaça un rictus constipé de froid. Le feu commençait à la réchauffer. Le peu d'alcool avalé lui avait brûlé la gorge. Ce n'était pas désagréable mais ça l'avait beaucoup surpris. Elle but une gorgée infime qui lui anesthésia les lèvres, la langue et le gosier. Elle toussa mais ne recracha rien.
M... Merci.
Sa voix se faisait plus sûre.

J’vais r’faire une décoction de thym pour nettoyer tes mains.
Sylvia les regarda et leur état était déplorable. Maculées de terre, de sang, et l'ongle de l'index droit était surélevé, presque arraché. Elle en sentit la douleur, tout d'un coup. Mais ce n'était rien, rien du tout.
Elle regardait en silence, avec ses billes noires, la jolie Fanette s'activer. Devait-elle lui parler de.. de "ça" ? C'était une femme après tout.
Le brunette se leva et rejoignit Fanette, toute timide.

Je... J'ai... Euhm... Vous auriez du... tissu ? Je les ai... Dit-elle, très embarrassée.
Elle osa une œillade au blond, qui regardait ailleurs. Elle l'ignorait, mais Eirik faisait ça pour les laisser entre elles. Il savait très bien ce qu'une femme pouvait subir et ne voulait pas s’immiscer. Et puis il n'en avait pas la moindre envie ! D'ailleurs, s'il n’avait pas été blessé, il serai parti chasser.


Quand Sylvia se fut rassise, le Nordique lui tendit l'assiette proposée plus tôt mais Sylvia était si affamée qu'elle n'avait plus faim. Drôle de sentiment. Elle pinaillait le bout de viande froid du bout d'une fourchette gondolée.
Ses yeux s'emplirent à nouveau de larmes mais aucune ne coula.

Ils sont tous morts ? Vraiment ?
Jackie aussi... Il a été pris dans un piège à loups. Il a dû mourir de froid ou du sang perdu... J'ai entendu des loups mais ils ne l'ont pas dévoré... Ni moi... Je... je suis avec... "eux", depuis deux jours. Deux nuits. Oh...

Sylvia se remit à pleurer.

Elle poussa un cri ! Il y avait une bête ! La brune se leva et allait courir pour sauver sa peau, encore une fois.

Hund ! N'ai pas peur, c'est mon chien. Ici, Hund !
L'énorme Berger du Caucase grogna vers l'inconnue puis s'assit, laissant tomber son lièvre devant Huan.

Sylvia les regarda, tous. Surtout Fanette. Elle était calme et lui souriait en la rassurant et l'invitant à revenir s'asseoir. Ce chien était une affreuse bête. Une sorte de loup-garou.

J'ai peur ! Glapit Sylvia, à nouveau tremblante.
Il ne te touchera pas. Fait pareil.
Aucun risque !

Sachant bien que la mort l'attendait si elle fuyait, elle revint vers le feu, à l'opposée du monstre.
Il s'était d'ailleurs couché près de son maître, effrayant lui aussi.
L'autre gros chien avait devant ses pattes un présent.


C'est pour Huan. Hund le nourrit. Brave chien ! Dit le Nordique, fier de son chien, qu'il caressa en faisant disparaître sa main jusqu'au poignet dans les poils épais.

Sylvia regarda Fanette, qui lui avait donné des linges propres pour son problème très féminin. Regard à l'homme. Puis à la femme.

Euh, je... je reviens...
Sylvia grimpa quelques mètres en s'écartant bien du ravin, qui n'était pas si proche. Mais traître, car aussi blanc que le sentier. Il neigeait moins qu'à l'aube et le vent s'était calmé.
Elle retroussa sa robe et descendit ses bas, mettant à nu ses cuisses pleines de sang séché, jusqu'aux chevilles. Un léger flot, bien frais, coulait. Mouillant un linge donné par Fanette avec de la neige, Sylvia lava ses jambes et son intimité sanguinolente. Ce n'était jamais le bon moment pour cette fameuse période...
Hé ! Mais ! Mais si elle avait ses règles c'est qu'elle n'était pas enceinte ! Pas vrai ? Comment s'en assurer auprès de la gentille jeune-femme sans que l'homme blessé n'entende ? Impossible...
Sylvia tint serré entre ses jambes un épais molleton de linges. Elle fut enchantée d'avoir les cuisses si charnues ; la serviette tenait presque seule. Elle fit une boule des lambeaux souillés et les laissa là.

En revenant, Sylvia poussa un cri. La bête l'avait suivie ! Elle courut jusqu'au feu !
Peu après, Hund revint.. avec les linges plein de sang !

Mais qu'est-ce que...
Eirik s'était interrompu et regardait son chien et les deux femmes, l'air bougon.
Grmpf. Je vais voir Hunt. Ma jambe va mieux.
Et c'était vrai.
Eirik se leva en grognant, sentant sa blessure au côté, puis celle à sa jambe lorsqu'il fut debout. Il allait mieux. C'était une bonne chose car ils pourraient bientôt repartir. Il leva ses yeux de glace vers le ciel blanc qui masquait le soleil. Conscient des heures qui passaient sans avoir à consulter l'astre, Eirik estima l'heure à midi. La nuit tombant dès seize heures trente en cette saison, ils ne partiraient que demain. Très tôt ! En espérant que l'accalmie perdure.

Les deux femmes étaient seules près du feu.
Sylvia avait cessé ses sanglots mais une larme coula sur sa joue sale et se perdit sur le début de croûte qui lui barrait la lèvre. Souvenir du chef des morts.


Lison_bruyere
Fanette regarda le Eirik s'éloigner. Elle ne savait dire son état d'esprit. L'homme savait être peu expressif. Son regard glissa sur la jeune fille assise à ses côtés. Elle surprit son regard, posé lui aussi sur le Nordique qui rejoignait son cheval. Une larme traça un sillon clair sur sa joue crasseuse. Elle se revit quelques jours plus tôt, au sortir des geôles, quand le blond l'avait trouvé.

– Tu sais, il est aimable derrière ses airs terrifiants.

Le visage de la brune se tourna vers la roussette qui lui offrit un sourire bienveillant. Ces mots lui étaient venus naturellement, tant ils pouvaient s'appliquer au barbu, pourtant, c'est à elle qu'on les avait adressés, au jour précis de ses dix-neuf ans. Elle s'abîma à ce souvenir qui, s'il ne datait que de l'été lui semblait à une éternité. Tigist l'ébène, l'avait épilée, lavée, vêtue, parfumée, coiffée selon les rites de son pays. En trois heures de temps, elle avait fait de l'Angevine une petite africaine au teint de nacre et aux cheveux d'or et s'était efforcée d'apaiser ses angoisses. Fanette avait alors épousé le colosse balafré. Il avait su se montrer aimable pour l'apprivoiser, pas trop longtemps cependant. Il l'avait ensuite précipitée dans le gouffre qui séparait leurs deux cultures, et la fauvette pourtant docile par nature s'était défendue avec les seules armes qui lui étaient familières. En à peine plus de trois mois de mariage, elle s'était enfuie, deux fois déjà.

La jeune mère sentit peser sur elle le regard de Sylvia. Elle chassa le souvenir et s'efforça de prendre un air plus avenant, pourtant, une question lui tournait dans la tête depuis tout à l'heure. Elle hésita un peu, avant de se décider.

– Tu as causé d'Jackie tout à l'heure. C'est qui ? L'jeune homme qu'était avec les autres ?

Il n'était sans doute guère charitable de souhaiter la mort d'un homme quel qu'il soit, mais pourtant, Fanette espérait que sa réponse serait affirmative. Elle craignait qu'il n'aille raconter une vérité autre que ce qui s'était passé la nuit précédente et elle ne voulait pas finir au bout d'une corde. Elle se dressa et fit quelques pas sur place, pour dégourdir un peu ses jambes. Huan releva la tête et abandonna les restes du lièvre qu'il avait au trois quart dévorés pour venir la rejoindre. Elle passa sa main dans le pelage ras de l'animal. Aussitôt, le dogue la délaissa au profit de la jeune fille qu'il ne connaissait pas. Il s'approcha, guère méfiant, et flanqua sa truffe humide dans la tignasse décoiffée de la brune. Sylvia le repoussa gentiment, cependant, il ne semblait plus y avoir de crainte dans son attitude. Le chien se laissa tomber lourdement au sol, à côté d'elle, et la jeune fille se mit à le caresser.

Peut-être trouvait-elle de l'apaisement à ce geste. Fanette en trouvait toujours. D'ailleurs, on pourrait croire aisément que le chien percevait ces moments où quelque tourment la rongeait. Il venait généralement poser sa lourde tête à sa cuisse et attendait sans bouger que le temps passe. La fauvette se plut à penser qu'il avait senti la détresse silencieuse de la brunette. Elle reprit place près du feu, non loin d'elle, et l'observait. C'était une jolie fille, même si, sous la couche de crasse et dans ces vêtements dépenaillés, elle n'y paraissait pas. Son visage était harmonieux, encadrés de longs cheveux noirs. Ses grands yeux sombres s'ourlaient de longs cils et la carnation foncée de ses lèvres s'accordait à la blancheur de sa peau. Elle était aussi ronde que Fanette était mince. Elle se souvint des rares fois où son père consentait à lui parler de sa mère, cette jolie blonde enveloppée qu'il avait aimé, perdu, et pleuré dix-sept longues années. Si bien souvent il avait reproché à sa fille sa ressemblance avec l'amour de sa vie, il avait admis avec un peu de regret sans doute, que, si elle n'était pas plus grande qu'elle, elle était aussi finement construite que lui. Il avait cette façon de dire les choses qui rappelait à sans cesse à Fanette combien elle était imparfaite aux yeux de son père.

– Tu vis pas loin d'ici ?

C'est sans doute une autre question qui tenaillait la fauvette, mais elle ne savait pas si elle devait la poser. Peut-être qu'il serait salvateur d'évacuer ses souffrances, quoi que, certaines préféraient les garder pour elles. En cela, chaque personne était différente. Si sylvia avait envie de raconter ce qui s'était passé ces deux jours et deux nuits où elle était prisonnière, elle devait juste lui laisser l'occasion de le faire. Elle allongea le bras pour déposer une main amicale sur la jeune fille et tourna la tête pour situer le Nordique. Il pansait son cheval à plusieurs toises d'elles.

– Eirik nous entend pas. Tu peux causer librement tu sais.
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Eirik_gjermund


[ Près de Hunt ]



Eirik n'avait pu que remarquer la détresse de Sylvia. Il aimait bien les prénoms français... Sylvia, Fanette, ça sonnait français. Il était fier de son prénom Norvégien mais aimait bien un bon vieux Jean-Paul ou un Charles. Mais pas pour lui.

Laisser les deux femmes coulait de source. Peut-être qu'amputé, il aurait fui aussi. Eirik n'aimait pas les histoires de bonne femme. Leurs émotions dégoulinantes l'exaspéraient. Et il avait bien vu le linge souillé de sang que Hund avait ramené, et la gêne de la nouvelle venue, mortifiée. Pas une blessure, ça.
Qu'une femme saigne sans être blessée, c'était un fait qui dépassait l'homme du Nord. Une aberration. Eirik ne comprenait pas et n'était pas le moins du monde curieux de savoir.
Fanette saurait s'occuper de tout ça. Lui ne pouvait rien faire. Rien faire pour tout.

Le neige parsemait ses cheveux et le dos de Hunt. Et tout le paysage.
Eirik donna un peu d'avoine à son imposant cheval... En se demandant s'ils allaient devoir bouillir le reste. Sylvia était une bouche de plus à nourrir. Quelle déveine ! Aurait-il préféré qu'elle périsse ? Non. Non... Elle semblait être une brave fille. Avec une bouche et un estomac.

Hund, les babines engluée de sang sec, vint vers son maître. Eirik lui caressa la tête. Caresser la tête d'un chien était un bref signe pour le soumettre. Lui flatter la gorge, en revanche, élevait l'animal. Eirik ne le faisait jamais.

Il s'assit à quelques pas du cheval et Hund posa sa grosse tête sur sa cuisse. Eirik saisit un bout de bois et son couteau. Il se mit à l'écorcer pour le tailler. Une tâche qui absorbait toutes ses pensées.
Il couvrit sa tête de sa chaude capuche, heureux de voir la neige tomber, même si elle les bloquait encore. Les flocons apaisaient son esprit, et son âme retournait chez lui.

Son frère Gjurd avait-il un sixième enfant ?
La femme de Tormod s'était-elle remise de sa blessure à l’œil causée par un bois de renne ? Depuis le temps... Tormod naviguait-il toujours ?
Halvor créait-il d'autres belles chansons ?
Et Kukka, sa sœur, avait-elle un époux digne de sa beauté et de sa finesse ?
Et ses parents, Knut et Kaija, allaient-il bien ? Ils n'étaient plus tout jeunes... La vie dans le Nord était rude.
Sa grand-mère maternelle, Äsa, devait être morte, la brave femme...

Le bout de bois prenait une forme sous les habiles coups de couteau.

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Sa langue natale
--Sylvia.


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Sylvia avait cru mourir de honte en voyant le monstre revenir avec le linge souillé du sang de ses menstrues. Voir le Blond partir ne l'avait pas plus soulagée, sur l'instant. Il avait vu.
Tu sais, il est aimable derrière ses airs terrifiants.
Hm... Peut-être. Enfin, oui, puisque tu le dis. C'est ton père ? Euh, ou ton mari ?

Les joues rondes devinrent encore plus rouges. Elle espérait ne pas avoir mis Fanette mal à l'aise. Elle, elle l'était.
Pour se donner une contenance, Sylvia tenta de défaire sa natte, pleine de nœuds et de brindilles et de terre. Elle ne put libérer que quelques mèches hirsutes. Elle qui avait de si beaux cheveux, naguère... Comme une ancienne vie... Deux jours. Deux nuits. Sylvia n'était plus la même.
Elle avait été une jeune-fille enjouée, avec du répondant. Bavarde, trop parfois. Farceuse. Pleine d'espoir. Celui d'épouser le fils du maréchal-ferrant et de lui donner de nombreux enfants ! Avant...

Tu as causé d'Jackie tout à l'heure. C'est qui ? L'jeune homme qu'était avec les autres ?
Oh, lui... Oui. Jackie, le fils de Michel. Le gros. Ce manteau est à lui. Était... C'était le moins méchant. Il m'a pas... Lui... Non... Mais les autres... Tous... Les trois... Oh...

Sylvia se remit à sangloter.
Je me sens.. si sale...
Tant mieux qu'ils soient morts ! Tous ! Même Jackie ! Il a essayé... Il n'a pas pu... J'crois pas qu'il voulait. Il s'est excusé quand les autres le voyaient pas. J'y ai dit d'me libérer. Il l'a pas fait. Il méritait pas cette mort là... Il a beaucoup souffert je pense.
Et les autres ? Ils sont morts comment ? J'espère qu'ils ont souffert ! Que des salauds de la pire espèce !

Sylvia cracha sa haine d'un mollard dans le feu.
Elle arrivait à nouveau à parler. Elle croqua un bout de poulet froid.


Tu vis pas loin d'ici ?
Pas trop non... Ou si... On a beaucoup marché. J'sais pas du tout où on est... Avec toute cette neige... Mes parents doivent être si inquiets ! Oh, j'pourrais jamais y retourner ! Jamais ! Pas après "ça", non, jamais !
Eirik nous entend pas. Tu peux causer librement tu sais.
Je...


Sylvia laissa couler ses larmes. Elle ne pouvait pas le dire. Fanette l'aurait deviné.
J'ai... J'avais un amoureux. Thomas. On devait s'marier... J'étais pure. Mais maintenant...
Sylvia regarda Fanette en ouvrant des yeux ronds.
Si j'ai mes lunes, j'peux pas être enceinte, pas vrai ?
A deux jours près, ça comptait ?



Lison_bruyere
Fanette esquissa un sourire. La déduction de Sylvia était sans doute logique. Une jeune femme seule voyageant avec un homme, sans doute ne pouvait-il être qu'un parent ou un époux. Elle secoua pourtant doucement la tête pour la détromper.

– Il n'est ni l'un, ni l'autre. C'est ...

Elle hésita. Comment pouvait-elle qualifier Eirik ? L'amitié s'éprouvait au temps et à la distance, et elle le connaissait si peu. Ce qui était certain c'est que, par trois fois, la providence l'avait mis sur son chemin quand elle avait besoin d'aide, et qu'il ne s'était jamais dérobé. Malgré tout, elle ne savait répondre à la jeune fille.

– … c'est … Il me ramène auprès de mes enfants.

La brunette semblait mal à l'aise. Elle tenta de défaire sa natte. Fanette se rapprocha.

– Laisse-moi faire.

Les doigts fins de la fauvette glissèrent dans les longues mèches sombres. La patience, elle connaissait. Il lui en avait fallu, le soir où Eirik avait payé la chambre et le bain. Elle ne savait même plus dire où c'était et à combien de temps. Juliette, l'aubergiste, lui avait prêté un peigne de corne, et elle avait passé un moment interminable à démêler ses boucles. Il lui en faudrait encore, car depuis lors, elle n'avait plus eu l'occasion de se coiffer autrement qu'avec ses doigts. Patiemment donc, et veillant à ne pas lui faire mal, elle ôtait une à une les brindilles. Elle extirpait des nœuds chaque cheveu, presque un à un.

– Voudras-tu que je les tresse de nouveau quand ils seront démêlés ?

Fanette avait pris le parti de causer de choses futiles, quand elle pressentait tant de choses graves en suspens, tant de paroles difficiles à rendre. La souffrance silencieuse de la jeune fille la touchait, peut-être parce qu'elle avait souffert elle aussi. Ou bien était-elle simplement faite ainsi, de ces bois peu solides qu'il est aisé de griffer d'un coup d'ongle. Mais malgré toutes les épreuves passées quelques jours plus tôt à peine, elle trouvait dans le réconfort qu'elle devait à Sylvia le courage d'oublier ses propres peurs, l'épuisement, la crasse et l'éloignement forcé de ses deux enfants. Peut-être ne savait-elle montrer de la force que quand elle y était contrainte d'une quelconque manière.

Elle acquiesça soulagée pour la mort du fils du gros bonhomme. Ses doigts poursuivaient leurs manèges dans les longues mèches sombres. Elle ne voyait pas les yeux de la jeune fille, affairée au côté de sa tignasse. C'est sans doute cette proximité un peu distante qui l'avait finalement encouragée à livrer l'indicible, à demi-mots, entrecoupés de sanglots. Fanette se mordilla un coin de lèvre, machinalement, comme elle le faisait souvent quand une émotion la débordait. Ses mains glissèrent des cheveux aux épaules de la brune, elle les pressa doucement. Elle lui laissa le temps d'aligner ses idées, en essayant de refouler les images sordides qui lui venait.

Elle se décida à se décaler légèrement, pour revenir face à la jeune fille, et accrocha son regard d'obsidienne avec toute la bienveillance dont elle pouvait faire preuve. Sa dextre se porta à la joue maculée de larmes. Elle les essuya avec douceur, puis vint saisir sa main.

– Peu importe la façon dont ils sont morts. Ils le sont, c'est tout ce qui compte et je suis d'accord, c'est tant mieux.

Elle hésita sur la suite à donner. Elle comprenait bien les craintes de Sylvia, sa honte, la terreur. C'étaient ces mêmes raisons qui l'avaient poussée à se réfugier deux jours durant au secret d'une chambre d'auberge quand elle avait été agressée par ce butor de Gandalph, et si personne n'était venue l'obliger à en sortir, sans doute y serait-elle encore.
Les mots de la brunette pourtant, la révoltèrent. Pourquoi fallait-il toujours que ce soit les victimes qui se sentent salies, ou coupables ? Souillées, ou battues par les hommes, fallait-il encore que l'entourage les persuade qu'elles étaient responsables de ce qui leur arrivait ? Fanette se souvint de la réaction de Roman au sujet la balafre hideuse qu'elle gardait de la violence du Pictave. Il lui avait reproché de ne pas s'être fait soigner, sans vouloir comprendre la terreur qui l'avait conduite à se terrer.

– Ecoute-moi bien Sylvia. Tu n'es pas sale … enfin, pas autrement que par la crasse qui couvre tes joues ou tes mains ...

Elle lui montra sa mise peu élégante et ses boucles en bataille pour reprendre :

– Si ça peut te consoler, j'dois guère être mieux. Camper avec ce temps, c'est pas facile pour avoir l'air d'une jolie dame hein !

Ça l'était encore moins quand on n'avait rien sur soi, pas même un peigne, mais elle n'avait guère besoin de le préciser. La jeune fille pouvait bien imaginer qu'il y avait une raison pour qu'elle démêle ses beaux cheveux avec ses doigts.

– J'peux pas imaginer d'aller m'baquer dans les cours d'eau, j'crois que je gèlerai sur place, pas toi ?

Elle lui sourit, tentant de la détourner un instant du chagrin qui roulait à son gracieux visage. La jeune fille évoqua ses parents, et Fanette se heurta à de l'incertitude. Elle la questionna :

– Pourquoi ne pourrais-tu pas y retourner Sylvia ? Comment est ta vie avec eux ? Ils t'aiment ? Tu sais, si c'est le cas, ils seront heureux de te voir revenir en vie, et qu'importe ce qui s'est passé. Ils préféreront cela que ne jamais savoir ce qui a pu t'arriver ou te penser morte.

Stella n'était qu'un nourrisson encore mais, la fauvette se prit à espérer que jamais elle ne connaisse les souffrances, et comptait bien toute sa vie savoir l'en préserver ou à défaut, les consoler. Elle laissa le temps à la brune de réfléchir à ce qu'elle venait de lui dire. Mais une autre question bousculait déjà les pensées de la jeune fille. Sur le sujet de l'amoureux, la fauvette ne sut pas quoi dire. Etait-il de ces hommes qui ne voudraient plus d'elle maintenant que d'autres l'avaient déflorée ? Elle hésita et finalement, éluda le sujet … et pour le reste, elle ne savait dire avec précision. Elle n'avait jamais eu de mère ou de sœurs pour lui expliquer ces choses de femmes. Puis, quand Roman l'avait épousé, elle en savait guère plus, et l'Italien, désireux d'être père s'était gardé de trop l'instruire.

– Oui, peut-être. Je sais pas trop à quel moment les menstrues s'arrêtent à vrai dire, mais elles s'arrêtent. J'ai été grosse deux fois, quand je m'en suis rendue compte, je saignais plus, et j'étais malade aussi.

Elle la regarda d'un air grave et hésita encore, avant de se décider à lui préciser :

– Sylvia, si ça devait arriver ... que tu sois grosse. Tu sais, si tu ne le veux vraiment pas, il y a des femmes qui connaissent le secret de certaines plantes. On m'a dit ça, on peut les faire partir, tant qu'ils sont tout petit, paraît.

Fanette ne savait pas ce qu'on administrait en pareil cas, mais, quand Roman l'avait abandonnée, grosse de Stella, une Limougeaude lui avait proposé de débarrasser son ventre de ce poids, à condition qu'elle se décide rapidement. Même son beau-père, cet empoisonneur de vieux Corleone, dans un accès de colère, l'avait menacée de la même sanction. La jeune mère ne voulait pas élever des enfants sans père, pourtant, pour plusieurs raisons, elle n'avait pas su se résoudre à tuer la petite vie en son sein.
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--Sylvia.


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Alors Eirik n'était ni son père ni son mari ? Il avait l'air bien renfrogné pour un amant...
… c'est … Il me ramène auprès de mes enfants.
Oh... Tu es maman...

Sylvia pensait que Fanette avait son âge, peu ou prou.

Elle la laissa défaire son épaisse tresse sans tressaillir aux tiraillements. Avant, elle pouvait crier sur sa sœur si elle tirait trop. Maintenant, ça lui semblait ridicule.

Voudras-tu que je les tresse de nouveau quand ils seront démêlés ?
Euh... Non, ça tient chaud. C'est ma sœur qui avait fait ma natte. Elle coiffe bien, même si elle tire...

Un petit sourire nostalgique pointa. Enora devait aussi se demander où elle était partie... Sylvia se remit à sangloter, tout en parlant à demi-mot des choses horribles qu'elle avait endurées.

Peu importe la façon dont ils sont morts. Ils le sont, c'est tout ce qui compte et je suis d'accord, c'est tant mieux.
J'espère qu'il leur a fait mal.

Il lui semblait logique que ce soit l'homme blond qui les ai tués.
Fanette revint face à elle et essuya ses larmes. Malgré ses paroles, Sylvia pleurait toujours.

Si, je suis sale ! J'ai en moi leurs... AAaah, rien que d'y penser...!!! Je me suis frottée avec de la neige mais... ce n'est pas que mon corps... Tout... Jusqu'à mon âme.
La brune évoqua sa famille.
Pourquoi ne pourrais-tu pas y retourner Sylvia ?
Je m'entends bien avec ma mère et ma petite-sœur. Mon père.. bah, il dit jamais rien, sauf pour gueuler. Il travaille dur pour nous. J'sais pas... J'pense qu'il va m'en vouloir. J'aurais pas du m'éloigner. C'est ma faute...

Sylvia ne pleura pas en disant cela.

Je sais pas trop à quel moment les menstrues s'arrêtent (.....) Répondit Fanette en suivant la discussion.
Sylvia, si ça devait arriver ... que tu sois grosse. (.....)
Elle continua et Sylvia poussa une exclamation outrée.
Mais j'irais en Enfer si je fais ça ! C'est interdit ! C'est aussi pour ça qu'il faut attendre le mariage, pour procréer et pas copuler comme des bêtes ! Comme... ces types. Des bêtes !
Non, j'pourrais jamais. Tu l'as fait, toi ?

Vu sa véhémence, une réponse franche ne coulerait pas de source...


Le démêlage de ses cheveux épais et longs jusqu'à la taille prendrait une éternité ! Sylvia sépara sa chevelure et se chargea de tout un pan. C'était relaxant.

Vous partez où, en plein hiver ? Chercher tes enfants, c'est ça ? Il veille sur toi, c'est ça ? Je trouve qu'il fait peur... C'est pas un serviteur, si ?
Après sa réponse, Sylvia interrogea Fanette avec pudeur sur ses enfants et elle lui répondit gentiment.

Il va rester là-bas au froid ? Il est blessé... C'est les types ? Il faut qu'il revienne au chaud. J'suis vraiment désolée pour lui... Vraiment.
Fanette alla vers Eirik et ils revinrent. Sylvia était gênée.
J'suis désolée Monsieur, d'vous embêter comme ça. Je v...
Garde ta salive. T'es là, t'es là. Le principal c'est que tu sois entière. T'as pas mangé.
Non, mais on démêlait...
Et alors ? C'est important ?
Non...

Ses cheveux étaient presque sans gros nœuds. Intimidée et surtout affamée, Sylvia mangea le poulet froid qui l'obligeait à une mastication intensive. Eirik lui proposa de le remettre à chauffer et n'attendit pas sa réponse pour le faire. Drôle de bonhomme. N'empêche, c'était bien meilleur chaud !

Après avoir tout mangé, Sylvia demanda, d'une petite voix :

Vous les avez tous tués ?
Il leva ses yeux froids qui contenaient un peu de chaleur.
Tous. Sauf celui que tu as vu mort.
Comment ?

Eirik, égal à lui même, ne s'encombra pas de douceurs.
J'ai éventré le gros, Fanny a assommé le moyen et mon chien a dévoré la gorge et la face du brun. Puis j'ai tranché la gorge à celui qui était assommé.
Sylvia eut son premier vrai sourire et il illuminait son joli visage meurtri de souffrances.
C'est bien comme ça. C'est tout c'qu'ils méritaient.
Il grogna. Bizarre.
Sylvia regarda Fanette.

Ils ont eu la mort qu'ils méritaient ! Mais t'es pas du tout blessée ?! T'as fais comment ?
Elle admirait déjà cette femme si forte. Elle avait aussi moins peur d'Eirik. Il était bourru mais Fanette avait raison, il n'était pas méchant. Pas avec elles...


Lison_bruyere
La petite exclamation surprise de la jeune fille au sujet de son statut de maman étira aux lèvres angevines un léger sourire teinté de mélancolie. Cette simple petite phrase raviva le manque qu'elle avait d'eux.

– Je le suis oui. Ils sont nés au mois d'avril tous les deux, Milo en soixante-six et Stella cette année.

Ce moment partagé, à prendre soin des cheveux de la brunette, allait bien au-delà d'une simple considération esthétique. La parole se libérait, doucement, et Fanette lui avait prêté une écoute empathique, respectant chaque silence, chaque larme, chaque phrase laissée en suspens ... Et d'une évocation à l'autre, Sylvia évoquait sa famille, ramenant une fois de plus la fauvette à son propre vécu, ses propres douleurs.

Elle se demanda quel lien elle aurait eu avec sa mère et sa petite sœur si elles avaient vécu. Elle se souvenait avoir dit un jour à son père, sous le coup de la colère, que sa vie aurait été différente. Il lui avait rétorqué avec morgue qu'elle avait bien raison puisque jamais sa mère ne l'aurait laissé épouser le Corleone, et que par conséquent, ses enfants n'existeraient pas. Certainement avait-il raison. Quelle mère laisserait sa fille s'éprendre d'un assassin notoire, arrogant et prétentieux ?

– Si ton père travaille dur pour vous, c’est sans doute qu’il vous aime, à sa façon. Tu sais, les pères ne sont pas toujours très habiles.

C’était un doux euphémisme. Quels souvenirs gardait-elle du sien maintenant qu’il était revenu ? Des paroles blessantes pour elle et ses enfants, une gifle, des colères silencieuses ... Elle en venait à douter qu’il l’aime vraiment, mais ça, elle préféra le lui taire.

Elle ne s’offusqua pas de la réponse outrée de la jeune fille, Fanette aussi craignait le jugement du Très-Haut, et plus encore sa colère, mais pour autant, elle était faible. Alors, quand sur une berge du Clain, au crépuscule de ses seize ans, Roman avait délacé une à une les passes de son corsage, l’esprit encore grisé des danses joyeuses de la Saint-Jean, elle l’avait laissé faire, tremblante d’appréhension et de désir pour ce bel Italien de cinq ans son aîné. Sa voix se fit moins sûre.

– Tu as raison Sylvia, sauf que, parfois, c’est pas si simple. Puis là, c’est différent. Tu crois vraiment que le Très-Haut t’enverrait en enfer ? J’espère bien que c’est là que sont ces types et ceux de leur espèce. Et pour te punir d'une mauvaise action dont tu es la victime, il te forcerait à rester toute une éternité avec eux ? J’ai jamais cru que le Très-Haut soit bienveillant, mais là, il serait bien pire encore que ce que je pense.

Elle marqua un petit temps d’arrêt, se remémorant toutes les questions qu’elle s’était posée pour Stella, puis lui étira un sourire un peu lointain.

– Je te comprends, je refuse de juger celles qui se débarrassent d'enfants nés de telles étreintes, mais, je crois bien que moi aussi, je ne saurais me résoudre à tuer une vie que je porte.

Le silence ne s'installa que brièvement, et, tandis que la jeune fille s'attelait elle aussi à démêler une partie de la longue chevelure, son regard s'égarait sur le Nordique, assis non loin de son cheval. Quelques questions fusèrent.

– Oh ! Non, c'est pas un serviteur. Il n'en a pas l'allure, et moi j'en aurai pas les moyens. Il veille sur moi, oui, j'crois qu'on peu dire ça. T'sais, il fait peut-être peur mais, sans lui, j'aurai eu des misères il y a que'ques jours, peut-être même que je s'rais morte. Et encore la nuit passée.

Fanette bataillait avec un nœud récalcitrant. Elle s'efforçait toujours de ne pas tirer mais celui-là devait l'entendre autrement.

– Oh ! Pardon Sylvia, s'excusa-t-elle avant de poursuivre. Deux hommes emmènent mes enfants vers Brest. J'veux pas attendre le printemps pour les revoir, et y aller seule, c'est compliqué. C'est pour ça qu'Eirik m'emmène, et c'est là-bas qu'on va oui.

Le regard de la brunette s'attardait encore sur la silhouette de l'homme du nord. Elle culpabilisait de le voir sous la neige, quand elles se tenaient toutes les deux près des flammes. Fanette balaya ses excuses d'un geste de la main. Si Eirik s'était mis en retrait, c'est qu'il en avait décidé ainsi. Sans doute lui en aurait-il plus coûté de rester près d'elles en faisant semblant de ne pas les entendre. Néanmoins, puisque ça semblait rassurer Sylvia, elle alla le chercher.

L'espace était assez réduit pour accueillir trois personnes, d'autant plus que le feu, installé juste à l'aplomb de l'ouverture, occupait une belle place. A leur retour, la brunette se ramassa contre la paroi, et Fanette se tassa contre elle pour offrir une place suffisante au blond. Recroquevillée sur elle-même, elle écoutait les échanges sans y participer. Son esprit s'égara un instant au confort feutré de la salle commune de son auberge. Si la fauvette n'aimait pas les assemblées trop nombreuses, elle les supportait bien quand elle officiait comme aubergiste. Premièrement, car elles étaient synonymes de bonnes recettes, mais surtout car elle n'était pas obligée de parler. La plupart du temps, elle écoutait distraitement, juste pour ne pas louper celui qui la hélerait pour se faire apporter à boire. Elle pouvait vaquer à ses corvées ou bien rêvasser derrière son comptoir. C'est à cela que l'Angevine songea en l'instant, retrouver l'espace sécurisant et confortable de sa maison quand bien même son époux devait s'y trouver, se voir assise sur la couverture devant le feu pour partager quelques jeux avec ses enfants, alors qu'elle ne rêvait que de voyage quand elle y était cantonnée.

Le tutoiement la ramena au moment présent, et, au regard de la brune posé sur elle, elle comprit que la question lui était adressée. La soirée de la veille chassa immédiatement les souvenirs de l'auberge du loup. C'est la peur qui se rappela à elle la première, plus encore, la terreur en voyant Eirik flancher, et ou le ricanement du grand quand il tentait de l'écorcher.

– J'sais pas comment j'ai fait Sylvia. J'ai eu peur, terriblement peur, et ...

Elle coula un regard vers Huan.

– Hund nous a sauvés j'crois, mais j'me demande si Huan ne m'a pas sauvé moi. Il m'a fait tomber, et c'est pour ça que l'grand s'est détourné de moi, m'offrant la possibilité de l'viser avec un caillou. J'suis pas très douée tu sais, Eirik te l'dirais. J'crois qu'j'ai eu de la chance.

Au-dehors, le ciel blanc semblait se fondre à l'épais tapis poudré étendu au sol en quelques heures seulement. Quelques flocons épars tombaient encore en se balançant mollement. La beauté du paysage contrastait avec l'âpreté des ressentis qui bousculaient les émotions des deux femmes, encore trop imprégnées des épreuves passées, et peut-être ceux de l'homme aussi. Fanette se leva. Elle avait besoin de se dégourdir les jambes et l'esprit. Elle rassura d'un regard bienveillant la jeune fille et enjamba comme elle put le Nordique pour faire quelques pas au-dehors. Au bord de la falaise, la tempête avait recouvert les traces de sang et de chair, et plus rien ne persistait de la violence qui s'était jouée. Elle n'osa cependant pas un regard vers le bas préférant garder cette image sereine de paysage blanc.

Elle se demanda si Milo avait déjà vu la neige l'hiver précédent, quand c'est une autre qu'elle qui se prenait pour sa mère. Son cœur se serra au souvenir des deux enfants qu'elle avait endormi dans une chambre d'auberge quelques semaines avant, sans savoir qu'elle ne les reverrait plus de sitôt. Les geôles lui avaient fait perdre le fil des jours, elle était incapable de dire si c'était il y a deux semaines, un mois, ou deux. Sa gorge se noua douloureusement. Elle ferma les yeux un fugace instant, pour retenir une larme traîtresse qui s'accrochait déjà à ses cils, et les rouvrit en se forçant à sourire. Elle se baissa, ramassa une poignée de neige qu'elle tassa dans sa paume en une boule glacée qui lui gela la main. Elle la lança face au vide, aussi loin qu'elle le put. Le projectile se perdit dans le blanc, nul bruit de chute le lui revint, étouffé par la distance et la neige. Elle renouvela l'opération, affermissant son geste, accordant plus de puissance à son lancer. Elle recommença encore, encore, et encore... jusqu'à ne plus songer à rien d'autre que ses doigts bleuis de froid.

Puis, le ciel commença à s'assombrir. Elle n'avait aucune notion de l'heure. Elle retourna près du feu, boucles en batailles, et joues rouges, mais regard affranchi de toute trace de chagrin ou de peur. Elle tendit ses mains pour les offrir à la chaleur réconfortante des flammes et se ratatina à sa place. L’exiguïté de l'abri obligeait à la promiscuité. Le contact tiède de ses compagnons à chacune de ses épaules la réchauffa un peu et la rassura tout autant. Son ventre émit un grognement. Elle avait faim. Pas qu'elle soit une grosse mangeuse, comme l'attestaient ses courbes peu voluptueuses, et plus encore quand les tourments lui nouaient la gorge et l'estomac, mais elle avait plus grignoté que manger aux derniers repas. Elle n'osa rien demander à Eirik, se souvenant qu'à présent que le poulet était achevé, il ne devait rester que quelques noix, trois ou quatre biscuits et un peu de viande de porc séché.

Elle bouscula de nouveau ses voisins pour remettre de la neige à chauffer, et préparer une infusion pour qui voudrait. A défaut de combler son ventre, elle la réchaufferait. Elle tourna un regard soucieux vers le Nordique.

– On va pouvoir repartir demain matin ? Votre jambe vous fait mal ?
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--Sylvia.


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Elle avait deux enfants ! Jeunes...
Sylvia lui parla de sa famille.

Si ton père travaille dur pour vous, c’est sans doute qu’il vous aime, à sa façon. Tu sais, les pères ne sont pas toujours très habiles.
Il voulait un garçon à ma place. Il préfère ma sœur Enora. Il n'a pas de fils pour l'aider aux champs.
J'leur dirait rien du tout ! J'dirais m'être battue, c'est tout. Je veux pas qu'ils sachent. Sauf si j'suis enceinte. Dieu, pitié, non !
Supplia Sylvia, mains jointes, yeux au ciel.

Et l'avortement ?

J'ai connu une fille. Tombée enceinte avant le mariage, elle avait juste quatorze ans. Elle s'est fait avorter par le barbier de la ville. Elle a trente-cinq ans et est stérile. Dieu a puni son péché ! Et je ne fais pas confiance aux sorcières.
Sylvia était une villageoise très croyante. Une foi qui l'aveuglait parfois.

Alors vous allez à Brest ? C'est loin. Plusieurs jours mais vous avez un cheval. Je connais les petits villages près d'ici. Si on est où je pense, on verra ma tante si on va au nord d'ici. Elle vous donnera à manger pour m'avoir retrouvée.
Mais faudra rien lui dire de... de "ça" ! Hein ?
S'assura Sylvia, inquiète.
Personne ne devait savoir. Personne !

Eirik revint et la brune se tassa au fond de la caverne. Elle les questionna sur la mort de ses bourreaux.

Huan ?
Le dogue leva la tête et s'approcha. Mais pas assez pour une caresse, les humains étaient trop serrés.


Eirik_gjermund


Eirik se sentait mal. Il était trop serré. Il allait falloir y remédier. D'une façon ou d'une autre. Pousser les murs !
Fanny disait que Huan l'avait faite tomber, la sauvant ainsi. Il n'avait pas vu ça. Il n'avait rien vu de ce qu'elle faisait, en réalité. Il était à terre.
Quand la Roussette se leva, le peu de place qu'elle prenait détendit Eirik. Il fallait trouver une solution.
Fanny lançait des boules de neige dans le vide. Elle devait penser à ses propres problèmes. Il était seul avec Sylvia. A sa question, elle lui dit avoir de la famille un peu au nord. Et de quoi manger. Eirik avait de l'argent, mais ce soir, il ne lui servirait à rien.

On te déposeras là-bas alors.

Fanette revint et ni l'un ni l'autre ne parlait. Sylvia s'était endormie, la tête contre la paroi. La Frêle commença des infusions.
Il y a l'avoine de Hunt, fais la bouillir, j'en rachèterait. Il fait trop froid pour les charançons. J'ai quelques bandes de porc séché et des noix. Plus de biscuits. Mais du whisky, häär ! Au moins ça !
Ce fait le fit sourire. Sortant sa flasque presque pleine, il but de longues goulées et demanda à Fanny de ramener la bouteille se trouvant près des lanières de viande salée, fumée, séchée.
Tu ne bois jamais ?

Le feu attisé réveilla Sylvia. Elle était jolie. Eirik aimait les rondeurs. Si jeune... Si jeune pour une si grande épreuve... Une épreuve hélas assez banale en ces temps troublés. Quel impact cela aurait-il sur son avenir ?

On va pouvoir repartir demain matin ? Votre jambe vous fait mal ?

On va pouvoir repartir. Demain dès l'aube. Il nous faudra atteindre le village de Sylvia. Je pourrais monter à cheval. Ça va.

C'étaient des douleurs sourdes mais supportables.

Ils mangèrent l'avoine dans une sorte de bouillie où Fanny avait mis à tremper le porc séchée, toujours avec ces aromates du Sud. La ration était très réduite mais c'était bon.
Au village, Eirik allait devoir refaire un bon stock. Brest n'était pas si loin... Fanette reverrai ses enfants. Et lui reprendrait le cours de sa vie.

C'était la nuit, même s'il était tôt.

Je vais dormir avec Hunt. Trop serré, ici.
Pour taire d'éventuelles questions, Eirik dit :
Le cheval se couche. Je nous couvre et Hund dort à côté. J'aurais chaud.
Il montra sa bouteille de whisky et s'autorisa un bref sourire.
Dormir "libre" lui ferai du bien ! Eirik n'aimait pas se sentir éculé.

Il passa une très bonne nuit, aidé par l'alcool, malgré ses blessures. Il n'était pas ivre, loin de là.



[ Peu avant l'aube ]

Eirik s'éveilla, bien au chaud. Hunt et Hund dormaient mais le chien se leva aussitôt, créant une aura de froid. Le Nordique fut tenté de s'étirer mais renonça sagement.
Debout il vint vers la caverne et les femmes endormies. Son pas était sûr. Ça tirait un peu mais ce n'était rien.
Le feu était presque éteint et il l'attisa en y remettant une bûche humide de neige, qui fuma en crépitant.
Ils n'auraient que des noix et des amandes à se mettre sous la dent, les restes ayant été finis.

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Sa langue natale
Lison_bruyere
– Tu ne bois jamais ?

De l'alcool, c'est ce que sous-entendait la question. Elle la surprit. Tout le monde savait que l'eau n'était pas toujours très bonne à boire. Elle charriait souvent des miasmes, surtout aux abords des grandes villes, comme celle où vivait Fanette.

– J'bois oui, mais souvent du vin coupé d'eau, et j'rajoute des épices et un peu d'miel, parce j'ai pas toujours les moyens d'acheter autre chose que d'la piquette aigrelette au négociant de Limoges pour ravitailler mon auberge.

Le père de ses enfants était un homme riche, le crime payait bien, surtout quand il était commandité par l'oncle Medici. Quand Roman était encore son époux, il faisait revenir des fûts de Gaïole, et l'auberge du loup, avec celle de Gabriele Corleone, était la seule du Limousin à servir du vin de Toscane. L'Angevine avait appris à le reconnaître et à l'apprécier. Elle se demanda si tout était question d'habitude et si elle saurait apprendre à aimer ce qu'elle avait bu à la flasque du Nordique. Elle la pointa du doigt en relevant un coin de sourire.

– Ça non, j'en bois jamais. J'bois d'la prune, pas souvent. C'est fort aussi. Mais ça, ça a un drôle de goût de terre. J'aime pas bien.

La bouillie d'avoine était roborative, et la jeune femme était vite calée, mais le cheval devrait se contenter de quelques brins d'herbe grattés sous la neige. Il aurait faim au lendemain. Elle se demanda s'il en serait plus agressif. C'est sur cette curieuse pensée qu'elle s'endormit peu après qu'Eirik leur ait abandonné l'abri sommaire de la grotte. Pelotonnée sous la couverture, elle s'était rapprochée de Sylvia, cherchant dans son sommeil le contact de la jeune fille, comme elle avait cherché celui du blond la nuit précédente. Au-delà de l'espace trop restreint, elle avait besoin de se rassurer au contact tiède d'un corps quand elle était bien plus éprouvée qu'elle ne voulait laisser paraître. Sylvia dormit d'un sommeil tourmenté, parlant ou pleurant dans ses rêves, et elle s'était éveillée en sursaut à plusieurs reprises en la sentant s'agiter. Elle la berçait alors de paroles doucement murmurées en nouant sa main à la sienne, et les deux jeunes femmes se rendormaient ainsi, blotties l'une contre l'autre devant le feu mourant.

C'est le crépitement des flammes attisées par Eirik qui l'éveilla. Les paupières s'ouvrirent en papillotant, gênées par le jour naissant. Le mauve commençait à estomper les couleurs de feu du levant, et rendrait bientôt au ciel les teintes froides de l'hiver. Fanette se redressa, et salua le blond d'un sourire. Elle glissa ses mains dans ses cheveux, vaine tentative pour leur donner un semblant d'ordre quand ils n'étaient plus qu'une masse indisciplinée et pleine de nœuds, puis passa ses mains sur son visage, comme pour en chasser les restes de la nuit. Elle se déplia lentement, allongeant ses bras au-dessus de sa tête. Même avec sa courte taille ainsi étirée, elle pouvait effleurer le plafond de l'abri. Il n'était définitivement qu'une anfractuosité bien plus qu'une grotte, obligeant le Nordique à y rester courbé.

Elle contourna le feu et s'éloigna un instant, juste assez loin pour avoir un peu d'intimité, mais pas trop pour rester à portée de voix de ses compagnons. Quand elle revint, la brunette s'était réveillée, et grignotait quelques noix qu'Eirik lui avait offertes. Leur repas fut bien plus frugal que le précédent, mais ils avaient l'espoir d'atteindre le village de Sylvia dans la journée.

Fanette insista cependant pour examiner les blessures du Nordique avant leur départ. Elle s'inquiétait sans doute bien plus que lui, et les dernières branches de thym servirent à préparer une décoction pour nettoyer les plaies et refaire les pansements. Après cela, ils ne traînèrent pas. Eirik sella son immense cheval. Elle les regarda approcher, tandis qu’aidée de sylvia, elle couvrait le feu de neige. Aussi fort qu’était l’animal, ils n’allaient pas monter à trois sur son dos, et il n’était pas raisonnable de songer que le Nordique puisse céder sa place avec ses blessures encore fraîches.

Avant que qui que ce soit ne parle, elle s’était avancée, flanquée de son dogue.

– J’vais marcher.

Elle s’était engagée sur l’étroit chemin qui descendait vers la plaine sans attendre de réponse, Huan sur les talons. Quelques instants plus tard, elle se retourna au bruit pressé de pas.

– J’marche avec toi !

Sylvia l’avait rejoint en courant, et la fauvette ignorait lequel des deux avait effrayé le plus la jeune fille, d’Eirik ou de son cheval, pour qu’elle se prive de faire la route sans avoir à fournir d’efforts. Elle l’accueillit néanmoins d’un sourire et elles reprirent leur marche.

Derrière elles, elles percevaient le pas d’Hunt, posant précautionneusement ses larges sabots au sol irrégulier dissimulé sous la neige. Il reprit une foulée plus ample quand le groupe atteignit la plaine. Mais dès lors, les filles qui marchaient devant lui le gênèrent. A deux reprises, oreilles couchées, il allongea l’encolure pour les mordre, vertement gourmandé par son cavalier. Si bien que Fanette s’écarta en enjoignant à la brune de faire comme elle. Elles cédèrent la place au cheval et à son cavalier, et fermèrent la marche.

L’animal était grand et son pas était actif et long, contraignant les filles à accélérer un peu le rythme. Elles ne parlaient plus, les joues et le nez rougis par le froid et l’effort. Parfois, le cavalier stoppait sa monture pour éviter qu’elles ne se laissent trop distancer, mais l’animal piaffait alors sur place, impatient de jeter son jus après deux nuits et une journée complète d’immobilité contrainte.

Le soleil était déjà haut dans le ciel blanc quand les bois s’éclaircirent enfin. On le devinait à la trouée plus lumineuse qu’il dessinait dans l’épaisse couche de nuages. Le temps était encore à la neige. Bientôt, les premières maisons apparurent. Elles étaient regroupées entre des terres défrichées envahies de neige.

– C’est le hameau de la Chaunière, leur indiqua Sylvia. Elle pointa du doigt un alignement de buissons, un peu plus loin sur leur droite. On doit traverser le ruisseau de Marvaise, ma tante vit de l’autre côté

Ils prirent la direction indiquée jusqu’aux berges d’un petit cours d’eau. Quelques arbres en suivaient le cours, piqués dans une végétation plus basse et broussailleuse. Les deux chiens, indifférents aux températures glaciales se jetèrent dans le courant. L’eau n’était guère profonde, au milieu du lit, le ventre d’Hund et de Huan effleurait à peine la surface de l’onde. C’était cependant bien trop pour donner envie aux deux jeunes femmes d’aller s’immerger dans l’eau glacée. A coup sûr leurs vêtements ne sécheraient jamais. Le cheval se fit passeur. Ne craignant pas plus le froid que les chiens, Eirik le fit traverser deux fois pour amener sur l’autre rive ses deux compagnes de route.

Le village suivant était à moins d’une lieue d’un joli chemin bordé d’un côté par un bois, et de l’autre par des champs dans lequel personne ne travaillait en cette saison. Au détour d’une courbe, ils en aperçurent le clocher, émergeant des toitures de chaume. Sylvia les guida dans la rue principale sur quelques toises avant de bifurquer dans une venelle plus étroite. Le passage répété des charrettes à bras et des animaux avait fait fondre la neige qui, mêlée à la terre détrempée, offrait un sol glissant d’une boue épaisse qui s’accrochait aux chausses et au bas des vêtements. Ils débouchèrent sur une petite place pavée. Sylvia noua son bras à celui de la fauvette et ralentit le pas. Elle sembla hésiter. De nouveau, son regard d’obsidienne s’était chargé de larmes. Elle montra une modeste maison de granit visiblement vétuste. L’encadrement des boiseries était peint d’un bleu azur qui contrastait avec la teinte sombre du vieux chaume et la couleur des pierres.

– C’est là.

Fanette pouvait facilement deviner ce qui se jouait dans la caboche de sa voisine. Sans doute craignait-elle que la mésaventure qu’elle voulait taire ne se lise à son visage ou à ses gestes. Elle serait alors contrainte d’assumer sa honte et son déshonneur au yeux de tous, ajoutant une douleur supplémentaire à l’épreuve déjà vécue. Elle ne la comprenait que trop bien. Elle pressa le bras de la brunette et lui offrit un sourire rassurant.

– Allons, courage Sylvia. Il ne va plus rien t’arriver de mal à présent. Te voilà chez toi.
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Eirik_gjermund


Tôt le matin, Eirik offrit une part de ses noix et amandes à Sylvia, l'autre à Fanette. Il prétexta n'avoir pas faim. Il ne mentait pas. Le menu ne lui donnait pas envie.

Le soleil était à peine visible. Le ciel blanc charriait de légers flocons épars qui tombaient en ligne droite ; le vent avait cessé. Un temps idéal pour voyager en plein hiver.
Fanette demanda à voir ses blessures et Eirik grogna. En se laissant faire. Elle avait raison, il le savait. Le blessure sur le haut son mollet le fit tressaillir. Du sang sec imbibait le linge. Mais la plaie nue se portait bien.
Et celle au flanc ? Elle était rouge vif, ce qui était normal. Fanny y appliqua sa décoction et Eirik resta de marbre.

J'aurais un souvenir. Grommela-t-il.

Le temps était venu de repartir. Sylvia resta les bras ballants, ne pouvant pas aider. Elle se contenta d'étouffer le feu avec de la neige. Puis, dansant d'un pied sur l'autre, elle s'absenta, un linge en main.

Eirik sella Hunt et y chargea les bagages réduits. Fanette désira marcher. Sylvia aussi. De poids, Hunt aurait pu tous les porter facilement. Mais son dos n'était pas un autobus ! Eirik attendait régulièrement les deux femmes. Il proposa à Sylvia de monter mais elle refusa. Fanny aussi, par solidarité, sans doute.
Hunt tentait de les morde et les jeunes filles décidèrent sagement de marcher à côté. Hund suivait sans se soucier d'elle. A un moment, il fila comme une flèche ! et rebondi contre un arbre ! Il avait raté un écureuil. S'il dénichait vite taupe et lapins, les écureuils grimpaient trop vite pour lui.

Au moment de traverser la rivière, Eirik laissa sa place à Fanny puis à Sylvia. Leurs chausses ne furent pas mouillées grâce à la hauteur de Hunt. Il traversa à son tour.
Hund se mouilla... et sembla perdre vingt kilos ! Ses épais poils collés à sa peau le rendaient ridicule ! Pas Huan. C'était du pareil au même.

Le groupe chemina encore un peu et arriva à un village. Celui de la tante de Sylvia.

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Sa langue natale
--Sylvia.


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Sylvia se sentait plus à l'aise avec ses deux sauveurs. Leur présence mettait en stand-by ses traumatismes. La proximité de Fanette durant la nuit l'avait beaucoup réconfortée. Cette femme était admirable en tout points. Sylvia aurait voulu être forte, comme elle.

Tôt le matin, elle accepta les noix, même si elle n'avait pas très faim. Se retrouver parmi sa famille l'effrayait beaucoup.
Heureusement, les préparatifs ne s'éternisèrent pas. La brune marchait au côté de Fanette, en silence.

Je reconnais ce pont effondré ! Oh mon Dieu ! C'est la que vit ma Tante Fernande... Oh là là... Dit-elle en se triturant les doigts.
Fanette tentait de la rassurer. Le pont n'étant pas praticable, ils traversèrent à dos de cheval. Sylvia était mal, elle n'était jamais montée à cheval... Elle n'en menait pas large !
Le ruisseau traversé, juste après un bosquet, il y avait le village.

Habillée de frusques, les cheveux défaits, Sylvia marchait tête basse. Les villageois se retournaient tous au passage des grosses bêtes et de l'homme blond. Ils ne voyaient pas ça tout les jours !
Ils arrivèrent à la maison de Tante Fernande. La sœur de sa mère. Une vieille fille dévote.

Allons, courage Sylvia. Il ne va plus rien t’arriver de mal à présent. Te voilà chez toi.
Oui... Je... J'y vais seule ? Tu veux pas venir, Fanette ? S'il te plaît...
Supplia la ronde brune.
Fanette finit par accepter.



Toc Toc !

Une femme aux cheveux blancs et au visage peu ridé vint ouvrir.
Oh, ma fille, que c'est-il passé ? Tes parents sont morts d'inquiétude ! Entrez.
L'intérieur de la maison, même coquet et le feu brûlant dans la cheminée, sentait le moisi. Fernande servit des infusions chaudes aux deux jeunes femmes.
Des hommes m'ont enlevée, Tatie...
Grand Dieu ! Ils ne t'ont rien fait ?! Tu as une trace de coup sur le visage !

Bien malgré elle, Sylvia se mit à pleurer sans pouvoir s'arrêter. Les grands yeux gris de Fernande rencontrèrent les verts de Fanette. La Tante vint s'agenouiller près de sa nièce.
Moi aussi, à ton âge, j'ai eu affaire à des hommes. Je m'en souviens comme si c'était hier. Je ne l'ai jamais dit à personne, sauf à ta mère. Sylvia... Est-ce qu'ils ont abusé de toi ?
La brune repartit en sanglots contre l'épaule de sa tante. Fernande avait compris. Sylvia raconta principalement sa nuit de fuite et l'aide de Fanette et d'Eirik.

Faites entrer votre ami, jeune-fille. Je n'ai pas encore déjeuné et vous êtes les bienvenus. J'insiste ! Vous avez sauvé ma nièce !

Dehors, Eirik attacha Hunt et même Hund, pour qu'il n'effraie pas trop la population. Un groupe de cinq ou six était déjà là. Foutus curieux.
Il salua le plus poliment possible la tante de Sylvia. Ils mangèrent un délicieux pot-au-feu et Eirik remarqua que Fernande retenait une foule de questions !
Après manger, Eirik partit faire des emplettes dans un minuscule marché. Et refaire les fers de Hunt.

Vous êtes bien courageuse, chère Fanette. Attendez deux minutes.
Fernande revint et présenta à la jeune-femme un peigne de corne et un bracelet de coquillages paré d'une belle malachite. Une pierre peu coûteuse mais très jolie.
Ce n'est pas grand chose, mais je tiens à vous les offrir. Acceptez ou j'en serai vexée ! Dit la dame avec un gentil sourire.

Sylvia accompagna Fanette dehors et la serra dans ses bras, la remerciant pour tout, l'assurant de ne jamais l'oublier !
Eirik était déjà là mais sans son cheval. Il avait les bras chargés.
Il n'y avait qu'une minuscule taverne, ici. Le couple d'amis y passa une demi-heure environ. Ils parlèrent de Sylvia et Fanette était rassurée pour elle.
Puis ils allèrent chercher Hunt aux fers neufs.

Ils pouvaient repartir.


Lison_bruyere
Bien sûr, elle avait accepté la supplique de Sylvia. Elle avait gardé en tête qu'il faudrait taire la mésaventure de la jeune fille, et du reste, ce n'était pas à elle d'en parler. Mais la brune n'était guère différente de Fanette. Elles étaient toutes les deux de ces eaux claires bien incapables de dissimuler leurs sentiments et leurs états d'âme. Elle ne fut pas étonnée de la voir fondre en larmes à la première question et la vieille femme connaissait la vie, et ne fut pas longue à comprendre.
L'Angevine lui offrit un regard empli d'empathie quand elle croisa celui de Fernande. Elle fut rassurée aux paroles et aux gestes que cette dernière offrit à sa nièce. Sylvia avait de la chance d'avoir autour d'elle une famille compréhensive, où au moins déjà sa tante et sans doute aussi sa mère. La jeune mère voulut croire qu'elle saurait se relever de cette épreuve. Les femmes, dans ce monde mené par les hommes devaient apprendre à faire preuve de résilience pour continuer à se tenir droite même quand on les brisait.

Fanette ne parla guère pendant le repas, sans doute émue de l'attachement et la compassion qui unissaient ces deux femmes du même sang. Elle se prit à regretter de n'avoir eu point de mère ou de sœur pour veiller sur son enfance. Elle se souvint avec un peu de tristesse de la mère du Messonier, morte dans l'année de ses dix ans. Doucement, les détails de son visage s'effaçaient de sa mémoire, comme Fernande sans doute, elle avait eu des cheveux blanchis par le temps et un visage parcheminé.

Emue, elle le fut encore quand la vieille femme lui témoigna sa reconnaissance. Il ne lui serait pas venu à l'idée de refuser, mais pourtant, elle en fut gênée. Elle ne se voyait pas courageuse le moins du monde. Fanette allait dans la vie en s'efforçant de faire au mieux face aux épreuves qui se dressait au-devant d'elle, parce qu'elle n'avait pas le choix. Mais la plupart du temps, elle était effrayée de ne savoir y parvenir.
Elle la remercia néanmoins chaleureusement. Le départ fut difficile. Elle connaissait si peu la jeune brune mais, elle l'avait touchée, peut-être parce qu'elle se reconnaissait un peu dans ses craintes. Elle sentit ses cils s'ourler de larmes au moment des adieux.

Les chiens semblaient heureux quand ils reprirent la route. Ils gambadaient devant le cheval, nez en l'air pour prendre les odeurs, et parfois se lancer sur la piste d'un gibier quelconque. Hunt aussi avançait d'une foulée ample et longue. Parfois, il prenait le trot sans que permission lui soit accordée. Eirik le laissait faire cependant, rênes longues sur l'encolure de sa monture, sans doute aussi heureux que l'animal d'entendre de nouveau les fers claquer sur le chemin. Fanette, en croupe derrière lui, bras noués à la taille du Nordique, joue posée à son dos, regardait le paysage défiler. Elle reconnut ces landes sauvages qu'elle aimait tant. Les côtes étaient trop loin encore pour charrier les parfums iodés de la mer, mais la végétation se faisait rase. Les dalles de gré affleuraient au sol sableux. Les bruyères basses bordaient le sentier en massifs ligneux. A la relevée, le soleil s'était décidé à percer le ciel gris, laissant filtrer ses rayons qui soulignaient d'une vive lumière le camaïeu de tons rompus du paysage. Fanette étira un sourire, imprimant ces images à sa mémoire, pour un jour, les raconter à ses enfants. Elle eut une pensée pour les frères Beaurepaire, et peut-être plus pour Arsène. Elle se souvint de ce soir dans son auberge, où ils s'étaient plu à l'écouter leur vanter les beautés de ce bout de terre de l'ouest, une terre d'aventure, à la beauté âpre et sauvage. C'est précisément pour son amour de la Breizh qu'ils avaient tenu à l'embaucher quand ils devaient s'y rendre sans d'autres raisons qu'une obligation sans envie.

Et des frères Beaurepaire, ses pensées glissèrent à ses enfants. Elle était soulagée qu'ils n'aient pas décidé de les abandonner au premier couvent venu, même si elle aurait parfaitement compris qu'il le fasse. Après tout, ils n'avaient aucune obligation envers eux, dès lors qu'elle n'avait plus été en mesure d'accomplir le travail pour lequel ils la payaient. Et de fil en aiguille, son esprit vagabond revint à Eirik. Une bouffée de reconnaissance lui serra le cœur, bien consciente de ce qu'elle lui devait à l'instant présent. Elle se décida à rompre le silence.

– Eirik ? Savez-vous où nous sommes exactement ? Nous avons passé Fougères déjà, n'est-ce pas ? Ça fait plus d'un an que je n'ai plus pris ces routes, je ne me souviens plus bien.

Elle était venue arpenter les chemins de Bretagne à l'automne précédent, traquant l'Italienne qui élevait son fils. Mais elle arrivait du sud, remontant de Rennes vers Fougères. Ses souvenirs étaient-ils fiables ? Elle l'ignorait, mais elle avait cette impression de déjà-vu. Si elle était dans le juste, après Rennes, il leur faudrait obliquer vers l'ouest pour rallier Brest, quelques jours de voyage. Elle ignorait alors qu'Arsène Beaurepaire faisait route vers elle, pensant la trouver à Alençon, où son informateur avait localisé sa trace.

Le soleil était encore haut quand ils s'arrêtèrent. Elle ne posa pas de questions, mais imagina que les blessures d'Eirik devaient tirer à chaque mouvement. Leur duo était bien rodé à présent, la fauvette s'occupait du feu sitôt le sol retrouvé sous ses pieds, pendant que le Nordique soignait les animaux. Elle n'avait pas dérogé à la règle. Le campement était établi à l'orée d'un petit bois aux arbres serrés qui les abriteraient du vent et, dans une moindre mesure, de la neige, si elle venait à retomber. Il bordait une clairière traversée d'un petit ru en retrait du chemin. Fanette surveilla du coin de l’œil l'homme du nord quand il s'éloigna pour laisser Hunt s'abreuver. Son regard glissa sur la dague qu'il lui avait laissée aux premiers jours de leur voyage pour lui apprendre quelques rudiments de défense. Elle balaya enfin le paysage, se demandant s'ils pourraient être surpris ici aussi, comme ils l'avaient été dans la grotte qui leur avait servi de refuge deux nuits de suite. Fernande avait tort, elle n'était pas courageuse pour deux sous. Elle avait pu mesurer que, malgré la force et l'habileté d'Eirik, une situation pouvait rapidement tourner en leur défaveur, et, en l'instant, loin de l'abri des murs épais d'une auberge, elle avait peur. A moins que ce ne fût que le contrecoup des jours et des semaines précédentes.

Elle s'efforça de ne pas trop y songer pour s'atteler à la préparation d'un repas. Le passage en ville avait permis au blond de faire le plein de provisions. Elle éplucha quelques légumes racines qu'elle débita en morceaux grossiers avant de les mettre à bouillir dans la vieille marmite au cul noirci de suie. Elle y ajouta deux tranches de lard et les herbes séchées que le Nordique semblait apprécier.
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