Alaynna
[Entre chien et loup] -Johnny Hallyday -
Le soir éteignait ses dernières lueurs sur limmense port qui paraissait sans fin, et semblait vouloir engloutir dans une forêt de mâts lentièreté du décor. De ce côté-ci, la ville grimpait en pente douce entre des jardins et des bois, pour grignoter le flanc de la falaise qui faisait office de rempart naturel à toute la façade nord.
Le soleil venait donc mourir en répandant ses derniers rayons sur la terrasse de bois dune taverne sans fard. Bouge pour matelots et dockers, elle avait littéralement les pieds dans leau. À cette heure, y dansait sur une piste de sable, avec une lascivité fatiguée, une esclave défraîchie, mais audacieuse et pas maladroite, qui essayait de son mieux doffrir un divertissement à ses rares spectateurs. Il ny avait pas une demi-douzaine de clients à sattarder sur elle. Tous las de leur journée de travail, ils goûtaient à la douceur du soir, après une journée harassante.
Avec la fin du jour se levait un vent frais, pour souffler un peu les âcres puanteurs venues de ces ruelles portuaires. La taverne, miteuse, ne risquait pas de déborder de clientèle, et dailleurs seul le patron servait encore les clients qui sattardaient à y boire son mauvais vin.
Debout sur la terrasse, appuyée nonchalamment à la rambarde en dédaignant comme à mon habitude tables et tabourets, et sans doute la seule à vraiment regarder la danseuse, je m'enquillais un breuvage que je ne pourrais jamais finir tant il était infect.
Ma contemplation solitaire, se portait enfin sur l'objet que je tenais entre mes mains. La boite, doublée de soie satinée et élégamment fermé dun nud ornementé retenu dune petite fibule dargent, le tout dans des tons d'un azuré de pastels, était de toute évidence empreinte de valeur. Elle ne contenait quune seule chose, posée sur un écrin dune légère étoffe de soie : une très grande fleur, aux larges pétales, dun blanc nacré, aux reflets bleutés. Chaque pétale, il y en avait sept, se finissait à sa pointe dans une teinte dazur délicat, et la texture de la fleur évoquait sans mal quelque vaporeux tissu translucide. Les étamines, nombreuses, semblaient des fils dargent éclairés de lintérieur. Enfin, le pistil frappait par son contraste de dégradés dor, se détachant comme une petite trompe évasée.
Je levais délicatement devant moi la fleur séchée, aux allures de joyaux qui symbolisaient à mes yeux, Raffaelle et Andrea. Saisons de printemps et début d'été, étaient, depuis maintenant trois années, maudites.
Ils ne quittaient jamais mon esprit, petites âmes tellement aimées et regrettées. Mais le plus douloureux, restait le souvenir d'Andrea. Parce que je l'avais vu. Je l'avais tenu contre mon sein, entre mes bras, et je l'avais baigné de mes larmes et bercé de mes lèvres. J'avais senti son odeur. Caressé son visage, ses petites mains, son petit corps. Cherchant durant des heures et des heures à réchauffer ce petit être froid, inerte,rigidifié. Contre mon sein, ce petit nourrisson mâle qui ne tèterait plus comme il le faisait pourtant dans le douillet abri de mon ventre. J'avais clos ces yeux qui m'en rappelaient d'autres et ne s'ouvriraient jamais plus, d'une main de velours.
J'avais longtemps crié, je crois. Les hurlements étouffés de ce prénom, je les rêvais chacune de mes nuits, tel un cocon de ouate.
Depuis trois ans, je le vois régulièrement ce petit bout d'homme. Il vient me voir, me hanter, me parler, me montrer tous ses progrès. Je l'ai même vu devenu homme en train de me montrer fièrement comme lui aussi, tout comme moi, sait jouer avec le feu tout en se jouant des flammes. Nous avons de longues discussions lui et moi qui me tiennent alors éveillée, dans mes nuits les plus sombres.
Il aime à venir, quand, assise au pied de la couche d'Anna, je veille sur son sommeil. Il se glisse alors sur mes genoux, se lovant entre mes bras, et lui et moi, restons ainsi, le regard tourné vers Anna-Gabriella. Il veille sur elle, il ne lui en veut pas d'être là, il l'aime. Quelquefois, une jolie petite fille brune au même regard iroise que son frère nous rejoint. Depuis que je l'avais vu lors de cette vision, alors que j'avais manqué m'asphyxier au contact d'un brasier ardent, c'est toujours sous cette forme là qu'elle m'apparaissait. Vaporeuse, ethéree.
Nous ne sommes pourtant pas encore précisément au jour anniversaire. D'ici trois petites semaines, je pourrai graver une nouvelle ciselure sur ce petit bout de bois précieux qui m'accompagne depuis trois ans.
J'ignore encore où je serai à ce moment là. Mais où que je sois, mémoires seront honorées. Seule. Parce qu'il est de ces souvenirs qui ne peuvent se partager, ni être profanés par quiconque. La seule personne avec qui je pourrais les partager me hait. Et je refuse le droit à Corleone d'aller pleurer notre fils sur sa sépulture.
De nouveau, ces jours-ci je ressens plus cruellement encore le manque et le vide. Pour un esprit observateur, il serait aisé de constater que, à plusieurs reprises dans une même journée, dextre s'en vient se poser furtivement sur mon ventre vide et desséché, et s'en arracher tout aussi vite, comme si elle venait de s'y brûler.
La vue d'une femme enceinte, d'un ventre rond, m'insupporte, tout autant que celles des nourrissons et des petits garçons.
Les larmes sèchent, mais les blessures restent. Je n'oublies pas, je fais seulement semblant la plupart du temps. Je compose ma vie avec ces morceaux d'Eux qui survivent, dans ma caboche.
Mais il est des moments, où, en une fraction de seconde, tout peut basculer. Surtout quand les vieux démons se mettent à secouer violemment les chaines pourtant soigneusement cadenassées..
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Ni le bien, ni le mal,
Ni couché, ni debout,
Elles sont comme ces larmes*
Que l'on verse à genoux
Elles sont comme deux soeurs*
Mais tellement différentes*
Qu'elles aimeraient l'enfer*
Si l'enfer les attend...
C'est une guerre qui n'a pas de frontières
C'est du sang, c'est des larmes et des coups
Ni couché, ni debout,
Elles sont comme ces larmes*
Que l'on verse à genoux
Elles sont comme deux soeurs*
Mais tellement différentes*
Qu'elles aimeraient l'enfer*
Si l'enfer les attend...
C'est une guerre qui n'a pas de frontières
C'est du sang, c'est des larmes et des coups
Le soir éteignait ses dernières lueurs sur limmense port qui paraissait sans fin, et semblait vouloir engloutir dans une forêt de mâts lentièreté du décor. De ce côté-ci, la ville grimpait en pente douce entre des jardins et des bois, pour grignoter le flanc de la falaise qui faisait office de rempart naturel à toute la façade nord.
Le soleil venait donc mourir en répandant ses derniers rayons sur la terrasse de bois dune taverne sans fard. Bouge pour matelots et dockers, elle avait littéralement les pieds dans leau. À cette heure, y dansait sur une piste de sable, avec une lascivité fatiguée, une esclave défraîchie, mais audacieuse et pas maladroite, qui essayait de son mieux doffrir un divertissement à ses rares spectateurs. Il ny avait pas une demi-douzaine de clients à sattarder sur elle. Tous las de leur journée de travail, ils goûtaient à la douceur du soir, après une journée harassante.
Avec la fin du jour se levait un vent frais, pour souffler un peu les âcres puanteurs venues de ces ruelles portuaires. La taverne, miteuse, ne risquait pas de déborder de clientèle, et dailleurs seul le patron servait encore les clients qui sattardaient à y boire son mauvais vin.
Debout sur la terrasse, appuyée nonchalamment à la rambarde en dédaignant comme à mon habitude tables et tabourets, et sans doute la seule à vraiment regarder la danseuse, je m'enquillais un breuvage que je ne pourrais jamais finir tant il était infect.
Ma contemplation solitaire, se portait enfin sur l'objet que je tenais entre mes mains. La boite, doublée de soie satinée et élégamment fermé dun nud ornementé retenu dune petite fibule dargent, le tout dans des tons d'un azuré de pastels, était de toute évidence empreinte de valeur. Elle ne contenait quune seule chose, posée sur un écrin dune légère étoffe de soie : une très grande fleur, aux larges pétales, dun blanc nacré, aux reflets bleutés. Chaque pétale, il y en avait sept, se finissait à sa pointe dans une teinte dazur délicat, et la texture de la fleur évoquait sans mal quelque vaporeux tissu translucide. Les étamines, nombreuses, semblaient des fils dargent éclairés de lintérieur. Enfin, le pistil frappait par son contraste de dégradés dor, se détachant comme une petite trompe évasée.
Je levais délicatement devant moi la fleur séchée, aux allures de joyaux qui symbolisaient à mes yeux, Raffaelle et Andrea. Saisons de printemps et début d'été, étaient, depuis maintenant trois années, maudites.
Ils ne quittaient jamais mon esprit, petites âmes tellement aimées et regrettées. Mais le plus douloureux, restait le souvenir d'Andrea. Parce que je l'avais vu. Je l'avais tenu contre mon sein, entre mes bras, et je l'avais baigné de mes larmes et bercé de mes lèvres. J'avais senti son odeur. Caressé son visage, ses petites mains, son petit corps. Cherchant durant des heures et des heures à réchauffer ce petit être froid, inerte,rigidifié. Contre mon sein, ce petit nourrisson mâle qui ne tèterait plus comme il le faisait pourtant dans le douillet abri de mon ventre. J'avais clos ces yeux qui m'en rappelaient d'autres et ne s'ouvriraient jamais plus, d'une main de velours.
J'avais longtemps crié, je crois. Les hurlements étouffés de ce prénom, je les rêvais chacune de mes nuits, tel un cocon de ouate.
Depuis trois ans, je le vois régulièrement ce petit bout d'homme. Il vient me voir, me hanter, me parler, me montrer tous ses progrès. Je l'ai même vu devenu homme en train de me montrer fièrement comme lui aussi, tout comme moi, sait jouer avec le feu tout en se jouant des flammes. Nous avons de longues discussions lui et moi qui me tiennent alors éveillée, dans mes nuits les plus sombres.
Il aime à venir, quand, assise au pied de la couche d'Anna, je veille sur son sommeil. Il se glisse alors sur mes genoux, se lovant entre mes bras, et lui et moi, restons ainsi, le regard tourné vers Anna-Gabriella. Il veille sur elle, il ne lui en veut pas d'être là, il l'aime. Quelquefois, une jolie petite fille brune au même regard iroise que son frère nous rejoint. Depuis que je l'avais vu lors de cette vision, alors que j'avais manqué m'asphyxier au contact d'un brasier ardent, c'est toujours sous cette forme là qu'elle m'apparaissait. Vaporeuse, ethéree.
Nous ne sommes pourtant pas encore précisément au jour anniversaire. D'ici trois petites semaines, je pourrai graver une nouvelle ciselure sur ce petit bout de bois précieux qui m'accompagne depuis trois ans.
J'ignore encore où je serai à ce moment là. Mais où que je sois, mémoires seront honorées. Seule. Parce qu'il est de ces souvenirs qui ne peuvent se partager, ni être profanés par quiconque. La seule personne avec qui je pourrais les partager me hait. Et je refuse le droit à Corleone d'aller pleurer notre fils sur sa sépulture.
De nouveau, ces jours-ci je ressens plus cruellement encore le manque et le vide. Pour un esprit observateur, il serait aisé de constater que, à plusieurs reprises dans une même journée, dextre s'en vient se poser furtivement sur mon ventre vide et desséché, et s'en arracher tout aussi vite, comme si elle venait de s'y brûler.
La vue d'une femme enceinte, d'un ventre rond, m'insupporte, tout autant que celles des nourrissons et des petits garçons.
Les larmes sèchent, mais les blessures restent. Je n'oublies pas, je fais seulement semblant la plupart du temps. Je compose ma vie avec ces morceaux d'Eux qui survivent, dans ma caboche.
Mais il est des moments, où, en une fraction de seconde, tout peut basculer. Surtout quand les vieux démons se mettent à secouer violemment les chaines pourtant soigneusement cadenassées..
Ni Dieu, ni maître,
Ni saint, ni traître,
Qui les attend et qui les arrête ?
Ni saint, ni traître,
Qui les attend et qui les arrête ?
*paroles légèrement modifiées à ma sauce.
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