Lison_bruyere
Mende, le 3 septembre 1466
Le frère était arrivé, avec un petit groupe de voyageurs, dont la jeune Lili que Fanette avait toujours plaisir à retrouver, malgré la douloureuse réserve de l'une et de l'autre. La jeune femme ne sortait quasiment plus de l'auberge municipale, pas même pour accompagner le chien de Yohanna, son chien à présent, dans ses promenades. Les cernes à ses yeux et la pâleur de son teint trahissaient ce sommeil qu'elle ne trouvait plus en suffisance. A son cou, les doigts de Montparnasse s'estompaient à peine, virant doucement au jaune. Elle s'étiolait. Les os, sous l'épaisseur de la peau ne semblaient plus très loin, et seule, la poitrine qui la tiraillait inconfortablement depuis quelques jours accordait encore quelques rondeurs à sa frêle silhouette.
L'après-midi, elle se posait silencieuse dans un coin de la salle commune, se forçant à grignoter quelques mets auxquels elle ne trouvait plus de saveur. Parfois, elle répondait à un courrier qui avait su la trouver ici, à Mende, ou tournait et retournait les événements passés, en essayant d'envisager ceux qui viendraient ensuite, et à présent Roman hantait ses pensées autant que Milo. Puis, elle mettait dehors le grand dogue et remontait veiller son époux, toujours allongé sur la paillasse d'une petite chambre à l'étage.
Un fugace instant, un sourire se perdait aux lèvres de l'Italien, mais le plus souvent, ses traits se contractaient, quand on le relevait pour un soin, ou pour lui faire prendre un peu de bouillon. Il se laissait faire malgré tout, avalant avec plus ou moins de difficulté ce que qu'on laissait couler dans sa gorge. Les connaissances et les gestes sûrs de son aîné le maintenaient en vie, tenaient éloignés les spectres de l'infection et de la gangrène. Parfois, Roman semblait vouloir parler, les sourcils se fronçaient, la bouche s'entrouvrait, mais aucun son ne sortait plus de ses lèvres sèches. Fanette s'employait à les humecter d'un linge humide, à rafraîchir son front. Et le reste du temps, quand Gabriele tolérait sa présence dans la pièce, elle s'installait dans un fauteuil, le visage fermé, rivé à celui de son époux, guettant avec autant d'espoir que d'angoisse chacune de ses réactions. Quand le médecin cédait sa place, elle rapprochait son siège de la tête du lit et glissait ses doigts sous sa main. Il ne se défendait jamais, sans doute ignorant de ceux qui s'attardaient à son chevet. Parfois, ainsi rassurée par le contact tiède, qui semblait alors si paisible, elle s'endormait l'espace d'un court moment, jusqu'à ce qu'un mouvement, un râle ne la ramène au présent de cette atmosphère confinée, saturée des senteurs de potions, de simples et du fumet des chandelles.
Faut que tu sois forte, lui avait dit Lenù. La colère Corleone est là, et celle du patriarche arrive. Fanette n'avait jamais été bien forte, mais depuis sa tendre enfance, la vie s'était chargée de lui apprendre à encaisser. Alors, elle resterait aux côtés de son diable, quoi qu'il lui en coûte, jusqu'à ce qu'il soit en mesure de la renvoyer, et la « famiglia » ne changerait rien à cela.
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Le frère était arrivé, avec un petit groupe de voyageurs, dont la jeune Lili que Fanette avait toujours plaisir à retrouver, malgré la douloureuse réserve de l'une et de l'autre. La jeune femme ne sortait quasiment plus de l'auberge municipale, pas même pour accompagner le chien de Yohanna, son chien à présent, dans ses promenades. Les cernes à ses yeux et la pâleur de son teint trahissaient ce sommeil qu'elle ne trouvait plus en suffisance. A son cou, les doigts de Montparnasse s'estompaient à peine, virant doucement au jaune. Elle s'étiolait. Les os, sous l'épaisseur de la peau ne semblaient plus très loin, et seule, la poitrine qui la tiraillait inconfortablement depuis quelques jours accordait encore quelques rondeurs à sa frêle silhouette.
L'après-midi, elle se posait silencieuse dans un coin de la salle commune, se forçant à grignoter quelques mets auxquels elle ne trouvait plus de saveur. Parfois, elle répondait à un courrier qui avait su la trouver ici, à Mende, ou tournait et retournait les événements passés, en essayant d'envisager ceux qui viendraient ensuite, et à présent Roman hantait ses pensées autant que Milo. Puis, elle mettait dehors le grand dogue et remontait veiller son époux, toujours allongé sur la paillasse d'une petite chambre à l'étage.
Un fugace instant, un sourire se perdait aux lèvres de l'Italien, mais le plus souvent, ses traits se contractaient, quand on le relevait pour un soin, ou pour lui faire prendre un peu de bouillon. Il se laissait faire malgré tout, avalant avec plus ou moins de difficulté ce que qu'on laissait couler dans sa gorge. Les connaissances et les gestes sûrs de son aîné le maintenaient en vie, tenaient éloignés les spectres de l'infection et de la gangrène. Parfois, Roman semblait vouloir parler, les sourcils se fronçaient, la bouche s'entrouvrait, mais aucun son ne sortait plus de ses lèvres sèches. Fanette s'employait à les humecter d'un linge humide, à rafraîchir son front. Et le reste du temps, quand Gabriele tolérait sa présence dans la pièce, elle s'installait dans un fauteuil, le visage fermé, rivé à celui de son époux, guettant avec autant d'espoir que d'angoisse chacune de ses réactions. Quand le médecin cédait sa place, elle rapprochait son siège de la tête du lit et glissait ses doigts sous sa main. Il ne se défendait jamais, sans doute ignorant de ceux qui s'attardaient à son chevet. Parfois, ainsi rassurée par le contact tiède, qui semblait alors si paisible, elle s'endormait l'espace d'un court moment, jusqu'à ce qu'un mouvement, un râle ne la ramène au présent de cette atmosphère confinée, saturée des senteurs de potions, de simples et du fumet des chandelles.
Faut que tu sois forte, lui avait dit Lenù. La colère Corleone est là, et celle du patriarche arrive. Fanette n'avait jamais été bien forte, mais depuis sa tendre enfance, la vie s'était chargée de lui apprendre à encaisser. Alors, elle resterait aux côtés de son diable, quoi qu'il lui en coûte, jusqu'à ce qu'il soit en mesure de la renvoyer, et la « famiglia » ne changerait rien à cela.
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