Lison_bruyere
Argentan, le 31 octobre 1466
Les pluies incessantes depuis deux jours gonflaient le fleuve méandreux qui déroulait son cours dans la vaste plaine d'Argentan. La cité ne comptait pas plus d'une cinquantaine d'âmes mais la richesse des façades de l'église et de quelques gros castels témoignait d'un passé prospère.
Depuis la veille, Fanette bravait le mauvais temps, enroulée dans une cape de gros bureau, pour arpenter chaque rue, jusqu'à la moindre venelle. Son cur avait manqué un battement quand elle s'était trouvée devant la grille ouvragée d'une maison de pierre, s'élevant sur un étage. Deux chênes sans doute aussi vieux que la bâtisse encadraient une allée aux dalles mangées d'herbe. L'ocre de quelques feuilles s'accrochait encore aux ramures sombres.
Le portail de fer forgé résista quand elle tenta de le pousser. Elle songea un court instant à se hisser au-dessus du muret, n'imaginant pas pouvoir repartir sans avoir rencontré la femme qu'elle cherchait. Les mains toujours nouées aux barreaux, elle observait la cour et la façade de pierre. Le sang cognait à ses tempes, presque douloureusement, rien qu'à l'idée que son fils puisse être là, derrière l'une des hautes fenêtres à meneaux. Elle se raisonna. Après tout, si elle savait que l'Italienne s'était rendu au printemps à l'orphelinat dans l'idée d'adopter un nourrisson mâle, elle n'avait aucune preuve qu'un enfant lui ait été finalement confié.
Mais en dépit de tout ce qu'elle pouvait se répéter pour calmer son impatience, et ménager ses émotions, elle espérait. Jamais elle ne s'était sentie plus proche de Milo.
Elle secoua la grille, alors qu'une femme contournait la bâtisse, les bras chargés d'un panier comptant quelques légumes d'automne encore tout crotté de terre humide et un lapin sans doute fraîchement égorgé. La fauvette l'interpella, regard fixé à la silhouette solide qui approchait. Entre deux âges, la taille épaissie par les maternités, ou la bonne chère, elle ne s'imaginait pas ainsi cette femme qui, la première avait ravi le cur de son Corleone. Peut-être celle-ci n'était qu'une cuisinière, sans quoi, que ferait-elle avec tous ces vivres ?
- Alaynna Valassi ?
La femme fronça les sourcils à l'évocation du nom, et s'arrêta à la hauteur des chênes en secouant la tête d'un air revêche.
- J'ai une tête à porter un nom pareil ? Je suis Hilna, et il n'y a pas d'Alaynna ici.
- Où puis-je la trouver ? C'est important, j'vous en prie, insista-t-elle.
Tout à fait indifférente au ton suppliant de la jeune femme, la cuisinière haussa les épaules.
- J'en sais fichtre rien. Tout ce que j'sais, c'est qu'il n'y a pas d'Alaynna ici. Passez votre chemin !
Aussitôt ces paroles prononcées, elle s'était retournée pour rejoindre la bâtisse où, prestement, elle s'était engouffrée, laissant à la grille une fauvette dépitée. Elle soupira, sans doute à la hauteur du découragement qui commençait à poindre. Mais une pluie drue de nouveau s'abattait et déjà, ses boucles, collées à son front et ses joues ruisselaient en une froide morsure sur son derme pâle. Elle resserra le col de la cape autour de sa gorge et regagna en courant l'auberge où elle avait pris pension depuis la veille. La salle commune était encore vide, mais un feu crépitait dans le vaste foyer dont la hotte était ornée d'une imposante tête de cerf empaillée.
Elle défit son vêtement dégoulinant et le posa sur une chaise, puis se réchauffa un instant à la chaleur des flammes, avant de se laisser choir sur un fauteuil de bois. Le regard perdu au-delà du carreau, l'amertume et la déception s'étaient glissé sur ses traits creusés de chagrin. En deux jours, non seulement elle n'avait pas trouvé d'Alaynna Valassi, mais personne n'était capable de lui dire où la femme était partie. Elle n'avait pas pu s'entretenir avec le tribun, et les seuls conseils qu'elle avait pu prendre, étaient de poursuivre son enquête à Alençon. La capitale était plus grande et plus fréquentée, elle aurait plus de chances de trouver commerçants ou artisans qui la connaissent.
Elle n'avait pas entendu l'homme entrer, et se retourna un peu surprise quand il la salua et se présenta comme le propriétaire des lieux. Son affable sourire raviva une lueur d'espoir dans le regard de la fauvette. Elle se présenta à son tour et, sans trop d'hésitation lui demanda son aide. Après tout, le tenancier d'une auberge devait voir défiler bien du monde dans sa salle commune.
- Je cherche une femme, une Italienne je crois, sans doute pas très âgée. Personne n'a su me renseigner jusqu'ici, et l'adresse que j'avais d'elle, au 2, rue de la reyne Béatrice n'a rien donné. Son nom est Alaynna Valassi.
L'Angevine ignorait que l'adresse qu'elle venait de citer était aussi celle de l'homme qui lui faisait face. Il s'était figé. Son regard aimable se durcit sensiblement tandis que la mâchoire se crispait. Il lui souffla entre ses dents quelques mots sur un ton froid à lextrême :
- Je vous prierais de ne pas parler d'elle devant moi.
Et si Fanette s'attendait encore à ce qu'on lui réponde pour la énième fois que ce nom était parfaitement inconnu et qu'on ne savait rien d'elle, elle ne s'attendait pas à une telle réaction. Néanmoins, le tenancier semblait savoir parfaitement qui était l'Italienne.
- Vous la connaissez ?
Elle n'obtint pour toute réponse qu'un regard glacial et méfiant. La fauvette paniqua en le voyant se lever. Il ne pouvait pas partir sans lui donner au moins un indice, il en allait de la vie de son fils. Elle tenta de le retenir, d'une voix presque suppliante.
- Je vous en prie, c'est important.
Peine perdue, l'homme sans un regard venait de quitter la salle commune, les traits tendus de colère et sans un regard pour l'Angevine décontenancée par la violence de la réaction. Elle devait en savoir plus, impérativement, et surtout, sans attendre, car au soir même, le Corbeau l'accompagnerait à Alençon, puisque jusque-là, elle n'avait su trouver meilleure piste. Elle fouilla rapidement sa besace pour en sortir la petite écritoire de voyage, et griffonna un mot sur un parchemin. Impatiemment, elle souffla sur l'encre pour la faire sécher, puis le roula avant de se précipiter au-dehors. Évidemment, l'homme avait disparu. Elle avisa un alors gamin.
- Tu connais l'homme à qui appartient l'auberge ?
Le mioche, les yeux rivés à la pièce qu'elle venait d'extraire de son escarcelle acquiesça d'un grand sourire. La fauvette lui tendit l'écu.
- Porte-lui cette lettre, et si tu parviens à le ramener dans la salle commune, je te donnerai deux autres pièces.
Sur le courrier, juste quelques mots ...
Je vous en prie, sieur Aubergiste, j'ai besoin de savoir où la trouver, la vie d'un de mon enfant est en jeu.
Saurait-elle le convaincre ? Elle rentra se mettre à l'abri dans la vaste pièce, n'ayant pour le moment d'autre option que l'attente.
_________________
Les pluies incessantes depuis deux jours gonflaient le fleuve méandreux qui déroulait son cours dans la vaste plaine d'Argentan. La cité ne comptait pas plus d'une cinquantaine d'âmes mais la richesse des façades de l'église et de quelques gros castels témoignait d'un passé prospère.
Depuis la veille, Fanette bravait le mauvais temps, enroulée dans une cape de gros bureau, pour arpenter chaque rue, jusqu'à la moindre venelle. Son cur avait manqué un battement quand elle s'était trouvée devant la grille ouvragée d'une maison de pierre, s'élevant sur un étage. Deux chênes sans doute aussi vieux que la bâtisse encadraient une allée aux dalles mangées d'herbe. L'ocre de quelques feuilles s'accrochait encore aux ramures sombres.
Le portail de fer forgé résista quand elle tenta de le pousser. Elle songea un court instant à se hisser au-dessus du muret, n'imaginant pas pouvoir repartir sans avoir rencontré la femme qu'elle cherchait. Les mains toujours nouées aux barreaux, elle observait la cour et la façade de pierre. Le sang cognait à ses tempes, presque douloureusement, rien qu'à l'idée que son fils puisse être là, derrière l'une des hautes fenêtres à meneaux. Elle se raisonna. Après tout, si elle savait que l'Italienne s'était rendu au printemps à l'orphelinat dans l'idée d'adopter un nourrisson mâle, elle n'avait aucune preuve qu'un enfant lui ait été finalement confié.
Mais en dépit de tout ce qu'elle pouvait se répéter pour calmer son impatience, et ménager ses émotions, elle espérait. Jamais elle ne s'était sentie plus proche de Milo.
Elle secoua la grille, alors qu'une femme contournait la bâtisse, les bras chargés d'un panier comptant quelques légumes d'automne encore tout crotté de terre humide et un lapin sans doute fraîchement égorgé. La fauvette l'interpella, regard fixé à la silhouette solide qui approchait. Entre deux âges, la taille épaissie par les maternités, ou la bonne chère, elle ne s'imaginait pas ainsi cette femme qui, la première avait ravi le cur de son Corleone. Peut-être celle-ci n'était qu'une cuisinière, sans quoi, que ferait-elle avec tous ces vivres ?
- Alaynna Valassi ?
La femme fronça les sourcils à l'évocation du nom, et s'arrêta à la hauteur des chênes en secouant la tête d'un air revêche.
- J'ai une tête à porter un nom pareil ? Je suis Hilna, et il n'y a pas d'Alaynna ici.
- Où puis-je la trouver ? C'est important, j'vous en prie, insista-t-elle.
Tout à fait indifférente au ton suppliant de la jeune femme, la cuisinière haussa les épaules.
- J'en sais fichtre rien. Tout ce que j'sais, c'est qu'il n'y a pas d'Alaynna ici. Passez votre chemin !
Aussitôt ces paroles prononcées, elle s'était retournée pour rejoindre la bâtisse où, prestement, elle s'était engouffrée, laissant à la grille une fauvette dépitée. Elle soupira, sans doute à la hauteur du découragement qui commençait à poindre. Mais une pluie drue de nouveau s'abattait et déjà, ses boucles, collées à son front et ses joues ruisselaient en une froide morsure sur son derme pâle. Elle resserra le col de la cape autour de sa gorge et regagna en courant l'auberge où elle avait pris pension depuis la veille. La salle commune était encore vide, mais un feu crépitait dans le vaste foyer dont la hotte était ornée d'une imposante tête de cerf empaillée.
Elle défit son vêtement dégoulinant et le posa sur une chaise, puis se réchauffa un instant à la chaleur des flammes, avant de se laisser choir sur un fauteuil de bois. Le regard perdu au-delà du carreau, l'amertume et la déception s'étaient glissé sur ses traits creusés de chagrin. En deux jours, non seulement elle n'avait pas trouvé d'Alaynna Valassi, mais personne n'était capable de lui dire où la femme était partie. Elle n'avait pas pu s'entretenir avec le tribun, et les seuls conseils qu'elle avait pu prendre, étaient de poursuivre son enquête à Alençon. La capitale était plus grande et plus fréquentée, elle aurait plus de chances de trouver commerçants ou artisans qui la connaissent.
Elle n'avait pas entendu l'homme entrer, et se retourna un peu surprise quand il la salua et se présenta comme le propriétaire des lieux. Son affable sourire raviva une lueur d'espoir dans le regard de la fauvette. Elle se présenta à son tour et, sans trop d'hésitation lui demanda son aide. Après tout, le tenancier d'une auberge devait voir défiler bien du monde dans sa salle commune.
- Je cherche une femme, une Italienne je crois, sans doute pas très âgée. Personne n'a su me renseigner jusqu'ici, et l'adresse que j'avais d'elle, au 2, rue de la reyne Béatrice n'a rien donné. Son nom est Alaynna Valassi.
L'Angevine ignorait que l'adresse qu'elle venait de citer était aussi celle de l'homme qui lui faisait face. Il s'était figé. Son regard aimable se durcit sensiblement tandis que la mâchoire se crispait. Il lui souffla entre ses dents quelques mots sur un ton froid à lextrême :
- Je vous prierais de ne pas parler d'elle devant moi.
Et si Fanette s'attendait encore à ce qu'on lui réponde pour la énième fois que ce nom était parfaitement inconnu et qu'on ne savait rien d'elle, elle ne s'attendait pas à une telle réaction. Néanmoins, le tenancier semblait savoir parfaitement qui était l'Italienne.
- Vous la connaissez ?
Elle n'obtint pour toute réponse qu'un regard glacial et méfiant. La fauvette paniqua en le voyant se lever. Il ne pouvait pas partir sans lui donner au moins un indice, il en allait de la vie de son fils. Elle tenta de le retenir, d'une voix presque suppliante.
- Je vous en prie, c'est important.
Peine perdue, l'homme sans un regard venait de quitter la salle commune, les traits tendus de colère et sans un regard pour l'Angevine décontenancée par la violence de la réaction. Elle devait en savoir plus, impérativement, et surtout, sans attendre, car au soir même, le Corbeau l'accompagnerait à Alençon, puisque jusque-là, elle n'avait su trouver meilleure piste. Elle fouilla rapidement sa besace pour en sortir la petite écritoire de voyage, et griffonna un mot sur un parchemin. Impatiemment, elle souffla sur l'encre pour la faire sécher, puis le roula avant de se précipiter au-dehors. Évidemment, l'homme avait disparu. Elle avisa un alors gamin.
- Tu connais l'homme à qui appartient l'auberge ?
Le mioche, les yeux rivés à la pièce qu'elle venait d'extraire de son escarcelle acquiesça d'un grand sourire. La fauvette lui tendit l'écu.
- Porte-lui cette lettre, et si tu parviens à le ramener dans la salle commune, je te donnerai deux autres pièces.
Sur le courrier, juste quelques mots ...
Je vous en prie, sieur Aubergiste, j'ai besoin de savoir où la trouver, la vie d'un de mon enfant est en jeu.
Saurait-elle le convaincre ? Elle rentra se mettre à l'abri dans la vaste pièce, n'ayant pour le moment d'autre option que l'attente.
_________________