De Fanette Loiselier
à
Alaynna Valassi.
Ma Dame,
Alaynna,
Je ne sais pas vraiment comment commencer cette lettre. Enfin si, je sais, je dois vous dire de ne pas prendre peur, et de lire jusqu'au bout. J'écris sur les conseils de votre ami, Aless. Il m'a confié vos questions et il pense, avec justesse sans doute, qu'il sera mieux que ce soit moi qui vous réponde.
Cet enfant dont nous partageons l'amour, son vrai nom, c'est Milo-Amalio di Medici Corleone. Nous l'appelons simplement Milo. Il est venu au monde à Limoges, un samedi matin, au vingt-huitième jour d'avril 1466. ll a été baptisé dans la cathédrale Saint-Etienne de Limoges, trois semaines plus tard, en présence de sa marraine, Svanja Sorensen, et de son parrain, Gabriele Corleone.
Il était un enfant si facile Alaynna, sauf aux premières heures de sa vie, pas de son fait, mais du mien hélas. Quand les fièvres me tenaient encore, et que mon lait ne savait lui suffire, la faim le faisait gronder. Par chance, sa marraine allaitait une enfant, et tout est rentré dans l'ordre en quelques jours.
Et il fut mon plus grand bonheur, sept semaines durant. Il n'est pas un endroit dans notre maison où je garde un tendre souvenir de lui. Son berceau de châtaignier, sculpté de papillons et d'acanthe, auprès duquel je m'installais pour veiller ses sommeils, le panier de rotin dans lequel je le posais, pour l'emmener avec moi dans chaque pièce de l'auberge où j'avais à faire, les relevées dans la salle commune encore déserte, où il semblait se captiver pour les rais de soleil filtrant à travers le verre jaune des croisées, ses petites mains battant après les poussières comme pour les attraper. Je peux voir encore les reflets de cuivre que le soleil glissait au duvet châtain de son crâne, les mêmes que ceux qu'il ajoutait aux cheveux de son père. Je peux encore dessiner de mémoire ses lèvres si délicatement ourlées, ses sourires ébauchés aux berceuses et aux contes. Je n'ai rien oublié de l'expression attentive de son grand regard d'ardoise, que partagent tous les nourrissons, brodé de longs cils bruns, ni de la peau claire de son gracieux visage, aux joues tendrement rosées.
Tout ce temps, je n'ai cessé de veiller encore ses absences. J'ai imaginé ses sourires, et j'ai souri de même. J'ai craint ses cauchemars, ses peurs irraisonnées d'enfants, souffrant de ne pouvoir le consoler. J'ai espéré. J'ai espéré d'abord le savoir en vie, puis, le savoir bien traité, jusqu'à le retrouver. J'ai souffert. J'ai souffert de son absence, infiniment, à crever d'amour pour lui, chaque nuit, au secret de mon lit, à enrager de n'être plus celle qui bercerait ses songes et sécherait ses pleurs.
Aless m'a dit que vous lui parliez Italien. Milo est né ici, en Royaume de France, d'une mère Angevine. Pourtant, une part de son sang est florentin. Ce sont ses racines, pour moitié. Alors, j'ai appris des berceuses Italiennes, et, bien avant sa venue au monde, je les lui chantais. J'ai appris quelques mots aussi, pour qu'il n'oublie pas que cette langue, ces collines de Toscane que je rêvais de découvrir bien avant de m'éprendre d'un Toscan, font aussi partie de lui. Je crois que c'est une bonne chose qu'il ait pu vous entendre parler cette langue que vous partagez avec son père.
Cet enfant Alaynna, vous ne pouvez savoir combien il est le courage, il le fut dès ses premiers moments de vie, quand il palpitait encore au creux de mon ventre. Bien avant que d'être né,
la nuit du 16 décembre 1465, il a sauvé ma vie. Il s'est battu encore pour vivre après cela,
quatre mois avant sa naissance, quand je le croyais perdu, et encore une fois au jour de sa
venue au monde. Pouvez-vous mesurer déjà combien si petit, il peut être si fort et déterminé ?
Jamais je n'ai voulu me résoudre à l'abandonner Alaynna. Mes enquêtes m'ont permis d'acquérir la conviction que, en dépit du lien qui vous a uni au père de Milo, vous n'en saviez rien, et que vous vous pensiez légitime à l'élever, mais malgré cela, je ne pouvais moi l'accepter. J'ai cherché, j'ai cherché Milo d'abord, puis vous, quand j'ai su. Bien des gens disent de moi que je manque de courage, que je suis faible, mais, jamais je n'ai renoncé à lui, jamais je n'ai décidé de céder à la facilité, en choisissant d'en faire le deuil, comme on pleure un enfant mort. Je sais qu'il aurait été moins cruel pour vous que je sois de celles-ci, mais s'il vous plaît Alaynna, à cette heure où on fait encore de moi cette pauvre fille incapable de quoi que ce soit, dites-lui que la force et le courage se manifestent de bien des manières, et que sa mère n'en a jamais manqué. Je veux qu'il soit fier de moi, je veux qu'un jour il sache, malgré tout l'amour que vous avez pu lui donner, qu'une autre que vous en avait tout autant pour lui, quelle que soit la distance où elle se tenait.
Alaynna, nous sommes tous les quatre pareillement victimes, Milo, votre fille, vous et moi, mais il est mon fils, et je veux pouvoir de nouveau le serrer sur mon cur, enfouir mon nez dans ses cheveux, le regarder s'endormir en chantonnant une berceuse.
Je tremble d'espoir et d'impatience à votre retour, et je suis terrifiée tout autant. J'ai peur d'être devenue une étrangère. Vous l'avez chéri tant de temps quand je n'ai pu le faire que sept semaines. Il connaît votre voix, votre parfum, celui de votre fille, les contours de vos visages, vos gestes. Que lui restera-t-il de moi ? Se souviendra-t-il encore de ma voix quand je lui conterai cette histoire que j'ai écrite pour lui avant qu'il ne vienne au monde ? Sa peau se souviendra-t-elle de la douceur de ma main quand je la glissais tendrement à sa joue ? Je suis sa mère, c'est une évidence, et je m'inquiète qu'il n'en veuille plus jamais d'autre que vous.
Je suis si désolée que nous ayons à vivre pareille souffrance.
Embrassez-le pour moi.
Fanette