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[RP] Entre Chienne et Louve.

Lison_bruyere
Limoges, le 16 avril 1467


Estrella l'avait promis, Aless l'avait annoncé, et pourtant, Fanette refusait d'y croire tout à fait, de peur de souffrir plus encore si rien ne se passait comme on le lui avait dit. La date n'était sans doute pas anodine. Dix mois plus tôt, jour pour jour, Claquesous s'était introduit par la fenêtre de la chambre après avoir libéré la jument dans la rue. Depuis, le seize de chaque mois lui rappelait cruellement ces quelques instants où elle s'était précipitée pour récupérer sa bête affolée avant qu'elle ne piétine un passant, ces quelques instants de trop où son attention ne fut plus entièrement dévouée à son fils.

Le jour commençait à décroître, mais les nombreuses chandelles rallumées à la salle commune dispensaient une lumière tremblante, jouant de leurs reflets orangés dans la chevelure brune de l'Italienne installée près d'une croisée. Elle se retourna doucement à la plainte d'une marche de l'escalier de bois, révélant l'adorable frimousse d'un bambin de presque un an. Son regard d'émeraude émoussée crocheta celui de la fauvette, reflétant une lueur curieuse. Sans doute en cet instant ses jambes manquèrent de se dérober. Sa vue se brouilla de larmes. Son cœur s'emballa, rendant son souffle hasardeux. Elle lâcha le panier qu'elle portait sous son bras et usa ses dernières forces à se porter vers l'enfant et celle qui le tenait tendrement sur elle. La main de la Napolitaine glissa sur la tête du petit pour faire tomber le capuchon qui le couvrait, libérant ses fins cheveux châtains rehaussés de cuivre.

Fanette clapa, incapable d'un son quand elle avait tant à dire. Indifférente au regard d'azur pâle dont la couvait la Napolitaine, elle était tout entière happée par l'enfant dont elle ne parvenait à se détacher. Ses dents étaient venues saisir le coin de sa lèvre inférieure, comme à chaque fois qu'une émotion la débordait. Elle se laissa choir sur une chaise, juste à côté de l'enfançon et de sa mère adoptive. Le fin sourire qui étirait ses lèvres contredisait les pleurs qui inondaient ses joues. Elle porta une main hésitante vers la pommette arrondie et rosée, parvenant enfin à articuler un mot dans un souffle.

- Milo...

Le regard de la brune se fit plus tendre quand elle saisit la main de l'enfançon pour l'agiter doucement vers la fauvette. Elle glissa à son oreille des mots qui sans nul doute possible, étaient une déchirure pour elle.

- Tua mamma.

Deux mots simples cruellement douloureux pour celle qui devrait faire le deuil d'un fils, et qui pourtant rendait à Fanette toute l'intensité de son cœur de mère. Alaynna se pencha légèrement, pour déposer l'enfant sur ses genoux. Milo ne dit rien, semblant percevoir, à défaut de le comprendre, la gravité du moment. Il releva un regard vers l'Italienne, s'assurant sans doute qu'elle ne le laissait pas, puis avisa avec attention le visage de sa mère.

- Bene ! N'aie pas peur, je ne suis pas loin tesoro mio.

Fanette plissa légèrement le nez, mais tout autant que l'enfant, elle l'observait, cherchant dans ses traits le nourrisson qu'elle berçait dix mois plus tôt. Sa peau était toujours aussi pâle que la sienne, et le fin duvet de son crâne était maintenant une jolie chevelure aux mêmes reflets que ceux de son père. Les grands yeux d'ardoise avaient eux aussi pris la même belle teinte de lichen de Roman. Si l'enfantelet ne semblait pas être effrayé, son visage était empreint de gravité, et ses sourcils légèrement froncés, il continuait à dévisager sa mère.

Dix mois qu'elle en était privée, et Fanette le tenait enfin sur ses genoux, les gestes gauches et hésitants quand elle rêvait de le couvrir de baiser. Elle avait peur qu'il ne se mette à hurler, qu'il la rejette pour regagner le cocon rassurant des bras de sa mère adoptive. Elle avait peur et pourtant, elle le regardait, le cœur bouffé d'espoir que tout s'arrange enfin, qu'elle sache renouer le lien brisé à l'été précédent, apprivoiser de nouveau ce bambin qui ne semblait pas décidé à sourire.

Le temps en ferait son affaire.
_________________
Alaynna
Limoges, 18 Avril 1467

Ce n'est pas de gaieté de coeur que j'avais remis les pieds dans cette ville de malheur. Mais j'y étais venue dans un but bien précis. Et comme l'on dit, le bonheur de l'une, fait le malheur de l'autre. No, il ne s'agissait pas d'une sombre affaire d'homme, mais d'celle d'un nourrisson qui v'nait de retrouver sa mère, après dix mois d'séparation forcée.
Quant j'suis arrivée, j'lui ai pas emmené l'enfant tout d'suite à la mère légitime. Je voulais d'abord me faire une opinion et claquer quelques conditions sur la table. Parce que faut bien l'avouer, au moindre truc qui collerait pas, ça n'me gênerait absolument pas d'repartir avec le petit. Et ce n'est qu'alors que la soirée s'entamait, que j'étais revenue, cette fois, avec le bambino. Elle l'appelait Milo, mais à mes yeux, il était toujours Flavio. La seule chose qui avait vraiment changé, et j'étais encore sous le choc de la nouvelle, c'est que cet enfant était le demi-frère du fils mort-né que j'avais eu avec son père.
Et à y bien réfléchir, si mon coeur de mère a pris le dessus quand j'ai du prendre la décision qui s'imposait, je l'ai fait parce que le padre du petit, c'est mon ex mari d'Corleone.

J'ai pris sur moi durant ces trois jours. Le premier jour, j'étais carrément sur la défensive et j'ai vécu un enfer sans nom.
L'second jour, j'l'ai passé à surveiller la mère légitime. A voir comment elle s'comportait avec le petit. Et il est évident qu'elle est totalement perdue. A un moment donné, elle m'a dit qu'elle ferait au mieux pour Milo. J'me suis pris une décharge et j'ai eu, sur le moment, l'envie d'la baffer pour ces mots qu'elle v'nait de me sortir. Je l'ai regardé froidement, et je lui ai asséné que faire au mieux ne suffisait pas. Fallait qu'elle fasse ce qu'il faut pour son fils !

Puis, parce qu'je suis pas un monstre non plus et qu'malgré ma propre douleur, j'tentais d'comprendre ce par quoi elle passait, j'me suis radoucie et j'l'ai écouté m'causer. Je crois qu'elle avait vraiment besoin de parler. La seule chose que je ne voulais pas, c'est qu'elle me cause de Roman. Mais fatalement, la résolution n' a pas tenu. Et d'un coup, en l'écoutant, il m'est apparue une vérité qui m'a sciée sur place. J'me suis revue, quelques années plus tôt, alors que je l'écoutais idéaliser l'Corleone, en train d'faire quasiment la même chose au sujet du père d'ma fille. Et ça m'a figé les sangs l'espace d'un moment avant d'prendre la pleine mesure, de l'évolution qui avait été la mienne depuis quelques années, et notamment, d'puis ces deux dernières années.
Alors j'ai fini par chercher à en savoir plus sur sa vie actuelle. Et elle m'a fait part de ses difficultés. Et plus je l'écoutais, et plus j'me rendais compte que si on avait en commun d'avoir épousé l'même homme et qu'il ait mis fin à nos mariages, nous avions eu une vie auprès de lui, complètement différente.

M'ayant fait part d'ses souçis financiers, j'ai pas cherché bien loin comment j'pourrai l'aider. Elle m'a d'abord parlé d'sa jument, qu'elle risquait d'devoir vendre, et elle voulait que je lui donne une estimation d'ce qu'elle valait. Quand elle m'a dit qu'c'était Roman qui lui avait offert la jument, j'ai d'mon côté rien dit, mais j'ai tiqué. C'tait une mauvaise idée qu'de vouloir la vendre. La bête était belle et avait encore de nombreux beaux jours devant elle. Si Fanette semblait penser qu'elle n'en avait pas besoin, j'me disais pour ma part, qu'en grandissant l'bambino serait bien content d'l'avoir cette jument. Mais je n'en ai rien dit à la jeune femme.
Il m'restait un fût d'Champagne, et j'me suis proposée d'lui vendre à prix l'moins onéreux. Je lui ai racheté une babiole qui devrait plaire à Anna.
Mais surtout, aujourd'hui, j'ai préparé quelques papiers dans un coffret que je vais lui donner avant d'repartir. Je lui demand'rai d'regarder qu'une fois que j'aurai quitté la ville. J'le faisais pour le petit. Je lui cédais l'acte d'acquisition d'mon appartement sur Limoges. Elle en f'rait c'qu'elle voudrait. Elle pouvait l'vendre, même si j'trouverai plus logique qu'elle le mette en location. Ainsi elle s'assurerait des revenus et plus tard, une fois grand, Milo aurait un endroit bien à lui.
Depuis la naissance d'Anna, je m'étais mis en tête d'assurer son avenir. Et l'investissement immobilier en faisait partie. Alors tout naturellement, j'avais commencé à faire la même chose pour l'Bambino.

Hier soir, j'ai fait la connaissance de mon ancienne belle-mère. La madre de Roman. Oh j'en savais déjà beaucoup sur elle, à l'époque, l'Corleone m'en avait longuement parlé. J'avais appris ainsi tout un pan de la vie de cette femme et je l'admirais.
Mais le contact fut très froid au début. Puis au fil d'la conversation, car elle et moi, avions beaucoup d'choses à nous dire, elle s'est adoucie et moi également. Beaucoup de choses furent échangées hier au soir, et nous nous sommes quittées sur un constat qui n'a fait que renforcer mon admiration pour l'Aveugle. D'une, elle m'a dit qu'son fils n'était qu'un abruti pétri d'orgueil mais qu'elle devait reconnaitre qu'il avait bon goût en matière d'femmes. Elle a rajouté qu'étant donné qu'elle n' a pas d'fille, j'restais quand même sa belle-fille. C'tait la même chose pour la seconde épouse de l'italien. Mais c'qui m'a l'plus remué, c'est qu'elle a compris qu'j'suis pas l'monstre que son fils lui a décrit. Avant d'partir prendre l'air hier au soir, je n'ai pas pu m'empêcher de déposer une bise sur les joues mûres de la Medici et de la remercier.
Nous nous écrirons. J'crois que j'ai encore des choses à lui dire. Et j'me voyais pas forcément les lui dire d'vant la s'conde épouse du Corleone qui semblait d'jà bien perturbée comme ça. D'autant qu'j'y suis peut-être allée un peu fort, mais j'lui ai craché qu'si elle voulait qu'Roman r'vienne près d'elle, il allait falloir qu'elle s'secoue et qu'elle s'batte au lieu d'baisser les bras. J'suis allée jusqu'à lui dire, moi, si si, moi, et quand on connait un pan d'ma relation avec Niallan ça serait genre, l'hôpital qui s'fout d'la charité, bref, j'lui ai conseillé de droguer l'Corleone, d'l'assommer, d'le kidnapper, d'le charmer et de l'achever en lui mettant les petiots sous les yeux. J'ai même été surprise que Jo-Anne, soit d'accord avec moi. Mais j'vais être honnête, si j'ai dit ça, c'parce que ça m'ferait chier qu'Milo plus tard, souffre comme Anna d'un manque de père. Maintenant que je sais qu'il en a un bien vivant.

Cette journée ci n'est pas encore terminée, et Anna m'en a fait baver d'toutes les couleurs aujourd'hui. J'sais pas trop si elle tient ça d'son père ou d'moi, mais enfin comme on dit, les chats n'font pas des chiens !

Et je ne sais toujours pas comment je vais bien pouvoir gérer les jours à venir. Tout ce que je sais, c'est qu'elle et moi on est dans le même bateau, et on a beau écoper, l'bateau il est en train d'couler.
Jamais encore Anna-Gabriela ne m'avait fait une crise de ce genre. Jusqu'à taper d'ses petits pieds au sol, en larmes, et de se rouler par terre, en criant TALOPELLIE* ! Et Karl-Heinz, qui avait eu la sublime idée la veille de l'emmener avec lui chez le maréchal ferrand, et de lui faire entendre certaines insultes qu'elle n'a pas manqué d'me sortir aujourd'hui. Oh les insultes ne m'étaient pas destinées, mais j'ai bien conscience combien la situation est explosive. Tout à l'heure, j'ai manqué m'carapater en douce avec les p'tiots mais au dernier moment j'me suis ravisée.
J'ai ramené Milo auprès de Fanette, et ce soir, je sais qu'il n'y a pas qu'Anna qui va morfler, quand on va repartir. Mais rester plus longtemps serait au-dessus de mes forces. Je sais que la mère légitime est en panique complète de peur de mal faire avec l'petiot, mais ça d'vient malsain et il est urgent que l'on s'éloigne avec Anna.


*saloperie.

_________________
Lison_bruyere
Limoges, le 21 avril 1467
Appartement privé del lupo, au matin.



Il avait fallu trois jours à Fanette pour s'installer dans ce qui serait son quotidien pour les semaines à venir. La fatigue cernait son regard, mais il couvait dans ses noisettes pailletées d'or une lueur d'espérance. Si ses traits pâles reflétaient encore l'inquiétude, ils s'illuminaient d'un sourire à chaque fois qu'elle glissait un regard sur ses enfants. Une petite fille était née, au soir du jeudi précédent, une petite poupée au teint de porcelaine, sage comme une image, comme si elle devinait que toutes les inquiétudes de sa mère ne pouvaient être pour elle, mais plutôt pour le fils qu'on lui avait enfin rendu. Le nourrisson de sept semaines arraché au berceau dix mois plus tôt était devenu un enfançon de presque un an. Il gambillait déjà sur ses petites jambes mal assurées, le plus souvent la main agrippée au collier du chien. Fanette s'efforçait de l'apprivoiser, mais l'enfant la jaugeait le plus souvent, mine sérieuse et silencieuse. Rares étaient ses sourires, et rares étaient ses pleurs, sauf au matin. Ils étaient difficiles encore, quand il espérait sans doute voir à son réveil le visage connu de la Valassi, ou celui de sa fille. C'est à cette occasion qu'il pleurait encore, hoquetant ses sanglots en la repoussant. Son cœur se serrait à chaque fois, mais, elle refusait de se laisser submerger par le chagrin quand le bonheur était à portée de main. Milo avait juste besoin de temps pour réapprendre sa mère, renouer aux souvenirs sans doute inscrits au fond de sa mémoire, des parfums, de la lumière feutrée de la salle commune, de sa voix quand elle le berçait de comptines italiennes...

Ce matin-là, profitant du calme relatif de l'auberge, elle avait ouvert enfin le petit coffret de bois que lui avait laissé Alaynna. Elle s'y reprit à deux fois pour lire document qu'il contenait, non qu'elle n'ait pas déchiffré à la première mais, elle était tout bonnement incrédule sur la générosité de ce qu'elle comprenait. Elle glissa un regard tendre à son fils, assis sur une couverture devant le feu, la lourde tête du dogue posée à ses petites jambes potelées, avant de revenir au document. C'était un acte qui la désignait comme propriétaire d'un logement au numéro un de la rue des godets. La venelle se situait dans la continuité de la rue de son auberge, en remontant sur la cathédrale. Le quartier, bien qu'excentré était néanmoins vivant, avec la proximité de la porte-Panet et les échoppes des teinturiers. Le coffret renfermait également deux clefs, sans doute celles dudit logement. De nouveau elle enveloppa du regard l'enfançon, puis Stella, endormie au panier posé sur la table à côté d'elle.

Un léger soupir s'échappa de ses lèvres, mais, il était fait de reconnaissance et de soulagement. Il lui apparut évident que cette maison était celle de son fils, même si en l'état, c'est son nom à elle qui figurait sur le parchemin. Il était encore trop petit mais, peut-être y aurait-il moyen de tirer profit de ce bien, en attendant que Milo soit en âge d'en prendre possession. Déjà, elle aurait un toit si elle venait à perdre l'auberge, et puis, qui sait si elle ne trouverait pas une personne pour lui louer. Elle fronça les sourcils, ne sachant trop comment on organisait cela, s'il convenait ou non de faire un contrat, imaginant déjà la contrainte d'un locataire malhonnête. Elle pesta de ne pas avoir regardé plus tôt dans le coffret. Arsen était parti à présent, mais il était avisé et instruit. Elle aurait pu lui demander conseil. Elle replia le parchemin et le consigna soigneusement dans le coffret. Il serait toujours temps d'écrire au joaillier. En attendant, elle se leva pour déposer un baiser dans les cheveux de l'enfant qui ne s'en défendit pas. Rien que cette petite victoire suffisait à ajouter un bonheur de plus à sa journée. Elle revint s'installer avec on matériel d'écriture.





De Fanette Loiselier
à
Alaynna Valassi


Alaynna

Tout d'abord, voici quelques nouvelles de Milo. Il va bien, il ne sourit qu'en de rares occasions mais, il ne pleure qu'en de rares occasions aussi. Il a besoin de temps pour comprendre ce qui lui arrive, mais soyez rassurée, il mange bien, et a trouvé en Huan un compagnon de jeu.
Il m'observe encore beaucoup, mais, il semble avoir admis qu'à présent, je peux m'occuper de lui, le bercer, et par-dessous tout l'aimer, comme j'ai continué à le faire à chaque instant de son absence.
Je me doute que l'absence est cruelle pour vous, et pour votre petite Anna, mais expliquez-lui bien qu'elle pourra toujours rester la grande sœur de Milo, et qu'elle pourra revenir la voir quand il lui plaira, tout comme vous qui l'avez choyé pour moi Alaynna.
Soyez remerciée de ce que vous avez fait nous.
Alaynna, j'ai ouvert le coffret, et je n'ai pas de mots pour vous dire ma gratitude, en mon nom bien sûr et aussi au nom de mes enfants, et de Milo particulièrement. J'en ferai bon usage, mais, j'ai conscience que je ne peux en disposer que dans l'attente que mon fils soit en âge d'en prendre possession, car, j'imagine que c'est le souci que vous avez de lui qui vous a poussé à nous faire ce cadeau.
Il le saura Alaynna. Si jamais plus vous ne deviez le revoir, il saura qui vous êtes et ce que vous avez fait. Mais j'espère sincèrement qu'un jour, vous saurez lui dire vous, l'amour que vous avez eu de lui, et dont cet appartement restera le témoignage.
Merci pour lui, et pour moi.
Prenez soin de vous et de votre petite Anna.

Fanette


Une fois le pli refermé et cacheté, c'est à Roman qu'elle se décida à écrire. Les dernières lettres qu'elle lui avait adressées étaient restées sans réponse, même celle qu'elle avait rédigée à Bordeaux, alors qu'elle était si près de lui. Mais il devait savoir.





Roman,

Depuis jeudi soir, tu es père pour la seconde fois. C'est une petite fille, et après en avoir parlé avec Lili, j'ai pris la décision de l'appeler Stella-Lucia. C'est la tienne Roman, et tu peux dire le contraire, tu ne peux pas en douter car tu sais pertinemment que le mensonge ne fait pas partie de mes défauts.
Milo est près de moi de nouveau.
Je ne demande rien pour moi Roman, juste pour nos enfants, ne les laisse pas sans l'affection d'un père, ils ne le méritent pas.

Fanette

_________________
Alaynna
[Whatever it takes] -Imagine Dragons -

Peu importe ce qu'il en coûte.

Whip, whip
Cravache, cravache
Run me like a racehorse
Fais-moi courir comme un cheval de course
Hold me like a ripcord
Tiens-moi comme une corde de parachute*
Break me down and build me up
Détruis-moi et reconstruis-moi

Une semaine que nous avons quitté cette cité de malheur. Une semaine que nous tentons d'apprendre, Anna et moi, à vivre sans Flavio. Ou plus exactement Milo. Et cette fois, il n'est pas question de survie, mais bien de vivre pleinement.
Malgré l'absence, Anna-Gabriela semble toujours inclure le petit dans ses jeux. Il n'a beau n'être plus là, elle continue de le faire vivre auprès d'elle, au travers de ses petites histoires, de ses jeux quotidiens.
Quelques jours plus tôt, alors que j'avais reçue missive en provenance de Limoges, j'avais expliqué à Anna que bien que Milo ne soit plus auprès de nous, elle pourrait lui faire des dessins et également le revoir. Je lui avais lu le passage où celle qui avait retrouvé son fils légitime, mentionnait que ma fille restait la grande soeur du petit Corleone.

Les remerciements qui s'en étaient ensuivis pour mon acte, m'avaient mise mal à l'aise. Un brin agacée même. Parce que je savais pertinemment que je l'avais fait pour Milo. Uniquement pour lui, même si forcément, sa mère possédait actuellement les pleins pouvoirs sur ce que j'avais généreusement offert, dans un élan du coeur, pour ce Bambino, que j'avais élevé comme mon propre fils durant des mois.

Ces derniers jours, bien qu'Le Sauvage et moi-même n'étions pas dupes de ce qu'il se passait entre nous, j'avais fini par céder à mes pulsions. Mes vieux démons revenaient en force et deux pauvres hères, à quelques jours d'intervalle, en avaient fait les frais. Les collets avaient été utilisés selon mon imagination, les lames avaient joué leurs symphonies dans un ballet bien orchestré, et le sang avait giclé, je m'en étais souillée avec une délectation certaine.
Quant aux flammes, elles redevenaient mon terrain de jeu favori. Afin de ne laisser aucune trace de mes activités.

Et malgré tout, je ne m'apaisais pas et cela continuait de gronder en moi. Et j'savais pertinemment qu'il n'y avait pas qu'l'absence du Bambino qui me mettait dans cet état.
L'était grand temps d'jouer carte sur table avec Alessandro, et d'éclairer certaines zones d'ombre afin qu'tout soit clair et limpide.
Quand je l'avais entendu parler de collets, il avait réveillé quelque chose que j'enfouissais au plus profond de mon inconscient, depuis un bon bout d'temps. Ce n'était peut-être pas si anodin que cela, si je me servais de collets pour certaines de mes sales besognes. Et ces temps-ci, je flirtais avec l'autre côté du chemin, J'savais pertinemment pourquoi, mais j'voulais pas le reconnaitre et je continuais de me voiler la face. Sauf que, p'tit à p'tit, avec sa façon bien à lui, l'Ritalien m'ouvrait les yeux. Brut de décoffrage était-il mais l'air de rien, il avait peut-être trouvé la bonne méthode, Delio.
Je n'avais pas besoin qu'on me dorlote, et le Ritalien l'avait bien compris.

Aussi, quand les missives Sauvagesques sont venues s'abattre sur moi aujourd'hui, je n'ai pas tergiversé et je suis allée droit devant. Un p'tain d'pas de géant que j'ai fait. Et quand le faucon est r'venu me livrer message d'Aless en ce début de soirée, une lueur que je n'avais plus eu depuis longtemps s'est allumée dans mes bleus. L'Sauvage venait enfin d'capter que je n'étais pas forcément celle que je laissais paraître au commun des mortels.
Et un sourire énigmatique s'en est fleuri sur mes lèvres, alors que j'allais relever les collets, que cette fois, je n'avais pas détourné de leur fonction initiale. Ce n'était sans doute pas un hasard, si en ces temps troublés, j'me retournais de nouveau de l'autre coté du chemin. Mais cette fois, au beau milieu du chemin, il se trouvait une autre imposante carrure, bien en vie celle-là, qui venait me rappeller que moi aussi, j'étais bel et bien en vie. Et que le temps de sauter vraiment le pas était arrivé.

Dans les jours à venir, j'enverrai missive sur Limoges, avec la petite touche qu'Anna-Gabriela voudra bien y apporter.

Mais pour l'heure, c'est une toute autre missive que je me dois de rédiger.



Whatever it takes
Peu importe ce qu'il en coûte
Cause I love the adrenaline in my veins
Parce que j'aime l'adrénaline dans mes veines
I do whatever it takes
Je ferai tout ce qu'il faut
Cause I love how it feels when I break the chains
Parce que j'aime la sensation quand je brise les chaînes
Whatever it takes
Peu importe ce qu'il en coûte
_________________
Annagabriella
Depuis qu'ils avaient quitté Limoges, le comportement d'Anna-Gabriela semblait avoir changé, et s'assombrissait de jour en jour. Hormis la période où l'enfant s'était mise à faire preuve de mutisme et rechignait à manger, ce qui remontait à l'époque où Niallan avait disparu et ne se préoccupait déjà plus de la petite, Anna ne s'était jamais comporté ainsi. Enfant habituellement facile et peu contrariante, les caprices et les colères n'étaient pas dans ses habitudes.
Et pourtant, depuis que Flavio, qui n'était autre que Milo, avait été ramené auprès de sa véritable mère, Anna semblait, de nouveau, complètement submergée par des émotions contradictoires.
De l'euphorie du mariage d'Estrella où elle avait été porteuse d'anneau, à la crise de colère quand il avait fallu mettre la petite devant le fait accompli concernant son "petit frère", l'attitude de la petite ne cessait de déconcerter l'Italienne, qui commençait vraiment à penser que Malik n'avait peut-être pas été si loin de la vérité, quand il ne cessait d'asséner que l'enfant avait reporté le manque de son père, en adoration vouée à ce petit frère qui lui était tombé du ciel.
Et bien qu'elle ait expliqué à la petite, que ce Bambino là, n'était pas sorti du ventre maternel, il se pourrait également qu'Alessandro ait raison, et qu'Anna n'ait rien compris à ce que sa mère avait tenté de lui expliquer.

Il en résultait donc à l'heure actuelle, que l'enfant avait un comportement qui virait de plus en plus en vrille depuis qu'elle se retrouvait sans la présence de Milo.

Il n'y avait qu'à voir l'étendue du désastre du jour, au vu de l'état d'Ada, la poupée qui lui était inséparable depuis que celui qui était encore son parrain à l'époque, Diego, la lui avait offert.

Le petit trousseau de la poupée avait toujours été gardé dans le meilleur état et Anna y prenait un soin particulier, ainsi que le lit de la poupée qui était toujours bien fait. Mais aujourd'hui, c'est bien un tout autre spectacle qui se déroulait.

Anna, en l'espace d'un petit quart d'heure, vida la petite commode de tout le linge de sa poupée, qu'elle coupa, déchira, et hacha en menus morceaux. Quant à Ada, elle se retrouva couverte de terre et avait un bras en moins et une jambe complètement tordue. Les petites menottes de la mini Ozera-Valassi, n'y étaient pas allées de main morte, c'était le cas de le dire.
Depuis une semaine, Anna piquait des colères, allant parfois jusqu'à l'excès, obligeant l'Italienne à sévir, comme jamais encore elle ne l'avait fait. Ce qui ne faisait qu'empirer les choses, car l'enfant, n'hésitait plus désormais à trépigner des pieds quand sa madre la contrariait. Le hic étant, qu'il était de fait que si d'autres mères auraient excusé ce comportement, ce n'était pas le cas de l'Italienne, qui depuis ce changement de comportement, avait décidé de ne rien laisser passer à la petite.

Pour un oeil avisé et au courant de la situation présente, il était évident que mère et fille souffraient de la même absence et donc, des mêmes maux. Ou presque. Car si l'Italienne semblait avoir pris le parti de rayer de sa vie un paternel qui n'en avait plus rien d'un à ses yeux, la petite quant à elle, semblait encore partagée sur le sujet. Et là encore, une discussion qu'elle avait eu avec Alessandro n'était pas sans fondement, quand elle avait fini par lui dire que Malik avait eu l'intention de donner son nom à la gamine. Aless avait simplement fait une grimace et avait répondu que c'était la chose à ne pas faire, nobobstant le fait, qu'en grandissant, Anna serait apte à savoir d'elle-même si elle souhaitait ou pas garder contact avec Niallan.
Voilà encore une chose qui avait interpellé l'Italienne chez cet homme. C'est qu'il était l'un des rares, voire, quasimment le seul, à avoir une telle réaction, et donc, d'être à même de comprendre pourquoi Alaynna elle-même, avait toujours refusé qu'un autre homme remplace une partie du nom d'Anna par un autre.

Et c'est ainsi, qu'Anna-Gabriela, le petit visage ravagé par les larmes vint trouver sa mère afin de lui réclamer une boite dans laquelle elle voulait y fourrer Ada ainsi que le petit collier avec la coquille d'escargot offert par son père, pour les enterrer. Quand sa mère lui demanda si elle voulait aussi y mettre le petit médaillon avec le sable offert également par Niallan, Anna secoua la tête, semblant encore décidé à garder l'objet en question.

- Na. Moi ne veux le garder. Mais ne veut plus du reste, na va mettre la boite dans la terre. Et pis ne veut n'avoir ton ablette !

La petite, sans façon, désigna alors l'arbalète maternelle, posée hors de sa portée. Au regard interloqué d'Alaynna, la réponse de l'enfant tomba, tel un couperet.

- N'avec ton ablette on n'a qu'à n'aller tuyer la vilaine madame et on reprend Flavio n'avec nous ! Moi ze ne veux pas n'aller le voir, ze ne veux qu'il revienne tout le temps avec nous, comme avant !

- Mais enfin Tesoro mio, tu sais très bien que ça, ce n'est pas possible. Et puis la mère de Milo n'est pas méchante. Je t'ai dit qu'elle a écrit que tu pourrais passer du temps avec lui, et lui envoyer des dessins. Tu serais contente toi, si on t'avait volé à moi et qu'on te ramène, que quelqu'un vienne me tuer pour repartir avec toi ? Enfin Anna, sois raisonnable. Je sais bien que c'est difficile et pour toi et pour moi, mais m.erda, mets y un peu du tien !

- Et pis ça n'est de ta faute ! Tu n'avais qu'à le sortir de ton ventre le petit frère et personne il ne nous l'aurait pris ! N'alors tu n'as qu'à en sortir un, sinon je ne vais le sortir de mon ventre n'à moi !

Sur le coup, après un silence de stupeur, c'est un éclat de rire qui vient accueillir les paroles de la petite tyran de service. Et cela ne vient que confirmer qu'Alessandro avait bel et bien raison, la gamine n'avait strictement rien compris aux bébés. Ce qui n'était peut-être pas plus mal, selon l'avis de l'Italienne, trois ans, c'était quand même encore un peu jeune pour une telle découverte.


- Bene. J'crois qu'on va d'voir trouver un terrain d'entente toi et moi. Anna. Tu vas t'mettre dans ton p'tit crâne que déjà y' a pas moyen qu'tu sortes quoi qu'ce soit d'ton ventre. Capito ! Et de deux, on sort pas un bébé d'son ventre comme ça, parce qu'on l'a décidé ! Alors tu vas arrêter tout de suite ton caprice parce qu'il ne mènera nulle part, et on va aller mettre ta boite dans la terre, toutes les deux. Ensuite j'te donnerai un bon bain parce qu'il est hors de question qu'tu fasses un dessin à Milo avec des mains dégueulasses ! Et si tu es sage... J'dis bien si tu es sage ! On d'mandera à Marzina et à Delio si on peut garder Loris pour dormir avec nous c'te nuit. J'sais bien qu'c'est pas Milo, mais si t'as bien r'marqué, il est encore plus p'tit que lui quand il était v'nu avec nous et il s'ra bien content qu'tu lui racontes une histoire pour l'endormir. Est-ce que ça te convient ? Parce que je t'préviens, mamà est pas d'humeur du tout et qu'ça te convienne ou pas, c'sera d'toute façon comme ça et pas autrement !

Blondinette s'en fait une moue mais, pour la première fois depuis une semaine, ne s'en tape pas les pieds au sol. Et levant ses petits océans vers sa mère, ceux-ci vont jusqu'à se faire malicieux quand elle quémande encore.

- Si ze fais tout ça, n'alors ze pourrais n'avoir un arc n'avec des flèzes ?

- Madre mia. Et pourquoi je te ferai un arc et des flèches ? Tu aimes les animaux Anna ! Et ne me dis pas qu'tu comptes t'en servir pour tuer la mère de Milo, parce que si je t'en fais un, je te préviens d'avance que les flèches ne feront grand mal à personne !

- Moi za n'aime pas les renards ! Et za n'aime pas les zats ! Et za n'est pas pour tuyer les zanimaux, za n'est pour tirer dans les n'arbres !

Au soupir résigné de l'Italienne, il était aisé de comprendre que la petite venait d'avoir gain de cause. Mais derrière le dos de sa fille, l'Italienne ne put s'empêcher d'avoir un petit sourire de fierté. Si Anna-Gabriela voulait un arc, elle en aurait un. Après tout, il n'est jamais trop tôt pour la former à de nouvelles activités.
Et au moins pour cette journée là, une vilaine crise avait su être évitée. Et la petite semblait retrouver goût à quelque chose.

- D'accuerdo. Je vais te le faire ton arc ! Mais en attendant, on fait ce qu'on a dit, et tout à l'heure tu feras ton dessin. Comme ça demain, on l'enverra à Milo.

Ce n'était pas facile de gérer et ses propres émotions, et celles de sa fille, mais l'Italienne avait au moins le mérite de ne pas abandonner et de persévérer. Même s'il ne fallait pas se leurrer, cela prendrait du temps.
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Alaynna
Quelque part, dans une chambre d'auberge.

Anna a terminé son dessin. Oh ce n'est pas bien sorcier de comprendre ce qu'elle a voulu représenter. Simplement le temps d'avant. Tout du moins, celui où nous étions tous les trois. Le petit Corleone qui n'était alors encore que Flavio, Anna-Gabriela et moi. Elle a fait un bel arc-en-ciel pour signifier le bonheur que c'était que d'être ensemble. J'avoues, je l'ai un peu aidé pour l'arc en ciel.

Attablée devant le bureau, une main soutenant ma tempe, je n'ai visiblement pas l'air dans mon assiette. Ou devrais-je plutôt dire que j'ai en fait l'air complètement ailleurs. Et no, je n'ai pas fumé ce que m'a donné Marzina, un mélange de chanvre et d'herbes, destinées à soulager mes maux de coeur. Qui selon le médecin qu'elle est, ne serait pas vraiment la résultante d'un palpitant malade, mais plutôt de crises de panique récurrentes. Elle m'a donc expliqué qu'il fallait agir sur le problème à sa source, et ce mélange est donc destiné à me calmer.

Depuis la veille, je ne cesse de me tourner en boucle dans ma tête, ce qui s'est passé la nuit précédent cette fameuse veille, justement.
Si on m'avait prédit que ça arriverait, je pense que j'en aurai bien ri, car me connaissant, personne n'aurait parié sur ce qu'il en est aujourd'hui.

J'ai un amant. Et pas n'importe lequel. Un homme, un vrai de vrai. Un solide. Sérieusement, plus viril que ça, j'suis pas certaine qu'il y ait. Marzina m'a fait remarquer que toutes les deux nous étions pareilles, sur le fait que nous étions attirées par des hommes virils, afin de nous sentir en sécurité auprès d'eux. Parce qu'autant qu'elle que moi, il est évident que nous avons un sacré problème. Princesse Bretonne ne se sent en sécurité que chez elle, mais le hic, c'est qu'elle ne se sent jamais chez elle où qu'elle soit. Quant à moi, je ne me sens en sécurité nulle part. Et c'est devenu pire depuis le décès du Serbe. Parce qu'il est sans aucun doute le seul et l'unique auprès duquel je me suis, pour une fois dans ma vie, sentie réellement en sécurité...jusqu'à aujourd'hui.

Alessandro. Aless pour la plupart des gens, mais allez savoir pourquoi, j'ai une nette préférence pour le prénom complet. J'aime à le prononcer, et en faire rouler les chauds accents dans ma gorge. Il est indéniable, que depuis notre rencontre en Anjou, un lien particulier s'est formé entre nous. Un lien qui s'est développé de manière épistolaire par la suite, puisque nous n'avons cessé de nous écrire, tous les mois qui ont suivis.
Je suis incapable de définir exactement ce que c'est. Mais une chose est certaine. Ce n'est pas commun. La seule chose dont je sois certaine, c'est que c'est plus que de l'amitié, mais ce n'est pas de l'amour.
D'ailleurs, nous avons été très clairs l'un envers l'autre. L'homme est libre, et sauvage. Il ne veut pas d'attaches, il ne veut rien devoir à personne. Pour un peu, je trouverai ça cocasse, parce que le seul autre homme que j'ai connu, qui était tout aussi libre et sauvage qu'Aless, ne voulait pas d'attaches non plus et au final il avait décidé de faire de moi sa compagne. Et là, est toute la subtilité. Parce que j'ai promis à un mort qu'il serait le dernier, que je n'aurai pas d'autre compagnon que lui.

Alors les choses sont limpides. Alessandro ira en baiser d'autres, c'est une certitude que j'ai, tout comme je suis également certaine que je ne dois pas être la seule à qui il écrit. Je ne lui ai jamais posé la question mais c'est une évidence pour moi. Il est un homme libre et ce n'est certainement pas moi qui irait le priver de sa liberté. Certes, c'est de toute façon ma philosophie de vie. Niallan m'a reproché de l'avoir trop laissé voler. Mais c'est une excuse de m.erda qui n'en est pas une en fait. Parce que le père de ma fille est un Salaud et un putain d'Enfoiré.
Ce qui n'est pas le cas d'Alessandro. Lui il ne fait rien miroiter, il ne fait pas de promesses qu'il ne tiendra pas, et il ne se comporte pas comme la dernière des enflures. Il est droit dans ses bottes.

Alors certes, les amants ça ne se trouve pas à tous les coins de rue. Et encore moins un à qui tu poses tes conditions. Faut trouver le juste équilibre. Et j'crois qu'avec Alessandro, c'est possible. A cause de ce lien particulier que l'on a et qui, de toute façon, ne se brisera pas, quoi qu'il advienne. Du moins, pas de mon fait.

Alors si. J'ai du mal à trouver l'inspiration pour écrire à la mère légitime de Milo. C'est tout du moins l'une des raisons que j'accepte d'avancer. Parce qu'au fond de moi, il y en a plein d'autres. Et en tout premier lieu, il y a une peur terrible que Milo m'ait déjà oubliée. Qu'il ne pense plus à Anna également. Qu'il se soit ré-acclimaté à sa mère et qu'il soit fou de bonheur. Qu'il lui adresse ces sourires qu'il n'adressait qu'à moi ou pire encore, ces fous rires qu'il partageait avec Anna-Gabriela.
J'ai la trouille de recevoir les missives de Fanette. Je m'attends à ce qu'elle revienne sur ses décisions, qu'elle décide finalement qu'Anna ne pourra pas voir Milo.

Je n'en parle pas. Parfois à demi-mots avec l'Sauvage mais je ne sais pas s'il a vraiment capté que je ne vais pas aussi bien que je le prétends. J'suis douée pour brouiller les pistes mais maintenant, il y a quand même ce petit truc en plus entre nous, ce petit détail qui change à la fois tout et rien. Nous sommes amants. J'ai un amant. Je me délecterai presque de me le répéter à voix basse, parce que je me connais, et je sais qu'il sera sans doute le seul et qu'une fois qu'il se sera lassé de moi, il y a de fortes chances pour que mon abstinence reprenne le dessus.
J'suis pas forgée dans le même moule qu'la plupart des femmes, ça, c'est certain. Beaucoup diraient qu'il faut être timbrée pour tenir une promesse faite à un mort, qu'il n'a même pas entendue. C'est juste que je me suis persuadée qu'je r'trouverai plus personne qui lui arrive à la cheville. Et que je ne veux pas imposer ma fille à un homme. Et que je ne suis pas certaine d'être capable d'aimer à nouveau. Pas après Niallan. Pas après le Serbe. Mais clairement, avec l'Sauvage, y'a un lien particulier qui s'est tissé. Appellons ça d'l'amitié tendancieuse. On est amis. Et on couche ensemble. C'pas plus compliqué que ça. Mais j'veux plus entendre causer d'amour. J'y crois plus.

Et finalement, je me décide enfin à répondre à la missive de Fanette, mais j'ai à peine commencé que j'ai la vue brouillée par des putains de larmes. Et je dois m'y reprendre à plusieurs fois, avant que de pouvoir relire un vélin qui ne soit pas tâché.



Citation:
Buongiorno,*

Je suis contente d'avoir fait ce cadeau à Milo, ne me remerciez pas. Cet appartement je ne l'ai quasiment jamais habité et il vous sera bien plus utile qu'à moi.
Cela me rassure de savoir que Milo commence doucement à s'acclimater, et qu'il mange correctement.

Dort-il bien ? Que fait-il de ses journées ? Comment se comporte t'il avec sa petite soeur ?

J'ai dit à Anna qu'elle pourrait voir Milo et qu'elle restera toujours sa grande soeur, mais elle est inconsolable. Elle a même reporté sa colère sur vous, mais il ne faut pas lui en vouloir. A cet âge-ci, les enfants, je crois, ne savent pas faire la part des choses et sont incapables de canaliser leurs émotions.
Avec le temps, je ne désespère pas qu'elle retrouve un comportement plus raisonnable. Mais dans l'immédiat, comme vous vous en doutez, c'est compliqué et difficile autant pour elle que pour moi.

Fanette, je n'ai pas offert cet appartement à Milo pour qu'il ne m'oublie pas, ou qu'il sache plus tard qui je suis. Je l'ai fait parce que je voulais le mettre à l'abri du besoin. Et que je sais que ce n'est pas facile pour vous.
Je souhaite seulement que les liens ne soient pas rompus entre Anna et lui. Je n'ai nullement l'intention de vous imposer ma présence, et je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée d'ailleurs que je vois Milo plus tard. Il doit renouer les liens avec vous et me voir ne ferait, que le perturber davantage encore.
C'est du moins le sentiment que j'ai.

Anna m'a fait mal au coeur ces jours derniers. Elle m'a reproché de ne pas avoir sorti un petit frère de mon ventre et m'a dit que personne ne nous l'aurait pris. Elle est allé jusqu'à me dire que si je ne sortais pas un bébé de mon ventre, elle le sortirait du sien. Devant elle, j'ai pris la chose avec humour. Mais en vérité, pour bien des raisons, je vis très mal ce qu'elle m'a dit.

J'espère que ce tournoi où nous nous rendons, lui rendra un peu de sa bonne humeur. Elle a fait un [dessin] pour Milo, je vous le joins.

Prenez soin de Milo, de votre famille.

Alaynna.


* Bonjour

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Lison_bruyere
Limoges, le 1er mai 1467


- Sept écus la chambre, avec la soupe du soir, mais si vous devez vous attarder un peu, j'ai mieux.

Les rires précédents avaient cédé place à plus de sérieux : Fanette causait affaires, et en affaires, elle n'était pas très douée. Elle avait maintes fois songé à louer l'appartement gracieusement cédé par l'Italienne, mais ne savait trop comment s'y prendre. Alors, quand Nohan avait évoqué l'idée de prolonger plus longuement son séjour en Limousin, l'idée l'avait effleuré et elle avait évoqué l'appartement de la rue des godets.

- Ça m'intéresse bien sûr mais, tout dépend du prix que vous en voulez.
- Ben j'en sais trop rien. Faut que ce soit plus avantageux que l'auberge, sinon ça n'a pas d'intérêt pour ceux qui louent.


La fauvette réfléchit un instant. L'homme voulait louer à la semaine, restait à savoir combien coûtait une chambre pour une telle durée, et alléger le prix de dix écus.

- Combien font sept fois sept ?
- Quarante-neuf, mais, faut pas demander ça à celui qui va s'acquitter du loyer.


Il marquait un point. Fanette étira un sourire. Manier les chiffres lui était toujours aussi peu aisé, mais tant qu'il s'agissait de petites opérations, elle y parvenait plus ou moins en visualisant de mémoire le tableau que lui avait fait Arsen Beaumont quand, du temps de leur retour à Limoges, il passait ses soirées à tenter de lui apprendre à compter. Elle retourna un sourire au blond qui la couvait d'un regard interrogateur.

- Donc si on dit trente-neuf écus, ça vous va ?
- Arrondissons à quarante et vous me paierai un verre par jour.


Pour toute réponse, elle lui tendit la main, pour sceller leur accord.

- Le loyer court dès ce soir, mais il est tard, aussi je vais vous préparer l'une des chambres à l'étage, sans surcoût rassurez-vous. Et dès demain matin, je vous montrerai l'appartement.

Quand l'homme avait pris congé, Fanette était satisfaite. Elle ne se mêlait guère des histoires de politique et ignorait jusqu'au nom du comte actuel, mais s'il était une certitude, c'est qu'elle regrettait le Zolen. Quelques mois plus tôt, le noble l'avait assuré que, tant qu'il tiendrait les rênes du Limousin, elle n'aurait pas à s'acquitter des taxes comtales. Mais voilà qu'à présent, les dettes s'accumulaient de nouveau depuis le début d'avril. Comme elle n'en avait payé aucune, le montant s'élevait à plus de cent vingt écus, dont une bonne part de pénalités de retard. Elle était, bien sûr, dans l'impossibilité de les régler, alors ce loyer supplémentaire était de fait, fort bienvenu.

L'heure était tardive. Les enfants dormaient, Milo dans le lit de sa mère, Stella, au berceau de châtaignier sculpté d'acanthe et des papillons qui avaient embelli les songes du premier-né ses sept premières semaines. La jeune mère effleura tour à tour de ses lèvres le front des petits dormeurs, puis rassemblant les chandelles, s'attela à une réponse pour Alaynna.





De Fanette Loiselier
à Alaynna Valassi


Alaynna,

Je n'ai pas de mots qui puisse réconforter le chagrin d'Anna, ni le votre du reste. Je ne le connais que trop bien. Quand Zilofus ne passe pas son temps à tenter de m'emmerder, il a eu parfois des mots gentils pour soulager ma peine. Quand je pleurais mon fils, il me disait que Milo était comme le lobe de son oreille. Comparer un enfant à un bout d'oreille, c'était déroutant, mais pour lui, il n'était pas perdu, qu'il était juste avec quelqu'un d'autre, en l’occurrence moi, qui le conserve dans un bocal de saumure al lupo. Il affirmait que je devais me dire la même chose pour Milo, que mon fils n'était pas perdu, il était juste ailleurs, auprès de quelqu'un d'autre qui en prenait soin et qu'il allait bien.

Milo va bien, c'est ce qu'on peut dire à Anna, même si elle est trop petite sans doute pour pouvoir se contenter de cela pour apaiser sa peine. Bien sûr je ne lui en veux pas de faire peser sur moi toute la responsabilité de sa souffrance. Ce n'est qu'une enfant. Dites-lui combien son dessin est joli. Je l'ai accroché sur le mur à côté du lit, ainsi, Milo peut le voir quand il se réveille.

Je me rends compte de la sagesse de vos mots vous concernant. Depuis quelques jours, il ne pleure plus en se réveillant. Je crois qu'il commence à se résoudre à l'idée de ne plus vous voir à son réveil. Il est toujours très calme, peu démonstratif, du moins avec moi, mais parfois, il me sourit, et parfois même, j'arrive à le faire rire. Mais, s'il vous revoyait, là, maintenant, il ne comprendrait sans doute plus bien. Votre départ est encore bien trop récent et il ne me connaît pas encore assez. Cependant Alaynna, plus tard, quand il sera plus grand, les choses seront différentes.

Il comprend tout. Je n'avais jamais vécu avec un enfant d'un an, mais il comprend tout. Il a enregistré le prénom de sa sœur, il connaît aussi parfaitement la signification du mot cheval, qu'on le prononce en français ou en Italien. Chaque matin, nous allons voir Siena, et j'ai acheté une cane, ainsi, il n'est pas trop dépaysé. C'est son petit bonheur du matin, que d'aller voir la jument et le volatile. Son oncle Gabriele va l'emmener se promener à cheval, je suis sûre qu'il va adorer cela. Je ne suis pas assez bonne cavalière pour oser remonter avec lui.

Je crois bien que je vais venir assister à ce tournoi dans les Flandres. Une amie m'accompagne, ainsi que mon père, que vous avez rapidement croisé, et un homme qui séjourne à Limoges. Peut-être trouverons-nous d'autres compagnons de route pour sécuriser encore davantage notre voyage d'ici à la date du départ.
Si c'est le cas, Anna pourra peut-être refaire un autre dessin pour Milo et le lui donner elle-même. A moins que cela aussi ne soit perturbant pour eux, je ne sais pas trop, nous verrons.

J'ai trouvé à louer l'appartement Alaynna, au moins jusqu'à la mi-mai, et peut-être même après. S'il me rapporte suffisamment, j'achèterai au nom de Milo une parcelle de terre. Ainsi, quand il sera en âge de voler de ses propres ailes, il aura déjà quelques sous de côté.

Bien à vous.
Fanette

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Alaynna
Depuis quelques jours, je retrouvais, non pas une certaine sérénité, mais quelque chose qui s'en ressemblait à de l'accalmie. Et pourtant, j'avais comme la sensation que ce n'était pas fini. Que les nuages noirs n'étaient pas bien loin. Encore cette foutue sensation du danger qui plane, pas loin.

Depuis Limoges, j'avais le sentiment de replonger dans mes enfers un peu plus encore chaque jour. Mes pensées revenaient assez régulièrement vers cet autre côté du chemin, là où je me savais observée par un mort.
Mais heureusement, un homme bien vivant lui, semblait me maintenir la tête hors de l'eau. C'était quelques lignes sur des missives. Un sourire. Un coup d'épaule complice. Un ton railleur et moqueur souvent. Des gestes doux parfois, ce qui était on ne peut plus surprenant de sa part. C'était ce qui nous unissait, cette liberté que l'on s'accordait l'un à l'autre, ces états d'âme partagées. Et hier encore, c'était un goûtage de couenne en règle dans la chambrée masculine, et ce croquage de pomme à notre façon bien à nous dans un coin du verger. Et j'avais même pu grignoter quelques heures de sommeil en sus, en sa compagnie.
J'avais fini par lui avouer, succintement, dans ma dernière missive, ce que je faisais d'mon temps, lors de mes sorties en solitaire.

Hier soir, alors que je veillais dans une taverne de la ville, s'en était rentré un inconnu, qui, pourtant, à ma grande surprise, quand je finis par lâcher du bout des dents non mon nom complet mais mon simple diminutif, me connaissait.
Ou plutôt, tout ce qu'il trouva à me dire, c'est que j'étais cette Laynna, celle qui kidnappait des gamins. Et quand l'inconnu a fini par se présenter, je me suis aperçu que son nom, je l'avais déjà entendu. Et à deux reprises. Une fois dans la bouche d'Alessandro, qui m'en avait causé. Une histoire de bagarre en taverne avec ce type à Limoges, et la seconde, c'était dans la missive de la mère légitime de Milo, dont quelques lignes étaient dédiées à ce type et à un lobe d'oreille dans un bocal.

Je n'ai néanmoins pas montré quoi que ce soit, et fait comme si de rien n'était.

Agacée, je l'étais. Effectivement. Et pas qu'un peu. Et puis il m'a sorti le genre de phrase qui tue, interpelle, mais ne laisse forcément pas indifférent. Oh no pas celles où il m'a balancé que la mère de Milo aime à chercher les emmerdes. Mais bien celle, qui ne pouvait que me faire tilter. Celle où il a dit en gros que c'était évident que je souffrais. Et que lui aussi savait ce que c'était que d'être séparé de son enfant.
Et là, je me suis sentie oppressée tout le long de son récit, pendant qu'il me causait de sa fille, qui a tout juste un an de moins que la mienne. De sa mère, qui, selon lui, faisait tout pour l'empêcher de voir la petite. Qu'il craignait de lui écrire de peur que les mots sur ses missives n'arrivent jamais aux oreilles de la gamine.
Et plus il causait, et plus je me sentais redescendre dans mes enfers. Quand il s'est décrit, selon les propres mots de la mère de sa fille, j'ai eu devant moi, l'espace d'un instant, l'incarnation personnifiée du père de ma propre fille. A la différence que moi, je ne l'ai jamais empêché jusqu'à sa disparition, de voir Anna-Gabriella.

Aussi, quand Alessia a fait irruption dans la taverne, je n'ai pas vraiment demandé mon reste, et je m'en suis carapatée, les laissant seuls.

Je ne comprenais pas le raisonnement de la mère de Milo. Alors que je venais de lui écrire que je ne souhaitais pas revoir le Bambino afin de ne pas le perturber, elle m'annonçait donc dans son courrier, qu'elle comptait venir au tournoi.
Rien que l'idée de savoir que Milo serait tout près de moi, me rendait nauséeuse et réveillait cette rage en moi.

J'ai passé la nuit dans la campagne environnante, à me soulager de mes maux et il ne restait que des braises que j'ai fini d'éteindre, de ce feu mortuaire que j'avais dressé quelques heures plus tôt, lorsque je suis revenue.

Ce n'est qu'en fin de journée, que j'ai pris la plume afin de répondre à la missive reçue.




Citation:
Buongiorno,

Je dois donc comprendre que vous avez finalement trouvé du monde pour vous accompagner sur ce tournoi.
Je ne sais si l'idée est bonne au vu de ce que je vous ai écrit dans ma missive de l'autre jour. Néanmoins, je pense qu'Anna-Gabriella et Milo pourront se voir, sans que cela ne les perturbe. Je crois que ça ne peut leur faire que du bien, à l'un et à l'autre.
Je ne crois pas que Milo comprenne tout. Mais effectivement, ce serait cruel pour lui qu'il me voit au vu de la situation actuelle. C'est tout aussi cruel pour moi de ne pas le voir en le sachant tout près, mais voyez-vous, un véritable amour, c'est également être capable de faire des sacrifices pour le bien d'une personne que l'on aime. En l'occurrence Milo.

Cet homme dont vous me causiez dans votre missive, je l'ai rencontré hier au soir au détour d'une taverne. A ma grande surprise, il semblait me connaitre alors qu'il m'était un parfait inconnu.

Je suis ravie que vous ayez trouvé à louer l'appartement et je ne doute pas que vous veilliez au mieux sur les intérêts de Milo.
C'est également une très bonne chose que son oncle souhaite l'emmener promener à cheval. Laissez le donc faire. Milo est né Corleone, le sang de cette famille coule dans ses veines, laissez les donc faire de lui ce fier Corleone qu'il est déjà, je puis vous l'assurer. Si Roman ne devait pas, pour quelques raisons, assumer son rôle de padre, laissez au moins les membres de cette famille assurer leur rôle auprès du Bambino. C'est le seul conseil que je puisse vous donner, à part celui de vous endurcir et de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour récupérer Roman, si vraiment, c'est ce que vous voulez.
Vous avez su vous battre pour votre enfant. Battez-vous pour Roman si tel est votre désir. Ainsi vous n'aurez rien à regretter, et vous pourrez garder la tête haute lorsque vous expliquerez plus tard, à vos enfants, quand ils seront plus grands, le pourquoi de certains faits.

Je ne sais si je dois me réjouir ou pas de votre venue dans les Flandres. Je suppose que nous nous y croiserons.

Faites bonne route.

Alaynna.

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Lison_bruyere
Limoges, le 7 mai 1467





Bonjour Alaynna,

Les enfants et moi ne ferons effectivement pas la route seuls, du reste, si tel avait dû être le cas, nous serions restés à Limoges. Apparemment, il n'y a hélas aucune décision qui puisse convenir à la situation. En venant, je permets à nos enfants de se voir, ce qui, pour vous semble une bonne idée, et en restant, je vous épargne le chagrin de savoir Milo à portée de vous.

S'il vous plaît, ne m'expliquez pas ce qu'est l'amour, je crois le savoir aussi bien que vous. Pensez-vous que je n'ai jamais consenti à quelque sacrifice par amour ? Croyez-vous que je n'ai jamais véritablement aimé, que j'ignore tout de l'amour viscéral que nos enfants laissent en nos entrailles même quand ils n'y grandissent plus ?

C'est aussi cet amour que j'ai pour Milo qui me pousse à me réjouir de voir Gabriele passer du temps avec lui. Je n'ai pas attendu votre conseil pour cela, j'ai toujours voulu pour lui l'amour et la protection du clan, quand bien même cet homme me haïrait, quand bien même je lui en garderais rancœur. C'est bien pour cette raison que Roman n'a pas eu à me convaincre quand il a proposé de faire de son frère aîné le parrain de notre fils. Comment croyez-vous que Milo se soit familiarisé aux sonorités de sa langue paternelle ? Roman a passé quelques-unes des sept semaines où Milo était encore avec nous, sur les routes, pour ses affaires. J'ai appris autant que je pouvais quelques mots, quelques phrases et des berceuses en Italien pour qu'il entende cette langue. Je sais qu'il est pour moitié Corleone et je tiens à ce qu'il le sache lui aussi, ne vous inquiétez donc pas.

Alaynna, peu me chaut ce que vous imaginez de moi. Je sais d'ores et déjà que je peux garder la tête haute vis-à-vis de mes enfants, bien plus haute que celle de Roman, qu'il me revienne ou pas, et même si je n'ai pas l'intention que Milo apprenne un jour que son père a cessé de le chercher.

Nous nous verrons dans les Flandres si vous le voulez, et quoi qu'il en soit, Anna sera bienvenue auprès de son petit frère. Si vous pensez que ça ne va pas les perturber, je m'en remets à vous.

Bien à vous.
Fanette.


Le courrier était écrit depuis trois jours déjà, en réaction, quand elle avait reçu celui de l'Italienne. Par chance, elle ne l'avait pas envoyé encore. Elle avait ressenti une telle colère en le lisant, et à présent qu'elle le parcourait de nouveau, elle était pétrie de culpabilité. Encore, et toujours, elle ne savait se définir autrement que dans la culpabilité. Elle l'avait expérimenté déjà aux premières années de sa vie, en se rendant responsable de la fuite de son père, incapable qu'elle avait été à lui faire oublier le chagrin de la perte d'une épouse et d'une enfant. Elle l'avait maintes fois éprouvée avec Svan, dont elle ne supportait plus les mensonges, les colères, les fuites sans un mot, et à qui pourtant, elle devait tant de rires, de confidences, et le soin pris de son propre fils quand elle n'était pas apte à le faire. Elle la ressentait surtout depuis neuf mois, quand elle avait trouvé les lèvres d'un autre alors que c'est de celles de son diable dont elle manquait désespérément.
Et voilà que l'Italienne la mettait de nouveau dans cette situation. Elle lui en voulait toujours de cette lettre, de ces jugements implicites, de ses conseils infantilisants. Et pourtant, avait-elle le droit de lui adresser quelque reproche que ce soit ? L'Italienne n'avait-elle pas consenti à lui rendre son fils, et ne s'était elle pas efforcée de le mettre à l'abri du besoin en offrant rien de moins qu'une bâtisse à quelques rues de l'auberge ?

Fanette soupira, aux prises avec ses sentiments si contradictoires. Elle saisit les deux courriers, s'approcha de l'âtre et les livra aux flammes.
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Alaynna
Flandres - Mai 1467

Depuis qu'elle m'a écrit, m'annonçant leur venue dans les Flandres, je suis partagée entre différentes réactions, des émotions totalement contradictoires.

Je lui en veux. Terriblement. Je lui en veux d'être la mère de ce Bambino, que j'ai élevé comme le mien durant des mois. Et pire encore. Je ne lui pardonne pas de m'avoir mise dans une situation dont je n'aurai pourtant voulu pour rien au monde. Ce regard larmoyant et suppliant, je n'ai pas pu y réchapper. Grande nouillasse que je suis, je l'ai aidé à mettre au monde son enfant, je l'ai accouchée.

J'ai élevé le fils de mon ex-mari de Corleone durant des mois comme le mien. Sans savoir ce que je faisais. Ignorant totalement la filiation de cet enfant.
J'ai aidé sa supposée fille à naître, en sachant pertinemment ce que j'étais en train de faire. Et même si j'ai fait en sorte de faire au mieux, il n'en reste pas moins, qu'une infime partie de moi s'est dit à un moment donné que si Fanette mourrait, je reprendrai Milo et me foutrait le camp avec Anna et lui.

J'aurai du faire ce que mon instinct me hurlait. Lui tourner le dos, et déguerpir en vitesse, la laisser se dépatouiller toute seule.
Au lieu de ça, je n'ai fait qu'alimenter ces démons qui s'en sont revenus à la surface, plus tenaces encore que jamais.
Je lui en veux d'avoir fait ce que je n'ai pas été capable de faire. Là où elle a donné la vie, je n'ai su offrir que la mort.

Anna-Gabriella s'est invitée sans que ce ne soit prévu. Malgré les herbes, malgré les incertitudes, malgré la terreur que sa venue éveillait en moi. Au point que toute ma grossesse, l'image de ma mère m'a hantée, jusqu'à vouloir m'emporter avec elle lors de l'accouchement. Au point même de fuir les conneries de Niallan, et mettre un terme à ses espoirs, à ce rêve qui le tient depuis la mort de sa première fille. Combien de fois m'a t'il dit que je lui avais volé les trois premiers mois de notre fille. Et il aura eu beau me dire le contraire, je suis persuadée qu'il ne m'a brisée que pour mieux se venger.

Je ne considère pas Anna comme un petit miracle. No. Anna est ma Merveille, le trésor de ma vie, ma petite Pirate-princesse.
Mais Andrea et Raffaelle n'en ont pas pour autant cessés de me hanter. Plus particulièrement Andrea, et plus encore maintenant que j'ai perdu celui que j'élevais comme mon fils.
Flavio était mon Miracle. Notre Miracle à Anna et moi. Milo est le fils Corleone que j'ai rendu lorsque j'ai appris la vérité.

Mais il n'est pas mon fils. Il n'est pas ce fils dont je rêve depuis des années. Il n'est pas le petit frère qui devait venir parachever cette famille que je me rêvais. Celle que je souhaitais offrir à Anna.
Et même si les avis des médecins et chirurgiens que j'ai pu consulter divergent, je doute que ce rêve se réalise. Parce que j'ai appris, ces dernières années, que les rêves ne sont bons qu'à être détruits, et s'envoler en fumée.
Pourtant, ce rêve, je l'ai touché du bout des doigts, tant que Milo vivait auprès de nous. Si je suis sûre d'une chose, c'est que la petite et moi, n'avions jamais été aussi heureuses que durant toute cette période là.

Alors si. Je suis en colère et ça me ronge que de savoir qu'elle va venir avec Milo. Le fait-elle exprès pour me torturer davantage encore ? Depuis ma conversation avec cet homme qui la connait bien, ma perception est trouble.
Il m'a certifié que sous ses airs de victime, elle est une manipulatrice, toujours à chercher les emmerdes. Et que si elle vient, c'est qu'elle a une idée derrière la tête.

Alessandro lui, m'a conseillé de bien réfléchir, et de faire en sorte de choisir la meilleure solution pour Anna. A savoir si je dois la laisser cotoyer Milo ou y mettre un terme.

Et à l'heure actuelle, je ne sais foutrement pas ce que je suis sensée faire.

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Alaynna
[Démons] - Nico di Angelo -


Artois - Mai 1467

Seule, sans vraiment l'être. Au bout d'une nuit sans sommeil - Encore une -. Les jours passent et je me renferme sur moi-même. Et cette soirée, il y a eu ce type, celui dont le lobe d'oreille repose dans un bocal chez la mère légitime de Milo. Il y a eu toutes ces paroles qu'il m'a dites. Et puis il y a eu cette femme qui est entré et à qui il a demandé d'm'en dire plus sur le caractère d'celle à qui j'ai ramené le Bambino.
Une gamine a t'elle dit. Me voilà bien avancée. Je les ai laissé causé d'mort entre eux et je me suis barrée.
Non pas me pieuter, parce que ça servait à rien, mais j'ai erré dans la nuit. Seule. Pourtant, je ne l'étais pas vraiment.
J'ai cogné. Sur des troncs d'arbres. Sur des cailloux. Sur des murs. Basiquement pour m'entrainer pour les prochaines castagnes à venir lors du tournoi.
Plus égoïstement, pour me défouler. - Un exutoire -

A mes côtés, il y avait Andrea.


« Come stai ? »*

Je sursautes. La question me semble presque saugrenue. Déplacée. Comme le cadavre d'une mouche flottant sur la surface velouté d'un potage. Tu lèves les yeux, et là, je devine que tu ne sais pas. Ton regard d'enfant s'émaille toujours de cette candeur que seuls les ignorants possède. Et puis tu souris.

Mais dans quelques secondes, une minute tout au plus, tu ne souriras plus. Le futur se conjuguera au présent, et viendra rappeller un passé inaltéré. Et alors je verrais dans tes yeux l'infinitésimal moment où l'ignorance se métamorphosera en "maintenant tu sais".
On ne comprend pas l'horreur, alors on la fuit. En espérant qu'elle ne nous rattrape pas. Qu'elle ne nous souille pas davantage encore.
Sait-on jamais. Que ce soit contagieux.

Face à mon silence, tu insistes. Tu poses une main légère sur mon avant bras, et tu répètes.
« Ça va ? ». Tu es peut-être mort, mais pas stupide. Tu vois bien qu'il y a un délai. Que la réponse automatisée " - J'vais bien" s'est enrayé au fond de ma gorge. De toute façon, il y a belle lurette que les conventions sociales, je n'en ai plus rien à foutre. Et avec toi, plus particulièrement.
Des mots. Des tessons de phrases parviennent pourtant à sortir de ma bouche, et m'éraillent la gorge.


" - Flavio. C'tait Milo. Il n'est plus avec nous, je l'ai ramené."

«− Oh, ça ? Ben si, j’suis au courant. Qui ne l’est pas ? »

Mes yeux s'embuent. Mes lèvres tremblent.


« - Saranno cinque anni, mammà. Tra qualche settimana. Che tu ci pianga. Ma Milo non hai bisogno di piangere. È vivo. E hai fatto il meglio che potevi per lui. È come se avessi fatto ammenda con noi. Anche se sappiamo con certezza che non è stata colpa tua. Troverà papà e poi sarà con la nonna. E la sua mamma. Troverai un modo per far felice di nuovo te e Anna.»**


Le petit matin me trouvera encore à donner du poing sur un tronc d'arbre, de mes mains gantées. En sueur, le souffle court.

Une nouvelle journée qui s'annonce.





* Comment ça va

**« - ça va faire cinq ans mammà. Dans quelques semaines. Que tu nous pleure. Mais Milo t'as pas besoin de le pleurer. Il est en vie. Et tu as fait le mieux que tu pouvais faire pour lui. C'est un peu comme si tu avais racheté tes erreurs auprès de nous. Même si avec Raffaelle, on sait que ce n'était pas de ta faute. Il va retrouver papà et puis il est avec grand-mère aussi. Et sa mammà. Tu vas trouver un moyen pour qu'Anna et toi soyez heureuses à nouveau. »


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Annagabriella
Blondinette s'en connaissait des hauts et des bas. A l'instar de sa mère. Mais la fillette était bien plus expansive que ne pouvait l'être l'Italienne. Avec un petit caractère qui s'affirmait déjà précocement, pour son âge.
Curieuse de tout, Anna pouvait passer des heures à poser des questions. Quand son père avait disparu, la petite l'avait très mal vécu, allant même jusqu'à refuser de s'alimenter correctement.
C'est avec une infinie patience maternelle, et plus encore, l'arrivée de ce petit frère tombé du ciel, que blondine s'en était retrouvé le goût de tout. De s'alimenter, de rire, de jouer, de vivre.
Durant des mois, elle avait tout partagé avec Flavio. Les joies, les fous rires, les pleurs, les colères, les bêtises, et cet amour fraternel qui s'étaient développés entre eux.
En somme, même s'il n'y avait pas d'homme présent dans le tableau, ces trois là, mère-supposée mère incluses, s'entendaient comme larrons en foire.

Mais ça, c'était avant qu'Anna n'apprenne par sa mère, la vérité au sujet de ce petit frère. Les colères et les caprices qui s'en étaient ensuivis avaient beau s'être quelque peu apaisés depuis quelques semaines, il n'en restait pas moins que la petite, sans aller jusqu'à se laisser dépérir, avait nettement perdu de son entrain d'antan.

La gamine continuait d'inclure ce petit frère absent dans ses jeux. Quand elle partait en balade à cheval avec sa mère, il n'était pas rare qu'Anna lui montre du doigt quelque chose qui aurait très certainement plu à celui qui s'en était désormais redevenu Milo. La gamine s'ennuyait ferme.
Elle passait le plus clair de son temps sur le petit pas de tir qui lui avait été emménagé à s'amuser avec son arc, ou à s'en décaniller les petites cibles animales.

Le soir, sous prétexte que ce petit frère n'était plus là, Anna s'en écourtait les histoires racontées par sa mère, préférant se nicher au creux de ses draps, contre Njörd, qui de sa masse de jeune chiot danois, s'imposait naturellement auprès de sa petite maîtresse.

La gamine semblait tellement s'ennuyer que sa mère en était même venu à demander à Neijin, si elle accepterait de laisser Hlodovic jouer avec la petite. Ce à quoi il lui fut répondu que peut-être même le fils de l'autre ritale présente pourrait se joindre à eux.

Et en cette fin de journée, alors qu'au retour d'une longue balade à cheval, l'heure du bain avait sonné, un détail mentionné quelques semaines avant lors de l'une des fameuses colères de la petite blondine s'en vient à se manifester de nouveau.
Debout au milieu du baquet, l'enfant semblait se mirer dans le grand miroir de la pièce, et Alaynna n'y aurait sans doute pas pris garde, ou rien trouvé d'extravagant à cela, si elle n'avait vu la petite s'amuser à gonfler et dégonfler son petit bedon tout en s'y baladant un petit index dessus.
Réaction première de la mère, fut évidemment de s'imaginer qu'Anna avait mal au ventre et interrogeant la gamine, l'italienne en vient alors à prendre toute l'ampleur des dégâts, lorsque celle-ci lui raconta fièrement qu'elle avait mangé des graines comme dans l'histoire qu'elle avait retenue, celle où sa mère avait eu l'intelligence - ou la connerie - d'aller lui narrer que les bébés naissaient dans les fleurs grâce aux graines de celles-ci.

Pas tout à fait encore trois ans et assurément la connerie innée paternelle bien ancrée en elle.
Sauf que la ritale elle, n'y vit rien de moins qu'un pétage de cable de l'enfant suite à la séparation d'avec le Bambino.

Comme quoi la mère, est encore - et heureusement- plus tordue que la petite, qui elle, ne fait qu'expérimenter ce que la vie lui offre de découverte jour après jour.

L'Italienne n'avait pas encore informé l'enfant, de l'arrivée prochaine de Milo avec sa mère légitime. Et ne sachant trop si elle devait en rire ou se fâcher, elle préféra finalement masquer son trouble en attaquant une partie de chatouilles avec l'enfant, avant de lui expliquer, que manger des graines, allait la rendre malade et lui donner mal au ventre. Et qu'alors ça en serait terminé des balades à cheval.

Si la mini-réprimande sembla remettre Anna-Gabriella sur les rails, et qu'elle fit la promesse "roi de bois, roi de fer, zi ze ne mens ze m'en vais dans le n'enfer " de ne plus recommencer à bouffer de la graine, l'Italienne, elle, s'en serait presqu'arraché les cheveux.
Et décision fut prise en son for intérieur, que la semaine à venir, Anna-Gabriella irait passer quelques jours au vert, profiter du confort et des terres si gracieusement offerts par Marzina.

Il était temps de redresser une situation qui ne s'en prenait que plus d'ampleur depuis que la Ritale savait l'arrivée imminente de ce Bambino, qu'elle avait élevé comme sien durant des mois.

Anna, elle, s'en était déjà passé à autre chose, occupée à jouer, dans son bain, avec quelques petits navires de bois joliment décorés, que sa mère lui avait récemment acheté en allant fureter sur les marchés de la ville.
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Alaynna
Les flammes. La cendre. Le sang.

Voilà ce que m'évoquait la naissance de la petite soeur de Milo. Je n'aurai jamais du me trouver là. Je n'aurai pas du accepter, j'aurai pu trouver n'importe quelle excuse pour ne pas le faire. Après tout, Marzina, après que je lui ai posé la question, m'a bien dit qu'un médecin n'était pas tenu de pratiquer à une intervention s'il ne le souhaitait pas.
J'aurai du refuser. J'aurai du m'en foutre le camp comme me l'avait soufflé mon instinct.

Mais j'étais resté. J'avais même souhaité la mort de Fanette, juste pour avoir encore Milo auprès de nous. J'aurai pu me carapater avec le Bambino, et la laisser crever sur place, mais je ne l'avais pas fait.
Quand j'en ai eu terminé, la mère et la fille allaient bien.

Depuis, c'est moi qui ne vais pas bien.

Physiquement, rien ne transparait. Et si évoquer le Bambino m'arrive de temps à autre, cet accouchement, par contre, reste un sujet tabou, qui n'a pas franchi une seule fois mes lèvres depuis que nous avons quittés Limoges.
Hormis auprès de Joanne, au travers d'un parchemin.

Mais à l'intérieur de tout mon être, c'est le chaos. D'autant que juin s'en est arrivé et avec lui, le souvenir toujours aussi ignoble et cuisant, de ce petit guerrier sans vie qui s'en est glissé entre mes cuisses. De cette chair inerte que j'ai longtemps tenu contre ma propre chair.

J'ai élevé l'enfant de Roman, son fils. J'ai aidé à la naissance de sa fille. Je n'ai pas détaillé le nourrisson qui venait de naître, mais bien que des personnes m'aient mise en garde envers elle, je crois la mère de Milo quand elle m'a affirmé que l'enfant était celui du Corleone.
Je sais reconnaitre une femme amoureuse quand j'en vois une, et celle-ci l'est toujours assurément, de Roman.
D'ailleurs, dans la manière dont elle m'en a causé, dans sa façon de me dire les choses, j'ai eu l'impression de me retrouver moi-même, quelques années en arrière, quand je causais de Niallan.
Et j'ai alors pris conscience du fossé énorme qui s'était creusé entre celle que j'était alors, et celle que je suis devenue.

De ce fossé immense, qu'il y a entre la mère de Milo et moi. Et Joanne avait entièrement raison lorsqu'elle l'a dit lors de cette soirée à Limoges. Le Corleone avait épousé deux femmes totalement différentes.

Aussi quand Alessandro m'a demandé quand est ce que je voulais que l'on se rende sur le lieu du tournoi, je n'ai pas eu une seconde d'hésitation, lorsqu'il m'a informée avoir aperçue Fanette arriver en ville.
Et nous avons pris la route la nuit dernière. Mais ce n'est pas un soulagement pour autant. Je continues de me sentir asphyxiée, sachant le Bambino si proche. J'ai laissé Anna-Gabriella avec mon homme de main, sur les terres de Marzina. Sa belle-mère m'a assurée qu'elle s'en occuperait, et puis il y a aussi Loris, le fils de Delio et Marzina avec elle. Au moins j'ai la certitude que durant les quelques jours du tournoi, les petits ne se croiseront pas.

Dans l'immédiat, je n'ai pas envie de penser au retour en ville. J'aurai de toute façon mes affaires à récupérer chez Marzina, dans son appartement de Bruges. Et je rejoindrai ensuite Tournai.
Mais j'ai en tête l'odeur de Milo, sa façon dont il passait ses petits bras autour de mon cou, cette manie qu'il avait de me tirer cette mèche de cheveux qui me tombait sur la joue. Sa petite bouche grand ouverte qui s'en venait se plaquer, baveuse, sur mes pommettes. Sa façon de s'en venir nicher sa petite tête dans le creux de mon cou.
Il me manque tellement. Que si je m'écoutais, je serai bien foutue d'aller le chercher, de le garder et de m'en foutre le camp avec Anna et lui.
Neijin, avec qui j'en ai parlé, m'a dit que je n'aurai pas du ramener le Bambino. Et que le plus simple, serait de le laisser choisir, lui.
Elle n'est pas la seule à m'avoir dit que je n'aurai jamais du le ramener. Zilofus. Et d'autres encore.
Alessandro lui, m'avait laissé le choix. Il était prêt à prendre le risque de me couvrir si je n'avais pas souhaité le ramener. Alessia était prête à me donner un coup de main également.

Mais malgré tout, c'est au Bambino que je pense. A son bien-être. A son bonheur. Il a une mère. Il a son padre. Je n'ai fait que passer dans sa vie. Mais plus que tout autre chose, le Bambino est en vie.

Andrea, lui, ne l'est pas. Et cette naissance de la fille de Fanette sous mes yeux, accueillir ce nourrisson entre mes mains, est cruellement venue me le rappeller. Encore et encore.

Je suis au bord de l'implosion. Prise entre agitation intérieure et suffocation extèrieure. Quelque chose de lourd et de pesant, s'était installé sur mon coeur et m'empêchait de respirer à fond. Marzina me dirait sans doute qu'il s'agit là de l'une de mes crises de panique. Mais ce n'est pas ça. Depuis Limoges, je recommençais à faire ces cauchemars haletants, effrayants. Et au bout de mon rêve, il n'y a qu'une pièce vide, avec un berçeau de bois blanc , au-dessus duquel se balance, pendu à son cordon, un énorme foetus mort. Et là, le cimetière à deux pas : mon ventre.

Et au creux invisible de la nuit, quand tout ce qui me retient semble devenir dérisoire face à l'immensité de la perte, il ne reste que des larmes étouffées, que je ravale au fond de ma gorge, afin de ne pas les laisser couler.

Et plus tard, à l'heure du loup, je restais à me perdre, dans l'éclaboussure de rouge qui venait gicler contre ma rétine, sur mon derme, et souffler au fond de mon âme.

J'ai implosé.

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Lison_bruyere
Tournai, le 4 juin 1467

Le visage d'Alaynna se figea de surprise quand elle passa la porte de la salle commune. Sans doute ne s'attendait-elle pas à trouver là Fanette, installée au sol, dans un coin de la pièce déserte, à jouer avec Milo près du panier où Stella babillait en agitant ses petits bras. Le gamin tourna la tête lui aussi, et resta un bref instant à dévisager l'Italienne. Trop tard pour détourner ses yeux, la mère prise au dépourvu chuchota à son oreille en l'aidant à se remettre debout.

- Guarda Milo.

L'enfant gambilla vers celle qui en prenait soin il n'y a pas si longtemps encore. Sa stupeur passée, elle se baissa pour lui tendre les bras, et les referma sur lui quand il vint s'y lover. Fanette les regardait faire, partagée entre la joie affichée de son fils, et les craintes de l'Italienne. Elle se voulut malgré tout rassurante.

- Il vous a reconnu. Ça va aller Alaynna. Enfin, pour lui, ça va aller.

Si elle avait, dans les premiers temps du retour de son fils, craint qu'une nouvelle rencontre avec la Valassi ne vienne perturber le lien ténu qui s'établissait doucement entre eux, elle était à présent bien plus sereine. Milo semblait s'être adapté à cette famille qu'il n'aurait jamais dû quitter. C'était un enfant curieux et observateur qui semblait avoir admis à présent que Fanette était bien sa mère. Il avait avec elle ces gestes d'affection qui la faisait fondre et la confortait dans l'idée qu'il ne l'avait pas totalement oubliée, malgré son jeune âge.
En revanche, elle se doutait bien que la situation devait être bien plus compliquée pour l'Italienne et que l'intérêt soudain du petit Corleone pour elle devait raviver plus encore le manque qu'il avait laissé au creux de son cœur.

L'ambiance était un peu étrange, chacune sans doute rencognée dans ses ressentis ou ses questionnements. Heureusement, le babillage léger de l'enfant qui tour à tour, tirait sur les mèches brunes d'Alaynna, lui montrait ses jouets, ou encore, sous couvert de baisers, lui bavait allègrement sur la joue, ajouta un peu de légèreté à l'instant. Fanette les observait, un sourire attendri aux lèvres. La conversation s'engagea enfin, un peu surfaite peut-être, sur un séjour Limousin, ou encore l'absence d'Anna. La jeune mère avait un peu de mal à suivre. L'Italienne, lors de leur dernier échange, avait émis le souhait que sa fille puisse passer un peu de temps avec Milo, alors qu'elle ne souhaitait pas le revoir, et à présent, voici que c'était exactement l'inverse qui se produisait. Elle avait aussi eu l'occasion de l'entendre dire qu'elle ne voulait pas rester à Limoges, et pourtant, elle envisageait de s'y attarder un peu.

L'enfant semblait à l'aise, entre ces deux femmes qui s'étaient succédé pour prendre soin de lui. Il montrait fièrement à l'Italienne les jouets étalés sur la table. Pour chacun d'eux, elle glissait un regard teinté de mélancolie dans les yeux du gamin, lui offrait un sourire et l'animait pour lui, lui arrachant à son tour un sourire, ou un rire. Quand elle tourna son visage vers Fanette, c'était sans doute pour une question dont elle devinait déjà la réponse.

- Comment va-t-il ? Il ne fait pas de cauchemars, il dort bien ?

Fanette secoua doucement la tête, elle ébaucha un sourire, et s'efforça de répondre au plus juste.

- Les premiers jours ont été un peu difficiles, mais non, pas de cauchemars. Simplement au matin, il pleurait. Sans doute vous espérait-il à son réveil. Mais je suis étonnée de la rapidité avec laquelle il s'est finalement adapté. Il va bien Alaynna, soyez tranquille. C'est un enfant calme et curieux, qui s'intéresse à tout ce qui l'entoure. Et je crois qu'il a admis à présent que nous étions sa famille, mon père, sa nonna, son padrino. Je crois qu'il a compris que j'étais sa mère.

La brune hocha la tête sobrement, comme partagée entre le soulagement de savoir l'enfant heureux et, peut-être inconsciemment, le regret qu'il ne manifeste pas le manque d'elle.

- Bene, je suis rassurée. Il s'adapte bien.
- Merveilleusement bien Alaynna. Je ne pensais pas que ce serait si rapide que ça.
- D'accordo.

Son visage s'était sensiblement fermé, et elle s'efforça de garder un ton neutre.

- Et vous ?

Fanette fut un peu surprise de cette question, mais elle lui offrit un sourire, sincère et reconnaissant.

- Comment ne pourrais-je pas être la plus heureuse des mères Alaynna. Et c'est à vous que je le dois, je le dois doublement.

Le rictus de l'Italienne ne passa pas inaperçu. Ses mâchoires venaient de se contracter rapidement. Elle déglutit avant de prendre une longue inspiration, puis hocha lentement la tête. Fanette, mieux que quiconque pouvait comprendre la douleur éprouvée par la femme. En lui offrant ses bonheurs de mère, elle avait elle-même sabordé le sien et celui de sa fille. La jeune mère lui en était reconnaissante. Elle n'osa poser la même question à l'Italienne, craignant d'en connaître elle aussi par avance la réponse.

- J'imagine quelle doit être votre déchirure. Alaynna, vous et Anna, il n'est pas question que vous ne fassiez pas partie de la vie de Milo.
- Vous me l'avez dit déjà, et Joanne me tient le même discours.

Fanette ébaucha un sourire à l'évocation de sa belle-mère. Mais, si la brune en face d'elle pouvait encore sourire à Milo, chaque baiser dont elle couvrait ses petites mains, chaque caresse à sa joue, chaque regard tendre dont elle le couvait semblait empreint de chagrin.

- Mais vous Alaynna, que voulez-vous ?

Après tout, peut-être que revoir cet enfant était bien trop douloureux pour qu'elle veuille s'imposer cela. Fanette et Joanne pourraient bien le comprendre.

- Je ne veux pas le perturber. Mes seules réserves sont là, son bonheur avant tout.
- Il va bien, regardez. Je craignais que de vous revoir le perturbe en effet, et à vrai dire, je ne le saurai qu'après votre départ. Mais je crois que ça ira bien. Je crois qu'il sait à présent que je suis sa mère, et il est heureux. Il se comporte comme n'importe quel enfant. Alors, si ce n'est que ça qui vous retient Alaynna, vous pouvez garder cette place auprès de lui si vous le désirez. Après tout, c'est comme si vous étiez un peu de sa famille. Vous avez été une mère pour lui, vous pourriez être à présent comme une tante. Il saura un jour que vous l'avez aimé et protégé.

Pour toute réponse, elle serra un peu plus fort l'enfant contre elle, mêlant ses longues mèches brunes aux cheveux châtains du bambin. Surpris peut-être de cette soudaine marque d'affection, il tourna vers elle ses grands yeux de lichen en lâchant le jouet qu'il tenait, et colla ses petites mains potelées sur les joues de la femme.

La discussion de nouveau se fit un peu plus légère, et détachée, évoquant les fillettes de l'une et de l'autre. L'Italienne souriait en constatant combien Milo reportait sur sa petite sœur l'attention qu'Anna avait eue pour lui. C'était lui à présent le grand frère. Elle semblait en retirer un peu de fierté qui fit sourire Fanette. Finalement, elle se décida à s'arracher à la tendresse du bambin. Elle glissa un baiser à sa joue en lui confiant à quelques mots à voix basse. Mais l'arrivée du balafré vint sans doute compliquer un peu la fin de l'entrevue. L'homme semblait sur la défensive, s'inquiétant de trouver la Napolitaine en présence de celle qu'elle voulait éviter.
Fanette prit sur elle, bien que blessée par les mots qu'il lui adressa, précipitant sans doute le départ d'Alaynna.

Après tout, elle n'avait rien fait d'autre que de laisser une porte ouverte à l'Italienne. Depuis son arrivée à Tournai, elle n'avait ni chercher à la voir, ni à l'éviter. Et nul autre qu'Alaynna ne pouvait décider si elle voulait ou non refermer cette porte à jamais, ou la laisser ouverte.
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Lison_bruyere
Tournai, le 11 juin 1467


Depuis deux jours, le temps était maussade. Si la mer roulait ses vagues à quelques lieues de là, on était bien loin des contrées du sud, baignées d'eau turquoise. L'air lourd d'humidité plombait de chaleur les après-midi de juin, et le ciel se ternissait d'un voile gris que le soleil crevait parfois en pâles rais, insuffisants à chasser les ténèbres des plus étroites venelles. De temps à autre, le chant d'un oiseau rappelait que l'été s'annoncerait bientôt, même sur ces terres ingrates et salées.
Les fenêtres de la masure étaient tendues de papier huilé. Elles ne laissaient passer qu'une clarté blafarde, qui repoussait l'obscurité aux angles de la pièce. C'est là que Fanette chantonnait une berceuse à voix basse.

Brilla brilla una stellina; su nel cielo piccolina.
Brilla brilla sopra noi, mi domando di chi sei.
Brilla brilla la stellina, ora tu sei più vicina.


Elle s'était assise au sol, dos appuyé à l'enduit vétuste du mur. Le clair-obscur glissait des touches d'or à la masse indisciplinée de ses boucles, et soulignait la finesse de son poignet, ou l'arrondi d'un sein rendu plus généreux par la maternité, quand le reste de son corps était mangé d'ombre. La main berçait doucement le panier d'une enfant à peine plus lourde qu'un nouveau-né, malgré ses huit semaines. A côté, un bambin de treize mois dormait sur une paillasse. La fine couverture remontée sur ses épaules se soulevait doucement, au rythme de son souffle régulier. Le silence retombait, après les rires et les babillages de la matinée. Elle se plaisait à observer leurs visages, à ce moment où ils s'abandonnaient au sommeil. Leurs grands yeux luttaient pour tenir les siens, les mimiques de leurs traits se détendaient doucement, jusqu'à ce que leurs paupières ne se ferment sur des songes duveteux. Un fin sourire étirait discrètement le coin de ses lèvres, tandis qu'elle les effleurait d'un regard attendri. La jeune mère aimait cette routine de la relevée.

Absorbée par la contemplation de ses deux enfants, elle ne prêta pas attention au grincement plaintif de la porte. C'est quand résonna une voix rocailleuse, teinté de l'accent ensoleillé d'Italie qu'elle tourna la tête précipitamment.

- Fanette, viens donc me dire bonjour !

Le sourire perdu dans l'épaisse barbe brune se voulait charmant, et les bras grands ouverts accueillants. Elle n'en fit rien pourtant, se relevant rapidement en tapotant ses jupes pour tirer une chaise entre les petits endormis et l'homme, vaine tentative pour les faire oublier, à défaut de pouvoir les dissimuler. Rencognée dans son dossier, elle l'observait. L'air était faussement aimable. Tout en lui puait cette arrogance des puissants qui peuvent acheter ou prendre d'un simple geste ce qu'ils convoitent. Son maintien roide, son menton légèrement relevé, le regard aiguisé qui la toisait de haut, comme s'il détaillait une bête à la foire.

- B'jour. 
- Quel est donc ce ton glacial ?
- Quel est donc ce ton affable ? Vous et moi savons que je ne vous intéresse pas. 

Elle s'efforçait de ne rien montrer de ses craintes, pourtant, sans qu'elle le contrôle, ses dents venaient de pincer le coin de sa lèvre inférieure, comme à chaque fois qu'une émotion la débordait. Si l'Italien ne l'avait jamais vraiment malmenée, il s'était toujours plu à l'effrayer, bien plus sans doute qu'il s'en doutait lui-même, tant il la ramenait à de douloureux souvenirs. Et son cœur s'emballa quand il vint se glisser dans son dos. La fauvette n'était pas taillée pour les affrontements. Si elle avait pu blesser, ou prendre une vie, cette unique fois qui la hantait encore, elle le devait à la chance ou à l'inattention de ses adversaires. A les braver de front, elle y perdait toujours. Aussi, se leva-t-elle pour lui faire face en reculant prudemment d'un pas. Immanquablement, son regard inquiet glissa vers ses enfants. Mais le brun suivit son regard, et, fit quelques pas dans leur direction. Le coin de sa bouche se releva en un sourire un brin carnassier.

- Ainsi donc, ce sont ces marmots ?

La question posée par Samaël, un peu plus tôt se heurta à la bouffée d'angoisse qui empoigna son cœur. « Qu'es-tu prête à faire pour défendre ou venger tes enfants ? » Tout bien sûr. Pour l'amour d'un fils, elle avait parcouru le royaume, erré aux venelles sordides des Miracles, affronté les ornières que l'hiver dissimulait sous la neige, quand bien même une nouvelle grossesse creusaient des cernes à ses yeux aussi sûrement qu'elle arrondissait son ventre. Rassemblant pour eux son courage, elle s'interposa brusquement, offrant un écran dérisoire de sa frêle silhouette.

- Tssss.
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