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Info:
Fuite de Limoges, Fanette Loiselier, Jaime Oliver Manering et quelques autres, début d'année 1468

[RP] Allright. Ole-raille-te ? Non pas du tout ole-raille-te

Lison_bruyere
    Machecoul, 15 février 1468

Machecoul tintait toujours étrangement au cœur de la fauvette. C'était le début de cette Bretagne qu'elle aimait tant. Les landes sauvages et mystérieuses commençaient là, bordées à l'ouest par les marais du fond de la baye de Bretagne. L'air iodé se chargeait parfois des relents de vase, mais la végétation se faisait basse et âpre pour se parer au printemps de teintes tapageuses qui s'accordaient si bien au ciel d'orage, des jaunes éclatants des ajoncs, des roses doux des bruyères, et des gris-vert des lichens qui tapissaient les dalles de grès. Cet endroit était si beau, et pourtant tout à la fois si inquiétant. Le souvenir des enfants suppliciés par le seigneur des lieux, quelque trente ans plus tôt, hantait encore les chemins. On entendait parfois leurs pleurs quand le kornog soufflait sur la lande, c'est du moins ce qu'on avait dit à Fanette. Elle craignait de les entendre un jour et plus encore à présent qu'elle était amputée des deux amours de sa vie.

C'est à tout cela qu'elle songeait, quand elle s'était discrètement glissée hors de la petite tente de l'Anglais. Peu importait le froid qui mordait ses extrémités. Elle se recroquevilla devant ce qui restait de feu, jambes pliées ramenées contre sa poitrine, auxquelles elle enroula ses bras. Regard levé vers le ciel, elle cherchait l'étoile la plus brillante, celle qu'Oliver avait gravée sur le couvercle du petit cercueil en lui disant qu'elle était sa Stella. Elles étaient si nombreuses, comme autant de cœurs de mère déchirés, de petites âmes égarées au grand drap noir des ténèbres. Au-dessus de l'horizon nord, l'une d'elles semblait scintiller plus intensément. Elle l'observa un moment, ne parvenant cependant à n'y trouver aucun réconfort. Paupières se refermèrent sur les larmes silencieuses. Elle enfouit la tête aux bras posés sur ses genoux. Tout s'était enchaîné bien trop vite, la poussant à quitter sa maison, à s'éloigner de la petite tombe à la terre trop fraîchement retournée, pour rejoindre en Anjou sa belle-mère.

Elle se repassa le fil des événements, depuis le bonheur promis au dernier mois d'automne dans ces même landes, à l'abîme dans lequel sa vie avait basculé dès le premier jour de l'an nouveau. Ni le retour en Limousin, ni la crainte de se retrouver face à l'époux abandonné quelques semaines plus tôt n'avaient été le plus éprouvant. Il avait fallu la lente agonie de sa dernière-née et sa mort inéluctable pour qu'elle pense toucher le fond. Mais, à peine deux jours plus tard, Roman venait l'informer qu'il ne lui rendrait plus son fils. Supplique et colère s'étaient heurtées à l'orgueil Corleone, à sa mauvaise foi et à son cœur verrouillé. Et si tout ça ne suffisait pas, l'ancienne maîtresse des deux frères Italiens l'avait droguée puis agressée avec la ferme intention de la faire passer à trépas. Elle y serait parvenue sans l'intervention inopinée de l'Anglais. C'est ce qui avait décidé ce dernier à imposer à la fauvette trop choquée pour opposer une quelconque résistance un départ au le soir même.

Elle soupira en relevant la tête. Ses mains gelées tentèrent maladroitement de sécher les pleurs à ses joues pâles. Elle glissa un furtif regard derrière elle et referma les yeux. Dans l'ombre des arbres qui abritaient la petite tente, des rais d'une lune blafarde s'entremêlaient aux ramures dénudées pour glisser leurs reflets de nacre sur le canevas de lin épais. Oliver dormait sans doute. Elle fronça imperceptiblement le nez. Les événements l'avaient précipité à sa vie et elle ignorait finalement pourquoi il était si gentil avec elle, alors que tous semblaient l'abandonner à la vindicte du clan Corleone. Néanmoins elle l'avait blessé quelques heures plus tôt quand il lui avait demandé si elle était disposée à croire qu'il ne la laisserait pas. Que pouvait-elle répondre d'autre que non ? Les hommes promettent, puis ils exigent, disparaissent, ou mentent, parfois tout à la fois. Voilà la leçon qu'elle avait tiré de deux mariages, l'un d'amour, l'autre de convenance, et qu'Arsène lui avait douloureusement renvoyé à la figure au premier jour de l'année. Elle s'interdirait dorénavant d'avoir encore la naïveté de croire une promesse.

Pourtant, le soutien de l'Anglais à la détresse et la solitude de la jeune mère face à la mort de son enfant, le merdier duquel il s'était appliqué à l'extraire, avaient incité un rapprochement qui n'aurait pas eu lieu d'être autrement. Elle n'était sans doute pas en état de le comprendre, pas plus qu'elle ne pourrait admettre trouver du réconfort à la promiscuité induite par leur voyage. Malgré tout, elle ne s'offusquait pas aux quelques contacts anodins mais qui, d'un autre, l'aurait gênée et conduite à une dérobade. Elle ne s'était pas étonnée qu'il ôte si facilement sa chemise pour lui dévoiler ses côtes meurtries sur lesquelles elle appliquait chaque soir un macérât de pâquerettes. Et depuis la mort de Stella, elle l'avait laissé veiller à ses sommeils, et s'il ne savait éloigner les cauchemars qui agitaient ses nuits, elle se sentait plus rassurée par sa bienveillante présence. Il ne la brusquait pas, la laissant venir à son rythme, et parfois, c'était elle qui cédait son épaule à la sienne, comme si, d'un attouchement discret, le corps autorisait ce que la tête refusait. Il savait lire ce langage et enroulait alors son bras autour d'elle ou la réchauffait d'une étreinte à laquelle elle s'abandonnait en fermant les yeux.

C'était sans doute cela le début de la confiance, ce mot qui n'avait raison d'être que pour être bafoué, brisé, piétiné et qu'elle ne voulait plus jamais employer.
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Lison_bruyere
Validé par JD Jo_anne

    Craon, 17 février 1468

Une vingtaine de lieues séparaient Rieux de Craon. La distance était grande, Fanette le savait, même si Oliver tentait de lui faire croire qu'il s'agirait d'une promenade de santé. Une fois passée la frontière angevine, ils n'auraient d'autres choix pourtant que de rallier leur destination d'une seule traite, à la faveur de la nuit. Aux dernières nouvelles, la jeune femme était toujours indésirable dans le Duché qui l'avait vu naître. Pourtant, puisqu'il lui fallait s'éloigner de Limoges, elle n'avait rien souhaité d'autre que de rejoindre sa belle-mère, avec l'espoir, vain sans doute, qu'elle sache raisonner son fils.

Sous une lune pâle, crevant à peine le plafond nuageux de la nuit, les bois s'étaient clairsemés. Quelques reflets de nacre scintillaient sur les eaux de l'Oudon, et derrière, on devinait la silhouette de la ville endormie dans l'ombre d'un clocher coiffé d'ardoise. Le pas fatigué des chevaux était étouffé dans la fange boueuse mêlée de neige qui courait aux rues de la cité. Ils passèrent les halles, et descendirent la grande rue jusqu'à une large place où se dressaient d'un côté la mairie, de l'autre l'église. Les deux imposantes bâtisses semblaient se défier, mais derrière, une auberge arbitrait l'éternel combat entre le divin et le profane.

Les chevaux furent mis à l'attache à l'abri d'une grange attenante, nourris d'une brassée de foin, et, bien avant que les laudes ne jettent sur l'horizon les lueurs mauves du levant, Fanette s'était endormie, rencognée au bord du lit, de crainte d'envahir l'espace de l'Anglais qui partageait la même couche. L'épuisement des six jours de voyage, parfois dans des conditions sommaires les avait éprouvé. Oliver n'en disait rien, mais elle devinait souvent la douleur qui tenait ses côtes aux crispations fugaces de ses mâchoires. Et si la gorge de la fauvette n'était plus douloureuse, c'est une meurtrissure de l'âme et du cœur qui la faisait souffrir et agitait ses sommeils de cauchemars, qu'elle vivait le souffle court, les tempes perlées de sueur. Alors, quand le soleil s'était levé, ils s'étaient attardés bien au-delà du matin.


Au soir du même jour

– Joanne... J'suis désolée...
– Ce n'est pas ta faute

Fanette était tombée dans les bras de l'Italienne un peu plus boiteuse que d'ordinaire, quand elle avait fait irruption dans la salle commune de l'auberge de son amie Grayne. Son visage et ses membres souffraient de quelques hématomes affectueusement attribués par le frère de cette dernière. Mais l'aveugle c'était si bien défendue dans ce duel amical, que Bossuet ne s'était même pas rendu compte qu'elle n'y voyait pas. Elle resserra une étreinte presque maternelle autour de la jeune mère.

– Ce n'est pas ta faute, répéta-t-elle, imaginant bien, pour l'avoir vécu elle-même, la culpabilité dont on peut se charger en pareil cas.
– Je l'ai ramenée de Bretagne à l'hiver.
– Je te le répéterai jusqu'à ce que tu sois capable de le comprendre. Ce n'est pas ta faute, tu vis Fanette. Tu es une mère, mais aussi une femme. La Bretagne n'est pas le problème.
– J'sais pas...
– Moi je sais. Ce n'était pas un rhume. Un rhume, ça se soigne.
– Personne n'a pu.
– Ecoute, s'en vouloir c'est plus fort que nous, c'est normal, mais ce n'était pas ta faute. C'est tragique, mais c'est ainsi.
– Ce n'est pas ce qu'ils disent Joanne. Je l'aimais ... Je l'aimais tant.
– Ils disent toujours des tas de conneries, ils ne savent pas. Ils sont brisés eux aussi. Je sais que tu l'aimais et que tu as tout fait pour elle.

La fauvette marqua un temps d'arrêt, submergée par l'émotion, le remords, les questions aussi.

– Sauf la tuer... J'ai pas pu... Roman m'accuse à présent, alors qu'il n'a rien fait lui non plus. Il se range à leurs avis quand ils me traitent de folle en disant que je l'ai faite souffrir.
– Il dit bien des conneries, et tu le sais plus que n'importe qui. Oublie-le un peu.
– Je n'peux pas Joanne, car pour ça, il veut m'arracher mon fils. Je refuse qu'il m'en prive.
– Il ne t'en privera pas. Je ne le laisserai pas faire.

La voix douce de l'aveugle se voulait réconfortante, et sans doute Fanette avait besoin de l'entendre, elle précisément, car elle était du même sang que sa fille, et son avis comptait. Sa compréhension la rassurait, même si elle doutait que Roman écoute sa mère. Elle n'avait pourtant pas envie d'entendre la suite.

– En revanche, tu dois prendre le temps de faire ton deuil. Milo a besoin d'une mère vivante et heureuse.
– Comment peut-on se remettre de la mort d'un enfant Joanne ? On n'oublie pas, vous le savez bien vous.
– Tu dois être forte pour Milo, reprendre ta vie en main, et après tu pourras te battre pour lui. Je t'aiderai, mais pas pour le moment. Je m'y refuse. Je ne vais pas rendre Milo à une pleurnicharde. C'est pas sa mère ça. Sa mère se bat comme une lionne pour lui.

Le manque qu'elle avait de Milo était bien trop grand et s'écoulait aux larmes qui noyaient ses yeux et inondaient ses joues. Pourquoi tous s'évertuaient à croire qu'elle saurait être heureuse loin du mini Corleone quand elle venait déjà de perdre une enfant. Fanette avait connu des chagrins depuis le retour de son fils, pourtant jamais il ne l'avait vu pleurer, sauf une seule fois au mois de juin, quand l'Alzo avait menacé de tuer son fils, et qu'elle avait craint qu'il n'abuse d'elle devant lui. Hormis cette unique fois, elle avait toujours su préserver ses enfants de ses états d'âme. Bien au contraire, elle se soignait aux rires, aux jeux partagés, aux instants de tendresse.
Ce n'était pas différent, et elle savait qu'à l'instant où elle serrerait son fils contre elle, elle irait mieux. Elle n'avait pas su être une épouse, qu'on lui laisse au moins le droit d'être une mère.

Quand le vieux Corleone avait rejoint sa femme, son discours avait ravivé la colère de Fanette, pourtant, il s'était montré bien moins acerbe qu'à l'ordinaire et avait admis quelque vérité qui aurait pu rassurer la jeune mère si elle n'était pas tant à fleur de peau. Quand les deux Italiens s'étaient retirés, c'est sans doute ce qu'Oliver avait cherché à lui faire entendre. Mais la jeune femme n'y était pas prête. Une seule chose comptait à présent. Elle voulait qu'on lui rendre son fils.
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Lison_bruyere
    Craon, 24 février 1468

Le départ approchait et les au revoirs avaient encore précipité les deux femmes dans les bras l'une de l'autre. Si Fanette avait retrouvé sa mère, six pieds sous la terre gelée de l'Anjou, reposant là avec sa petite sœur depuis dix-huit ans, c'est pour cette autre mère qu'elle était venue.

Ces quelques jours passés dans sa ville natale lui avaient fait du bien, même si elle avait encore du mal à se détacher de ses chagrins. Il lui semblait que le trou béant qu'elle avait dans le cœur ne se refermerait jamais, quand bien même y aurait elle abîmé toutes ses larmes. De plus en plus souvent, sa peine avait cédé place à la colère pour le manque que les frères Corleone lui imposaient de son fils, et Grayne autant que Bossuet l'avait encouragée à montrer les dents.

Puis la veille, un événement avait bousculé la rassurante routine qu'elle avait adoptée depuis son retour à Craon. Et une fois de plus, l'Italienne avait balayé les questions de la fauvette, préférant lui offrir la vision plus simple qu'elle avait acquise de la vie, à force de chagrins, de joie et de souffrances.

– Tu n'es pas qu'une mère Fanette. Tu es aussi une femme jeune et jolie, et Oliver semble être un type bien, à première vue. Il a envie d'être aimé, t'as besoin d'être aimée. Faites-vous du bien, où est le mal là-dedans ? Milo n'en sera que plus heureux si tu es épanouie.

C'était si facile dit ainsi, et pourtant, aux méandres des tourments de la jeune mère, rien n'avait jamais été simple en matière de sentiments. Et des sentiments pour l'heure, elle n'en connaissait que trois, la tristesse et la révolte, contre le Très-haut autant que contre Roman et Gabriele, et la reconnaissance qu'elle nourrissait pour Oliver qui avait été un soutien sans faille depuis son retour al lupo quelques jours plus tôt. Alors, elle était bien incapable de définir ce qui s'était joué la veille, et culpabilisait déjà d'avoir pu être troublée au point d'en oublier ses enfants.


Salle commune de la mare aux amarres.
Veille au soir, à une heure tardivement déserte.


La pièce embaumait encore du fumet d'une volaille rôtie aux légumes. Ce n'était pas Grayne qui se plaindrait de n'avoir pas à cuisiner sa traditionnelle et peu ragoutante soupe à la couenne, agrémenté de son ingrédient secret. Oliver avait décidé d'engraisser la fauvette, et si c'était impossible, au moins comptait-il lui faire reprendre quelques couleurs pour affronter les frangins Corleone. Elle avait mangé une assiettée presque complète, un peu pour lui faire plaisir, mais surtout parce qu'elle savait bien qu'il avait raison, et qu'elle devait avoir meilleure mine pour espérer revoir son fils.

Ce n'est qu'après qu'il repoussa les tables pour dégager un espace central. Elle le regarda faire, un peu étonnée. Ses gestes semblaient plus aisés, malgré la douleur qui devait encore tenir ses côtes. La lumière des chandelles révélaient malgré tout un sourire amusé à ses lèvres qui creusait une fossette à sa joue droite. Il avait mis de l'ordre dans sa tignasse sombre, et s'était rasé de près. Elle nota que si la chemise impeccable dont il était vêtu était blanche, à l'image des autres, elle semblait de bien meilleure facture.

– J'ai une surprise pour toi.
– Oh !

La bonne humeur affichée par l'Anglais était contagieuse, et rapidement, Fanette échafauda mille hypothèses sans jamais deviner ce qu'il lui réservait. Quand il fut prêt, il alla ouvrir la porte pour laisser entrer l'improbable joueur de luth hirsute, crasseux et mal attifé qu'il avait dégoté pour la soirée, moyennant quelques écus. Il affichait un air fier de lui en revenant vers elle.

– Ce soir, on va danser. Notre dernière nuit à Craon, faut fêter ça ! dit-il en lui tendant la main.

Le minois taché de son s'éclaira d'un réel sourire et elle n'hésita pas un instant en nouant ses doigts aux siens. Les premières notes joyeuses et enlevées d'une saltarelle résonnèrent dans la salle. Fanette n'en connaissait pas les pas, mais elle était sa préférée, et elle l'avait déjà dansée. La jeune femme était vive, et légère, et avait toujours eu facile à calquer ses mouvements sur ceux de ses cavaliers, pour peu qu'ils sachent danser. C'était le cas de l'Anglais. Il maîtrisait les pas à la perfection, et l'entraînait autour de la piste improvisée au rythme allègre du luth. Fauvette se laissait porter par la musique, tant que par les bras qui la guidaient. A la saltarelle succéda une carole, puis une volte. Elle pourrait bien danser ainsi toute la nuit. Son cavalier lui souriait, son regard de ciel d'été ne semblait plus vouloir lâcher le sien. Il exhalait les parfums chauds et enveloppants de la cannelle qui la grisaient, lui rappelant les agréables soirées d'hiver, le crépitement du feu, le lait chaud. Ses tourments s'étaient éparpillés aux sons enjoués de l'instrument. Elle n'était plus une mère éplorée. Elle était cette jeune pucelle insouciante qui dansait un soir de juin sur les bords du Clain, et son cœur battait en écho au rythme des pas, sa tête tournait, et son rire s'écoulait de sa bouche comme l'onde claire d'une cascade au printemps.

Oliver l'avait tant vu pleurer, il se laissa aller à rire avec elle, heureux de la voir lâcher prise, enfin. D'un geste il la ramena à lui et glissa ses mains à sa taille, et, avant qu'elle n'ait le temps de réagir, il la lança légèrement vers le haut, comme si elle n'avait été qu'une brindille, puis la rattrapa tout aussi promptement. Elle rit de plus belle en se rattrapant, surprise, à ses épaules, mais son rire mourut à ses lèvres en venant accrocher l'azur de son regard.

Il s'était arrêté de danser, la tenant là, plaquée contre lui, sans se décider à laisser ses pieds rejoindre le sol. Son visage était si proche, qu'elle en sentait soudain le souffle troublé, et elle s'en troubla de même. Doucement, il vint glisser son nez contre le sien. Elle fronça le minois, ajoutant sans doute à l'air encore juvénile que lui conféraient déjà ses tâches de son et ses boucles indociles. Il la dévisageait, charmé comme s'il venait de la découvrir, détaillant son regard pailleté d'or, ses lèvres délicatement ourlées, ses pommettes que l'effort ou la proximité teintaient de rose. Ses prunelles restaient rivées aux siennes, elles lui échappèrent un fugace instant. Elle retenait son souffle, comme si le corps et l'esprit étaient suspendus à cet étrange moment.

Elle ferma les yeux, reprenant soudain conscience de la musique qui n'avait pas cessé, de ses pieds toujours dans le vide, du fracas des battements du cœur d'Oliver qu'elle pouvait sentir à travers l'étoffe de sa cotte. Et elle se demanda si malgré tout, elle s'était déjà sentie aussi bien depuis la mort de Stella, ou même, depuis le premier jour de l'année nouvelle. Peut-être que, si elle gardait pour toujours les yeux clos, elle conserverait à jamais cette sensation. Le souffle tiède tout contre ses lippes rompit l'équilibre. Le nez de nouveau se fronça et quand l'Anglais vint presser ses lèvres aux siennes, son premier réflexe fut un imperceptible mouvement de recul. Il ne dura guère plus que le temps d'un battement de cils avant que sa bouche cède et s'abandonne, et qu'elle savoure la tiédeur humide du baiser comme si on l'en avait privé trop longtemps. Lentement, sans rompre le doux contact, il la laissa glisser au sol, se penchant sur elle, de toute sa hauteur. Les grandes mains masculines vinrent enrober ses joues, quand la bouche aventureuse explorait encore sa jumelle d'une bien suave manière. Fanette rouvrit les yeux et accrocha le regard d'azur. Ses joues s'embrasèrent et elle se recula, légèrement gênée. Il lui sourit, et l'amusement dans sa voix cherchait peut-être à masquer la même gêne.

– En voilà des couleurs.

Immédiatement, la fauvette couvrit ses joues de ses mains en une vaine tentative pour les cacher. Mais il les lui écarta délicatement.

– Non, c'est très joli ainsi.
– Ça m'donne meilleure mine ? demanda-t-elle, retrouvant soudainement le même amusement qui semblait animer l'Anglais.

La question n'était pas anodine. Si un baiser pouvait gommer l'espace d'un instant la fatigue et le chagrin qui tenaient ses traits depuis trop longtemps, n'était-ce pas un prétexte suffisant pour en profiter encore, même si c'était inconvenant ? L'était-ce après tout ? Assurément à en croire sa gêne. Peut-être puisqu'elle était encore une mère en deuil, avait-elle le droit de s'oublier à tant de légèreté ?

Tant de questions tournèrent soudain dans sa tête, d'indécence, d'infidélité, de chagrin, de confiance, de trahison qu'elle en eut le tournis. Mais, les bras tendres d'Oliver renouèrent à son corps, et au rythme plus lent de la musique, il l'entraîna dans une nouvelle danse. Elle chassa le trouble qui la tourmentait. Demain, il serait temps de se poser mille questions, pour ce soir, elle méritait bien un peu de répit.
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Lison_bruyere

Avec jd Jaimeoliver

    Campagne angevine, 25 février 1468

– Tu n'as jamais offert tes cuisses à d'autres que Roman et ton second mari ?
– Non.

L'heure était à la sincérité et aux confidences, mais elle hésita pourtant un long moment, avant d'avouer, un peu honteuse :

– A Arsène aussi, mais il n'en a pas voulu.
– Quel idiot !

Elle secoua doucement la tête. Fanette n'apprendrait probablement jamais que ce fameux soir, c'est au jumeau d'Arsène qu'elle s'était offerte. Elle était bien loin d'imaginer que les Beaurepaire aient osé avec elle ces échanges de rôles qui les amusaient follement. Elle avait mis la réserve de l'homme dont elle était éprise sur le compte de ce premier mensonge par omission qu'il lui avait servi en lui cachant l'identité véritable de Léonie. Il s'en était plusieurs fois excusé et se culpabilisait de l'avoir fait souffrir. Alors, quand il l'avait repoussée, une expression de dédain dégoûté sur le visage quand deux soirs plus tôt il lui avouait combien il aimerait la faire sienne, elle n'avait trouvé qu'une seule explication : les cicatrices que sa nudité lui avait révélées le répugnaient.

– C'est pas ça ... C'est que ... j'suis pas assez jolie.
– Fanette, protesta-t-il, je t'ai toujours trouvé jolie, déjà bien avant tout cela.

Elle plissa légèrement le nez, en une petite moue incertaine. S'ils partageaient la même chambre depuis la mort de Stella, voir le même lit, elle s'était bien gardée de lui laisser entrevoir la moindre parcelle de sa peau. Elle le contraignaint à rester face au mur quand elle abandonnait ses jupes pour passer un vêtement de nuit, et ne l'autorisait à se retourner qu'une fois qu'elle était bien à l'abri des couvertures. Comment pourrait-il savoir ?

– Jolie, peut-être, à ma façon ... mais ... j'suis pas gracieuse de partout.

De nouveau il opposa son désaccord, ne comprenant pas ce qui pouvait clocher quand ce qu'il voyait d'elle chaque jour lui semblait plaisant à regarder.

– J'ai des marques ... certaines sont ... mon dos, ma jambe, elles sont hideuses.

Il la dévisagea d'un air incrédule, puis se redressant un peu, il rapprocha une chandelle.

– Très bien ! Montre-moi ta jambe !

Le regard dont il l'enveloppait était tendre et empathique, mais sa voix marquait pourtant une tenace détermination. Il voulait juger par lui-même. Ce n'était qu'une jambe, et même si pour une fauvette pudique, c'était déjà beaucoup, ça ne restait jamais qu'une jambe, il en avait vu bien d'autres. Elle hésita, profondément embarrassée, et sans doute un peu effrayée, malgré la confiance qu'elle lui accordait, quand bien même s'était-elle juré de ne plus jamais faire confiance à un homme. Elle secoua la tête.

– Pourquoi pas ? Montre-moi cette hideuse balafre.
– Roman m'a aimé, et pourtant il m'a quand même sermonné pour cette cicatrice, se défendit-elle, bien convaincue que s'il lui en avait fait reproche, c'est que lui aussi la trouvait affreuse.
– Je me fous de l'avis de Roman, il est con. Montre-moi.

L'anglais insistait, gentiment, mais fermement, et Fanette était perdue. Quelques larmes vinrent ourler ses cils quand elle céda, ramenant sa jambe droite à elle. Lentement, elle fit rouler son bas vers son pied. C'est la marque violacée qui enserrait sa cheville qu'il remarqua en premier lieu. Il vint l'effleurer d'un pouce.

– Qu'est-ce que c'est ?

Noisettes rivées à sa cheville, elle fuyait toujours honteusement son regard. Elle répondit néanmoins, sans trop s'étendre que c'était la morsure d'un fer qu'on lui avait passé, dans une geôle angevine, quand elle avait tenté de s'enfuir par un soupirail. Son visage impassiblement tourné vers elle ne marquait aucune expression de répugnance ou de jugement. Il se contenta d'acquiescer.

– Et cette fameuse marque ?

Il rapprocha la chandelle de la jambe qu'elle tenait toujours repliée contre elle. La blessure cisaillait son mollet et n'était pas visible de l'endroit où il se trouvait. Tenaillée par la gêne et la peur, elle était bien incapable d'initier un mouvement pour lui permettre de la voir. Il le comprit certainement.

– Je peux toucher ?

Elle se résigna à l'autoriser à voir du bout de ses doigts ce qu'elle refusait d'offrir à sa vue et acquiesça d'un infime mouvement de tête, ne sachant pas plus parler que bouger. Tendrement, il laissa remonter une main caressante de sa cheville à son mollet, jusqu'à sentir la cicatrice. Il s'attarda à prendre le temps d'en découvrir la forme et les irrégularités. La marque était longue et on sentait la déchirure du muscle qui s'était recroquevillé de part et d'autre de l'entaille laissée par le couteau. Elle formait un creux qui suivait les bords boursouflés de la plaie trop tardivement suturée par des points qui avaient laissé tout le long de la dépression des marques qui ajoutaient à sa laideur. Une fois encore, il n'eut aucun mouvement de recul ou de dégoût, et, prolongeant une dernière caresse à sa jambe, il releva son regard de ciel d'été sur son visage, toujours résolument baissé vers le sol.

– Moi, je la trouve ravissante cette jambe.
– Elle l'est pas Oliver, répondit-elle en se hâtant de remonter son bas.
– Ça c'est ton avis. C'est une vilaine blessure certainement, mais ça ne change rien à ta beauté. Ne laisse personne te dire le contraire.

Il vint enrouler ses bras autour d'elle et l'attira à lui. Elle hocha vaguement, bien peu convaincue, et se laissa basculer vers l'étreinte offerte.

– Tu sais quoi ? C'est la plus belle jambe que j'ai vue aujourd'hui dans cette tente, lui affirma-t-il en affichant un sourire amusé.

Il cherchait clairement à rendre un peu de légèreté à l'instant, et à chasser une larme qui s'était traîtreusement échappée sur la joue pâle de l'Angevine. Et sans doute que la remarque visa juste, car, alors que du pouce, il épongeait l'indésirable, elle esquissa à son tour un sourire amusé.
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Lison_bruyere
Validé par jd Jaimeoliver


Regardez-moi souffrir quand je ne m'aime plus
Que j'ai peur d'être vue et d'être mise à nu
Quand je suis vulnérable et que personne n'entend
La grandeur de l'horreur qui gronde et qui méprend
(Ma valse - Zaz)

    Tours, 3 mars 1468

– Viens là.

Le bras s’ouvrit, accueillant. Une main vint la chercher, et la jeune femme, rencognée fébrilement dans son coin du lit, s’appliquant à ne pas bouger de peur de l’effleurer, ne se fit pas prier pour se réfugier au creux de l’épaule masculine. Son visage auréolé de boucles dorées trouva sa place à même la peau de l’Anglais. Sa respiration se calqua sur la sienne. Elle en perçut le changement de rythme, l’apaisement après les turbulences. Si le sommeil délivrait Oliver des doutes ou des blessures qu’elle venait de lui infliger, fauvette ne parvenait à lâcher prise, trop engoncée dans les convenances et les craintes. Et pourtant, elle avait besoin qu’il reste-là, à lui tenir la tête hors de l’eau quand tous voulaient la noyer. Son soutien, tendre et attentif lui rendait du courage, et tout à la fois, il l’entraînait aux méandres d’une culpabilité qui la confrontait à l’image que Gabriele lui avait renvoyée violemment à la figure.

Elle ressassait, prisonnière du maelstrom inexorable qui la privait de raison depuis la mort de sa fille. Alors, un peu plus tôt, quand, dans le silence feutré d’une salle commune enfin redevenue déserte, il l’avait enlacée, elle lui avait ouvert son cœur, ou plus exactement, elle lui avait fermé. Il avait bien remarqué son petit minois chiffonné d’une moue. Les mots semblaient difficiles mais son regard d’azur la tenait fermement, jusqu'à ce qu’elle consente à les livrer, hésitants et brouillons.

– J’suis … J’aime bien être là … mais …

Il s’était légèrement tendu, muscles secs marquant ce qu’il redoutait d’entendre dans ce mais auquel l’Angevine avait suspendu sa phrase.

– Je n’veux pas que tu t’éloignes, et pourtant, j’ai l’sentiment que c’est pas bien.
– Pourquoi ce serait mal ?
– J’sais pas… Si … Si…

Bien sûr elle le savait, simplement, elle n’arrivait pas à formuler ses idées. Que connaissait-elle de l’amour sinon sa morsure cruelle et douloureuse qui déchiquetait le cœur pour n’y laisser qu’un trou exsangue et glacé ? Elle s’était étiolée des mois durant au souvenir du Corleone. Elle s’était promis d’essayer d’aimer l’époux choisi par son père. Elle aurait pu y parvenir mais il avait brisé sa confiance dès cette première fois où il avait maintenu fermement ses poignets dans son dos pour la trousser contre son gré sur le tronc rugueux d’un arbre. Et quand trois mois plus tôt, elle s’était, pour la seconde fois de sa vie, décidée à offrir son cœur, on lui avait brisé en retour, d’une odieuse manière. Alors, elle s’était promis de ne plus rien offrir de sentiments ou de confiance à quelque homme que ce soit. Et pourtant, elle craignait d’encourager Oliver, et pire, elle avait peur de révéler un attachement dont elle se défendait. Lors, la question fusa des lèvres pâles, n’attendant qu’une seule réponse impérieuse et essentielle quand elle en craignait une autre.

– Tu m’aimes pas, n’est-ce pas ?

Il marqua un temps d’arrêt. Regard troublé sous ses sourcils sombres, il la dévisagea longuement. Sa voix trahissait la déception quand il formula ce qu’elle voulait entendre.

– Je ne t’aime pas … non.

Elle hocha sobrement la tête, luttant contre les émotions qui la débordaient et nouaient douloureusement sa gorge, même s’il tentait encore de lui offrir un sourire rassurant. Il s’écarta d’elle un peu brusquement, pour gagner la fenêtre. Le volet intérieur n’était pas tiré et le froid de la rue s’était condensé sur le carreau. La nuit avait englouti la ville au-dehors aussi sûrement que Fanette venait de briser ses espérances. Elle l’observait, tandis qu’il lui tournait le dos, le regard probablement perdu au néant des ténèbres extérieures, sa haute silhouette légèrement courbée, en appui sur ses bras.

– J’ai menti, ce n’est pas vrai. Sa voix tomba comme un couperet dans le silence pesant de la vaste pièce faiblement éclairée de quelques chandelles. Je pense que tranquillement, je tiens à toi. Je ne le fais pas exprès, et je ne crois pas pouvoir m’arrêter.

Il passa sa main sur sa nuque, comme à chaque fois qu’il était mal à l’aise. L’Angevine avait appris à déchiffrer ces signes discrets, sans doute aussi facilement qu’il savait lire dans ses plissements de nez l’amusement, la malice ou l’embarras. Embarrassée, elle l’était à ses mots. Ses dents avaient accroché un coin de lèvre, et les larmes ourlaient discrètement son regard pailleté d’or.

– Pardon Oliver.
– Pourquoi ? s’étonna-t-il en se retournant.
– Parce que je ne suis pas une bonne personne.
– Pourquoi ? insistait-il en l’enveloppant de son regard de ciel d’été.
– Parce que … Je n’sais pas dire ce que j’ai dans le cœur … parce que j’ai peur… Tu as été là quand il n’y avait plus personne, tu es là encore, quand j’ai terriblement besoin d’aide.
– Et ? demanda-t-il en venant se rasseoir près d’elle.
– Si c’était uniquement pour ça que je ne voulais pas que tu t’en ailles. Si c’était pour cette seule raison que ça me réconforte quand tu me tiens contre toi ou que tu m’embrasses ?

Il soupira, baissant les yeux comme s’il était déjà vaincu par l’évidence de la situation.

– Je ne veux pas que tu te sentes obligée. Si tu veux qu’on arrête, on va arrêter, c’est tout.

Elle secoua la tête, ordonnant difficilement les pensées qui s’entrechoquaient sous sa tignasse indocile. Il fallait qu’elle cesse bien sûr de l’utiliser comme une planche de salut quand il s’attachait chaque jour un peu plus à elle. Et pourtant, elle était sûre de sombrer sans son aide.

– Gabriele a raison, je suis la pire salope du royaume. C’est ça qu’il dit.
– Ne dis pas de conneries ! Ce n’est pas ta faute si tu ne tiens pas à moi de la même façon.
– Si, parce que je ne veux pas me passer de ce que tu m’offres, même si je ne saurais pas te donner plus. J’me suis promis de … Elle hésita encore, de crainte de lui planter un autre coup de poignard dans le cœur. … de …

Elle se retint d’évoquer cette confiance qu’elle ne voulait plus confier à un homme. Et si elle pensait encore la lui refuser, c’est qu’elle se mentait.

– Je m’suis promis de ne plus laisser personne me briser le cœur.

– Tu sais, c’est le risque mais ça en vaut la peine. Son accent anglais s’était fait plus prégnant, comme s’il lui était trop difficile le juguler ses émotions tout en maîtrisant sa voix. Mais tu ne peux pas me demander de t’embrasser, de t’étreindre sans rien éprouver. J’en suis incapable. Un jour ou l’autre, je voudrais te faire l’amour. Si toi tu sais que tu n’en voudras jamais de ce que je veux te donner…

Il baissa le ton, blessé.

– Il n’y a que toi pour savoir ce que tu veux. Moi je sais. Je l’ai su à l’instant où je t’ai faite danser.

Elle n’osait plus le regarder. Tête enfoncée dans les épaules, son regard glissa sur ses doigts qu’elle nouait et dénouait nerveusement. Foncièrement mal à l’aise, elle peinait à retenir ses larmes. S’il était un homme qui ne méritait pas de souffrir, il se tenait devant elle, et elle venait de lui porter l’estocade. Qu’importe qu’elle soit perdue et effrayée. Elle l’utilisait, et elle en réclamait toujours sans rien offrir en retour. Tout aurait été tellement plus facile s’il n’avait eu de cœur. Sans doute n’avait-il pas cru qu’elle puisse le repousser. Malgré tout, il tentait encore de la consoler, offrant une fois de plus le refuge de ses bras quand il aurait dû se détourner d’elle et la laisser pour ce qu’elle était en donnant raison à l’aîné des fils Corleone. Elle était définitivement la plus mauvaise fille du royaume.

Au lieu de cela, il passa sa grande main sur ses joues pour en chasser les pleurs.

– Je crois qu’on devrait aller dormir, dit-il la voix nouée de déconvenue.
– J’peux pas, protesta-t-elle.

Le regard d’azur marqua son interrogation, mais elle savait pertinemment qu’elle ne trouverait pas le sommeil. A quoi bon aller dormir ?

– J’peux pas m’endormir maintenant … sans toi … j’peux pas.
– Moi non plus, répondit-il en souriant tristement. Viens, on dormira chacun de notre côté, comme d’habitude.

Chacun de son côté mais visiblement du même, et Fanette restait là, bercée du sommeil de cet homme dont la tiédeur de la peau irradiait à sa joue, dont elle pouvait sentir le souffle dans ses cheveux, et dont elle voulait pourtant se tenir si loin tout en restant si près.

Qu’est-ce qui clochait chez elle ?
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Lison_bruyere
Validé par jd Jaimeoliver

    Tours, 4 mars 1468

Tout le jour, l'anglais s'était appliqué à tenir la distance imposée par la discussion du soir précédent. Il était là, prévenant et aimable, attentif et rassurant, mais veillait comme un ami, s'abstenant d'un contact trop soutenu, d'une parole trop tendre. Il était parfait et n'offrait aucune équivoque à son amitié.
C'est exactement ce dont Fanette avait besoin et pourtant, elle n'envisageait pas de pouvoir s'endormir seule sans qu'il ne soit là pour l'arracher à ses cauchemars ou lui offrir le refuge de ses bras. Elle lui refusait son cœur autant que son ventre, mais elle se rassasiait au goût de sa bouche. Elle marchait en équilibre sur le fil de la culpabilité, des convenances, boutant les sentiments de peur de se perdre plus encore au chaos de sa vie. Elle se mentait peut-être, ou bien elle ne s'abandonnait à lui, que parce qu'elle était confuse et qu'il était le seul à s'être tenu droit quand elle vacillait.

Alors, au soir, une fois refermée la porte de la chambre, quand il passa ses grandes mains à sa taille, ne sachant plus réprimer son envie de l'étreindre, elle ne se déroba pas. Tout au contraire, elle pivota pour lui faire face, et tint son regard aussi fort qu'il tenait le sien. Il la ramena contre lui, et, sans trop savoir ce qu'elle en ferait, effleura ses lèvres, avant de les presser aux siennes.

Elle aurait dû se reculer, bien sûr, au lieu de ça, elle les happa, se troublant de le sentir s'enhardir. L'étreinte à sa taille se resserra, quand la bouche masculine s'offrit et prit plus langoureusement. L'aubier tendre s'affola dans sa poitrine, les tempes cognaient, comme autant de signaux contradictoires. Langue audacieuse éveillait des plaisirs qu'elle se refusait, de peur de donner raison au Corleone, déjà qu'elle était une épouse infidèle. Elle se recula en esquissant un sourire un peu gêné.

Il hésitait visiblement, frottant sa nuque en l'observant. Finalement, quand il amorça un pas en avant pour la rejoindre, elle fit de même.

– J'm'étais pas trop éloignée, confessa-t-elle. Ses prunelles s'animèrent d'une lueur mutine qui rendait un peu de vie à son regard trop souvent noyé de chagrin. Oliver y répondit d'un sourire en coin et laissa courir ses doigts de son avant-bras à l'arrondi de l'épaule.

– Il faut être prudent, souffla-t-il au secret de ses boucles. Si on ne pouvait plus s'arrêter ?

La question la troubla de nouveau. Attendait-il qu'elle réponde que ce n'était pas grave ? Elle ne savait plus qu'une chose, elle l'encourageait à se tenir si près, et il ne fallait pas. Elle fixait le cordon de sa chemise, parce qu'il était à hauteur de ses yeux qu'elle n'osait plus relever vers lui de peur d'y déceler du désir. Machinalement, la main fine vint effleurer l'étoffe claire du vêtement masculin, pour se donner une contenance, ou pour occuper ses gestes quand l'indécision et l'embarras fleurissaient sous la tignasse indocile. Elle était assurément perdue, prête à sombrer d'un côté ou de l'autre de ce fil sur lequel elle tenait à peine en équilibre. C'était imperceptible sans doute mais elle crut sentir un frémissement sous la pulpe de ses doigts. Elle retint son geste mais il en avait malgré tout initié un autre. Les mains du brun se firent caresses, s'appliquant à faire glisser le long de ses bras la pelisse de fourrure, découvrant la peau pâle de ses épaules.

L'Angevine empotée, ne savait plus quoi faire. Elle releva sur lui un regard nébuleux, mais contre toute attente, d'un geste aussi surprenant que précipité, il la souleva pour aller l'asseoir sur le bureau adossé au mur du fond de la chambre. Penché sur elle, de toute sa hauteur, il vint perdre ses lèvres sur la peau qu'il venait de dénuder. Fanette prit peur, son cœur s’accéléra dans sa poitrine, tant qu'elle l'imagina briser ses côtes et s'échapper. Elle glissa une main fine à la joue de l'Anglais pour ramener sa bouche à la sienne, et lui éviter de s'aventurer où elle ne saurait revenir. Peut-être n'était-ce pas une si bonne idée que cela, car il reprit d'assaut ses lippes, les goûtant du bout de la langue, puis lui abandonna toute la fièvre d'un baiser en resserrant ses mains à sa taille. Elle aurait pu le repousser encore, mais il faut croire que son exaltation fébrile était contagieuse. Sa fine menotte se fit vagabonde, glissant légère de la joue mâle à la nuque, poursuivant pour explorer le dessin d'une épaule, le galbe du torse, quand sa bouche s'abandonnait ou conquérait tour à tour, mordant une lippe, ou se faisant douceur.

L'esprit en ébullition, Fanette luttait, repoussant ses hésitations aux méandres flous de sa conscience pour mieux céder au désir qu'il insufflait à ses lèvres. Il avait forcé le passage, contraignant l'étoffe de ses jupes à galber ses jambes pour s'insinuer entre elles, et la ramenait encore plus impérieusement à lui. Dextre mâle venait jouer, intrépide, avec le lacet de son corsage. Et conscience revenaient au galop, s'effrayant de ce qu'elle lui laissait faire. Ses doigts vinrent rejoindre et caresser le dos de la main masculine, ne sachant plus très bien si elle devait l'encourager à dénouer les rubans, se poser à sa gorge ou au contraire la retenir. Elle libéra ses lèvres, s'en tenant si proche que leurs souffles précipités s'entremêlaient encore. L'indécision de la jeune femme était palpable, l'émotion ajoutait ses paillettes d'or aux iris féminins. Elle entrouvrit les lèvres sur un son inaudible. L'anglais, délaissant sa bouche, glissait ses lippes caressantes le long de sa mâchoire, en suivait l'arête jusqu'au petit menton volontaire de la fauvette. Le ruban céda à la dextre, le pan du corsage s'abaissa, découvrant la douceur laiteuse d'un sein blanc. Sa poitrine se soulevait et s'abaissait un peu plus rapidement, trahissant l'affolement, et pourtant, fauvette ne bougea pas, sa main renonça, tandis que les lèvres anglaises descendaient encore du menton au cou, du coup à la gorge, désireuses de goûter cette nouvelle parcelle de peau cachée jusque-là. Il y posa une morsure qu'il apaisa aussitôt du bout de sa langue mais c'était ses lèvres que Fanette mordait pour étouffer un gémissement. Elle se pencha à son tour, pour chuchoter son trouble dans la chevelure brune du jeune homme.

– J'ai pas l'droit Oliver, s'excusa-t-elle dans un souffle. J'ai pas l'droit.
– On fait bien des tas de choses qu'on a pas le droit de faire...

Il était revenu à sa bouche pour lui souffler sa réponse, le corps tendu d'un désir qu'elle pouvait sentir contre l'étoffe de ses jupes. Elle ne s'en offusquait pas, quand une lave brûlante se répandait en écho au secret de ses cuisses. Elle avait peur, juste peur. Non pas de lui, mais du désir qu'il avait éveillé, quand elle ne savait pas dire si son cœur saurait un jour répondre au sien. Le regard d'azur dont il la couvait s'était fait tumulte, bousculé aux sentiments puissants qui animaient son corps, et vibraient à chaque endroit où leur peau se frôlait. Il passa sa langue aux lèvres angevines en achevant sa phrase. Elle secoua légèrement la tête en glissant ses yeux de biche affolée dans les siens.

– J'veux pas … j'sais pas ...

Ses mots n'étaient pas le reflet de ce que la chair exprimait, elle voulait sans doute, elle en crevait d'envie. Parce que, au-delà des chagrins, et de ce rôle de mère qui lui allait si bien, Corleone lui avait aussi appris un jour à être femme, ardente, passionnée, à l'opposée de l'image un peu fade qu'elle pouvait offrir. Sa peau s'embrasait d'une caresse, corps se cambrait d'un désir. Tour à tour, elle en jouait la partition avec flamme ou se pliait aux notes d'un maestro habile. Mais ce soir, dans le désir bouillant qui consumait son âme, Fauvette s'était perdue à ses craintes, et s'il était trop tard pour y songer encore, elle laissa finalement la raison et la peur prendre le dessus. Elle ne voulait pas le rendre malheureux, même si c'était sans doute déjà fait.
Il hocha doucement la tête, rechignant encore à s'éloigner. Il resta un instant silencieux, immobile, à un souffle d'elle, avant de murmurer dans un regret.

– Je ne veux pas t'inciter à faire ce dont tu n'as pas envie.

Elle acquiesça sobrement, se gardant d'un mouvement, puis releva sur lui un regard empli de doutes et d'excuses avant de se dérober à la proximité tentante de sa bouche et de son vit.
Cette nuit-là, il s'efforça de la laisser à son coin du lit, ne s'accordant le risque de ne tenir que ses mains. La maîtrise avait ses limites.
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Lison_bruyere
Avec jd Jaimeoliver

    Tours, 7 mars 1468

Fanette était faible, c'est ce qu'elle se répétait quand, en dépit de ce à quoi elle avait décidé de s'astreindre, elle glissa ses mains aux joues d'Oliver pour prendre ses lèvres avec une fougue à la hauteur du désir qu'il avait provoqué. Elle ne s'abandonnait pas à un baiser, elle était tout entière ce baiser. Elle était la caresse des lèvres, la hardiesse des perles d'émail qui parfois mordaient, l'audace d'une langue qui s'aventurait vers sa jumelle. Elle était le frisson qui naissait à la nuque et descendait le long de l'échine vertèbre après vertèbre, elle était le feu qui se répandait au creux du ventre. Elle était si fébrilement happée par la bouche mâle qui répondait en écho à la sienne, qu'elle laissa la main anglaise achever de délacer son corsage et tirer délicatement sur l'étoffe libérée des rubans pour en délivrer les orbes clairs. Elle avait ouvert une cuisse quand la main s'était glissée, tiède et caressante sous ses jupons.
Elle se pressa contre l'Anglais, nouant ses bras à son cou, impudiquement installée sur ses genoux. La bouche se recula à peine, suffisamment proche pour saisir encore le souffle haletant.

– I want to see everything of you, every curves and hedges*...

Il plongea un regard brûlant aux noisettes angevines, quand ses doigts se faufilaient, cherchant la rondeur d'un sein écrasé à son torse. Fauvette manqua un battement de cœur, soudain confuse de l'impudeur dont elle faisait montre. Elle aimait pourtant la musique de ces mots qu'elle ne comprenait pas, tout autant que ses caresses. Elle lui offrit un sourire mêlé de désir et de crainte. Senestre masculine délaissa sa poitrine pour remonter à l'épaule et faire glisser l'étoffe pour la dénuder davantage. Dextre caressante cheminait toujours vers l'intérieur d'une cuisse. Il murmura à ses lèvres :

– I want to see … je veux voir … everything of you ... tout de toi.

Fanette laissa échapper un souffle en comprenant ses paroles, et sa jambe imperceptiblement se referma. Ses dents vinrent saisir un coin de lèvre. Elle tenta le sourire, mais baissa les yeux, honteuse et craintive, alors il l'apaisa doucement, libérant sa cuisse de la pression de sa main. Ses lèvres effleuraient la mâchoire, descendaient caressantes vers sa gorge. Elle répondait de gestes moins fluides, où l'hésitation remplaçait la fougue. Chaque fois que la bouche masculine venait goûter une nouvelle parcelle de peau qu'il avait dénudée, le désir cédait place à la peur. Quelques larmes discrètes ourlèrent ses cils d'appréhension.

– It's allright*, lui chuchota-t-il.

Elle secoua doucement la tête en se ramassant sur elle-même pour venir se blottir contre lui. Il referma un bras protecteur autour de ses épaules. Ses lèvres clappèrent sur une détresse silencieuse. Il n'avait de cesse de lui dire combien elle était ravissante, tout comme Arsène l'avait fait aussi, et pourtant, il l'avait repoussée aussitôt qu'il avait vu les marques disgracieuses inscrites à sa chair. Comment pouvait-elle croire qu'il n'agirait pas de la même manière que le Beaurepaire, tant elle haïssait elle-même ses cicatrices. Elle se crispa légèrement quand elle sentit sa main venir caresser la peau irrégulière de son dos. Il devina son tourment soudain, révélé sans doute par les paroles dont il lui avait donné la traduction un peu plus tôt.

– Et si tu me laissais voir ce que tu as tellement peur de montrer ? Je vais te prouver que ça ne me repoussera pas.

Elle secoua imperceptiblement la tête, et tenta de remonter gauchement son vêtement sur ses épaules. Il glissa plus encore le bout de ses doigts à la peau, offrant un rempart au tissu dont elle voulait à se couvrir. La pulpe de l'index cherchait les sillons et les volutes des stigmates. Alors, il retira sa main et la reprit par la taille pour la faire pivoter. Elle résista, une once de désarroi dans le regard.

– Non … S'il te plaît, non.
– Tu me fais confiance ?

Son cœur s'affola en le sentant insister. Elle était terrorisée à l'idée qu'il pose ses yeux là où elle aurait préféré qu'il ne pose déjà pas sa main.

– S'il te plaît Oliver.
– Je refuse que tu m'offres seulement tes cuisses et tes seins. Si je te prends, je te veux tout entière.

Elle manqua de lui répondre qu'en ce cas, il ne prendrait rien, mais elle eut peur de le blesser encore une fois. Les deux mains à sa taille l'enjoignaient encore à se tourner pour lui offrir la vue sur son dos. Elle résista une fois de plus, la voix troublée d'un sanglot apeuré.

– Oliver, non … Me d'mande pas ça.
– Je ne suis pas Arsène.

Il se détestait sans aucun doute à cet instant, mais il était convaincu que c'était à ce prix que la fauvette finirait par le croire quand il lui affirmait qu'il resterait sans s'effrayer de ce que la vie avait inscrit de souffrances à sa peau.

– Laisse-moi voir.

Ne sachant plus que répondre, elle finit par céder aux deux mains qui l'incitaient toujours à se retourner. Il accompagna doucement son mouvement, puis, d'un geste tendre, il remonta sa chevelure et abaissa le tissu dont elle s'était recouverte. Alors seulement, il rapprocha une chandelle pour détailler l'échine offerte à sa vue. Fanette tremblait, de peur sans doute bien plus que de froid. Quelques larmes roulèrent à sa joue. Longuement, il glissa ses lèvres sur les sillons violacés avant d'imprimer à ses épaules le mouvement inverse. Elle se retourna, incapable d'affronter ce regard de ciel d'été qu'elle sentait pourtant peser sur elle.

– It's allright, lui murmura-t-il.

Elle ferma les yeux, éprouvée, sans trop comprendre ce qui se jouait d'opposition et de résilience. Mais pourtant, blottie là à l'étreinte réconfortante qu'il offrait, elle su qu'elle n'était pas prête encore à s'abandonner pleinement à lui.

* Je veux voir tout de toi, chaque courbe et chaque relief
* Tout va bien

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Lison_bruyere
    Tours, 15 mars 1468

Au loin, la nuit venait d'avaler la silhouette sombre de Tours. La route traversait les terres arables, encore prisonnières des neiges que le redoux commençait à faire fondre. Le dernier quartier de lune baignait le chemin d'une clarté blafarde, tissant au pied des arbres nus d'inquiétantes et longues ombres. Le danger pouvait être là, tapis dans les ténèbres, aussi prompt et fugace qu'un éclair de lumière que renverrait une lame. Fanette s'était entourée pour pallier d'éventuelles tentatives visant à lui reprendre son fils. Aussi, c'est dans un chariot, contenant à son bord trois hommes, escorté de deux cavaliers et tout autant d'épées qu'elle était montée. L'assemblage était un peu hétéroclite, chacun nourrissant ses propres raisons d'avoir accepté ce voyage. Oliver et Théo l'avaient fait pour elle, assurément. Si elle avait compris les raisons de Melvan et de Fitz, elle hésitait encore sur les motivations de Terrence. Depuis son arrivée à Tours, il s'était montré serviable, proposant une aide désintéressée, sans qu'elle n'ait à la solliciter. Sa gentillesse et son empressement à se rendre utile lui semblaient presque suspicieux mais, elle avait finalement accepté, d'autant que l'homme semblait avoir des remarques judicieuses.

Les cahots de la route avaient réveillé le petit.

– chut gattino mio.
– Pad'ino...

Milo ne se débattait plus, il sanglotait en appelant son parrain. Le dos appuyé à la ridelle, la jeune mère l'enlaçait en lui soufflant des paroles apaisantes. Son regard s'était détourné du paysage pour glisser tendrement sur l'enfant qu'elle berçait. Dextre caressait sa joue.

Il était si petit, et avait éprouvé tant de séparations déjà. On l'avait arraché à ses parents, quand il n'était encore qu'un nourrisson ouvrant à peine ses yeux sur le monde. Puis, presque un an plus tard, alors qu'il grandissait, nourri de l'affection d'une autre femme et d'une autre sœur, on l'en avait soustrait pour le rendre à sa mère légitime. Et voilà que deux mois plus tôt, elle avait renoncé à le choyer, en le confiant à l'attention de son oncle. Le bambin pouvait-il comprendre qu'on le prive de nouveau de sa sœur et de sa mère ? Lui avaient-elles manqué ? Sans doute, les premiers jours ou au soir à l'heure où d'ordinaire Fanette lui chantait des berceuses pour l'aider à trouver le sommeil. Puis, il avait dû s'accommoder de cette autre vie, offerte par les hommes de sa famille. Il l'avait accepté d'autant plus facilement qu'avant cela, il côtoyait son parrain de manière régulière.

Alors, quelques heures plus tôt, quand Edvald lui avait ramené son fils, elle s'était mise à douter du bien-fondé de sa démarche. L'enfant semblait terrifié, et il y avait de quoi l'être. Elle ignorait précisément ce à quoi il avait assisté de violence quand les mercenaires avaient contraint Gabriele à leur remettre son neveu, mais elle se doutait qu'il y en avait eu. On l'avait arraché aux bras protecteurs d'un oncle et, accessoirement d'un père au profit d'un inconnu au visage terrifiant. Il avait rejeté sa mère en l'apercevant, criant, pleurant, hurlant, ânonnant encore ses appels suppliants à celui qui en avait pris soin ces dernières semaines. Et s'il s'était calmé, c'est encore lui qu'il pleurait alors que le chariot les emportait loin des deux Corleone.

Fanette resserra l'étreinte autour de son fils en se demandant si ce n'était pas pur égoïsme de le chambouler encore pour lui rendre une vie qu'il avait connu finalement moins d'une année. Elle avait peur. Jamais elle n'avait voulu priver Milo de sa famille paternelle, et pourtant, elle réalisait que c'était à présent l'unique solution qui lui restait. Elle avait usé des mêmes armes que ceux qu'elle condamnait, et son fils en était le dommage collatéral. Ça ne la rendait pas meilleure que Roman et Gabriele.
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Milo_amalio
Campagne mainoise, 16 mars 1468

L'enfant ne dit rien. Visage fermé, il observe les va-et-vient autour du chariot. Les chevaux ont été pansé. Il a aidé sa mère. Il ne lui a pas souri encore, mais il a accepté le bouchon d'herbes froissées qu'elle lui a tendu pour frotter maladroitement les jambes crottées de boue de la jument. Siena a posé son nez de velours sur son petit palefrenier, alors il s'est un peu détendu. Les traits poupins de son minois se sont déliés quand il a passé ses deux bras autour de la longue tête de la douce baie.

A présent, il attend sans vraiment comprendre. Hier, il a aperçu son père mal-en-point, il a lu la colère aux mâchoires crispées de son parrain, il a entendu les invectives, il a vu les armes, il a senti la tension, la colère, il a eu peur. Son quotidien a volé en éclats, une fois de plus. Et de la peur, il en a encore ressenti, dans les gestes précipités de sa mère, dans la façon qu'elle a eu de le serrer à l'étouffer, dans les larmes qu'il a vues perler à ses cils. Alors il s'est débattu, il a hurlé, mais à présent, il attend. Il se souvient avant, les jours de douceur qu'il vivait avec elle et sa petite sœur. Il ne sait pas trop pourquoi Stella n'est pas ici, pourquoi elle n'était pas avec lui, ni avec son padrino, ni avec son papà. Il se demande peut-être si lui aussi peut disparaître, comme tour à tour disparaissent autour de lui ceux qu'il aime.

Aujourd'hui, il ne perd pas une miette de ce qui se passe autour. Il suit les allées et venues de ces hommes qu'il ne connaît pas. Il ne parle pas, mais rien n'échappe à l'acuité du mini-Corleone, celui qui a disparu dans les bois, celui qui s'est isolé dans la charrette, ou l'autre, parti emplir son outre à la rivière. Il a regardé la tente en résistant à la curiosité de se faufiler à l'intérieur. Et quand sa mère s'est assise près du feu, il l'a prudemment suivi, parce que, même s'il ne sait pas dire encore s'il est heureux ou en colère de la revoir, elle est bien le seul visage qui lui soit familier parmi tous ces étrangers.

Il imprime une moue contrariée quand l'Anglais vient s'asseoir non loin d'elle. Il lui sourit, mais Milo lui ne sourit pas. Il garde son petit minois froncé, et observe le grand type qui attrape quelques cailloux. Il en pose un devant lui, et le couvre d'un second, puis pose à nouveau ses yeux sur l'enfançon et attend. Milo se recule légèrement derrière sa mère, alors, l'homme détourne son regard pour déposer de nouveau un autre caillou sur la pile. L'enfant est intrigué. Il détaille les gestes mesurés de l'homme, croise parfois son regard, revient aux cailloux et, l'air de rien, il en saisit un à son tour et l'imite. Il tente d'en faire tenir un second dessus, mais l'exercice n'est pas si simple qu'il y paraît et la pierre ne tient pas en équilibre. Elle roule, alors il la remet, encore une fois, puis une autre, et une autre, toujours sans résultat. Alors, de nouveau il détaille de loin la construction d'Oliver. L'Anglais, sans rien dire, lui tend l'un de ses galets. Milo, toujours mutique vient le saisir et se recule aussitôt, prenant soin de laisser sa mère faire écran entre l'homme et lui. Il dépose le galet au sol et pose son caillou dessus, cette fois-ci avec plus de succès. On sent poindre la satisfaction sur son visage, même s'il se garde encore de sourire. L'Anglais lui offre d'autres galets, et toujours aussi sobrement, l'enfant les prend, et les empile. Quand il n'en a plus, il relève son museau chiffonné vers le comparse de voyage. Et là, il le voit sortir de sa besace le chien ours. Sa petite patte s'était cassée la veille, quand l'enfant, dans un accès de colère l'avait jeté par terre.

– C'est à toi ça Milo, dit l'homme en lui tendant la petite figurine de bois, joliment restaurée.

Enfin, le visage du bambin s'éclaire, la bouche étire ce sourire que Fanette guette depuis la veille. Il consent de nouveau à s'approcher, ramenant quelques cailloux avec lui, et son attitude semble plus confiante. Ses doigts s'enroulent au jouet, il arrache le chien ours des mains anglaises, mais cette fois-ci, après avoir tourné vers sa mère un regard brillant d'intérêt, il se laisse tomber au sol entre eux. Milo joue enfin, avec ses cailloux ou la figurine de bois, et il semble, l'espace de ce moment, être redevenu l'enfant insouciant qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être.
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Lison_bruyere
Faire l'amour en cachette, c'est comme voler des bonbons à l'épicerie, c'est délicieux.
Ce goût exquis, dans l'arrière-bouche, d'une chose pas bien.
Pardonnez-moi mon père, pardonnez-moi ma mère, pardonnez-moi parce que
j'ai péché et que je compte bien pécher encore et encore.
(Christian Bobin – La femme à venir)

    16 mars 1468, bien plus tard

"Emballée dans une couverture, Fanette ne songeait à rien d'autre qu'au ballet erratique des flammes sur lequel flottait son regard. Seul le crépitement du feu troublait le silence. Même le bruit des chevaux à l'attache ne lui parvenait qu'assourdi par le rideau d'arbres. Milo s'était endormi un peu plus tôt, à l'abri de la tente d'Oliver, chauffée de quelques cailloux qu'on avait préalablement tenus au plus près des braises. Le chien avait refusé de s'éloigner de son petit maître. La jeune mère savourait cet instant de solitude, d'autant plus que les derniers jours avaient été compliqués et angoissants. Pourtant, quand l'Anglais revint cueillir ses lèvres, elle lui offrit sa bouche en glissant une main fine à son torse. Enhardi par la tiédeur du baiser, il renonça à s'éloigner et glissa sa dextre à sa cuisse pour lui murmurer quelques mots.

– Tout va bien ?
– Milo dort à deux pas, les Corleone sont loin, tu es toujours là. Je crois que ça suffit à ce que j'aille mieux non ?

Le sourire creusa à la joue mâle une fossette qu'elle redessina de la pulpe du doigt. Leurs regards s'étaient accrochés, sondant ou livrant tour à tour les secrets de l'âme. Fanette observait les iris anglais, avec une petite moue qui ajoutait à son air juvénile.

– C'est le propre des yeux bleus de changer de couleur ?

La question le surpris.""C'est vrai qu'on ne lui avait jamais posé ce genre de question. C'est ce qui le troublait profondément avec Fanette. Elle avait ce don pour observer dans les moindres détails. Cette femme savait tout de ses yeux alors que personne d'autre ne se serait attardé à tant de particularités. C'est avec le même trouble qu'il lui répondit.

– Ça dépend … Je crois … Ça te plaît ?"

"Elle esquissa un sourire en relevant ses jupes pour s'installer à cheval sur les jambes qu'il avait allongées en direction du feu. Assise ainsi sans aucune honte face à lui, elle détaillait ses prunelles avec une rigueur presque scientifique, en notant mentalement chaque nuance et chaque reflet."

"Jaime adorait lorsque Fanette prenait cette assise à califourchon sur lui. C'était un moment intime, une offrande qui appelait au vice."

"– Ce soir, ils sont plus sombres, pas autant que des saphirs mais plus intenses qu'un ciel d'été. On dirait qu'ils s'accordent au soleil. Je les ai vus davantage gris aussi, les jours de mauvais temps. Ils peuvent être d'un azur profond à la chaleur du zénith, ou imitent le tourment des orages quand ils voilent le soleil. Et à l'heure où le ciel s'illumine de milliers d'étoiles, ils deviennent saphir.

Elle réagit d'un léger frémissement à la tiédeur de la main qui se faufilait à sa jambe, mais elle poursuivait son étude, appliquée.

– En vérité, c'est comme si un bout de ciel était emprisonné dans chacun de tes yeux."

"Jaime n'en perdit pas un mot, charmé par la vision de son regard comme si elle y voyait un paysage chaque fois. Aucune femme n'avait jamais pris le temps de le regarder jusqu'à l'âme. Il voulut la sentir plus près de lui, la ramener à son cœur puisqu'elle venait d'y forcer son entrée à ses derniers mots."

"Elle soupira d'aise quand il lui offrit pour réponse de venir mordiller sa lèvre. Elle s'étira, nouant ses bras à son cou pour reprendre à pleine bouche son baiser, se collant à son torse, tressaillant de sentir les réactions masculines que la proximité des chairs ne manquait pas de provoquer.

Les désirs s'échauffaient à l'unisson, quand les mains exploraient, boutant hors les résolutions angevines que l'Anglais s'employait à faire céder chaque jour. La jeune femme oubliait la méfiance, les mensonges, les risques, le trou dans le cœur. Ses doigts glissaient doucement, s'enroulèrent audacieux à un lacet de chemise pour dévoiler davantage de sa peau légèrement ambrée, puis délaissèrent la toile pour suivre en effleurements légers chaque courbe, chaque creux, pour en prendre la mesure, en apprécier le grain.
Senestre mâle pressait ses hanches contre lui, quand sa dextre se faufilait, imitant sa jumelle féminine pour déjouer à son tour la succession d'étoffes qui protégeait le derme pâle de la fauvette." "Il appréciait chaque parcelle de sa peau si douce sous ses mains." "Le geste était trop agréable pour qu'elle s'en offusquât. Elle abandonna sa gorge aux caresses brûlantes. Tout invitait dans son attitude, jusqu'au frisson qu'elle ne savait juguler aux frôlements conjoints de la bouche et des doigts masculins. Ils coulèrent à son ventre. Alors le regard de noisette, inquiet, vint chercher les prunelles complices. Sa main retint un instant celle d'Oliver pour guider son index sur les marques nettes et longues laissées par une lame, à des moments différents de sa vie."

"L'Angloys ne se lassait pas de la toucher et à vrai dire même ses cicatrices et les défauts de sa peau lui donnaient une richesse unique. Bien que Fanette ne savait probablement pas le voir. La peau était pour lui une histoire et chaque cicatrice une péripétie à se rappeler. Bien que certains souvenirs soient douloureux, vient un moment où l'on est en paix avec ce qu'ils racontent."

"Un fugace instant, les sourires s’effacèrent, les traits se tendirent, et le désir palpitant au creux du ventre féminin luttait avec l'hésitation. Les corps basculèrent vers la couverture où il l'allongea." "L'Angloys savait qu'à cet instant elle hésitait et il refusait qu'elle puisse avoir des doutes sur sa beauté. En la déplaçant par terre, il espérait qu'elle comprenne combien ses cicatrices ne l'enlaidissaient pas à ses yeux. Peu importe les marques sur sa peau, il la voulait." "Son regard ne vacilla pas quand il détailla tendrement les deux marques du bout du doigt et des lèvres.

Alors, elle s'offrit. Ses boucles dorées auréolant la douceur candide de son visage, contrastaient avec ses épaules aux attaches saillantes, aux clavicules trop apparentes sous la peau. Ses bras nus s'étaient relevés au-dessus de sa tête. Froissés dans son dos, le corsage de cainsil blanc et le bustier carmin ne cachaient plus rien de sa poitrine arrogante bien que menue, de ses flancs clairs et de sa fine taille encore prisonnière de ses jupes en désordre qui dévoilaient à demi ses jambes."

"Le brun n'hésitait plus, elle s'offrait maintenant à lui et cet honneur le réchauffait drôlement. Tant que certaines émotions qui étaient nébuleuses se firent claires à cet instant. Il n'osait pas lui avouer ses sentiments mais l'heure n'était pas aux discussions, il allait lui prouver."

"Les cœurs battaient bien trop forts, les gestes se faisaient plus fébriles. Remontant à ses lèvres, le brun fit passer sa chemise par-dessus de sa tête, et l'abandonna négligemment au sol sableux. Il fondit sa bouche à celle de la jeune femme en un baiser bouillonnant de promesses. Elle frissonna au contact de son ventre, à même sa peau, de sa poitrine écrasant la sienne. Instinctivement, une cuisse s'ouvrait, elle s'agrippa à ses épaules.

– S'il te plaît, dis-moi encore que tu me trouves jolie, supplia-t-elle dans un souffle."

"Ses mots firent frissonner Jaimeson. Pour lui, c'était un aveu : celui qu'elle se plaisait à ses paroles, qu'elle les écoutait et les enregistrait." "La main masculine remontait encore ses jupes, glissait à son genou pour le contraindre à laisser place. Il s'installa dans la tiédeur de ses cuisses, plaquant un insolent désir tout contre elle."

"– You're gorgeous, magnificent. You're the prettiest*. Tu es si jolie."

"Elle lui céda un baiser, plus tendrement, reconnaissante de la confiance qu'il lui rendait. Son regard se troubla de larmes quand l'aubier tendre cognait dans sa poitrine, de crainte autant que d'ardeur et d'impatience. Les mains mâles relevaient encore ses jupons et ses lèvres se dérobèrent, glissant plus bas, avide de goûter le désir qui se déversait au secret humide que les étoffes roulées à sa taille venaient de dévoiler. Fanette écrasa le dos de sa main à sa bouche pour contenir ses gémissements. Son regard affolé sonda l'épaisseur de la nuit qui offrait refuge au sommeil des autres dans le chariot abandonné de l'autre côté du rideau d'arbres. Noisettes effleurèrent ensuite le contour de la petite tente dans laquelle dormait son fils, sans y déceler plus de mouvement, alors, elle allongea ses doigts fins, glissant dans l'épaisseur des cheveux bruns de l'Anglais pour ramener à elle son visage. Il se redressa en dénouant ses braies, exhibant à sa vue toute l'ardeur de son désir qu'il revint plaquer contre elle, derme contre derme, enfin affranchi des barrières de tissu. Le baiser qu'il abandonna à ses lèvres se fit plus langoureux, encore ourlé d'effluves féminins, la langue sensuelle se noua à la sienne. Fauvette perdait son souffle, mue uniquement par le même besoin que lui. Chaque caresse, chaque contact, aussi léger soit-il provoquait un frisson, et la vague de chaleur continuait à se répandre au creux du ventre qui ne demandait qu'à s'emplir de lui.

– Viens, souffla-t-elle fébrile. ... avant que je regrette.

Elle contint ces derniers mots en se mordant un coin de lèvre. Ongles arrimés à son dos, elle se cambra à sa rencontre. Son regard brûlant resta avidement planté dans le sien quand il glissa en elle. Elle se consumait au feu qu'ils avaient trop souvent attisé ces derniers jours, quand elle se refusait encore. Mais cette nuit, elle s'accordait à sa danse charnelle, sans se soucier d'être mariée à un autre et en oubliant qu'il pourrait la blesser lui aussi. Elle se délectait de le sentir en elle, sur elle, sans jamais lâcher le reflet changeant de ses prunelles. Son souffle s'échappait en plaintes lascives qu'elle ne savait plus contrôler, soumises aux douceurs trop longtemps oubliées qu'il lui offrait de la plus tendre manière. Ses mains fines glissaient à son dos, effleuraient la chute des reins, remontaient, griffaient parfois, quand les sensations se faisaient trop pressantes.

Elle le repoussa, fiévreuse, le contraignant à rouler avec elle. Et quand à son tour, il fut sur le dos, elle démêla ses jupes, empressée de retrouver la volupté qui comblait son ventre. Elle jouait, tantôt penchée sur lui, prenant sa bouche sans retenue, tantôt se redressant, bras tendus, mains posées à son torse, tête rejetée en arrière, profitant pleinement des sensations de cette chevauchée fougueuse.
Elle menait la danse à son tour, caressant ou pinçant, baisant ou mordant, accrochant parfois intensément son regard pailleté d'or aux yeux de son amant, jusqu'à ce que, ivre de luxure, la jouissance s'échappe en un cri qu'elle retint en se mordant la lèvre, de peur d'éveiller leurs compagnons de route. Il la suivit sur cette même route, repoussant ses limites pour ne pas sombrer avant elle, et quand elle exulta, alors, il l'attira de nouveau à lui, pour mieux succomber à la petite mort, qu'il grogna à ses lèvres."


* Tu es ravissante, magnifique. Tu es la plus jolie.
Ecrit à quatre mains, par "JD Jaimeoliver" & "JD Fanette"

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Jo_anne
[Tours, fin de la fin mars 1468]

Les derniers évènements avaient conduit Joanne en ce lieu. Quels étaient-ils me diriez-vous ? Bon sang, faut suivre les actualités !

Tout s'était enchaîné à une vitesse digne d'une grande tragédie latine. Les grecques sont plus lentes c'est bien connu, voyons ! Stella - sa petite princesse - avait rendu l'âme quelques semaines plus tôt. Roman avait récupéré son fils. Joanne, quant à elle, voyageait calmement avec son époux quand elle répondit au désespoir de son premier amour, vivant un vrai chagrin d'amour, non pas causé par une puissance extérieure mais bel et bien par les sentiments humains labyrinthique dans lequel finissent toutes les belles histoires. Et puis... bien sûr tout s'accélère encore. Raphaël l'embrasse, Fanette pleure, Gabriele s'occupe de Milo... Raphaël s'en va, Fanette engage des mercenaires pour récupérer son fils, Roman morfle. Gabriele prévient son père, Fanette se barre avec Milo, Joanne veut péter des trognes...

Un joyeux bordel... Pas si joyeux d'ailleurs. Roman avait des défauts. Des tonnes. Ceux de sa mère et de son père combinés sans doute. Pour autant, c'était son fils et elle l'aimait.

Bref, Lilye l'avait prévenue de l'arrestation de son ex-belle-fille. Dans cette période si mouvementée, où la dépression la guettait... C'est la colère qui avait pris le dessus. Car Joanne jamais ne dépérit plus de douze minutes d'affilé. Alors pour ne pas sombrer, elle s'énerve. Et après avoir recherché les mercenaires responsables des blessures physiques de son fils - dans des combats peu glorieux dont elle gardaient des ecchymoses comme séquelles plutôt généreuses au vu des adversaires auxquels elle s'était attaqué. Mais raison avait fini par faire son chemin et l'aveugle avait accepté l'idée pourtant évident que... ces mercenaires n'avaient fait que leur travail. Celui pour lequel on les avait payé. Celui pour lequel Fanette les avait embauché !

A la surprise avait succéder le dénis. Au dénis, la déception. A la déception, la colère. Et la colère était toujours là. Loin de parvenir à disparaître. Aussi, elle avait-elle négocié avec les gardes pour pouvoir entrer dans la cellule où celle-ci se trouvait. Elle avait des choses à dire, des choses à faire. Un peu de pitié et deux piécettes avaient suffit à les corrompre. Ils l'avaient seulement privé de son vieux bâton pourri qui remplaçait sa belle canne depuis quelques jours avant de la laisser entrer dans la cage. Bien la première fois de sa vie qu'elle payait pour se faire enfermer dans une cellule. Ils annoncèrent donc la venue en quelques mots bourrus, avant d'ouvrir la porte.


- Z'avez d'la visite !

L'aveugle avait posé une main sur la paroi la plus proche pour prendre un repère stable. Avant de demander d'une voix encore douce : - T'es où ? Et de quelques pas, peu sûr de franchir la maigre distance qui la sépare de Fanette pour se placer devant elle. Quelques secondes de latence, de silence... Faut dire qu'elle prend le temps de savourer la vieille. Elle sait qu'elle ne pourra pas aller plus loin que ce geste là. La colère le voudrait. La colère pourrait faire oublier la raison. Mais pas Milo. Et Milo avait besoin d'une mère...

Sans rien ajouter, lentement, les doigts se tendent, le bras se recule, prenant l'élan nécessaire, et la gifle vient s'abattre sur la jeune joue, dans un aller-retour claquant, sonore, colorant et presque jouissif ! Presque parce que quand même faut pas pousser. Il lui en aurait fallu plus. Elle s'arrêtera à ça pourtant, avant d'ajouter :


- La première c'est de ma part. Quant à la seconde... Non en fait c'est de ma part aussi.
Lison_bruyere
Les deux mains agrippées aux barreaux, les pieds glissés dans les anfractuosités du mur de pierre, Fanette s'étirait pour tenter de voir l'extérieur par le soupirail qui jetait un peu de jour à sa cellule crasseuse. Avec de la chance, ses compagnons de route se tenaient encore là. Elle apercevrait Milo, devant le haut portal du bâtiment dans les sous-sols duquel on venait de l'emprisonner. Mais à cette heure de la matinée, la place était noire de monde, et son angle de vision bien trop étroit. Elle se laissa glisser au sol en soupirant quand la voix de Maurice annonça de la visite. Le cliquetis de la serrure précéda le grincement des gonds. Le colosse s'effaça pour découvrir la silhouette frêle et boiteuse de la Florentine. Elle fit quelques pas hésitants tandis qu'on refermait sur elle la lourde grille.

Fanette s'avança en imprimant une petite moue. Elle était presque surprise. Presque seulement, car la présence de sa belle-mère ici, confirmait finalement les doutes qu'elle avait eus en recevant son dernier courrier. Joanne l'avait-elle cru sotte à ce point-là ? Probablement. Les deux femmes se faisaient face, dans la pénombre humide de la petite pièce. Si la jeune mère la dévisageait, ne sachant trop quoi dire, on aurait pu croire que l'aveugle la toisait de même. Mais l'Italienne n'avait point besoin des mots pour se faire entendre, à croire que c'était un trait de famille. Le claquement sec des doigts sur les joues angevines ne manqua pas d'imprimer de belles marques rouges, ramenant un peu de couleur au minois trop pâle de la jeune mère.

La fauvette porta la main à son visage, en fronçant les sourcils. Elle ne moufta pas, jaugeant son vis-à-vis. Plus âgée, boiteuse, aveugle, elle ne s'abaisserait sûrement pas à la lui rendre. Contre toute attente, elle noua son bras à celui de Joanne, comme elle l'avait fait maintes fois déjà pour la guider vers un unique tabouret, mobilier impromptu dans des geôles, bien souvent garnie, au mieux d'une paillasse défraîchie.

– Et maintenant Joanne, il se passe quoi ?
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Jo_anne
Oh le doux bruit sonore d'un impact bref, précis et plein d'élan. Depuis plusieurs jours, l'aveugle réfrénait ses envies de meurtre en tentant de se rappeler qu'elle était la mère de son petit-fils. Pour autant, elle n'avait pas pu résister à l'impulsion de colère qui lui avait soudoyé les gardes pour venir gifler son ex-belle-fille. Non, décidément elle ne pourrait pas lui pardonner. D'autant qu'elle avait le culot de lui attraper le bras. Vraisemblablement les claques n'avaient pas suffit à lui remettre les idées en place. Enfin Joanne cherchait sans doute des excuses pour lui en remettre une troisième... Elle arrache son bras de l'emprise hypocrite. Les geôles, elle connaissait. Elle y avait passé de nombreuses soirées, dans sa jeunesse.

Son bras délivré sèchement, l'italienne reste immobile et silencieuse quelques secondes. Le silence prend sa place entre les deux femmes. Un avant-goût de leur futur proche et probablement lointain. La tête est secouée longuement, sans un mot, sans un contact. Et finalement, l'énervement s'empare des cordes vocales bohémiennes :


Il se passe quoi ?! Il se passe quoi ?! T'es sérieuse là ?!

Une inspiration brève et de reprendre

Il se passe que t'es en prison !! Que mon petit fils est avec des étrangers !! Et que mon fils... MON... FILS ! a faillit mourir à cause de tes plans à la con !! Mais enfin qu'est ce qu'il t'a pris ?!

Ce qui est chiant quand on est aveugle, c'est qu'on ne peut même plus lancer de regard assassin. Ce qui est un cruel manque au quotidien ! Du coup, l'ancienne ne laisse guère le temps à la fauvette de se justifier, et de reprendre sur le même ton. Il est bon de laisser sortir ce qu'elle avait gardé enfouis trop longtemps.

En fait j'm'en fiche ! C'est fini Fanette. Je t'ai toujours soutenu, je t'ai toujours proposé mon aide ! Et toi ! au lieu de patienter deux semaines de plus que je puisse venir t'aider, au lieu d'avoir confiance en moi parce que BORDEL !! Je pense avoir toujours été là pour mes petits-enfants ! T'as engagé des mercenaires pour faire du mal à Mon FILS ?! Mais t'es sacrément pas bien dans ta tête !! En plus d'être une connerie immense parce que bon sang il y avait d'autres méthodes possibles ! mais non on est trop stupide pour ça ! On est toute seule, personne nous aime, et on est triste ouin ouin ouin ! poursuit-elle, mimant une Fanette pleurnicheuse parce qu'il est aisé de caricaturer avec la colère.

Sans même prêter à ça t'as même pas pensé dix secondes à Milo dans tout ça ! Le bordel entre vous deux, c'est vos soucis d'adultes ! mais bon sang !!! Il a perdu sa petite soeur, et tu l'enlèves à son père et son parrain ... Des mercenaires l'arrache à son père. Des inconnus violents !!! prennent mon petit-fils ! qui vois son père en piteux état avant de partir ! Mais s'il ne finit pas complètement cinglé avec vos conneries je sais pas ce qu'il va devenir ce gosse ! Pas un pour rattraper l'autre ! C'est stupide ! Tu es stupide !!!

C'est dit. Oui, la colère d'avoir blessé son fils était immense. La douleur et l'inquiétude causée par son état était insupportable au quotidien. Et elle en était la source. Et par dessus tout ça, aucun d'eux ne prenait le soin de s'occuper dignement d'un gamin extraordinaire, lui causant chacun à tour de rôle des traumatismes qu'un adulte censé et sain d'esprit auraient eu du mal à surmonter. Et personne ne semblait y penser ! Et c'était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase...
Lison_bruyere
La fauvette encaissa. La colère de Joanne, elle pouvait la comprendre, et ses dernières paroles aiguillonnaient son cœur. Les pleurs de Milo quand elle l'avait récupéré, les deux premiers soirs à le consoler quand il appelait son parrain, avaient fait vaciller sa conviction d'être dans son bon droit. Et pourtant, Milo en quelques jours, était redevenu un petit garçon curieux, qui s'éveillait un peu plus à chaque découverte qu'offrait le voyage.
Elle ferma les yeux et prit une longue inspiration avant de lui répondre.

– Soit ! J'ai privé Milo de son père et de son parrain. Et eux, ne l'ont-ils pas privé de sa mère ? Je suis stupide d'accord, mais maintenant, aller le dire à votre fils aussi, car il n'a pas non plus brillé par son intelligence depuis la mort de Stella. Et surtout Joanne, n'allait pas lui trouver le chagrin comme excuse. Le chagrin ne nous rend pas plus stupide ou cruel que l'on est. Il a montré son vrai visage, juste que je l'aie trop aimé pour le voir plus tôt. Je n'ai jamais voulu qu'il soit fait du mal à Roman, je voulais juste revoir Milo. Deux mois sans lui, vous pouvez comprendre ça oui ?

Elle se tut le temps de juguler sa colère. Elle n'en avait pas après la Florentine qu'elle avait toujours appréciée, et qui restait la seule grand-mère que Milo ne connaîtrait jamais. Elle baissa le ton.

– Deux semaines de plus, c'est énorme Joanne, ça aussi vous pouvez le comprendre, au vu de la situation. Mais oui, oui bien sûr, j'aurais pu attendre, sauf que, comment pouvais-je savoir que vous viendriez dans deux semaines ? Quand nous nous sommes quittées à Craon, vous m'avez dit que vous seriez là si j'avais besoin, mais quand je vous ai écrit pour vous demander, si vous aviez quelque influence sur votre fils, d'en user de suite, avant que je m'apprête à agir, vous n'avez pas répondu. Si vous aviez seulement fait parvenir un bref en me disant, j'arrive, j'aurais attendu.

Puisque l'aveugle persistait à rester debout, Fanette se laissa finalement choir sur le tabouret.

– Alors, je veux bien admettre que le désespoir m'a fait perdre le contrôle, mais si chacun de vous était un peu honnête, alors, vous sauriez reconnaître que j'en ai bien trop enduré. Vous savez bien que j'ai toujours cherché à conserver les liens que Milo avait avec chacun de vous, et j'aurais continué ainsi, parce que j'voulais que notre fils prenne le meilleur de chacun d'vous. Les choses auraient pu se passer bien autrement et je ne suis pas seule responsable.

Fanette scruta le visage de la brune. Ses cheveux de soie noire, savamment ordonnés dans un chignon se piquaient de quelque fils d'argent. L'inquiétude tirait ses traits. Elle était une mère elle aussi, autant de bonne raison de comprendre les agissements de Fanette et tout autant de lui en vouloir, précisément pour ces mêmes raisons. Elle soupira, et demanda, presque résignée :

– Milo n'est pas avec des étrangers. Ce sont des étrangers pour vous, mais pas pour lui, ni pour moi. Mais vous, vous serez toujours la Nonna de Milo, alors, je vous le demande, il se passe quoi maintenant ? Continuerez-vous à venir le voir et lui écrire comme vous l'avez toujours fait ?
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Jo_anne
Elle l'écouta. Et ses dires ne faisant qu'accroître sa colère. Décidément, elle semblait oublier des tas d'évènements, des tas de paroles, des tonnes de missives qu'elle avait pu écrire à Roman. N'avait-elle donc jamais pris partie pour elle ?! N'avait-elle donc jamais tirer les cloches à son propre fils ? N'avait-elle pas écrit des dizaines de lettres pour qu'il se remette à la recherche de Milo ? Pour le sermonner de délaisser Stella ? Mais non, ici encore la pauvrette trouvait encore à se plaindre d'inégalité et iniquité dans le traitement que Joanne lui accordait. Incroyable mais vrai ! Quelle idiote !!

STOP ! ça suffit maintenant !
- Premièrement : Je te cite : "Le chagrin ne nous rend pas plus stupide ou cruel que l'on est". Ainsi, TU as montré ton vrai visage. Voilà ce que je comprends.
- Deuxièmement : deux semaines venant d'une mère qui a perdu un enfant à vie, te rends-tu compte un instant des bêtises que tu profères ?!
- Dernièrement, tu as franchi la limite de trop. Passe encore que je défende la femme. Passe que je protège la mère. Mais je n'irais jamais ni soutenir, ni excuser, ni plaider pour la coupable.


Le temps d'une respiration, et de stopper d'un doigt levé, impérial, toute tentative de parole inutile. La décision était prise et irrévocable.

C'est fini. Je ne veux Plus JAMAIS avoir affaire à toi. Je ne t'écouterai plus jamais te plaindre, et je ne te soutiendrai plus jamais. Tu as perdu toute mon amitié, toute l'aide - minime soit-elle - que je pouvais t'accorder, toute ma bienveillance. Je resterai uniquement présente pour Milo s'il en montrait le besoin ou l'envie. Je ne suis pas une grand-mère indigne, et lui n'y est pour rien. Mais toi...

La phrase ne s'achèvera pas, témoin de la déception immense de Joanne. Elle qui était pourtant indulgente et à l'écoute ne pourrait jamais pardonner d'avoir blessé et traumatisé son fils sans doute à vie. C'était son fils, et quoi qu'on en dise, il valait plus à ses yeux que le monde entier, petit-fils compris. Aussi moche que cela pouvait paraître, des petits enfants elle pourrait en avoir d'autres. Un fils, elle n'en aurait plus. Il passait avant eux. Et son amour de mère s'exprimait enfin en ce sens. Fini de défendre l'indéfendable, ou de tenter de comprendre et de pardonner l'impardonnable. Fanette Loiselier, Petersen était rayé de sa vie.
Seul Milo persisterait s'il devait persister. Elle en avait fini de forcer le destin et de tenter de raisonner tout le monde. Puisque tout le monde était irraisonnable, soit, la plus irresponsable de tous entrait en piste après des années de sommeil. Laissez entrer Joanne, la folle - dingue, sans limite.

Ainsi, vieille aveugle s'en retourne à l'extérieur, sans rien ajouter d'autre. Pas un mot de plus que ce silence auquel la douce et naïve et pauvre demoiselle engageant des mercenaires tortionnaires en tout bonté de cœur, par pur instinct maternel. Rideau était tiré sur la gentille belle-mère qui s'éloigne donc clopin clopant, et à tâton, aussi théâtralement que possible, tandis que la lourde porte se referme sur la traîtresse.
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