Lison_bruyere
Les deux montures dessellées broutaient paisiblement, tirant sur les branches souples auxquelles elles étaient attachées, pour saisir l'herbe forcément plus appétissante qui se trouvait presque hors d'atteinte. Souvent de concert à cisailler les mêmes brins, le toupet abondant du lourd percheron gris se mêlait aux crins noirs de la baie. Au fil du voyage, une coopération amicale s'était installée entre les deux chevaux. L'épais roncin offrait sa croupe aux éléments et semblait faire barrière entre le vent et la jument, qui se flanquaient contre lui tête basse, et, quand une clairière suffisamment vaste permettait de les laisser en liberté, elle devenait ses yeux, et il la suivait docilement, comme un poulain suivrait sa mère.
A quelques toises, en lisière des grands arbres qui étiraient vers un ciel noir leurs ramures clairsemées, le feu crépitait. Les hautes flammes se recroquevillaient parfois, fumant et tempêtant en lançant des gerbes d'escarbilles, et finalement, venaient à bout des bois morts, gorgés d'humidité, pour libérer de nouveau leurs flammèches dansantes. La bâche en cuir huilé était tendue entre les troncs les plus proches. Elle pouvait bien abriter deux personnes de la pluie, et Myr le plus souvent, la laissait à Joanne et Fanette, prétendant que prendre un peu d'eau sur la tête ne lui déplaisait pas.
La fatigue d'une nuit de voyage se faisait ressentir, et alors que l'aube peinait à teinter de mauve les lourds nuages que le vent amoncelait au-dessus de Brocéliande, les deux femmes étiraient leur paresse, enroulées dans de chaudes couvertures. C'était sans compter sur le brun, venu planter sa grande carcasse devant Fanette. Sa main gauche était résolument crochetée au baudrier de cuir qui soutenait une épée courte et joliment forgée, tandis qu'il lui tendait sa dextre, en signe d'invitation.
- T'sens prête ? T'ras l'temps de t'r'poser quand il pleuvra.
Un large sourire vint illuminer le visage de la fauvette. Le rappel des légendes dont il avait nourri son imaginaire au fil des jours précédents vint éclaircir d'or son regard songeur. Elle leva les yeux vers les grands arbres qui bordaient la minuscule clairière où ils venaient d'installer leur bivouac. Sans doute cherchait-elle à deviner dans les troncs noueux, ou dans les quelques feuillages peints de rouille et d'ocre le visage des fées bienveillantes, ou des courageux chevaliers dont le souvenir habitait ces bois. L'espace de cet instant, ses tourments avaient fui les traits pâles, et même les traces de fatigue semblaient s'être estompées, révélant une expression joyeuse que venait adoucir la lueur rêveuse qui couvait souvent au fond de son regard. Elle le glissa dans celui de son compagnon de route, et acquiesça en s'accrochant à la main tendue pour se remettre debout.
La jeune femme se défit de sa couverture, qu'elle déposa sur les jambes de Joanne en la gratifiant elle aussi d'un sourire. Elle passa la bandoulière de sa besace au-dessus de sa tête, rabattit ensuite soigneusement sa cape sur sa gorge et noua le lien qui la refermait avant de couvrir ses boucles indociles de son capuchon.
- J'suis prête !
Le grain de voix, légèrement haut, trahissait l'impatience et l'enthousiasme.
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